23h... deux semaines que tu le fuis, deux semaines à jouer à la conne, à ignorer ses messages, lui faire croire que t'es occupée, que t'es partie. Ouais, tu t'es surtout enfermée dans ta piaule miteuse dans cet hôtel miteux, à fumer, à boire, à planer. Pour mieux oublier, ouais oublier que tu ne l'as pas revu depuis deux semaines, que t'as préféré fuir la discussion, les trucs sérieux c'est clairement pas fait pour toi. Tu sais pas, tu sais pas pourquoi t'as préféré l'ignorer, plutôt que d'avoir une conversation mature avec lui, d'affronter ces vieux démons, de ne pas tomber dans ce piège. Ce piège qui s'est lentement refermé sur toi cette nuit là, avec lui, ce moment intime partagé, ces baisers... Putain, t'es vraiment pas nette Aileen, qu'est ce qui te prends ? Tout ça, les sentiments, ces émotions, c'est pas fait pour toi, non, toi t'es plus du genre à fuir dès que ça devient compliqué. Pas d'attaches, pas de sentiments, faut pas l'oublier, t'es dans un monde rempli de fils de putes, prêt à te tirer dessus pour avoir cette satisfaction d'avoir buté un monstre. Un mutant, et depuis quelques semaines, t'es dans ce groupe de rebelles, de mutants fiers d'être ce qu'ils sont.

Hin...quand tu y repenses, t'avais parlé de t'faire vacciner pour redevenir normale, mais tu ne l'as jamais été, non, et ce n'est pas demain la veille que les choses changeront. T'en avais parlé à Leevy, quand tu l'as retrouvé  dans son petit resto, ouais, et il t'avait demandé de pas le faire, que le vaccin c'était pas pour toi. Alors tu t'es rétractée, tu l'as écouté et vous avez passé cette soirée tous les deux, à picoler, à déconner, et à baiser. L'erreur, peut-être pas du siècle, mais ouais une belle connerie. Alors l'alcool avec lui c'est fini.

23h15. T'es devant chez lui, t'espères qu'il est déjà rentré, vous devez quand même avoir cette conversation qui t'as empêché de dormir correctement ces derniers jours. Des flashs, de vous deux, de son corps contre le tien, tu rougis violemment, faut pas. Faut pas que tu tombes là dedans Aileen, c'mauvais pour ta santé, ça te rends plus faible, moins méfiante et tout ça, c'est pas toi putain.

23h18. T'as monté les trois étages, une pizza dans les mains, ton portable éteint, tu veux pas qu'on te dérange ce soir, t'en as pas envie, tu sais pas trop encore c'que tu vas lui dire. Et puis merde, ton cœur qui s'agite dans ta poitrine c'est vraiment pas ce dont tu avais besoin maintenant. Pas ce soir.

Je suis en retard. Parce que Maria m’a fait nettoyer chaque recoin de la cuisine que je comptais bien laisser en ruines. Elle a bien du le voir, le sentir. Que depuis quelques heures, je suis si pressé de partir que j’en néglige tout le reste. Après deux semaines de silence radio, d’appels dans le vent, Aileen s’est décidée à me rencontrer. La première fois depuis que les choses ont dérapé. Je ne pensais pas qu’aussi vite, elle prendrait à nouveau le large. C’était une connerie, alors ? De boire, de prendre du bon temps ? Putain, j’en ressens encore les frissons acérés, la chaleur brûlante, les vibrations uniques, lancinantes. J’y goûterais encore. Et encore, et encore. Jusqu’à ne plus en pouvoir, jusqu'à être mort. Ça m’obsède. Mon esprit ne trouve plus que ce film à se passer en boucle, à l'infini. A la moindre seconde d’inattention. D’ennui. Il y en a eu d’autres, depuis. Mais c’était banal. Et je mets de coté tout l’aspect sentimental. On est à peine amis. Une soirée en quoi, trois mois ? Un bref passif. Des conversations volages. Elle est trop différente de Carol. Physiquement, mentalement. Comme les autres, elle n’est pas elle.

J'ai remis mon alliance. A peine le tablier tombé qu’elle me revient au doigt. Je sais, c'est sans doute deplacé. Se montrer en tant que veuf à la fille que j’ai baisée. Que je veux baiser. Lui rappeler qu’il n’y aura rien à espérer. Ça manque cruellement de subtilité.

Il faut que je me douche. Je pue le gras, le guacamole. Mais plus important encore, il faut que je range, putain. J'ai laissé mon appart dans un état monstre, ce matin. J’espère qu’Aileen prendra son temps pour venir. Si elle ne me pose pas de lapin. Merde. J’sors enfin du restau. Il est 23h10, j’en ai pour dix minutes à fouler ces rues désertées.

Je traverse une partie du centre ville, retrouve mon immeuble. Les clés déjà en main, je passe la porte accolée à un bar. Une petite cour commune, et puis, encore une porte, des escaliers. Trois étages, pas d’ascenseur. La nuit, les disputes des soulards qui remontent dans les murs. La peinture qui se défait à plusieurs endroits. Ça n'est pas totalement insalubre. C'était juste peu cher. Différent de ce que j’avais, avant. Plus agité. Moins de temps pour penser. A cette heure-ci, d'ailleurs, le bar tourne à plein régime.

J’arrive sur mon palier, la vois devant ma porte. Ça me freine dans mon élan. Merde. J’me pince brièvement les lèvres, avance alors que je capte son regard. Un détour d'une demi-seconde sur sa bouche. J'pensais que l'alcool noierait le souvenir de son contact. Faut croire qu'on n'avait pas assez bu pour en arriver à ce résultat. “Hey, Aileen.” je lui offre un mince sourire, la double, m’empresse d’enfoncer les clés dans la serrure. Ça me stress, je dois l’avouer. Faire comme si tout allait bien alors qu’on devra de toute évidence passer par la case “discussion sérieuse”

“J’suis content que t’aies pu venir. J’sais qu’il est tard…” j’fais claquer le verrou, pousse le battant en bois. Et à nouveau, je tourne la tête vers elle. “C’est le bordel, désolé.” j’entre, la laisse fermer la porte derrière elle. Et j’prends pas le temps d’attendre, me hâte de récolter les fringues sales sur le canapé, le coin du lit, tout fourrer dans un panier à linge. Pareil pour les papiers et mouchoirs que je pioche du bout du bras, vais relâcher dans la corbeille. Le studio fait dans les vingt mètres carrés. Une petite cuisine, deux tabourets de bar accolés à un comptoir. Contre le mur opposé, un canapé deux places assez large, une table basse qui fait office de meuble télé, une console de jeux planquée en dessous. Le lit est séparé du reste par une petite marche, un rideau à tirer. Sur une bibliothèque relativement vide, quelques photos, quelques souvenirs. Le visage de l’être aimé, sa bague encore rangée dans son écrin. J’ouvre la fenêtre, laisse l’air frais balayer l’odeur de vieux cendrier. “Tu es déjà venue ici ?” j’dois bien l’avouer. J’ai oublié.

Tu frappes encore, à la limite de donner un coup de pied dans la porte de son studio, pas de lumières, pas de bruit, il est pas là, du coup tu te sens conne de t'être pointée trop tôt. Pourquoi est-ce que t'es énervée alors que t'es seulement venue lui parler, prendre de ses nouvelles pour repartir après. Ne pas retomber dans le piège, ne pas boire et ne pas te laisser séduire par ses beaux yeux, ses lèvres...

Tu frissonnes, tout revient, les baisers, les soupirs, les caresses, son torse nu parfait, les traits de son visage que tu as appris par cœur, quelle belle connerie. T'as envie de prendre tes jambes à ton cou, partir, fuir c'que tu pourrais ressentir, tu comprends pas, t'as jamais été comme ça, même pas avec Joshua.

Tu l'attends, tu devrais rentrer à ton hôtel, t'as pas les idées en place là, tu n'arrives même plus à réfléchir correctement, mais c'est parce que tu planes encore, ça ne t'arrive pas souvent en plus de te défoncer la tête comme ça pour si peu.

T'as commencé à manger un bout de pizza, quand t'es nerveuse tu manges, tant pis, il te jugera pas si tu lui proposes une pizza déjà entamée, et puis ça sera toujours mieux que sa bouffe souvent pas très bonne. Et il arrive, il est là en face de toi, grand, semble un peu fatigué, Maria a dû le faire bosser plus que d'habitude. T'es...gênée de le revoir alors que quelques minutes plus tôt t'étais en train de repenser à tout c'qui s'est passé entre vous quelques semaines auparavant. Putain reprends toi Aileen, oublie tout ça, c'était que l'histoire d'un soir non ? Et la façon dont ça s'est terminé...vous n'avez même pas eu le temps de discuter juste après.

Un sourire maladroit échangé entre vous "Leev...hey." tu soupires, c'est bien c'que tu craignais ça va être difficile de parler avec lui, comme avant, avant que tout ne dérape, que ça devienne intime entre vous. Tu le suis dans son studio, passe la porte, tu peux plus faire marche arrière, t'es nerveuse, ton cœur va exploser si ça continue. Inspire, expire. Encore une fois et ça devrait aller.

"C'est rien, de toute façon j'avais rien de prévu alors autant venir. Ça va c'est pas si bordélique que ça, puis t'as au moins ton endroit à toi, je change toujours d'hôtel dernièrement." c'qui veut dire en gros que ouais t'es restée en ville, mais toujours à bouger. À te méfier, ne pas être repérée par les chasseurs. Craindre pour ta vie, comme avant. T'es pas à l'aise, et être avec Leev, avoir eu toutes ces émotions la dernière fois ça t'as ramolli le cerveau, t'as plus les idées claires en c'moment.

Des...mouchoirs qui traînent, tu sais très bien c'que ça veut dire, tu lèves ton regard vers le brun, les sourcils froncés. "T'aurais pu les jeter avant que j'arrive quand même. Enfin j'vais pas te dire c'que tu dois faire ou pas, j'suis pas ta mère." et les photos.. de lui et sa femme, la seule qu'il a aimé, tu ne lui arrive même pas à la cheville. Elle est belle, brune, des boucles magnifiques. Pourquoi est-ce que tu te compares à elle ? T'es rien Aileen, juste un plan cul foireux qui n'avait pas lieu d'être. Triste ? Non, perdue peut-être mais ça s'arrête là.

Sa question te sort de tes pensées "J'sais plus, peut-être, j'me souviens pas." t'es ailleurs, tu fuis son regard, ne pas t'arracher à toujours été ta seule règle d'or.

"Désolé, j'fais des allergies." Et j'éternue avec la bite, tout à fait. J'lâche les papiers en boules dans la poubelle et relève un regard amusé vers la blonde, qui prend l'air contrarié. Bon, soit, c'est pas des glaires mais d'autres fluides piegés là dedans. A quoi bon s'en cacher franchement ? Qu'elle ne me dise pas être chaste.

Et puis, mon rictus s'efface. Il n'aura pas tenu longtemps. J'vois son regard bifurquer sur les photos de Carol. Son expression déconfite. J'me demande ce qu'il peut bien lui passer par l'esprit. Je sais que c'est étrange, comme atmosphère, comme habitudes. L'alliance, les photos. Toujours, sa présence. Comme si elle n'était jamais vraiment partie. Un regard porté sur moi. Bienveillant, souvent. Accusateur, parfois. Du haut de son étagère, ma moitié veille sur moi. Depuis le ciel, j'entends encore sa voix. Et je me demande sincèrement ce qu'elle penserait de moi, de tout ça. Notre appartement était bien plus grand que celui-ci. Plus propre, plus lumineux. J'avais une carrière correcte. Je ne puais pas la friture à mon retour chaque soir. Sa disparition a été mon annihilation. Ma destruction. La dépression, toutes ces questions. J'essaie de me relever. D'avancer. Un pas après l'autre. Sans jamais savoir me défaire du passé. Lâchement, j'y reste accroché.

"Je pense que non." Qu'elle n'est jamais venue. Mais peu importe. Je m'en fous. Je cherche juste à capter son attention. "T'as ramené à manger... ça tombe bien, j'ai super faim." Je désigne du menton le carton à pizza qu'elle tient entre ses bras. Et j'avance à nouveau, jusqu'à me planter devant elle, l'obliger à m'affronter. J'ai pas encore tout à fait le courage de parler. De parler sérieusement. Mais je sais qu'il faudra bien y passer.

Je prends le carton, lui échange un bref regard concerné. "T'as pas l'air bien." Et je tourne les talons, viens vers le comptoir. Je hisse les fesses sur l'un des tabourets, pousse du bras le bazar éparpillé sur la surface laquée, y dépose la pizza. Qu'elle vienne aussi se poser. "A quoi tu penses, Aileen ?" J'ai le coeur qui se serre. Comme les tripes, comme les nerfs. Allez, balance moi toutes tes pensées. Qu'on commence à tout démêler.

Tu devines qu'il s'est branlé ces derniers jours, quoi, il aurait pu très bien aller voir ailleurs, passer la nuit avec d'autres femmes, t'es pas possessive et puis tu ne sais même pas c'que vous êtes. C'que vous serez. Rien. Absolument rien, c'était l'histoire d'un soir, hein Leev ? Tu cherches des signes, s'il est prêt à discuter, s'il en a envie parce que toi...non, t'es pas prête. T'as mal dormi, encore, pour autre chose.

Et le désir est là, il te consume de l'intérieur, tu as chaud alors qu'il fait pas si chaud en ce moment, tu sais pas pourquoi t'es comme ça. Les photos, l'alliance que tu as aperçu à son annulaire tout à l'heure quand il a ouvert la porte. Tu sais pas où t'asseoir, si tu dois le suivre près des tabourets, et non t'es jamais venue ici, tu t'en souviendrais. Des photos. De chaque détail, d'où se trouve telle ou telle chose.
"Ouais j'ai déjà mangé un bout désolée." tu fuis encore, son regard alors qu'il cherche à capter ton attention, t'y arrives pas, t'arrives pas à faire comme si tout allait bien et il l'a deviné. "Si j'vais bien. J'suis fatiguée mais ça change pas de d'habitude." Ne pas lui dire que t'as plané dernièrement, que tu t'es droguée, parce que t'as essayé d'oublier c'qui s'est passé. Il prend le carton sous tes bras, effleure ta peau, tu recules, nerveuse, tu veux pas qu'il te touche, non. Tu veux pas être accro. Reprends toi Aileen.

Tu le rejoins, il te fait signe de t'asseoir à ses côtés, t'es sur le point de le rejoindre, d'être proche de lui, mais sa question te bloque, t'empêche d'avancer. Les conversations d'adultes ça a jamais été fait pour toi. Tu le fixes, quelques secondes, même toi tu ne sais pas à quoi tu penses. "À rien. J'te jure. T'as l'air en forme, mais je parie que Maria te torture au boulot." C'est peut-être pas la réponse qu'il voulait, tu esquives encore.

Reprends toi. Sois sincère pour peut-être la deuxième fois de ta vie. "À notre moment passé ensemble. À me dire que ça a tout fait foirer entre nous. Que...j'y ai repensé ces derniers jours. J'en ai rêvé, et c'était plus des rêves érotiques qu'autre chose." Ouais, et t'aurais peut-être pas dû lui balancer ça comme ça. Pas chez lui. T'as encore cette impression de planer, d'être dans ton monde.

"Mais n'y fait pas attention, j'sais bien que c'était que l'histoire d'un soir." ton cœur se serre, t'as mal et t'as du mal à respirer. T'as besoin de boire mais c'est pas forcement une bonne idée. "T'aurais de l'alcool ?" Allez, tant pis, si tu bois ça sera plus simple à assumer puis à oublier.

C'est vrai, Aileen n'a pas l'air au top de sa forme. Un regard un peu absent, livide, et surtout, trop difficile à s'accaparer. Y a la gêne qui pèse, un putain de malaise. J'pensais que ça se délierait un peu après notre échange par sms, mais il faut croire que j'ai été trop optimiste. J'ai pas envie que cette unique soirée dans le parc vienne ruiner tout le reste. L'entente, la complicité. C'est donc à ce point impossible de vivre avec ? Sans se prendre la tête ?

Elle répond vaguement, et je soupire, un maigre sourire. Plutôt que lui répondre, je pioche une part de pizza, et en croque une première bouchée. De quoi calmer l'appétit. "Hm ?" J'fronce plus brusquement les sourcils en la regardant, surpris des mots choisis. Des rêves érotiques. Y a de quoi me faire avaler de travers, tousser, manquer de m'étouffer. J'frappe doucement mon poing contre mon torse pour remettre de l'ordre dans la trachée, avale et repose le restant de la part. "Je..." Ma voix reste enrouée, et je me fais couper. Les yeux plantés dans les siens, alors qu'elle m'ordonnerait presque immédiatement d'oublier. Pour boire, encore. Mais qu'est-ce qu'on va faire, alors ? On va tout de même pas passer notre temps à nous saouler. Non, très égoïstement, j'ai envie de parler. D'être conscient de sa présence, de garder le contrôle sur toutes les conneries que je pourrais bien débiter. "J'pense que ça serait mieux qu'on reste sobres, cette fois." J'essuie mes mains l'une contre l'autre, et puis les commissures de mes lèvres.

Et puisqu'elle ne vient pas s'asseoir, j'me relève, j'avance vers elle. J'veux pas qu'un fossé se creuse entre nous. J'ai vraiment envie de nous sauver. Parce que les amis sont trop rares ici bas pour être négligés. "Y a pas de quoi être aussi gênée, Aileen. On n'a rien fait de mal." Et j'essaie moi-même de m'en convaincre. "Le sexe, c'est censé être agréable. Ça devrait pas nous plomber." J'croise les bras sur mon torse, penche la tête pour mieux la regarder. Les lèvres pincées. Putain, j'crois que je commence à culpabiliser. De la rendre triste, d'avoir brisé quelque chose. Et j'sais pas ce qu'elle attend de moi. Ouais, c'est surtout ça. Elle sait très bien tous les boulets que je me traîne. Y a qu'à voir l'alliance que je garde au doigt. J'suis tellement loin de vouloir d'une véritable histoire. J'suis pas prêt, je le serai peut-être jamais. Mais est-ce que c'est seulement ça ? J'reste sérieux, concerné. Planté là, comme un piquet. "Les choses peuvent rester simples. Que ce soit physique, ou non..." On va pas s'mentir. Y a pas que le malaise qui rôde. Y a cette tension, aussi. Une attirance, en presque innocence. L'envie d'y goûter encore. A elle, à nous, à la petite mort. C'est juste pas le moment de s'égarer. "J'ai aussi eu du mal à ne pas y penser. Mais ça ne veut pas dire que s'il le faut, on ne peut pas oublier." Parce que ouais, c'était juste une fois. Juste une cuite. Que si l'on n'avait pas bu, il ne se serait strictement rien passé. On serait sortis, on aurait ri, on serait rentrés, chacun de son côté. C'est juste un écart, un moment de plaisir ; pas le désespoir. Plus doucement, je murmure, "Tu le sais déjà, mais j'peux rien t'offrir de plus." Qu'elle me comprenne. Qu'au moins ça, ce soit clair. Ça n'est même pas une question de volonté. Alors, je suppose que c'est à prendre ou à laisser. Au moins, ça sera réglé.

T'aurais dû te taire, te rétracter, ne pas lui balancer tout ça parce que ça ne te ressemble pas tout ça, de te prendre la tête pour un rien, pour une histoire de cul. Tu ne veux pas que ça gâche ce que vous aviez entre vous, et encore tu ne sais pas ce qu'il y avait entre vous avant ça. Ne pas te prendre la tête, non, et pourtant c'est exactement ce qu'il t'arrive maintenant. De te mettre la tête à l'envers, de planer pour oublier, le fuir. C'était vraiment stupide de ta part, l'ignorer, ignorer ses messages et ses appels. Il semble surpris par ce que tu lui dis, pourtant tu lui en as parlé par sms et tu pensais que ça serait passé plus facilement, mais lui en reparler en face à face c'était peut être pas la meilleure des idées.

Boire pour oublier, non, tu le sais très bien que ce n'est pas la meilleure des idées, mais c'est ta façon à toi de fuir les conversations, ses regards et tes interrogations vous concernant. Tu te sens conne quand il refuse, quand il te dit qu'il vaut mieux rester sobres.

"Ouais t'as raison ça nous évitera de refaire la même connerie." tu lui sors plus ou moins froidement, alors qu'il décide de se relever, te rejoindre, pourquoi ? Pourquoi il fait ça à tenter de vous sauver, sauver quoi ? T'en sais rien, tu ne veux pas te poser cette question, alors tu vas jouer la carte de l'insensible, ouais ça vaut mieux.

"Je ne suis pas gênée, je m'excuse si tu as cru que c'était le cas. Je suis juste venue pour parler avec toi, te dire que c'était bien mais que ça ne se reproduira plus. Restons amis, ça sera plus simple." tu souris nerveusement, ça te coûte de lui dire ça. Puis il en rajoute une couche, ça ne t'aide pas quand il te sort que lui aussi y a repensé, la tension sexuelle qui revient s'installer entre vous.

"Arrête...tu devrais penser à autre chose, c'était une erreur, on était bourrés, ça s'arrête là. Et je ne te demande rien, je n'attends rien. Tu as toujours ton alliance alors tu n'es pas prêt pour autre chose, que ce soit seulement une histoire de cul."

Tu le fixes, insensible, ailleurs, tu as toujours été très douée à ce petit jeu, à repousser les gens, à ne pas avoir d'histoire, le seul que tu as laissé s'approcher de toi vraiment c'était ton meilleur ami. Et encore ça lui a pris du temps pour t'apprivoiser, ça en prendra peut-être pour lui s'il le souhaite.

"Parce que toi Leev...tu attends quoi ? Ça représentait quelque chose pour toi c'qu'on a eu ensemble ? Quand tu dis que je t'ai manquée c'était vrai ou bien tu as juste envie de me sauter encore une fois en voyant le visage de ta femme plutôt que le mien ? Je ne suis pas conne tu sais...cette nuit là quand tu fermais les yeux ce n'était pas moi que tu voyais n'est-ce pas ?" tu le fixes, presque furieuse, vexée. Les meubles qui commencent à trembler. Calme toi Aileen. Ne te lance pas dans ce sujet ce n'est pas ton genre de blesser volontairement les gens.

"Tu sais quoi ? C'était une belle erreur tout ça, venir te revoir au resto, prétendre être ton amie alors qu'on a tout foutu en l'air en quelques heures. C'était stupide tout ça. J'suis désolée d'avoir chamboulé ta vie en me pointant la première fois dans ton resto..."

Je crois que c'est pour ça que j'ai commencé à m'intéresser aux hommes. Les hormones ne leur retournent pas le cerveau. Du moins, pas dans ce sens là. Ils ne vont pas me réclamer de les baiser pour ensuite me faire la morale. Non, c'est typiquement féminin. Et sincèrement, j'ai beau essayer, je n'y comprends rien.

"...alors tu n'es pas prêt pour autre chose..." J'serre les mains sur mes bras croisés, l'expression plus renfrognée. Un regard sévère qui ne trouve que l'indifférence forcée du sien. C'est plus du dédain, presque de la haine. De quoi j'me mêle ? Aileen, tu t'avances en terrain dangereux. "Je sais ce pour quoi je suis prêt ou pas." Et j'essayais d'être sympa. De toute évidence, un effort totalement passé dans le vent. J'étouffe un juron dans ma barbe, détourne les yeux pour mieux les reposer sur elle. Elle n'a pas fini. Non, putain. Elle sort le poignard qu'elle planquait dans son dos et me plante les tripes. Elle insiste. Et c'est vicieux. Perfide. Tout spécialement venant d'elle. Comme si c'était si simple. J'aimerais ne pas penser à Carol quand j'en tronche une autre, que j'me tape une nana quelconque. Elle mérite mieux. Mieux que d'être une chimère sur un corps qui ferait office de masturbateur géant. Rien que pour se fondre dans le réconfort. Et recommencer, encore. C'est pathétique, ouais. Je sais. Je sais qu'elle le pense. L'opinion est partagée, mais son avis, elle devrait le garder. J'serre les dents, les poings. C'est elle qui fait trembler les meubles ; pourtant, en cet instant, je jurerais en être capable.

"T'as pas chamboulé ma vie, Aileen. Descends de ton piédestal." Tu ne lui arrivais même pas à la cheville. T'es tellement moins qu'elle. Moins futée, moins tendre, moins belle. J'avance d'un pas, plonge la tête la première dans la confrontation, dans la cage aux lions. Mais est-ce encore franchement évitable ? "J'y peux rien si tu es pas foutue d'assumer une simple partie de jambes en l'air." Mes yeux plantés dans les siens, les tripes qui se tordent de colère. Ma voix qui siffle. Les nerfs qui se perdent. "Alors qu'est ce que t'es venue foutre ici ? M'insulter, renverser mes meubles avec tes putains de séismes ? J'ai pas envie de m'occuper de tes caprices, de réparer le bordel que tu vas m'mettre !" J'délie les bras, les relève. Agressif, puisqu'il n'y a que ça qui semble atteindre ses petites oreilles. "Si t'as envie d'te casser comme une princesse, j't'en prie, la porte est ouverte ! Allez, prends ton moment de gloire, on aura qu'à oublier que c'est toi qui a demandé à te faire prendre ! Ouais, soyons fous ! C'est ma putain de faute, non ?! D'avoir dit oui alors que j'étais ivre, d'avoir osé penser à autre chose avec deux grammes dans le sang !" J'montre les crocs, le visage rouge, le coeur malmené. Qu'elle se barre avant d'se faire bouffer.

Tu sais pas dans quoi tu te lances, si tout c'que tu viens de lui balancer c'était une bonne idée… quoi, il aurait préféré que tu lui dises quoi ? Hein Leev ? Alors ouais t'as décidé d'être mauvaise, d'lui faire comprendre que l'envie de t'faire prendre par lui t'es passée, que y'aura pas de deuxième fois vu comment c'est parti entre vous. T'es blessante, c'est pas toi, mais de toute façon c'est trop tard, t'es allée trop loin, t'aurais pas dû sortir la carte de la femme décédée. T'es conne Aileen, vraiment.

Ta gorge se noue, tu serres les poings, parce que lui aussi devient blessant, c'est de ta faute, tu l'sais, ouais tu l'as provoqué, tu le connais Leevy, tu sais comment il est quand tu le titilles trop. Et voilà le Levv qui montre les crocs, ouais, voilà, bien joué Aileen, t'y es arrivée tu l'as poussé à bout, ça sera plus simple pour te barrer, que tu ressentes plus cette envie de le toucher, l'embrasser. Tu l'écoutes, il sait pour ce pour quoi il est prêt ? La grosse blague, alors pourquoi est-ce qu'il garde encore son alliance, toutes ces photos ? T'as envie d'lui cracher ça à la gueule, mais de toute façon t'as pas le temps d'en placer une. Les meubles continuent de trembler, t'es pas prête de te calmer, t'es énervée, blessée, tout comme lui à cet instant.

"J'suis pas sur mon piédestal connard, j'ai jamais dit ça, j'ai jamais cherché à me comparer avec elle…" tu montres la photo où ils sont tous les deux dessus "J'cherche pas à prendre sa place ou quoi, t'étais juste un mec parmi d'autres ce soir-là, t'inquiète pas pour ça. J'assume d'avoir fait une connerie, c'est tout." Allez viens, viens te battre Leevy.

Une princesse ? Ça t'fais sourire, amusée par les mots qu'il choisit, toi une princesse ? Alors c'est qu'il ne connaît rien de ta vie, tu t'en rends compte, ouais vous êtes tellement différents au fond, tu pensais que vous auriez pu vous battre ensemble contre les chasseurs. Mais non, tu t'es fait des films putain, quelle conne. Il est mauvais, comme toi, son visage devient légèrement rouge, le Leevy qui s'est battu contre les mecs de la dernière fois refait surface, ça va être intéressant tiens.

"T'étais tout aussi chaud pour baiser avec moi, va pas me dire le contraire ! J'ai jamais dit que c'était d'ta faute, calme toi bordel !" t'as pas envie de partir, tu la cherches la confrontation, autour de vous ça ne tremble plus, mais toi, t'es remontée. Te disputer avec lui, tu voulais tout ce soir, sauf ça, alors tu baisses les bras, à la limite d'être triste, tu les sens, les larmes qui veulent se pointer. Que tu retiens depuis trop longtemps.

"Va t'faire foutre Leevy…" tu lâches, les larmes qui sont là, qui coulent sur tes joues, qui brouillent ta vue, t'en as marre, cette dispute c'était vraiment pas c'que tu voulais. "Désolée…j'vais te laisser ouais, ça vaut mieux. J'irais dire au revoir à Maria demain." tu le cherches, qu'il te retienne, qu'il t'empêche de partir, parce que tu le lui as déjà dit, tu tiens à lui putain. Et ça te bouffe.

Qu'elle est putain d'insupportable. "Ok. Super." Je peste, sèchement, les dents serrées, la voix sifflante. J'suis un connard, un mec parmi d'autres, une connerie d'un soir. Très bien. Qu'on passe à autre chose, alors. Qu'elle arrête ses jérémiades insensées. Putain, et qu'elle fasse cesser ces saloperies de tremblements. Y a ma vaisselle qui vibre dans les placards, les verres qui tintent entre eux, les volets qui claquent contre la fenêtre ouverte. Le comble ? Ouais, ce serait qu'elle me détruise mon appart en plus de notre pseudo-amitié.

"Mais quelle putain de mauvaise foi..." Je souffle, excédé, sourcils froncés, les iris gelées dans les siennes. Bien sûr, que j'avais envie de te baiser. Merde, mais regarde toi deux secondes dans un miroir ! Quel type à peu près sain d'esprit refuserait quoi que ce soit à ces yeux qui crient "baise-moi" ? Putain. C'est bien la première fois qu'on me fait une telle scène pour si peu de choses. Alors ouais, j'peux comprendre. Son pote qui vient de mourir, ça a du clairement lui retourner l'esprit. Elle espérait sans doute trouver un remplaçant, j'en sais rien, peut-être juste un passe-temps.

Les vibrations cessent, le bruit se calme. "Va t'faire foutre Leevy…" J'me pince les lèvres. C'est l'ultime coup de poignard qui en finit de me crever le coeur. Comme si je valais pas mieux que ça. "Je t'emmerde." Je murmure, blessé, vexé. Et la naine qui se met à chialer. Devant moi, et pourquoi ? Est-ce qu'elle espère que ça l'aidera à se faire excuser ? J'soupire, exaspéré. Ereinté. Une légère grimace, les yeux qui roulent dans leurs orbites, s'accrochent une seconde au plafond avant de plonger à nouveau sur les cheveux blonds. Au lieu de se casser, elle continue de parler. J'sais bien c'que ça veut dire. Les femmes... toutes les mêmes. Allez comprendre le fil logique de ces cervelles noyées dans les hormones. Carol m'a souvent fait le même coup. M'engueuler. Comme gronder un gosse. S'entêter. Prendre du recul. Se mettre à pleurer. Pour que je vienne la consoler, la pardonner, sans jamais lui dire clairement qu'elle avait eu tort.

Là, en l'occurrence, j'ignore qui a raison et pourquoi. Ca semble une impasse, et Dieu que c'est énervant. Alors je recule, reviens sur mes pas, chope la part entamée de pizza et vais m'affaler sur le canapé. Le cuir usé qui grince sous mes fesses, tandis que je croise les pieds sur la table basse. "Tu fais c'que tu veux." J'aimerais qu'elle reste, ouais. Mais je ne lui courrai pas après. Alors, déjà, je dévore mon bout de gras.

Qu’est-ce qui t’as pris ? De l’agresser comme ça, de lui balancer toutes ces horreurs sans prendre le temps de réfléchir aux conséquences ? À détruire votre pseudo amitié en si peu de temps ? D'la mauvaise foi, ouais, il a raison, tu le sais très bien qu'il a raison, franchement toi aussi t'avais envie de lui, et ce n'était pas seulement à cause de l'alcool,  non, tu cherchais du réconfort dans ses bras… Tout ça en sachant pertinemment que c'était une mauvaise idée, que les conséquences seraient bien lourdes, la preuve, vous êtes en train de vous déchirer, à peine retrouvés. T'es triste, d'en arriver à là, de ne pas savoir assumer ce qu'il y a eu entre vous, que t'es pas prête d'assumer d'en vouloir plus, de remettre ça, parce ses soupirs mélangés avec les tiens te manquent déjà.

Deux semaines d'abstinence, à ne rien faire, à seulement boire, te droguer pour oublier le manque, le manque de ses baisers, de ses caresses, même de ses gémissements quand son corps s'écrasait contre le tien.

"Je t'emmerde." ça pique, ouais, ça t'fait mal, mais c'est toi qui a commencé, qui l'a insulté, qui lui a fait du mal, alors c'est normal qu'il te réponde ça. Ça te crève le cœur, de le voir comme ça, vexé, blessé, t'es vraiment idiote, non ne me dis pas de faire ce que je veux, tu le cherches du regard, mais il te fuit, ne prends pas la peine de venir te prendre dans ses bras.

T'es perdue, tu pleures en silence dans son salon, alors qu'il est retourné bouffer sa part de pizza, posé sur son canapé, comme s'il n'y avait rien eu. Faire ce que tu veux, tu ne sais plus, si tu dois rester, si tu dois le laisser. Si tu veux le laisser, tu veux rester, le prendre dans tes bras, te faire pardonner, t'excuser. Ça te bouffe putain, ton corps qui veut se barrer mais ton cœur qui veut que tu reste, ça te torture à l'intérieur, tu sais pas, tu sais plus c'que vous êtes maintenant. Des pseudos potes qui baisent ensemble et qui se déchirent deux semaines plus tard. Qu'est-ce que c'est con.

Tu le fixes, tes larmes ont arrêté de couler, tes yeux sont légèrement rougis, mais tu t'es calmée, ouais, tu soupires longuement, bloquée. Aller vers lui ? Lui tourner le dos et te barrer ? Tu sais pas, aide moi Leev, qu'il te fasse un signe, qu'il te dise de rester, mais il est têtu, renfermé et blessé.

"Excuse moi…" tu murmures, ça te coûte un peu de lui dire ça, mais en ce moment c'est ton seul "pote" ici, le seul avec qui tu peux déconner, ou pouvait, tu sais plus, faudrait mettre ça au clair. "J'voulais pas me prendre la tête avec toi Leev. T'avais raison, j'suis pas capable d'assumer une simple partie de jambes en l'air avec toi, me demande pas pourquoi."

Non, ne me le demande pas, tu risquerais de dire une connerie, et ça repartirait sur une engueulade alors tu te tais. Tu te rapproches et pose tes fesses sur son canapé à ton tour, mais t'as pas faim, non, tu vas rester silencieuse pendant quelques minutes, ouais, ça vaut mieux. Moment gênant, silencieux, tu pourrais entendre les bruits dehors, les voitures qui passent, les coups de klaxons. Tu soupires, passe nerveusement une main dans tes cheveux.

"J'tiens à toi crétin…" ces quelques mots qui s'échappent de tes lèvres.

J'bouffe sans réel appétit. Les mâchoires qui s'activent mollement à écraser la pizza trop tiède. Plutôt ça que de parler. D'en rajouter. Je ne la regarde plus, non. Les yeux paumés dans un coin insignifiant de mon appartement. Comme à chaque fois que le sujet revient sur la table, j'me referme. Je n'avais aucune envie de parler de Carol et de tout ce que sa mort m'a laissé comme frustrations, comme regrets. Je sais, j'suis pas foutu de passer à autre chose, j'le serai jamais. Alors ça me bouffe l'esprit, ça m'empêche de voir clair. Qu'elle aura a perdu quelqu'un, qu'elle a un deuil à faire. J'ai sans doute réagi comme une vraie bite, moi aussi. Parce que de toute évidence, elle est encore fragile, encore meurtrie.

Elle s'excuse, parle encore. J'soupire. J'pourrai pas manger davantage, ce soir. Je repose la fin de part sur la table basse, comme un effort surhumain. Elle, vient s'asseoir sur le canapé, pas loin. J'aime pas avoir raison, pas sur ce point. Le silence vient couvrir tout le reste. Ses sanglots se sont arrêtés. Je m'enfonce un peu plus dans les coussins, un coude surélevé, la main coulant sur mes traits fatigués. Dehors, la rue s'agite. Il n'y a plus que ça. Pendant quelques minutes, quelques instants de répit. Elle a choisi de rester, elle n'est pas partie. J'dois bien lui accorder ça. A sa place, j'en aurais peut-être pas eu le courage.

Elle tient à moi. Mon regard file enfin vers le sien, mais ne le trouve qu' à s'écraser vers ses pieds. J'me pince les lèvres. J'me sens con, maintenant. J'crois qu'on vaut pas mieux que deux enfants. Alors j'hésite, me redresse légèrement. Mes lèvres s'entrouvrent, et j'inspire, mais tristement, ne trouve rien à dire. Bien sur, c'est réciproque. Je crois, je pense. J'me suis jamais franchement posé la question. Alors je me décale un peu, m'approche. Pour tendre le bras derrière elle, le refermer dans son dos. Ma main qui se love contre son épaule, l'attire lentement contre mon flanc. "C'est bon, ça va..." Mon crâne retombe sur le haut du dossier, roule doucement sur le côté. Les yeux qui se détournent. C'est plus facile. Rester distant sans l'être. "J'ai.. été con, aussi." Je soupire. Faut lutter pour que les mots veuillent bien sortir. "T'as perdu quelqu'un, et j'suis pas foutu d'me mettre à ta place." J'esquisse un sourire triste, me mords l'intérieur de la joue. "C'est quand même sacrément ironique..." J'sais pas si c'est le bon mot. Mais on s'comprend. J'referme ma main libre sur ma gueule, retiens un rire pathétique. De l'autre, je la serre un peu plus contre moi. Que dans son malheur, j'sois là. J'sais pas si c'est un cadeau. Mais ce sera déjà ça.

Ouais tu tiens à lui, c'est con, mais c'est comme ça, tu ne sauras pas vraiment expliquer pourquoi et encore moins pourquoi tu es comme ça avec lui. Tu soupires, une main dans tes cheveux, allez Leev, prends moi dans tes bras, juste pour cette nuit, pas besoin de plus, juste d'un câlin.
Tu t'excuses comme tu le peux, tu ne veux pas non plus en faire trop, que ça se termine encore sur un coup de gueule, non, tu veux plus te disputer avec lui, ça te bouffe et probablement que lui aussi. Qu'est-ce que vous pouvez être cons tous les deux, à vous balancer des horreurs en l'espace de quelques minutes pour que finalement le silence retombe, que les cris ne cessent et que tes larmes arrêtent de couler. À quoi ça sert de pleurer de toute façon ? À rien, t'es quand même une adulte, et jamais t'aurais cru pleurer après une dispute avec Leevy. C'est quand même pathétique comme réaction, alors tu souris dans ton coin, à côté de lui, tu attends qu'il décide de te répondre, de te rassurer.

Tu attends, t'as l'impression que ça dure une éternité, et ton cœur cogne dans ta poitrine lorsque tu sens finalement son bras contre ton épaule, qu'il te rapproche de lui. Alors ouais, tu peux pas t'empêcher de sourire comme une enfant, c'est un peu une victoire, toute petite mais ça en reste une. "Leev…" t'es rassurée quand il te dit que ça va, qu'il a été tout aussi con que toi, deux cons sur un canapé, une belle équipe de bras cassés tiens. Tu ris nerveusement quand il t'dit qu'il est pas foutu de se mettre à ta place, tu comprends pas vraiment pourquoi il te sort ça alors que lui aussi a perdu quelqu'un d'important.

"Dis pas ça, on sait tous les deux c'que ça fait de perdre quelqu'un, et moi tout c'que j'ai fait c'est essayer de trouver du réconfort dans tes bras. J'sais pas, peut-être que j'en avais besoin." tu murmures, laissant finalement ta tête tomber contre son épaule, qu'il te repousse pas. T'auras pas la force de le laisser te repousser, pas après votre dispute, tu veux rester là, comme ça, pour le reste de la nuit. Ne pas refaire la même erreur de la dernière fois, non, ça serait con hein Leev ? Et si ça dérape, qu'est-ce qu'on fera après ?

Tu fermes les yeux, non, il n'est pas un type parmi tant d'autres, il est le type, le seul, tu ris toute seule, mon dieu qu'est ce que tu peux être bête parfois. Pourquoi tu lui as menti ? T'as peur de quoi Aileen ? De trop t'attacher en sachant pertinemment que tu n'arriveras jamais à la cheville de Carol ?

"Et on fait quoi maintenant ?" tu lui demandes, le cœur qui se serre, t'as peur de sa réponse, tu ne sais toujours pas c'que vous êtes, des potes et plus si affinité ou encore autre chose ? Tu poses doucement ta main sur son torse, rien que ça, rien d'autre, non, ça serait bête que ça dérape encore, mais t'es inévitablement attirée par lui et sa belle gueule.

J'suis incapable de lui en vouloir. D'avoir été une consolation. Un réconfort, pour reprendre ses mots. Je comprends que chacun d'entre nous se fait ronger par le manque morbide d'un être aimé. La frustration de ne plus pouvoir y toucher. Largués, seuls et désarmés, dans cette froide réalité. Comme si tout le bonheur du monde ne reposait que sur une seule et unique personne. Et puis... elle s'évanouit, tout s'écroule.

"T'en fais pas pour ça." Je murmure tandis qu'elle pose sa tête sur mon épaule. Et j'tourne le visage vers le sien, appuie doucement la joue contre les mèches blondes. Mes lèvres et le bout de mon nez s'y perdent ; cette fois-ci, sans arrière-pensée. J'inspire, doucement, longuement. Une note sucrée, acidulée. Les cheveux des femmes ont toujours cette fragrance qui donne l'envie de sentir, de toucher. C'est tout de même plus agréable que cette satanée odeur de poubelles qui nous a collé tout le long de cette dernière soirée.

Qu'est ce qu'on fait, maintenant ? La question me fait rouvrir les yeux, fixer un point imaginaire au dessus de son crâne. Qu'est-ce que j'en sais ? "On est obligé de faire quoi que ce soit ?" Je souffle, las, la voix légèrement étouffée par sa tignasse.  Un léger frisson me surprend ; il y a sa main qui grimpe sur mon torse. Un contact discret mais qui a le don de faire s'y focaliser chacun de mes sens. Toute mon attention. Comme dans l'attente d'un quelconque mouvement. Dans l’appréhension. D'une caresse. D'une claque en pleine gueule. Mais qu'elle sente mes côtes vibrer sous les élans malades de mon cœur. De s'être trop énervé, de ne plus savoir quoi faire, comment tout interpréter. Ma main libre vient finalement rejoindre la sienne, plier ses doigts dans mon poing. Pour regagner un peu de distance. Je préfère la prudence. "On pourrait juste dormir comme ça." Repousser le problème à demain. Remplir mon rôle  d'ami et lui faire son foutu câlin. "Et puis je sais pas, demain, on avisera." J'détache enfin mon visage de la tête blonde, repose la nuque contre le haut du dossier. "J'ai pas envie qu'on se prenne la tête... J'crois qu'on en a assez bavé." J'ferme les yeux, expire. Sa main dans la mienne, qui se repose sur ma cuisse, mais n'ose plus la lâcher.

T’es bien là comme ça, ta tête posée contre son épaule, t’as plus trop envie de bouger, tu veux rester dormir ici sans que ça ne dérape forcément, ce serait con. T’as juste besoin de réconfort, d’arrêter de te prendre la tête avec lui, de lui balancer des vacheries, vous êtes censés être deux adultes tous les deux, mais à cette heure ci vous êtes deux gamins. Et de celui qui aura réussi à plus blesser l’autre, bla bla bla…

Tu sens son visage venir se poser sur tes cheveux, tu souris, on dirait un chat qui vient chercher ses caresses, tu pourrais presque l’entendre ronronner, à squatter le haut de ta tête, si tu pouvais tu le prendrais même en photo. Enfin…
Ouais, ne rien faire c’est pas mal aussi, ne plus parler, profiter enfin du silence qui est venu s’installer, progressivement. Les cris qui ont cessé, tes larmes qui se sont évaporées.

”Ne rien faire...ça me va, j’suis douée pour ne rien faire, surtout ces deux dernières semaines…” N’en dit pas trop, arrête toi maintenant, ne lui dis pas que t’as plané dernièrement, tu ne sais pas comment il le prendrait. Ta main sur son torse, tu peux sentir ses battements de cœur, et ça t’apaise, c’est con comme un rien arrive à te calmer. Tu pourrais même t’endormir la tête sur son torse, à écouter les battements de son cœur, ouais, ça pourrait facilement se faire.

“Bonne idée ouais, j’aime pas me prendre la tête avec toi, ça fait vraiment puéril.” tu ris nerveusement, ta main dans la sienne, les deux posées sur sa cuisse. Tu pourrais en profiter, le caresser, être tendre avec lui, lui montrer que t’es pas qu’une conne sans cœur et froide. Mais tu sais pas ce dont il a besoin alors tu préfères ne rien dire. Ouais ça vaut mieux, ne rien faire, comme si tout allait bien et finir par t’endormir à ses côtés. Fuir les problèmes pour ce soir. Et les retrouver demain. Tant pis. Tu redresses ton visage, frôle sa joue et y dépose un léger baiser.
“On dort alors ? Ou tu veux faire autre chose ?”