Mon regard file vers l'horloge numérique de la télévision. 00:12 ; minuit passé. La fatigue qui commence à se faire sentir. J'ai mon jour de repos demain, alors, dans l'absolu, on pourrait bien prendre le temps de se bourrer la gueule, de se faire une partie de Street Fighter. Mais ça ne m'inspire pas. Pas plus que ça. Ma joue roule sur le haut de son crâne, légèrement somnolent, tandis qu'elle parle. Sa main immobile dans la mienne, qui se détend. La crispation qui s'en va doucement. C'était puéril, c'est vrai, je suppose. Je n'ai jamais été un symbole de maturité. Elle non plus. Alors, peu de rancoeur. J'pourrai passer l'éponge sur ses paroles blessantes. Sur son manque de confiance.

Elle redresse le visage, me fait légèrement reculer. Juste pour accueillir, sur ma joue, un bref baiser. Je lui souris, bêtement, bienheureux. Ça sonne comme une réconciliation, pour nous deux. "On va dormir, ouais." Je penche la tête et le lui rends, rictus tendrement écrasé sur sa tempe. Les gestes deviennent lents. Lourds, pesant.

Alors, je laisse mon bras glisser derrière elle, la relâche. Son épaule comme sa main, pour me relever dans un effort quasi sur-humain. Les muscles dorsaux me tirent, courbaturés. S'il ne s'était rien passé, j'aurais sans doute pris la peine de me désaper. Sans gêne, pour mieux pioncer. Mais j'crois qu'il vaut mieux éviter. J'me gratte vaguement la nuque, baille à pleine gueule sans m'en cacher. "Viens, on sera mieux dans le lit." J'avance dans la pièce, tire légèrement le rideau qui sépare la chambre du reste. Mais je me retourne, avant de continuer. "T'en fais pas, je serai une vraie masse, je ferai rien." J'irai pas jusqu'à donner ma parole. Mais c'est tout comme.

Je m'écroule sur le matelas. La couette bleue épaisse et fraiche. Les oreillers douillets. Et il ne faut que quelques longues minutes de silence pour m'envoler dans les bras de Morphée.

+++

Le réveil sonne. Transperce le confort à peine retrouvé d'un tintement électronique répété. Je grogne, me tourne, frappe à l'aveugle contre ma table de chevet. Jusqu'à frapper l'appareil qui me fait le plaisir de se taire. Neuf heures. Habituellement, je commence le boulot à onze heures. Pas aujourd'hui. Ouais, j'aurais du penser à le couper. Je suis un gros abruti.

J'me retourne. La couette me couvre les jambes, le jean à moitié défait, mais pas enlevé. J'ai encore mon T-shirt sale, la gueule complètement enfarinée. Entre les jambes, l'élan matinal habituel qui finirait bien par retomber. J'cligne des yeux, et d'un coup, sursaute.

Putain. Aileen. J'l'avais oubliée. "Merde." J'me frotte les yeux, viens à nouveau écraser ma face dans l'oreiller. Un long soupire étouffé dans le tissu rembourré. Mes bras qui entourent le coussin, et la voix qui peine à s'élever. "Désolé, j'ai oublié... l'réveil..." J'ai besoin d'me laver. Mais j'ai la flemme de me lever. Processus routinier d'un dimanche matin. J'espère juste qu'elle non plus ne sera pas pressée.

Dormir, ouais, pour oublier votre dispute, oublier les peines et les cris qu'il y a eu quelques minutes plus tôt, laisser la fatigue vous atteindre, rejoindre les bras de Morphée. Ne rien faire de plus, laisser tout ça derrière vous le temps d'une nuit partagée ensemble, sans rien faire, apprendre à s'apprivoiser chacun à votre tour, à nouveau. Dormir à ses côtés, proche mais en même temps loin de lui, ne pas le toucher, de peur d'avoir encore cette envie de lui sauter dessus, d'arracher ses vêtements et d'aller plus loin, encore. Sans alcool… mauvaise idée ouais, tu le sais.

Son bras relâche ton épaule, sa main quitte la tienne, triste, t'aurais bien voulu qu'il la garde indéfiniment dans la sienne, mais t'as pas le droit de lui demander ça, de peur de créer encore une nouvelle dispute. Tu soupires, le regarde se lever lentement, tu vas faire de même, ouais dans quelques secondes, tu t'perds sur son corps, son royal popotin pourtant si parfait. Tu souris alors qu'il est debout, ouais Leevy est sexy as hell, pas moyen de le nier. Putain, reprends toi ma grande.

Il baille, tu fais pareil, ouais, c'contagieux cette connerie de bâillements, et tu te lèves à ton tour, à le suivre dans sa chambre, tu bailles encore, t'es crevée. Mais pas seulement à cause de la fatigue, non, plutôt parce que tout à l'heure vous vous êtes pris la tête et que c'est ça qui t'as crevée. "Dors au lieu de sortir des conneries." tu te laisses tomber sur son lit à ton tour, enlève tes chaussures que tu balances de l'autre côté de la pièce, flemme de les poser correctement. Yolo comme on dit. Tu te tournes vers Leev, il s'est déjà endormi, tu souris, comme une maman qui veille sur son enfant, une caresse timide dans ses cheveux. Et finalement tu finis par t'allonger, ferme les yeux, soupire une dernière fois et tu rejoins Morphée à ton tour. Nuit agitée, cauchemars, tout va bien.

***

T'en auras mis du temps à t'endormir, c'est seulement vers trois heures du matin que tu trouves réellement le sommeil, mais quelques heures plus tard y'a ce bruit qui te réveille.
Et Leev en face de toi, son visage un peu trop proche du tien, tu recules et manque de tomber du lit, ç'aurait été vraiment con, et surtout bonjour la honte. Tu te frottes les yeux, la tête dans le cul, "C'est rien, mais laisse moi dormir encoooore…" tu soupires, bouge tes jambes dans le lit, colle tes pieds froids contre ceux de Leev "Vengeance…" tu murmures lentement avant de venir te coller un peu plus contre lui, tu veux ton câlin du matin. Surtout parce que t'as pas très bien dormi en fait, mais ça tu le lui diras plus tard, une fois que vous serez bien réveillés. Là, t'as juste pas envie de bouger du lit. Sauf que tu te redresses un peu, pour venir te serrer dans les bras du brun, t'es d'humeur câline ce matin en fait, et il n'y échappera pas. Pas question.

Dormir encore. Ouais. Les draps ne sont jamais aussi confortables que le matin, lorsqu'on n'a pas le courage d'en sortir. Le froid contre ma joue. Et soudain, le froid contre mes pieds. J'srursaute encore, surpris par les deux glaçons qui se plaquent contre mes orteils. "Hmf..." J'grogne dans l'oreiller mais ne peux m'empêcher de sourire à pleines dents. Somnolent. Quand j'me retourne vers la blonde, elle vient se caler contre moi sans me laisser le temps de penser. Je referme un bras sur elle, naturellement. J'suis plutôt bien, ouais. La plupart des filles ne réclament pas tant d'attention après une nuit ensemble. Avec la plupart des filles, on ne fait pas que dormir. Il faut bien le dire.

Ma main enveloppe sa tête, la presse doucement dans le creux de mon cou. Et j'soupire. D'aise, de flemme, de demi-sommeil. "Tu fais un bon coussin..." J'murmure, la voix encore légèrement brisée. Le buste qui se presse contre le sien, berce un instant, affectueusement ; le bassin qui reste écarté, simple mesure de sécurité. Pour nous épargner un léger embarras. "Est-ce que t'as bien dormi ?" Je toussotte, m'éclaircis la gorge. "J'crève de chaud..." Parce que malgré les draps frais, le soleil du matin frappe. Que la chambre est faite de telle manière à conserver une véritable bulle de chaleur. Alors, sans vraiment écouter sa réponse, j'me détache d'Aileen, trouve la force de m'asseoir sur le bord du lit. Une main qui vient gratter mes cheveux en vrac, la marque de l'oreiller encore imprimée sur ma joue. Le boxer bien apparent sous le jean qui se fait la malle, me tombe jusqu'au milieu des cuisses. La grande classe, ouais. Je remonte le tout jusqu'à mes hanches en me levant, tire le rideau pour marcher dans l'appartement. Lancer la machine à café. Bailler. Revenir. M'accroupir au bord du lit pour me mettre à la hauteur de la belle à moitié endormie. "J'vais prendre une douche. Fais comme chez toi." Ma main se faufile jusqu'à son visage ; un petit chaton paumé dans la couette. J'caresse sa joue du bout du pouce, souris bêtement. Un contact qui cela dit ne dure pas. Je ne tarde pas à me relever. Tourner dans la chambre pour ouvrir un placard, en sortir de quoi me changer. Pour mieux disparaître un peu plus loin, par la porte de la salle de bains.

T'aimes bien ce genre de réveil, ouais, c'est plutôt calme, et t'en oublierais presque votre prise de tête d'hier soir. Une étreinte, simple mais pourtant si rassurante, comme si tout allait mieux entre vous alors que tu sais que c'n'est qu'une illusion. Mais ce matin, t'as pas la force de relancer votre dispute, non, tu veux juste profiter de ce moment trop parfait, idyllique. Tu soupires d'aise quand il vient te serrer contre lui, tu pourrais passer toute ta matinée comme ça, à discuter de tout et de rien avec lui, ce sourire idiot collé aux lèvres.

"T'es con…" tu lui sort quand il t'dit que tu fais un bon coussin, tu sais pas si tu dois le prendre comme un compliment ou pas, mais tu bouges pas, tes mains sur son torse, vos bassins loin de l'un et de l'autre. Ouais parce que les mecs, le matin ils ont le soldat au garde à vous, et ça c'est peut-être gênant dans votre situation. Tu sais pas si tu veux remettre ça avec lui, refaire les mêmes erreurs d'il y a deux semaines "Bof, j'ai mis du temps à m'endormir, j'suis crevée." Ouais t'as même fait un cauchemar, le même depuis plusieurs mois en fait, Josh par terre, toi qui pète une durite, assommant les deux chasseurs qui étaient à votre poursuite. Puis plus rien, un réveil douloureux dans un ancien QG de mutants.

Mais t'en parleras pas de ton cauchemar au brun, tu ne veux pas l'embêter avec ça, puis il se lève, comme s'il n'avait pas écouté ta réponse, tant pis, tu le laisses quitter le lit, flemme de le retenir. Tu souris quand son jean tombe sur ses cuisses, ouais, au garde à vous quoi. Tu retiens même un rire et larve dans le lit encore quand il tire le rideau et fait ce qu'il a à faire après. Puis il revient, tendre avec toi, t'es pas habituée à ça. "Va, va, j't'y rejoindrais peut-être." tu lui fais, un sourire malicieux sur tes lèvres, frissonne quand il vient te caresser la joue. Tu pourrais y prendre goût, ce genre de réveil, ça fait longtemps que t'as plus vécu ça.

Il repart, direction la salle de bain, toi, tu restes allongée sous la couette, une main qui passe dans tes cheveux, tu bailles encore, regarde l'heure sur ton portable sur la petite table basse à ta gauche. Il est même pas 9h30, t'es crevée, tu dormirais bien encore quelques heures, mais tu t'sens un peu nauséeuse ce matin. Le cauchemar ? Peut-être, tu sais pas trop, mais tu t'sens pas bien. Merde, t'as cette envie de vomir, tu comprends pas, vous avez pourtant rien bu hier soir. Tu te lèves en catastrophe du lit de Leev, manque de te casser la gueule, te redresse de justesse pour filer à la cuisine, l'odeur du café qui vient titiller tes narines. L'évier vite. Et tu vomis, c'est douloureux, ça te pique les yeux. Tu comprends pas. Tu t'essuies la bouche, bois de l'eau pour faire partir l'odeur du vomis, c'pas agréable, t'as besoin d'une bonne douche, ouais, ça t'feras peut-être du bien.

Tu trouves facilement la porte de la salle de bain, la pousse faiblement, fatiguée "J'peux venir ?" tu demandes, un peu hésitante.

La salle de bains est assez étroite. Derrière la porte, et contre le mur, la cabine de douche. Une moitié de mur fait office de séparation pour les sanitaires, cachées à l'arrière. Un lavabo. Un meuble en bois banal, où trônent rasoir, brosse à dents et quelques produits cosmétiques. J'ai vite fait de me déshabiller. Laisser traîner les vêtement sales dans un coin de la pièce, poser les propres sur un coin de lavabo.  Un dernier effort, et nous y voilà enfin. Le réconfort. L'eau qui chasse la fatigue et la moiteur. Les traits gonflés et le coup de chaleur. La tête vide, je laisse le jet me frapper la nuque, masse longuement mes joues tirées. Elle a laissé entendre qu'elle me rejoindrait. Mais définitivement, ça serait une bien mauvaise idée. Si d'un jour sur l'autre, on se prend la tête et on se met à baiser, j'pourrais tirer un trait sur ma capacité à suivre le fil de ses pensées. Pourtant, il y a une part de moi qui refuse de se presser, qui attend.

"J'peux venir ?" La voix fluette qui m'appelle. La porte s'ouvre de façon à donner sur le miroir, au dessus de l'évier. Alors, on ne se voit pas directement. Juste à travers nos reflets, et sous une fine couche de buée. Bien sûr, je suis à poil. Et elle est complètement habillée. C'est étrange. Un peu gênant. Alors je la fixe un instant, de profil, l'air continuellement hébété. "Je suppose que oui." dis-je par dessus le claquement de l'eau qui me cogne  le dos. J'fronce légèrement le regard, sans cesser de la regarder. Rien que les motifs de vagues de cette paroi en verre comme maigre intimité. Je n'ai pas honte, non, pas vraiment de pudeur. Je pourrais même me targuer d'être l'un des seuls mutants à ne pas avoir une seule marque sur le corps. Pas de blessure. Pas de cicatrice. Pas même la moindre rougeur. Sous les poils bruns, une peau de bébé. Littéralement ; elle n'a jamais changé.

"Tu viens bavarder, participer, ou juste mater ?" J'me permets un demi sourire, mutin. Sans savoir vraiment abandonner mon sérieux. La blonde joue à un jeu dangereux.

Tu prendras ta douche à l'hôtel, c'est trop risqué de la prendre ici avec lui, tu ne sais pas si tu seras capable de te retenir, ne serait-ce que de l'embrasser en fait. Pourtant t'as envie de l'embrasser encore et encore, apprendre par cœur le goût de ses lèvres, ouais, c'est idiot, tu le sais très bien. C'est idiot de penser que lui aussi en aurait peut-être envie, alors tu soupires, pendant quelques longues secondes, qui semblent durer une éternité.
Tu attends qu'il te réponde, qu'il te permette d'entrer dans la salle de bain, promis ça ne va pas durer longtemps, je viens juste te dire au revoir… Tu pousses la porte, tu n'as pas l'impression d'être réellement la bienvenue, c'est pas grave, tu viens juste lui dire que tu retournes à l'hôtel, que tu vas le laisser un peu respirer quoi.

Disparaître à nouveau ouais, oublier votre dispute, fuir continuellement cette conversation qui ne s'est pas réellement terminée, c'est stupide, tu le sais, pas très mature non plus.

"Juste bavarder , t'inquiète pas, j'suis pas stupide. J'viens juste te dire au revoir, j'rentre à l'hôtel et puis j'ai des trucs à régler aussi." Ouais comme par exemple te faire un peu oublier, aller au cimetière, pour aller nettoyer un peu la tombe de Josh, même s'il n'y a pas de corps, mais par principe.

Tu joues avec une de tes mèches blonde, nerveuse, tu ne veux pas rester plus longtemps ici, pas tant que tu ne sais pas ce qu'il t'arrive, comprendre pourquoi tu as vomi quelques minutes plus tôt. "Je saurais trouver le chemin jusqu'à la sortie de ton studio t'inquiète, j'suis une grande fille." Il ne voit pas ton visage ni ton expression dessus, alors c'est tant mieux, et puis il te retiendra probablement pas. Ouais ça sera plus facile du coup pour partir.

"Te donne pas la peine de sortir de la douche, profite de ton dimanche, on se verra sûrement plus tard." tu quittes la salle de bain, cherche tes chaussures et une fois chaussée, tu jettes un dernier coup d'œil derrière toi, voir si tu n'as rien oublié. Nope tout a l'air bon.

Et tu te dépêches de quitter le studio de Leev.