Ce soir, vivre sans culpabilité, vivre sans penser au lendemain était plus facile que tous les jours d’avant : la dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait appréhendé le lendemain, le cœur serré à l’idée de devoir abandonner Isolde à un deuil trop dur à supporter pour elle toute seule. La fois d’avant, il avait eu peur du lendemain en s’demandait si Isolde n’allait pas complètement reculer, le repousser de sa vie et appeler leur nuit ensemble une erreur ou quelque chose de c’genre-là. Il en avait commis, des erreurs, mais il aurait été prêt à jurer ce soir-là que ça n’en avait pas été une : c’n’était pourtant pas son choix à faire, une évidence dont il avait eu pleinement conscience à chaque fois depuis cette nuit de l’explosion et qui l’avait poussé à encaisser chacune des attaques de la Saddler. Il avait appréhendé de lui dire la vérité pour les mêmes raisons- parce que ç’aurait alors donné toutes les clés à la transmutante pour comprendre les événements, comprendre ses motivations et le juger et le condamner en adéquation : ouais, il aurait préféré qu’elle le déteste mille fois sans tout comprendre, plutôt qu’elle ait connaissance de tous les éléments, et décide malgré tout de le chasser hors de sa vie. Mais de tous les futurs, d’toutes les hypothèses qu’il s’était construits dans un coin de sa tête, cette nuit n’avait été qu’un fantasme utopique qu’il n’aurait jamais cru atteindre : Isolde et lui, qui parlaient de confiance. Isolde et lui, qui parlaient de leur fille, de leur futur. Isolde lui, qui s’embrassaient mus par une énergie qu’ils n’avaient jamais ressentie auparavant- fallait croire que déjà quand ils n’en avaient eu qu’à peine conscience, les mensonges du chasseur avaient pesé sur leurs cœurs. Désormais, celui du DeMaggio pulsait à toute allure, tambourinait et tambourinait contre sa cage thoracique avec une volonté toute nouvelle, qui lui permettrait pour sûr d’affronter chacun des jours de ces longues semaines à venir. Ouais, elles seraient longues, difficiles, chiantes, mais au moins ils ne s’perdraient pas, ils n’s’oublieraient pas. Ils n’finiraient pas par se haïr pour une raison ou une autre ; il fallait qu’ils pensent comme ça, et pas qu’ils commencent à chercher les raisons pour lesquelles ils devraient se haïr en s’retrouvant : est-c’qu’il allait encore devoir être confronté au choix de tuer une masse de gens pour sauver une poignée de personnes chères à son âme ? Si Rafael devait apprendre pour tout ça, y’avait pas de doute qu’il utiliserait les sempiternelles faiblesses de son fils contre lui. Encore, et encore, et encore. Pour Cesare, tout c’qui importait – égoïstement – c’était qu’Isolde soit en sécurité. Que Clara soit en sécurité. Où s’achevait la beauté du sacrifice et où commençait l’horreur du meurtre de masse, il avait trop rarement pris le temps d’évaluer cette fine frontière. Et ça leur avait déjà bien trop coûté. Alors si ça devait arriver à nouveau- peut-être bien qu’il ferait les choses différemment ; il n’savait pas encore-… et pour l’heure, tout c’qu’il dirait n’serait qu’emporté par la douceur et la tendresse du moment, certainement pas une promesse raisonnée.
Mais ils changeraient- ils s’essayeraient à changer, useraient de ces semaines difficiles de traversée solitaire pour s’plonger en pleine introspection : une chose que le DeMaggio avait eu le sentiment de faire trop souvent, mais qu’en réalité, il n’avait que trop peu fait au cours de son existence. Quel paradoxe. Au moins, il voulait bien croire qu’il ferait tout son possible, tout son possible pour que quand Isolde le retrouverait, ce n’serait pas pour lui balancer une gifle en pleine tronche – elle ne l’avait de toute manière fait qu’une fois, et il l’avait encaissée comme l’acte juste qui avait plané au-dessus de sa tête pendant trop longtemps. Mais il osait au moins espérer que les gifles ne deviendraient pas un thème récurrent de leur relation. « Arrête, tu m’donnes presque envie de vraiment le faire, avec cet air sévère et tout. » qu’il reconnut face à Isolde la brave et volontaire policière, qui lui faisait déjà comprendre qu’elle ne serait pas bien contente de le retrouver dans la rue en train de faire des trucs complètement débiles : il n’avait déjà pas fait ça à l’âge adolescent débile, il n’était pas prêt de commencer à le faire à presque vingt-sept ans. Mais quand même… rien que pour la taquiner, la provoquer, un rictus au coin des lèvres, il pouvait bien faire genre. Parce que de toute manière, à choisir, il préférait largement envisager leurs retrouvailles comme leurs au revoir, juste eux deux, à parler, à partager des moments- entre des draps ou totalement paisibles, à simplement caresser du bout des doigts l’épiderme de l’autre, s’alimenter peu à peu de la présence de l’autre. Oh ouais, Cesare avait bien l’intention de graver dans sa mémoire chacune des impressions qui traversaient son corps et chaque petit nerf accroché à la pulpe de ses doigts, desquels il dessinait les contours de sa cuisse. Une seule cuisse, comme si c’était la partie la plus importante de l’anatomie de la jeune femme – la seule vraiment accessible alors qu’elle était encore sur elle, diffusant ce bien-être magique et si agréable en quelques touchers et massages soigneux. Y’avait pas besoin qu’elle soit experte, ou qu’elle mette trente tonnes d’huile à l’odeur horrible, pour que ça fasse son petit effet sur lui ; le chasseur en était devenu muet, depuis qu’il avait lâché un ricanement ironique aux mots de la blonde. Ma caille en sucre ; il avait retenu l’information, dans un sourire nostalgique qui disparaissait peu à peu, non pas au profit d’une quelconque tristesse, mais de traits paisibles, détendant son visage et son corps tout entier. Et il l’avait sentie réceptive, Isolde, à ses caresses- le baiser qu’elle déposa sur ses doigts éclaira son faciès à nouveau, avant qu’il ne la laisse choir juste à côté de lui, sur le matelas. « Owwww, ma pauvre petite caille en sucre. » qu’il releva à ses mots, faussement plaintif, infiniment moqueur, lorsqu’elle lâcha sa réplique. Il se doutait bien qu’elle n’avait pas mal au dos, pas à cause de la position qu’elle venait de quitter – guère plus qu’une position assise toute bête à vrai dire : elle aurait pu blâmer l’fait de faire l’amour contre un mur, si elle voulait être crédible. Mais Cesare ne se fit pas prier, elle n’avait pas eu besoin de demander, lorsque de ses doigts, il trouva la trace encore bien récente à son épaule- une cicatrice encore bien visible, de ce qui ressemblait à un coup de couteau plongé en travers de ses chairs. La hargne qu’il ressentit, il la ravala, ses mâchoires se crispant dans un étau pour une seconde, avant qu’il ne se redresse légèrement, pour venir déposer un baiser chaud contre cette même blessure. « Alors, dis-moi où t’as mal. » qu’il ajouta, ignorant volontiers la cicatrice désormais, pour laisser toute sa paume glisser entre ses épaules, sur ses omoplates, pour s’engager sur le chemin sinueux de sa colonne vertébrale- au niveau de ses reins, partout, lentement mais sûrement, comme si de sa main il dessinait dans l’éternel les contours de la silhouette de la jeune femme, alors que ses pulsions avaient été bien plus triviales que ça ; il avait juste envie de caresser sa peau, encore et encore, et encore.