Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Lun 2 Nov 2015 - 16:33
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Au moins, on ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé. Si, je vous assure : j’ai essayé d’être cordial, j’ai essayé d’être sympa, j’ai essayé de parler. Bon d’accord : je n’ai pas essayé de lui parler, j’ai juste tenté de ne pas l’insulter. Et forcément, on a fini par craquer. Vraiment. C’est lui qui commence, c’est lui qui agresse en premier. Oui, je sais, cette réflexion fait vraiment de moi un gamin avec mon c’est lui qui a commencé mais je n’en ai rien à faire. Parce que je le déteste, parce que je suis déçu, parce que je me prends une volée de coups dans l’estomac à chacune de ses phrases. Je m’en veux, putain, je m’en veux d’être toujours vulnérable face à lui, même à bientôt vingt-sept ans. Sérieusement, il n’en a pas marre d’être aussi con ? - Si j'en ai marre d'être con ? Oh non, je commence tout juste à me mettre à ton niveau... Il crache, acide, je suis incapable d’en rire ou de bien le prendre, ce n’est qu’un énième coup dans la cage thoracique. Je rétorque immédiatement un « Tu vas t’épuiser bien plus vite que ça à ce jeu-là alors, connard. » agressif. Autant avec d’autres, si je suis susceptible je pardonne vite, autant avec mon père ou ma mère je suis incapable de faire la part des choses. Chaque mot qu’ils prononcent ne sont que des flèches acides, chaque phrase qu’ils articulent sont faites pour m’écraser, me piétiner, m’humilier davantage. Putain que je le hais. Je m’avance, je refuse de m’aplatir. Son attitude n’a pas cessé de me faire mal mais au moins, j’ai arrêté de partir en pleurant lorsque j’ai eu huit ans, c’est pas maintenant que je vais régresser sur ce plan là. Un parasite, un outil, mon père était juste un moyen de retrouver mon frère. Voilà ce que je lui crache, et je n’arrive même pas à savoir si je le pense, si je me contente de déverser ma colère ou s’il y a un soupçon de réflexion dans ce que je dis. Le ton monte. Inexorablement. Je sens venir le moment où on ne va plus se contenter de parler, je sens venir le moment où même les hurlements et les insultes ne seront plus suffisants. D’ailleurs, je parle déjà de lui foutre mon poing dans la gueule et pour tout dire, ça me démange pas mal. Je crois que je n’ai jamais plus levé la main sur mon père depuis mes treize ans. Ou alors ce n’était que des frappes avortées, des tentatives échouées, des idées retenues de justesse par Martial ou Michel. Je crois que je n’ai pas levé la main sur mon père depuis cette babiole qui lui a ouvert la joue et je dois dire que ça me démange. Beaucoup. - J'aimerais bien voir ça, tiens... Encore des paroles en l'air, comme toujours ! Ca me démange même davantage encore. Je serre les poings, me retiens de lui mettre un pain. Dès que ma mutation normale sera revenue, si elle revient un jour, je me fais la promesse d’aller le voir cet enfoiré et de lui fracturer la mâchoire d’un direct bien placé avec une densité proche de celle du diamant, même si pour ça mon cœur doit me lâcher dans la foulée. « Ah ouais ? Parce que les promesses en l’air, t’en fais pas toi, peut être ? Qu’est ce que tu disais tout à l’heure ? Trêve ? On voit ce que ça donne, tes promesses de merde. »
La discussion dérape encore et inévitablement, le voilà qui me tourne le dos. Comme toujours. Alors c’est comme ça qu’il gère les problèmes et les engueulades ? Il tourne le dos et il se barre ? Il va finir par vraiment le prendre, ce poing dans la figure. Parce que je ne supporte pas l’idée qu’il me tourne le dos comme ça. Je veux qu’il se casse, il ne faut pas croire, mais je ne veux pas qu’il se comporte comme un gros lâche. Des milliers de morts à cause d’un vaccin et bam, on se retrouve aux Etats-Unis. Un fils cadet difficile à gérer ? Et paf, on s’en débarrasse en le foutant dans un lycée militaire de l’autre côté de la France. Putain que je le déteste. Et je refuse de laisser passer ça, pas cette fois. J’en ai marre, j’en ai marre de lui, j’en ai marre de nos discussions stériles. Pourquoi il a débarqué à l’hôpital, hein ? Pourquoi, bordel ?! Je n’arrive pas à savoir si je veux qu’il se casse ou qu’il reste mais toujours est-il qu’il a encore la main sur la poignée lorsque je lance l’ultime provocation, celle qui m’écorche la langue, celle qui me brûle la gorge. Je lui refuse le papa pour préférer son prénom. Et je me rends immédiatement compte que ça le touche plus qu’il ne le montrera jamais. Lorsqu’il se tourne vers moi, je m’avance, conscient d’être non pas allé trop loin mais si loin que nous sommes en terrain inconnu. Il m’interdit d’exister par son silence, je lui interdis d’avoir une quelconque emprise sur ma vie en mettant entre nous une distance qu’on ne peut pas combler. Je crois que tout est brutalement dit : j’enfonce le clou en lui interdisant en plus de chercher Martial. Il est hors de question, finalement, qu’il continue son petit délire mégalo avec mon frère. Il est même hors de question qu’il tente quoique ce soit : je veux qu’il soit seul, qu’il crève seul. Tu ne sers à rien. Je crois que je suis au-delà de la colère. Je n’arrive même pas à savoir ce qui me pousse à m’énerver à ce point, je ne sais même pas pourquoi je prends cet angle d’attaque, j’ignore tout de ce qui me fait parler, là. Tout ce que je sais, c’est que je veux lui faire mal, que je veux lui faire payer mes vingt-six ans, que je lui en veux de ne pas être capable de m’écouter, je m’en veux d’être incapable d’être le fils qu’il voudrait.
Parce qu’il est là, le problème, au final. Je ne suis pas celui qu’il voudrait. Et qu’importe ce que je peux dire ou faire, je ne suis tout simplement pas le bon. Je suis juste un raté aux gènes défaillants, je ne suis qu’une succession d’ennuis, une succession de déceptions et même si la plupart je les ai sciemment provoquées, à la base je n’avais rien demandé à personne. J’étais juste un putain de gosse hyperactif que sa mère ignorait. Alors pourquoi, qu’est ce qui cloche chez moi pour que je ne sois jamais assez bien pour lui, hein ? Et après, c’est moi l’idiot. Parfois, tu me fais pitié. Je crache, une dernière fois. J’ai envie de hurler, j’ai envie de frapper mon punching-ball parce que je n’ai pas envie de le frapper lui. J’en ai marre, j’en ai marre d’être moi dans ces moments, j’en ai marre d’être confronté à mon père, à ce modèle de perfection, à ce connard, à cet enfoiré qui me montre ce que j’étais supposé être et surtout ce que je ne suis pas. Le pire c’est que j’aurai sûrement aimé être comme Martial, être le jumeau qu’il attendait. Le pire, c’est que tout ce que je veux, c’est qu’il soit fier de moi. Mais faut être honnête, c’est impossible. Alors je crache, j’attaque, je veux le singer misérablement dans ce dédain qu’il m’afflige depuis toujours. Oui, il me fait pitié, mon père. Et moi aussi, je me fais pitié. On est deux cons, on est deux coqs qui n’ont qu’une envie : se fracasser.
J’observe son visage se décomposer, son poing se serrer. J’attends avec une certaine impatience le moment où il craquera et où il me frappera. Ca me changera de son calme, de son impassibilité, ça me changera de son attitude habituelle qui me donne l’impression de ne pas compter à ses yeux. Putain. J’en viens à vouloir que mon père me frappe juste pour le plaisir de l’avoir tant provoqué qu’il ne puisse plus me dénier le droit d’être son gosse et de lui faire mal. Vas-y Papa, vas-y, frappe moi. Tu en meurs d’envie. Cède, cède. Défoule-toi sur ton gosse alors même que ton bras est en charpie. Fais-toi plaisir : prouve-moi que je ne suis pas un meuble ou un subordonné que tu peux licencier et dont tu n’as rien à faire. Montre-moi que je t’ai blessé, connard, montre-moi que ça te fait mal que ton fils te déteste à ce point ! - Je ne sais plus quoi penser de tout ça, Marius. J’ai envie de pleurer, je le regarde fixement. Voilà. Forcément. Il a repris le contrôle de ses actes, il m’agresse de sa voix calme et de son ton mesuré.
J'ai essayé. J'ai voulu qu'on discute, toi et moi, ça n'a pas marché. J'ai essayé de te donner ce que tu voulais, un sale type à haïr, une bête noire sur laquelle cracher, mais tu n'en veux pas non plus. Alors si je te fais pitié à ce point, c'est qu'il ne peut pas y avoir de dialogue entre nous. La preuve : Que ce soit toi ou moi, nous nous arrangeons toujours pour détruire ce que l'autre tente de bâtir. Je reste silencieux, incapable d’assimiler ce qu’il vient de me dire. Incapable de comprendre ce qu’il me raconte. Parce que clairement, là, si je n’ai pas sa colère incontrôlée que je cherchais pour prouver que j’existe à ses yeux, j’ai autre chose. Quelque chose de nouveau. Un aveu, quelque chose dans le genre. Quelque chose que je n’avais pas prévu du tout. - C'est terminé, on arrête. J'ai eu six ans pour réfléchir à tout ça, aux raisons qui nous ont amenées à nous disputer sans cesse, et j'avais fini par en arriver à une conclusion : Nous n'avions simplement pas pris le temps de nous écouter. Seulement, la vérité c'est que nous n'avons rien à nous dire, Marius. Nous sommes deux étrangers qui tentons de nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas. Je reste figé, incapable de le couper, incapable d’agir, incapable de réfléchir. C’est terminé, on arrête. J’ai essayé de te donner ce que tu voulais. Non, non. Il n’a rien essayé, il n’a rien essayé du tout. Je l’aurais vu s’il avait essayé d’entamer le dialogue, bordel Je l’aurais vu. « La faute à qui ? » C’est tout ce que je trouve à dire. A crier. A hurler. La faute à qui si nous sommes des étrangers, hein ? Et ces six ans sans nous voir, c’était la faute à qui ? A tous les deux, Marius. Je crois que je commence à peine à comprendre ce qu’il veut dire.
Sauf que je ne l’accepte pas. Je ne veux pas être celui qui est en tort, je refuse d’avoir tout fait foirer. C’est tellement plus simple lorsque c’est lui le coupable. C’est tellement plus simple lorsque tout est de sa faute, de mon cœur à ma cleptomanie, de mon caractère de merde à ce conflit qui enfle et qui enfle sans qu’on soit capable de crever l’abcès. - J'ai raté quelque chose avec toi, et on ne revient pas sur un échec. On l'accepte simplement. J'ai mes torts, dans cette histoire, je ne suis pas assez naïf pour ne pas le voir. Cette fois j'arrête de me battre, quoi que je dise, quoi que tu dises, ce débat est stérile. Maintenant si tu veux bien m'excuser, le lâche que je suis va aller voir ailleurs s'il y est avant que l'envie ne nous prenne de nous battre. Ca me fait mal, ça me fait vraiment mal de l’entendre parler aussi calmement. On dirait moi, tout à l’heure, lorsque je lui disais que Martial ne voulait peut être pas être retrouvé. Ca me fait mal de le voir aussi désabusé, aussi… blasé par la situation. Ca me fait mal, parce que ça me fait me sentir coupable et que je déteste ça. Il a essayé d’entamer le dialogue, vraiment ? Et ses critiques, ses sarcasmes pour se foutre de moi, c’était quoi ? Pas des critiques, pas des sarcasmes peut être ? J’ouvre la bouche mais je suis incapable de parler. « Papa je… » Je suis désolé ? La bonne blague. Pourtant c’est ce que j’ai envie de dire, là. Je suis désolé d’être un échec, je suis désolé d’être son échec. Et cette fois, je suis vraiment désolé. Sauf que je suis incapable de finir ma phrase qui n’est, au final, qu’un murmure raté. Comme moi. J’ai raté quelque chose avec toi. Il n’a pas dit qu’il avait raté quelque chose en me faisant, que c’était moi qui étais raté. Je le regarde partir, sans faire le moindre geste. Trop hébété pour ça, trop perdu pour lutter. A croire qu’on est tous les deux fatigués par la situation, à croire qu’on en a tous les deux ras-le-bol de cette situation entre nous.
Je fais un pas en arrière, je lui concède notre défaite, je m’apprête même à aller chercher mon téléphone pour appeler Moira au secours lorsqu’il fait volte-face. - Bon sang mais c'est si difficile pour toi de comprendre que ce n'est pas de ta foutue liste que je voulais parler tout à l'heure ? Tu es aveugle au point de ne pas voir ce que tu as sous les yeux ? Ouvre-les, bordel ! Ca, sur ce tableau, c'est concret ! C'est là, devant nous ! Je me fous que ce soit des chiffres, des citations latines ou des conneries ! Je m'en fous complètement ! La seule chose qu'il y a à retenir, c'est que pendant deux minutes, deux malheureuses minutes, nous avons eu une conversation normale, Marius ! Enlève-toi la merde que tu as dans les yeux ! Je me la prends en pleine gueule, sa colère. Si j’ai déjà expérimenté les fureurs de mon père, ses claques, ses gifles, ses punitions et ces hurlements, cette colère là a quelque chose de nouveau. Elle me tord les entrailles, me prend aux tripes. Me force à mettre le nez dans cette merde que j’ai devant les yeux, visiblement.
C’est con, c’est affreusement con. Mais j’ai envie de pleurer. C’est là, devant nous. De quoi, notre connerie ? Notre incapacité à parler, notre… Pendant deux minutes, nous avons eu une conversation normale. Si tant est qu’on peut décrire comme normale une conversation entre deux mathématiciens. Sauf que je ne suis pas un mathématicien, je suis un cascadeur en arrêt maladie. Sauf qu’il n’est pas mathématicien, il est un putain de surdoué à la tête d’une des plus grandes boites pharmaceutiques. Entre lui et moi, y’a un monde. On n’est que deux étrangers. J’ai envie de m’effondrer, j’ai envie d’appeler Astrid, j’ai envie de la prendre dans mes bras et d’enfouir ma tête dans ses cheveux pour faire disparaître le monde. J’ai envie de pleurer et surtout je ne sais pas quoi répondre à mon père. Alors je lui tourne le dos, sans un mot. Quelques mouvements de béquille, j’atterris dans ma chambre. Je gâche tout, encore une fois. Il va partir, il va redevenir l’enfoiré de base que je connais. Et cette fois, ce sera vraiment de ma faute. Sauf que je ne sais pas quoi dire, bordel. L’incorrigible bavard, celui qui a toujours une insulte, une connerie, quelque chose à dire ne sait pas quoi répondre.
Sauf qu’à défaut de parler, peut être que je peux lui montrer. Je reviens dans le salon, regarde mon père. Et lui balance quelque chose à la figure. Un paquet informe. Marron. Délavé. Cousu, recousu, rafistolé avec la patience d’un Marius enfant. Chester. « Tu t’en souviens ? Sûrement pas. » Je reviens à proximité, me laisse tomber dans un fauteuil : les béquilles commencent à m’user les bras. « Moi je m’en souviens très bien : ça doit être la dernière fois qu’on a parlé normalement. Tu me l’as donné et tu m’as dit que tout allait s’arranger, que je pourrais recourir comme avant et tout. Je crois que c’est le seul cadeau que tu m’as fait qui n’ait aucun intérêt intellectuel. Et après… tout a foutu le camp. Si je l’avais pas, ce connard de lapin, je crois bien que je ne voudrais même pas te parler. » Je remonte ma jambe valide contre ma poitrine, pose le menton sur mon genou. « Moi aussi j’ai mes torts, j’imagine. J’suis désolé. » Je relève la tête pour le regarder dans les yeux, anxieux. « On est deux putain d’étrangers. Mais j’sais pas si c’est trop tard. J’ai pas envie que ce soit trop tard, mais j’sais même pas ce qu’on peut faire pour arranger tout ce bordel. Faudrait encore qu’on en ait tous les deux envies. »
Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Mer 4 Nov 2015 - 12:04
I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong...
Hippolyte Caesar & Marius Caesar
Hippolyte comprenait beaucoup de choses. Il avait la chance de posséder un intellect redoutable, un esprit capable d'assimiler un nombre impressionnant de données, de chiffres... Depuis son plus jeune âge, le monde qui l'entourait lui semblait fade, ses congénères bêtes et patauds... Lorsqu'il s'ennuyait en classe, il ne regardait pas le plafond, préférant s'intéresser à des sujets plus complexes. Il avait appris à parler l'anglais, le japonais, l'espagnol avec une facilité déconcertante, s'amusait à lire de vieux ouvrages en latin, se passionnait pour des théories mathématiques obscures... La connaissance elle-même représentait un défi pour lui, il s'en nourrissait comme d'un plat délicieux sans jamais s'en lasser. Car toutes ces connaissances, il les intégrait et les comprenait. Mais il restait un sujet sensible qu'il ne parvenait ni à assimiler, ni à expliquer.
Marius.
C'était son talon d'Achille, l'épine douloureuse fichée dans son pied, l'énigme qu'il cherchait à comprendre depuis vingt-six ans et qui ne cessait de lui donner du fil à retordre. Chaque fois qu'il pensait avoir trouvé une solution à ce problème, celle-ci lui filait entre les doigts et lui prouvait qu'il avait tort. C'était Marius, cette médaille qu'il visait, ce prix qu'il n'aurait probablement jamais, cette récompense qui lui était refusée depuis tant d'années. Pourquoi ? Tout simplement parce que Marius était un être humain, et non une suite de démonstrations et de calculs complexes qu'Hippolyte pouvait manier sa guise. Son fils n'était pas ce pantin qu'il aurait voulu pouvoir manipuler, et c'était bien là tout le problème : Si Hippolyte n'avait pas été aussi hermétique aux relations sociales et à la notion de caractère unique, il aurait peut-être compris que jamais Marius ne serait comme il l'espérait. Que jamais Martial ne serait sa copie conforme. Et ça, leur père commençait tout juste, non pas à le comprendre, mais à l'assimiler.
Il ne saisissait l'ampleur de ses erreurs en terme d'éducation que maintenant que Marius lui crachait au visage ce qu'il semblait avoir sur le cœur depuis si longtemps. Est ce qu'Hippolyte allait s'excuser, revenir en arrière et oublier ses vingt dernières années ? On ne voyait ça que dans les mauvais romans. On ne pouvait pas changer aussi facilement la nature profondément glaciale et calculatrice d'un homme de son âge. Et il aurait voulu que tout s'arrête. Tourner le dos à Marius une fois de plus, partir en claquant la porte et ne plus lui adresser la parole jusqu'à ce que ce soit lui qui revienne la queue entre les jambes lui demander pardon... Mais ça n'arriverait pas. Jamais. Hippolyte ne pouvait exiger un pardon qu'il ne méritait pas. Alors il serrait les poings un peu plus à chaque remarque que Marius lui lançait. Ses réflexions venimeuses trouvaient écho dans celles de son père, dans un débat aussi stérile qu'agressif. Oh ils auraient pu jouer aux cons longtemps, tous les deux, auraient pu en rester à un « c'est un connard » et un « c'est un petit con » sans le moindre soucis. Et si Hippolyte frappait juste, Marius n'était pas en reste. Son père avait promis de bien se tenir et de ne pas le rabaisser. Il avait tenu approximativement vingt minutes. Un véritable exploit, en soi.
Et après une violente dispute, qui aurait très bien pu dégénérer en pire que quelques insultes et remarques acerbes, Hippolyte baissa les bras. Pour la première fois face à Marius, il s'avoua vaincu et préféra la résignation à la colère. Il avait l'air aussi blasé que son fils quelques minutes plus tôt. A croire que tous les deux n'en pouvaient plus de leur disputes incessantes... Hippolyte n'y voyait plus le moindre intérêt, s'acharner sur Marius ne lui procurait ni plaisir, ni haine, ni quoi que ce soit d'autre qu'une lassitude profonde. Et s'il s'énerva finalement à la fin, cette colère était tout autant dirigée vers Marius que vers lui-même. Il avait pourtant sentit que Marius s'apprêtait à dire quelque chose, il avait espérait un bref instant que ce serait des excuses... Qu'il gagnerait d'une manière si déloyale qu'il n'aurait plus à faire le moindre effort. Si Marius s'était excusé le premier, son père n'aurait probablement plus fait le moindre effort et se serait contenté de l'acculer au mur un peu plus. Seulement, il ne termina pas sa phrase. Ce qui aurait pu s'apparenter à des excuses mourut au fond de sa gorge, et c'est ce qui déclencha l'élan de colère du paternel. Il se sentait idiot tout autant qu'il avait envie de secouer Marius. Lui aussi était aveuglé par son propre orgueil, lui aussi aurait du s'enlever la merde qu'il avait devant les yeux... Il n'avait jamais fait que dénigrer tous les efforts que son fils pouvait faire pour tenter de l'impressionner et jamais, non jamais Hippolyte n'avait consentit à lui offrir cette reconnaissance que Marius cherchait désespérément.
Hippolyte comprit qu'il était allé trop loin lorsque son cadet adopta la même attitude que la sienne : Il lui tourna le dos et alla s'enfermer dans sa chambre. Son père soupira, se pinçant l'arrête du nez avec lassitude. Une fois de plus, l'un d'eux avait tout gâché. Et cette fois, il ne pouvait en aucun cas reprocher quoi que ce soit à Marius : Tout ce qu'il lui avait dit était vrai, finalement... Même si c'était difficile à admettre et à assimiler, tout était vrai. Comment pouvait-il seulement espérer que Marius essaye de le pardonner s'il ne faisait même pas l'effort de s'excuser ? C'était trop tard, maintenant. Il avait lui-même brisé ce fragile château de cartes qu'ils tentaient de construire ensemble, et il ne pouvait rien faire d'autre que se lamenter sur ces ruines. Alors il fit volte face, prêt à quitter l'appartement sans demander son reste.
Mais le claquement des béquilles de Marius sur le sol lui firent à nouveau tourner la tête, juste à temps pour qu'il réceptionne une petite boule informe et crasseuse, à laquelle il ne pu s'empêcher de jeter un regard dégoûté. Pas besoin d'être devin pour savoir qu'Hippolyte était un maniaque de l'hygiène et de la propreté, il suffisait de le voir au quotidien. Et lorsque, du bout des doigts, il tourna la chose informe pour comprendre de quoi il s'agissait, son visage se détendit. Ou plutôt se figea en une expression d'étonnement qui n'avait rien à voir avec son habituelle sévérité. Les oreilles de la peluche avaient été maintes fois recousues avec des fils de couleurs différentes, par endroit le tissu était à nu, dépourvu le peluches, et il n'avait plus les yeux très droits. Mais ce qui le frappa surtout, c'était la maigreur du lapin. Il avait été dodu et bien portant, à une époque, à présent il était plutôt rachitique et faisait peine à voir. Mais Hippolyte se souvenait parfaitement de cette peluche. Comment aurait-il pu oublier les circonstances dans lesquelles il l'avait offerte à Marius ?
Il se souvenait encore de cet appel paniqué de Victoire... Il était au Japon, à ce moment-là, avait prétendu s'y rendre pour un rendez-vous d'affaire, alors qu'il allait en réalité assister à la naissance de sa fille, Ileana. Fille qu'il cachait depuis maintenant 21 ans au reste de sa famille. Et alors qu'il était au comble du bonheur en apprenant qu'il était de nouveau père... Victoire lui apprenait que Marius était tombé du balcon de leur appartement. Hippolyte n'avait alors pas plus réfléchi. Malgré la frustration de ne pouvoir profiter d'être avec sa fille, il s'était empressé de reprendre l'avion pour rentrer au plus vite. A l'aéroport de Tokyo, il s'était arrêté dans une petite boutique de souvenir et y avait acheté ce lapin qu'il tenait à présent dans les mains. Cette grosse peluche qu'il avait à peine pris le temps de choisir, un cadeau spontané et sans raison aucune... Un présent qui n'avait aucun but pédagogique, simplement une peluche que Marius pourrait serrer contre lui en attendant de pouvoir sortir de l'hôpital.
- Chester... Bien sûr, que je m'en souviens..., souffla-t-il, incapable d'effacer ce sourire attendrit de son visage. Tu étais tombé du balcon, tu étais à l'hôpital et je... J'étais en déplacement au Japon, à ce moment-là. Pourquoi l'as-tu gardé ?
C'était une question très bête. Mais Hippolyte n'arrivait pas à comprendre comment un gamin qui le haïssait à ce point pouvait avoir gardé un présent de son père pendant vingt ans. Et il ne s'attarda pas plus sur le fait que Marius, à presque trente ans, continuait à dormir avec son doudou... Il préférait éviter les sujets qui fâchent même si, pour le coup, l'idée le faisait plus rire qu'autre chose. Marius, le gamin qui voulait qu'on le traite en adulte, continuait à traîner sa vieille peluche avec lui. Depuis le temps, elle devait être pleine de germes et... Non. Ne pas en rajouter, c'était la clé.
- Je ne pensais pas que tu l'aurais gardé, aussi longtemps... Dire que tu ne voulais pas te séparer de Merlin..., ajouta-t-il en se retenant de rire.
Ce n'était pas un rire moqueur, d'ailleurs, simplement amusé. Et nostalgique. Ce bout de chiffon lui rappelait tant cette époque où Marius, bien que déjà hyperactif, était encore trop jeune pour tenir tête à son père et le traiter de tous les noms. Et aujourd'hui, Hippolyte avait l'impression d'être confronté à la même situation, à quelques détails près : Marius avait de nouveau la jambe dans le plâtre, l'accident était lui aussi entouré de mystère... Mais il était plus vieux, apte à l'envoyer balader et surtout... Ils avaient vingt ans de conflits derrière eux. Le genre de chose que l'on ne pouvait oublier si facilement juste en évoquant le passé. La lucidité et la résignation de Marius le frappèrent à nouveau en plein dans l'estomac. Hippolyte avait beau chercher, il ne se souvenait pas avoir jamais plus discuté normalement avec Marius. Il était devenu plus sévère et intransigeant à mesure que les années passaient et son fils s'était quant à lui évertué à lui tenir tête. Cette peluche, c'était la seule preuve qu'une complicité avait pu exister entre eux. Elle lui semblait si lointaine, si irréelle... Sans Chester, peut-être auraient-ils pu se demander si ces souvenirs étaient vrais ou s'il s'agissait d'illusions perverses de leur esprit.
- Je pense qu'il n'est jamais trop tard, Marius... La preuve, on ne fait qu'aggraver un peu plus les choses à chaque fois qu'on se parle. Mais je pense qu'il n'est pas non plus trop tard pour... Tenter de recoller les morceaux... Ou à défaut d'avoir quoi que ce soit à recoller, quelque chose à créer.
Et voilà qu'il se mettait aux métaphores... A croire que la gêne le rendait poète. Toute cette histoire le mettait mal à l'aise, il n'était pas préparé à marcher sur la corde tendue d'un funambule les yeux fermés, après tout ! Il fini par s'asseoir dans le canapé, non loin du fauteuil qu'occupait Marius, la peluche toujours dans les mains. Un silence gêné s'installe entre eux, silence qui n'avait rien à voir avec les autres. Quand Hippolyte repris la parole, il n'osait croiser le regard de Marius, préférant l'étrange strabisme de Chester.
- C'est moi qui suis désolé, Marius... J'ai voulu faire de toi l'homme que tu ne veux pas être... La pâle copie de quelqu'un qui n'existe pas. J'ai toujours espéré que tu serais comme moi, que tu ne serais pas obligé d'exécuter une pantomime vulgaire pour essayer de me ressembler, et j'avais tort. C'est... C'est une bêtise que de vouloir faire de toi ce que tu n'es pas. Je t'ai dénigré par incompréhension, par... Bêtise. Parce que la plupart de tes réactions sont contraires aux miennes, j'ai cru que tu étais simplement idiot. Le con dans l'histoire, c'est moi, Marius... Parce que j'ai été trop bête pour comprendre que le monde ne tournera jamais dans le sens que je cherche à lui imposer.
Son discours était maladroit et pourtant si sincère... Hippolyte n'était pas habitué à s'ouvrir ni honnêtement à quelqu'un, et jamais encore il n'avait imaginé le faire avec Marius. Pourtant, ces excuses, elles étaient peut-être là, tout au fond de lui, depuis des années. Peut-être même depuis la fois où il avait osé lever la main sur Marius, après le scandale de l'affaire malaria.
- Je ne sais pas ce qui a pu se passer. Je ne sais pas pourquoi d'un seul coup, tout s'est dégradé. Je crois que tu as pris conscience que tu étais une personne à part entière et non mon ombre, et que je n'ai jamais réussi à l'accepter... Nous sommes des étrangers parce que nous ne nous acceptions pas tels que nous sommes... Ah... C'est ridicule..., pesta-t-il.
Il tendit alors la peluche à Marius, se forçant enfin à le regarder.
- Et je crois que nous n'avons jamais pris le temps de discuter ainsi... De mettre à plat ce qui ne va pas entre nous. J'ai envie, sincèrement envie que nous arrêtions de nous disputer constamment. Et le silence n'est pas non plus la solution, ce n'est qu'un substitut. Je ne te changerai pas, tu ne me changeras pas... C'est à nous de faire ce travail par nous même, j'imagine...
Il n'en était pas si sûr que ça, d'un autre côté. Peu habitué à ce genre de discussion avec Marius, Hippolyte se sentait de plus en déstabilisé par les événements, se demandant sans cesse s'il faisait bien de s'ouvrir un peu à son fils ou s'il aurait plutôt du chercher à nouveau à lui enfoncer les dents dans le parquet pour le faire obéir.
- Je me suis rarement sentis aussi con, tiens..., marmonna-t-il avait de se rendre compte qu'il l'avait dit à voix haute.
crackle bones
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Marius Caesar
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Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Ven 6 Nov 2015 - 16:34
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Je m’en souviens comme si c’était hier. De cette fierté que je pouvais avoir quand, à l’école, les enseignants me regardaient comme un extraterrestre juste parce que même si j’étais blond comme les blés, on ne pouvait déjà pas nier ma ressemblance physique avec mon père. Mon père qui était déjà à la tête de Caesar Pharmaceutics et pas que depuis quelques mois. Il s’était fait un nom, il s’était déjà fait une réputation. Hippolyte Caesar. Je m’en souviens très nettement, de ces enseignants qui ralentissaient lorsqu’ils lisaient nos noms, à Martial et à moi. Et la question qui suivait immanquablement. Caesar ? Vous êtes les fils d’Hippolyte Caesar ? La fierté que j’avais à l’époque lorsqu’avec mon frère, on hochait la tête. Fiers. Comme des paons. Comme des gosses lorsqu’on leur disait du bien de leur père. Oh, ça n’a pas duré très longtemps, cette fierté. Pour ma part du moins, elle a commencé à devenir pesante vers la fin de mon primaire quand les profs commençaient à s’étonner que l’un des fils d’Hippolyte Caesar puisse être aussi dissipé, aussi peu studieux. Pourtant, en voyant ton père, en voyant ton frère… ouais, la fierté a vite disparu. Et pendant quelques temps même, elle s’est transformée en honte. Pas longtemps, mais suffisamment pour me marquer. Cette honte douloureuse devant les éclats de déception. Pas que chez mon père, mais chez les autres. Déception, désillusion. Et finalement, cette honte s’est muée en colère et en mépris. Une quête d’indépendance, de différenciation, je sais même pas comment on pourrait décrire ça et je n’en ai rien à faire, la conclusion reste la même : je déteste mon nom de famille. Et je suis en guerre contre lui, contre mon père, contre sa réputation et l’ombre qui projette sur moi. L’attente qu’il a trop souvent fait peser sur Martial et moi alors que seul Martial était au niveau. Elle n’existe plus cette fierté, ou alors elle est bien ensevelie sous des années de colère. Caesar. Connard. Les deux rimes et ce n’est pas pour rien.
Tout a commencé à se déliter au collège, lorsqu’il m’a séparé de Martial. Tout a commencé à disparaître et la colère à se cristalliser pendant Malaria et après. Mais c’est après mon accident, après mes six ans que le peu de confiance que j’avais en mes parents s’est fracturé. Et tout n’est allé que de pire en pire après ça, faut pas se leurrer. J’ai raté quelque chose avec toi. Totalement. Je ne saurais pas dire quoi parce qu’il y a trop de choses qu’il a raté, trop de choses que j’ai raté aussi. Ma tentative de parole se brise, j’aimerais m’excuser, j’aimerais lui dire que j’ai jamais voulu être aussi décevant mais que c’est comme ça, que je suis mal foutu quelque part dans mes veines et que je n’arrive pas à rectifier le tir. C’est de sa faute, c’est de la sienne, c’est de notre faute et le résultat c’est qu’on ne peut rien y changer. Je le regarde partir sans faire le moindre geste. Il y a une époque, Papa, je respectais le nom des Caesar, je l’admirais, je le portais avec fierté, tu sais ? Mais t’as tout foutu en l’air, les profs ont tout foutu en l’air, la presse a tout foutu en l’air et moi aussi. Je fais un pas en arrière. Il se retourne et la colère que j’attendais explose enfin, détruisant toutes mes barrières. C’est là, devant nous. Qu’est ce qui est devant nous, Papa ? Notre échec critique ? Cette incapacité qu’on a de discuter, d’être un père et un fils normal ? Je ne sais pas quoi répondre. Vraiment pas. Je préfère fuir, d’ailleurs : je lui tourne le dos. Et j’ai envie de pleurer parce que je comprends bien qu’en fait, on est incapable de faire le moindre pas en avant. J’sais pas si c’est de la peur ou autre chose mais voilà, encore une fois je fous tout en l’air parce que je suis incapable de répondre à ça. C’est con putain. J’ai envie de hurler, j’ai envie de le secouer, j’ai envie de remonter le temps et de lui foutre le nez dans ces conneries pour qu’il comprenne où il a merdé et sur à quel point. Lui foutre le nez dans la merde qu’il a devant les yeux. C’est peut être ça ma solution, vu que je ne sais pas quoi dire.
Chester. Rapiécé, recousu, défiguré et maintenu artificiellement en vie par mon obstination. Il n’a plus grand-chose à voir avec le lapin au poil brillant tout juste sorti d’un magasin quelconque. Il n’a même plus grand-chose à voir avec un lapin, sauf quand on plisse les yeux et qu’on a de l’imagination. Des oreilles de tailles différentes, des fils de couleur, un strabisme un peu imposé par la force des choses, il est clair qu’il n’a pas été réparé par une mère aimante mais par un gosse plus têtu qu’une mule. Moi. De toute manière, pour la mère aimante, on repassera lorsqu’on regarde la mienne. Chester. Je ne sais même pas d’où vient ce nom. J’ose à peine réfléchir à pourquoi je garde ce foutu lapin sous mon oreiller où que j’aille. Il a fait tous les continents, il a fait toutes mes compétitions de handball, je ne crois pas qu’il m’ait quitté plus de trois jours d’affilé depuis que je l’ai autrement dit depuis plus de vingt ans. Je lui balance à la figure comme j’ai pu lui balancer un ballon de hand, avec la violence de ma frustration. Je ne manque d’ailleurs pas une miette de son dégoût lorsqu’il l’attrape. Rien à battre de ce qu’il peut penser de la propreté du lapin, je le lave une fois tous les deux mois, c’est amplement suffisant. Tu t’en souviens ? J’imagine que non. C’est qu’un détail insignifiant dans son emploi du temps, ce lapin, j’en suis certain. Tu t’en souviens, Papa, de ce lapin, de toi venant me voir à l’hôpital alors qu’encore abruti par les médocs j’étais en train d’apprendre qu’on ne savait pas encore dans quel état j’allais sortir de là ?
Cet accident, j’y pense pas souvent. Il fait parti de mon passé de toute façon et je n’ai eu aucune séquelle finalement. Six ans, l’âge con. J’ai presque aucun souvenir des circonstances de ma chute, je n’ai que ce que Martial et ma mère m’ont raconté. Moi faisant le con sur le balcon, moi escaladant la rambarde, moi marchant sur le cadre métallique, moi perdant l’équilibre, moi chutant. Si je ne me souviens plus du tout de tout ce qui a précédé la chute, j’ai un vif souvenir en revanche de la douleur et de mon cri. Strident. Hurlement d’enfant, larmes brûlantes, affolement général. Et le silence. C’est fou ce que le cerveau peut retenir, quand même, quand j’y pense. A mon réveil, je me souviens du silence. Des bips réguliers, de l’affolement du gamin que j’étais, de la solitude angoissante qui m’effrayait déjà à cet âge. Ils sont gravés dans ma mémoire, les jours qui ont suivi mon réveil, les semaines, les mois. Je me souviens de l’absence de ma mère, de son regard, de son indifférence. De mes hurlements aussi. Je n’ai pas compris immédiatement qu’à ses yeux j’étais mort dans cet accident. Et ce lapin donné par mon père, de sa présence à côté de mon lit, de ses murmures lorsqu’il me rassurait et m’assurait que tout allait bien se passer. Tu t’en souviens, Papa, de tout ça ? - Chester... Bien sûr, que je m'en souviens... Je n’arrive pas à sourire, je n’arrive qu’à exprimer de l’inquiétude. Je n’arrive qu’à tenter de m’extirper de l’angoisse que me foutent ces souvenirs. C’est pas pour rien si je n’y pense pas souvent : c’est passé et vaut mieux ne pas trop se replonger dans ces souvenirs fugaces d’une époque révolue. Tu étais tombé du balcon, tu étais à l'hôpital et je... J'étais en déplacement au Japon, à ce moment-là. Pourquoi l'as-tu gardé ? Pourquoi est-ce que je l’ai gardé ? Elle est bien bonne cette question. Je remonte un genou contre ma poitrine pour y poser un menton songeur. - Je ne pensais pas que tu l'aurais gardé, aussi longtemps... Dire que tu ne voulais pas te séparer de Merlin... Je relève la tête, étouffant cette fois un petit rire. Merlin, mon autre doudou, celui dont je ne voulais absolument pas me séparer. Une loque dans un carton, j’imagine, ou alors brûlée par lui lorsque je me suis barré de chez moi. Merlin. C’est marrant comme je peux tenir à Chester et n’en avoir rien à faire de Merlin. Je ne sais même pas qui me l’a offert. Mon père ? Ma mère ? Une voisine ? Sûrement la troisième option. Pourquoi l’as-tu gardée ? Je sais pas. Ou plutôt je le sais mais tu te foutrais de moi, Papa, si je te le disais. Je soupire. Préfère ne pas répondre à la question, préfère embrayer sur la fatalité. On est deux putain d’étrangers. C’est beau comme constat. J’ai vingt-six ans, bientôt vingt-sept, il doit en avoir cinquante-cinq maintenant et on est des étrangers. Et le pire dans tout ça, c’est que Martial aussi est un étranger, peut être moins pour moi que pour mon père, mais vu qu’il s’est barré… Je ne sais pas si c’est trop tard, j’en ai même pas envie. J’ai envie qu’un jour, mon père et moi on se comprenne ou du moins on se tolère. Je le déteste autant que je l’admire, je le déçois autant que je l’énerve.
- Je pense qu'il n'est jamais trop tard, Marius... La preuve, on ne fait qu'aggraver un peu plus les choses à chaque fois qu'on se parle. Mais je pense qu'il n'est pas non plus trop tard pour... Tenter de recoller les morceaux... Ou à défaut d'avoir quoi que ce soit à recoller, quelque chose à créer. Je fais une moue pas vraiment convaincue. Ou plutôt, pas vraiment conquise par la métaphore. De toute manière les métaphores et moi… soit j’en fais des catastrophiques, soit je préfère les étrangler pour dire les choses telles qu’elles sont. Créer un truc ? On ne fait qu’aggraver un peu plus les choses à chaque fois qu’on se parle. Alors c’est ça sa solution ? Créer du vide, ne pas se voir ? Moi, perso, ça m’allait très bien. Enfin, c’est un mensonge vu que je demandais à Martial des nouvelles de mes parents, mais dans l’idée, c’était peut être le mieux, ouais. Recoller les morceaux… qu’est ce qu’il veut ? Quand je le vois, je n’arrive pas à ne pas voir celui que j’aurais du être dans un monde idéal. J’arrive pas à me sortir de sa tête ses sarcasmes, ses humiliations, son mépris, sa déception. Qu’est ce qu’il peut faire contre ça, hein ?
Je le regarde s’asseoir, toujours tenant Chester. Au moins, il l’a pas balancé de l’autre côté de la pièce en le menaçant d’une machine à laver et d’une overdose de savon. J’étouffe un sourire en l’imaginant se frotter, non, se décaper les mains tout à l’heure pour enlever toutes les merdes bactériales que transporte mon lapin. - C'est moi qui suis désolé, Marius... J'ai voulu faire de toi l'homme que tu ne veux pas être... La pâle copie de quelqu'un qui n'existe pas. J’arrête de respirer. Vraiment. Enfin ? Il admet enfin que je ne serai jamais lui ? Qu’il a eu tort ? Qu’il est désolé ? Mais je ne veux pas qu’il soit désolé, je veux qu’il… je me prends la tête entre les mains en me recroquevillant. Pour ne pas entendre. Je ne veux pas entendre ça, je ne veux pas l’entendre dire qu’il est conscient de m’avoir foutu en l’air par son arrogance ridicule et ses espoirs pathétiques de forger ses gosses à son image. C’est une chose que d’avoir conscience d’un truc, c’en est une autre d’entendre quelqu’un te le confirmer. J'ai toujours espéré que tu serais comme moi. Ta gueule. Ta gueule. Je me hais d’avoir des oreilles pour entendre ça. Parce que même si j’ai conscience de mal interpréter ce qu’il dit, je l’entends. Elle est là, autour de nous, autour de moi, sur moi, cette déception qu’il émet de partout. J'ai cru que tu étais simplement idiot. Bien sûr que je suis con. C’est bien ça le problème : je suis trop con pour être ton fils. Le con dans l'histoire, c'est moi, Marius... Parce que j'ai été trop bête pour comprendre que le monde ne tournera jamais dans le sens que je cherche à lui imposer. Je ne sais pas s’il attend que je le rassure et que je lui dise que mais non, il n’est pas con, et mais non, il n’est pas bête et que mais oui, c’était tout à fait normal de se prendre un délire mégalo avec ses gosses. Dans tous les cas, s’il attend ça, il peut toujours courir. Je relève une nouvelle fois la tête, croisant les bras sur ma poitrine. Je sens bien qu’il prend sur lui. Je sais qu’il fait des efforts et j’ai même l’impression pour la première fois depuis… aussi loin que je peux m’en souvenir, qu’il est sincère. Il ne me regarde pas. C’est peut être pour ça qu’il semble pour une fois concéder la vérité. C’est de sa faute. Pleinement de sa faute. C’est lui qui m’a détruit alors qu’un père, dans tous les bouquins que j’ai lu, est censé aider ses gosses à se construire, pas jouer avec eux comme avec des legos pour leur donner la forme qu’il désire. - Je ne sais pas ce qui a pu se passer. Je ne sais pas pourquoi d'un seul coup, tout s'est dégradé. Je crois que tu as pris conscience que tu étais une personne à part entière et non mon ombre, et que je n'ai jamais réussi à l'accepter... Nous sommes des étrangers parce que nous ne nous acceptions pas tels que nous sommes... Ah... C'est ridicule... Il me tend Chester, je l’attrape d’une main. Avant de rire. Un peu. Un peu plus. Je finis par ne plus me retenir et exploser de rire. Vraiment. Sincèrement. C’est ridicule, ouais, tout à fait. C’est totalement ridicule. Je ne l’écoute plus. C’est surréaliste, bordel. Je ne l’écoute plus alors qu’il m’assure avoir envie de discuter avec moi, alors qu’il comprend que le silence n’est pas la solution, alors qu’il m’affirme avoir envie qu’on rétablisse les choses entre nous. Et moi je ris, je ris encore, j’en pleure de rire. Je m’étouffe dans mon lapin. J’en ai mal aux côtes, bordel. - Je me suis rarement sentis aussi con, tiens... J’entends de justesse cette dernière phrase et ça ne me calme pas, loin de là. Je repars dans un éclat de rire incontrôlable. Trop de pression, trop de tension. Les larmes dégringolent mes joues, je suis en train de rattraper mon retard niveau abdos, j’en ai du mal à respirer.
Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé avant que j’arrive à retrouver un peu de calme. Avant que j’arrive à contrôler mon rire, avant que je me passe les mains sur le visage pour chasser les larmes qui s’attardent encore dans mes paupières, au coin de mes yeux. Je parviens enfin à hoqueter. « Putain… enfin… t’admets enfin t’être comporté comme un connard et tu ne sais pas ce qui s’est passé ? » Ca fait longtemps que je n’ai pas autant ri, j’en remercierais presque mon père s’il n’était pas aussi… ridicule. Parce que oui, à mes yeux, il est ridicule. Je devrais être sympa avec lui, j’imagine. Il a fait des efforts, il a enfin ouvert les yeux, il a été maladroit mais sincère. Je devrais vraiment être sympa, l’encourager dans ses efforts mais bon sang… Je ne sais pas ce qui a pu se passer. Je ne sais pas pourquoi d'un seul coup, tout s'est dégradé. C’est la meilleure de l’année. Je regarde Chester, avant de rire encore un peu. Je sais, je sens qu’il va mal prendre, qu’il a mal pris mon fou-rire. Mais bon sang… je reprends petit à petit une respiration normale, une élocution normale. « Tu te fous de ma gueule j’espère parce que si non… oh bordel, j’pense que t’as rarement été aussi con, ouais. Parce que ça, c’est la meilleure… je commence par où, là, pour t’expliquer la chose ? » Il est là, l’abcès. Présent depuis plus de vingt ans, il est au bord de l’implosion et mon éclat de rire l’a fendillé. Les aveux de mon père aussi. « Déjà, les gosses, j’suis désolé de te l’apprendre, mais ça a besoin d’affection. Je sais pas trop, ça me semble logique. Donc quand… je sais pas… la putain de mère du gosse par exemple, commence à faire comme s’il était mort à ses yeux… » Plus ça va, plus mon rire ne devient plus qu’un vieux souvenir et s’enfonce dans la colère. « Déjà, là, t’es censé flairer les emmerdes. Je sais pas trop, dépression, conflit, j’imagine qu’il y a plusieurs options. Mais quand en plus, le putain de père du gosse, n’essaye même pas de contrebalancer mais préfère bosser et mépriser le gamin… je sais que je ne suis pas très doué en psycho mais BORDEL, ça me semble logique que quelque chose dérape. » Oh, ils m’avaient presque manqué, mes cris. Ils sont là, bien chaud, bien de retour, gonflés à bloc par la seule idée que mon père va peut-être enfin daigner m’écouter. « Putain, j’avais six, huit, dix ans, bordel. » Jusque là avachi dans le fauteuil, je me redresse brutalement tout en torturant machinalement les oreilles de Chester. « Je n’étais pas un robot que tu pouvais formater ou un adulte qui pouvait comprendre à quel point ses parents étaient de putain d’enfoirés ; j’suis désolé si ça te vexe mais c’est le cas, vous êtes de gros connards. » J’insiste bien sur l’appellation, histoire qu’il se mette dans le crâne qu’il n’est pas le seul à s’en prendre plein la tronche, pour le coup. Pour une fois. « Bien sûr que j’étais une personne à part entière et pas un meuble ! T’aurais du te rentrer ça dans le crâne plus tôt ! VINGT ANS, putain, VINGT ANS avant de te rendre compte que peut être que tu as raté quelque chose avec moi. C’est pas quelque chose que tu as raté, tu as TOUT raté avec moi. De A à Z. Parce que tu es un enfoiré d’égoïste aveugle qui ne se rend pas compte qu’un gosse de six ans à besoin de parents et pas de blocs de glace qui ne savent que l’engueuler, le gifler ou l’ignorer ! » Je me suis levé. Je ne pas exactement quand, peut-être à mon deuxième vingt ans hurlé, mais je me suis levé. Pour le surplomber.
Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Dim 8 Nov 2015 - 0:22
I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong...
Hippolyte Caesar & Marius Caesar
Tenter de réconcilier Marius et son père, c'était comme vouloir faire de l'huile et de l'eau un mélange parfaitement homogène. Tôt ou tard, ils finissaient pas se repousser l'un l'autre pour mieux se disputer, encore et encore. C'était un débat stérile, sans queue ni tête, qui n'avait pas lieu d'être. Hippolyte aurait du avoir avec Marius cette complicité liant un père à son fils, ils auraient du se caler dans le canapé et commenter un match de hand en buvant une bière... Pas se reprocher tous les maux du monde. Mais pour cela, il aurait fallu qu'Hippolyte s'accorde une chose : Du temps à passer pour profiter de la présence de son fils, quelques minutes de détente, hors de tous soucis, du travail, des obligations professionnelles... Il aurait fallu que cet incorrigible travailleur se concède un moment de répit et ça, c'était trop lui demander pour le moment.
Ce temps si précieux qu'il aurait du passer avec ses enfants, il le réservait à la signature de gros contrats, à la lecture de documents boursiers... De tout un tas de chiffres aux antipodes de la notion de loisir. Pour lui, toute activité frivole était une perte de temps, il n'aurait pas été capable de rester plus de cinq minutes devant la télé sans passer un coup de fil ou chercher à faire avancer tel ou tel dossier. Il aurait fallu le ligoter au canapé pour qu'il cesse deux minutes de travailler. Et même en faisant cela, on ne pouvait empêcher son cerveau de surdoué de tourner à plein régime. C'était un homme désespérément englué dans son travail, et qui ne cherchait ni à changer les choses, ni à les faire évoluer. Que ce soit avec Marius ou Martial, Hippolyte ne se souvenait pas leur avoir concédé plus de quelques minutes de jeu dans leur enfance. Et il avait cessé dès leur entrée au primaire. Il avait toujours voulu voir en eux des adultes pour une raison très simple : Hippolyte était bien plus à même de discuter avec un adulte qu'un enfant. Il détestait l'infantilisation, ou encore cette manière abrutissante que certains parents avaient de parler à leurs enfants. Il n'avait pas laissé les siens croire au Père Noël ou la Fée de dents bien longtemps, et avait bannis jouets idiots et super héros de leur quotidien. Tout ça en pensant bien faire, en pensant faire d'eux des hommes matures et aptes à affronter la vie réelle.
Il s'était trompé. Ô combien trompé. Il avait fait de Marius ce qu'il était aujourd'hui. Cette déception qu'il ne parvenait pas à regarder sans une pointe de remords. Et cette culpabilité était à double tranchant : Dans un sens il s'en voulait d'avoir infligé cela à Marius, mais surtout il regrettait terriblement de ne pas l'avoir caressé dans le sens du poil pour être sûr de faire de lui ce que bon lui semblait. Avec plus de subtilité, peut-être aurait-il réussi à en faire cet homme qu'il espérait bien voir un jour. Alors les remords l'avaient emporté, l'humanité et les sentiments avaient refait surface... Et il tentait à présent, certes maladroitement, de recoller les morceaux avec Marius. Il ne s'attendait pas à de la clémence ou une main compatissante sur l'épaule, mais il était loin de s'imaginer que son fils... Se mettrait à rire.
Haussant les sourcils en lui jetant un regard à la fois irrité et interloqué, Hippolyte resta un long moment silencieux tandis que Marius riait à n'en plus finir. Il en pleurait, et ce qui agaçait le plus son père était de constater que ce rire n'avait rien de forcé ou de nerveux. Il était sincère. Comme si la situation était trop coquasse pour ne pas en rire. Et à mesure que les secondes s'égrenaient, que Marius continuait à rire en se moquant totalement des aveux que venait de lui faire Hippolyte, celui-ci sentait la colère monter en lui à nouveau. Tout comme l'envie de lui en mettre une, qui revint le heurter avec la force d'un troupeau de bœufs lancés au galop. Il aurait voulu pouvoir le faire taire et le forcer à simplement baisser les yeux en acceptant ses excuses. Hippolyte se sentait d'autant plus con qu'il venait de faire tout ça... Pour rien. Du moins, il avait le sentiment d'avoir tenté un rapprochement pour rien. Il était loin de se douter qu'il venait en réalité d'ouvrir les vannes d'un conflit décennal qui n'allait pas tarder à déverser sur lui des torrents de reproches.
Aussi, il se cala dans le canapé, voulu croiser les bras devant lui avant de se souvenir que son bras blessé l'en empêcherait, et jeta à Marius ce regard glacial dont il avait le secret. Il resta hermétiquement silencieux, fermant à nouveau son visage pour ne rien laisser paraître de la colère qui grondait en lui comme un volcan sur le point d'exploser. Il regrettait déjà d'avoir tenté de s'excuser, tout en sachant pertinemment que c'était le point de départ de leur première discussion sincère depuis des années. Un rictus mauvais fit tressaillir ses lèvres lorsque Marius commença à lui expliquer comment devait se comporter un père. Alors comme il était devenu expert en la matière ? Lui ? L'idiot qui avait mis la première venue enceinte et savait à peine comment s'en sortir avec un bébé ? Elle était bien bonne ! Recevoir des leçons d'éducation de la part d'un gosse, c'était d'une ironie...
Il serra son poing valide lorsque Marius insulta sa mère, se retenant de justesse de ne pas immédiatement présenter des excuses à une femme qui, de toute manière, ne lui avait pas adressé la parole depuis près de vingt ans. Bien sûr qu'il avait remarqué cela... Bien sûr qu'il savait que Victoire lui cachait quelque chose, mais il avait toujours mis cela sur le dos de l'hyperactivité de Marius. Il pensait que son épouse se comportait ainsi pour ne pas être tentée de devenir agressive ou violente avec Marius. Et c'était vrai. Hippolyte n'avait même pas cherché à comprendre, se contentant de se dire que Victoire faisait cela pour le bien de Marius, quand bien même souffrait-il de l'absence d'intérêt de sa mère. Tout était toujours de la faute de Marius, Marius le petit con, Marius l'empoté, Marius le sale gosse... Marius le gamin qui n'avait jamais rien demandé que l'amour de ses parents. En lieu et place de quoi il n'avait récolté que du mépris et de la désapprobation. N'était-ce donc la légitime désormais de s'énerver à ce point et de vouloir faire réagir son père ? N'était-ce pas normal de demander un peu plus que quelques excuses vaguement bredouillées ? Si. Bien sûr que si. Ce n'était pas une chose, un point, un détail, qu'Hippolyte avait raté avec Marius. C'était tout. Absolument tout. La communication, la tendresse, l'acceptation des défauts de l'autre, tout n'était qu'un gâchis sans nom. Il n'y avait rien à garder, tout à jeter. Et c'était justement là que tout péchait. Parce qu'Hippolyte était incapable d'accepter qu'il était le seul en tort dans cette histoire. Si c'était le cas, pourquoi Martial était-il si calme, si studieux, si agréable ?
Les mâchoires crispées à l'extrême, Hippolyte luttait pour ne pas se mettre à hurler à son tour. Pas encore... Pas tout de suite... Il ne supportait plus de se faire traiter d'enfoiré ou de connard par un gosse à peine sorti de l'adolescence. Il voulait le remettre à sa place et savait qu'il n'en avait plus la force ni le droit. Cette discussion tournait à nouveau en dispute, mais à l'inverse des précédente, elle était en train de crever un à un les abcès qui empoisonnaient leur relation.
« Parce que tu es un enfoiré d’égoïste aveugle qui ne se rend pas compte qu’un gosse de six ans à besoin de parents et pas de blocs de glace qui ne savent que l’engueuler, le gifler ou l’ignorer ! »
S'ensuivit un long silence. Pesant, lourd de sens, effroyablement désagréable. Silence pendant lequel Hippolyte resta aussi stoïque qu'auparavant, se contentant de lever les yeux vers Marius, qui s'était levé comme une furie au milieu d'une phrase.
- C'est bon... Tu as fini ? Tu ne sais décidément pas t'exprimer sans hurler, ça devient pathologique, Marius... Maintenant tu vas gentiment la fermer et me laisser parler, c'est compris ? Tu crois peut-être que je hurlais dessus pour le plaisir ? Que je trouvais ça amusant de te punir ? Si tu n'avait pas été aussi dissipé, aussi ouvertement chiant, je n'aurais pas eu besoin de te reprendre à chaque fois. Tu t'es mis une seconde à ma place ? Non, bien sûr... Je suis le seul égoïste dans cette pièce, après tout ! Tu ne crois pas que supporter de te voir repeindre les murs de mon bureau trois fois par semaine était insupportable ? Tu pensais que je prendrais bien de te voir massacrer ton avenir en ramenant des bulletin catastrophique juste parce que tu avais la flemme ? Tu crois que c'est mon putain de délire dans l'histoire d'aller saboter tout ce que tu fais juste pour satisfaire un soit disant besoin narcissique à la con ?
A mesure qu'il parlait, Hippolyte s'était mis à hurler à son tour. Sa voix avait à présent atteint un tel niveau en décibels qu'il s'étonnait que personne ne soit encore venu sonner à la porte pour leur demander de baisser d'un ton. Il fini par se lever, faisant face à Marius en se fichant royalement des dix centimètres les séparant, et continua sur sa lancée.
- Je t'ai dis que j'étais désolé, que j'avais merdé avec toi, ça ne te suffit pas ? Il faut quoi ? Que je te cire les pompes en plus ? Tu as toujours pris un malin plaisir à me faire sortir de mes gonds, comme si ça t'amusait de me voir en colère... Comme si tu trouvais ça drôle de me faire perdre mon temps ! Comment voulais-tu que j'ai envie de passer plus de dix minutes en ta présence en sachant pertinemment que tu me tournerais le dos et m'insulterais pour te défouler ? Le problème, Marius, c'est que si je suis un connard, toi tu es un vrai petit con.
Excédé, Hippolyte s'éloigna, faisant les cent pas dans le salon pour tenter de se calmer. Mais il n'y avait rien à faire. Il était trop énervé, trop en colère, trop nerveux pour se rasséréner. Il en était à un stade où plus rien ne pourrait le calmer, à moins de l'assommer.
- Qu'est ce que tu veux que je te dise, bordel ? Je n'ai jamais su vous montrer mon attachement, à toi et ton frère, je préfère m'enfermer dans mon travail que de m'essayer à des choses que je ne connais pas et ne comprends pas. Parce que je me sentais con à tenter d'assembler trois pauvres lego à la con quand vous trouviez ça fascinant... OUI je suis désolé de ne pas être le père que tu aurais voulu avoir. C'est comme ça ! J'aurais du me le rentrer dans le crâne plus tôt, tu dis ? J'aurais aussi bien pu ne jamais l'admettre ! Tu ne crois pas que tu as toi aussi des torts, dans l'histoire ?
Il s'approcha à nouveau, le visage déformé par la colère. Ce devait être la seconde ou troisième fois que Marius voyait son père dans un tel état de rage. Mais c'était bien la première fois qu'il l'entendait tenir des propos aussi francs.
- Tu ne crois pas que tu pourrais t'en vouloir un peu de m'avoir à ce point poussé à bout ? D'avoir tenté pour ton petit plaisir personnel de me faire emprisonner ? C'est une réaction en chaîne, Marius. Chacune de tes erreurs découle des miennes, c'est aussi simple que ça... Je suis prêt à admettre mes torts, mais je n'ai pas l'impression que ce soit réciproque...
Puis, aussi violemment et sincèrement que le reste de son discours lui était venu, il lança cette dernière phrase, ce dernier reproche qui n'en était finalement pas vraiment un, celui qui lui brûlait la langue depuis trop longtemps déjà et qu'il ne parvenait plus à refréner.
- Et pour l'amour du Ciel, la seule personne qui te déteste dans cette pièce, c'est toi-même, Marius !
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Marius Caesar
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Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Dim 8 Nov 2015 - 1:34
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Je ris. Je ris à en pleurer, je ris à en avoir mal aux côtes. Ca fait longtemps que je n’ai pas ri de la sorte et pourtant j’imagine que la situation n’a vraiment rien d’amusant. Mais j’ai enfin la confirmation que mon père est un connard imbu de lui-même, j’ai enfin la preuve que tout n’est pas nécessairement de ma faute, qu’il a bel et bien foiré son coup quelque part et que je ne suis qu’un dommage collatéral de son incapacité à ouvrir les yeux. Je ris parce que je ne vois pas comment réagir autrement à ce qui me semble être de la bêtise ou du foutage de gueule, l’un ou l’autre, pas d’autre option. Je ris parce qu’il n’y a pas autre chose à faire face à cet aveu. Je ne sais pas ce qui a pu se passer. Je ne sais pas pourquoi d'un seul coup, tout s'est dégradé. Je ne me remets pas de cette phrase. Je n’arrive pas à savoir s’il se moque de moi ou s’il est sincère et je n’arrive même pas à savoir laquelle des deux options est la plus préférable, la moins pire. Ce qui a pu se passer ? J’ai failli mourir Papa et pour toute réaction, j’ai cessé d’exister aux yeux de ma mère. Tout s’est dégradé ? Parce que j’avais besoin d’avoir ton attention, parce que j’avais besoin d’exister, parce que j’avais besoin d’être moi, d’être remarquable. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi mon père qui a toujours su à la perfection cerner mes faiblesses lorsqu’il s’agissait de m’enfoncer est incapable de comprendre d’où elles viennent.
Alors je ris. Je pleure de rire à défaut de pleurer de désespoir face à cette réalité. Mon père est un connard, un foutu connard. Il se moque de moi, ce n’est pas possible autrement. Son regard agacé, cette colère que je sens monter en lui, ça me fait rire. Parce que tu es impuissant, hein Papa, face à ton fils qui se moque de toi pour une raison qui t’échappe. Parce que tu ne viens d’être sincère et que je ris, bordel, de ce que cette sincérité dévoile. Oui, tu es con, tu n’as jamais été aussi con que maintenant à te rendre enfin compte que tu m’as pourri la vie. Je ris, je ris encore. Parce qu’il n’y a rien d’autre à faire devant ça. Lorsqu’enfin j’arrive à reprendre mon souffle, j’essuie quelques larmes superflues perdues dans ma barbe mal rasée. Et je commence à parler. Mon rire s’éteint vite, peut être un peu trop vite même, ma voix s’enfonce dans l’agression et la provocation la plus complète alors que je raille, que je me moque, que je m’enfonce dans ses retranchements. Je ne laisse rien de côté, de ma mère que j’insulte à lui que j’insulte plus copieusement encore. L’abcès est crevé en partie, l’acide se crache, le venin se répand et moi, je hurle. Si fort, si sincèrement, si spontanément. Ca fait mal de le dire, ça fait mal de m’obliger à l’avouer mais ça veut tout dire aussi. Ce putain de lapin en peluche est l’une des rares choses qui me permettent de croire que quelque part mes parents sont autre chose que de foutus connards. Que mon père du moins est autre chose que cet enfoiré que je côtoie depuis trop longtemps.
Je hurle, je me répète, je me perds dans mes reproches et je me lève. Je ne sais même pas quand exactement dans ma phrase je me suis levé mais me voilà à le surplomber ouvertement, totalement indifférent à cet ordi sombré en veille, à ce tableau blanc qui me nargue, à mon appartement, à mon environnement : je n’ai d’yeux que pour mon père alors que je reprends ma respiration. Deux blocs de glace, j’imagine que c’est l’image la plus fidèle qu’on puisse trouver pour mes parents. Pour leur indifférence, pour leur ignorance. Je me souviens de ces soirées où ils n’emmenaient que Martial parce que je n’étais pas assez sage pour ne pas leur faire honte. Je me souviens de ces après-midi où j’étais obligé de rester seul avec ma mère, que j’étais obligé de rester seul avec cette inconnue et plus encore obligé de subir des repas tendus avec eux deux alors que Martial était en vacances ailleurs dans le pays. Je me souviens de ces coups de poing reçus dans l’abdomen à chaque fois que les yeux de ma mère passaient sur moi sans s’arrêter, que mon père se contentait d’un laconique Marius tais-toi pour saboter mes tentatives d’exister. Pathétiques tentatives.
Crispé au possible, muscles tendus, poings serrés, je toise mon père de toute ma hauteur le mettant enfin au défi de répondre. Vas-y, vas-y bordel, dis moi que j’ai faux mais si tu le fais, complais toi dans le mensonge. Parce que tu sais que je ne mens pas, tu sais que je ne me leurre pas, tu sais que je frappe là où ça fait mal. Je me tais. Je finis par me taire. Et je ne peux pas m’empêcher de me rendre compte que la seule réaction que j’obtiens est le silence. Pesant. Effrayant. Haïssable. Et il le sait. Je sais qu’il le fait exprès. Je secoue la tête, tentant de mettre tout mon mépris et ma colère dans ce mouvement. Il lève les yeux vers moi, je plante mon regard dans le sien, si détestablement similaire au mien. - C'est bon... Tu as fini ? A ton avis, connard ? Si je me tais, c’est que j’attends que tu me dises quelque chose, que tu t’excuses encore, que tu réagisses, pas que tu te contentes de me regarder avec ces yeux de merlan fris. Tu ne sais décidément pas t'exprimer sans hurler, ça devient pathologique, Marius... Ta gueule, ça… »Maintenant tu vas gentiment la fermer et me laisser parler, c'est compris ? « J’vais rien écouter du tout, tu… »… de te punir ? Si tu n'avais pas été aussi dissipé, aussi ouvertement chiant, je n'aurais pas eu besoin de te reprendre à chaque fois. « Au moins dans ces moments là, j’étais pas qu’un… » … était insupportable ? Tu pensais que je prendrais bien de te voir massacrer ton avenir en ramenant des bulletins catastrophiques juste parce que tu avais la flemme ? Tu crois que c'est mon putain de délire dans l'histoire d'aller saboter tout ce que tu fais juste pour satisfaire un soit disant besoin narcissique à la con ? « FERME-LA ! » Mon cri résonne, une nouvelle fois dans l’appartement. Pour surpasser la voix de mon père qui s’est mis à hurler à son tour. Je ne le supporte pas, je ne le supporte plus. Je ne supporte pas de me prendre dans la figure ses reproches alors que c’est lui qui a toujours tout foutu en l’air. Chaque chose qu’il me reproche, je peux le justifier de la même manière : je voulais exister. Vraiment exister à ses yeux. Ne pas être qu’une liste de notes dans un bulletin scolaire dont je n’avais rien à faire, ne pas être qu’un nom de famille, qu’un héritier, qu’un pion dans son échiquier de merde. Il se lève, je refuse de faire le moindre pas en arrière, je refuse de m’écarter, je refuse de détourner le regard. De toute manière, malgré ma jambe cassée et ce plâtre que je me traîne comme un boulet je reste plus grand que lui, bien plus grand.
Je t'ai dis que j'étais désolé, que j'avais merdé avec toi, ça ne te suffit pas ? Il faut quoi ? Que je te cire les pompes en plus ? Il n’a pas tort, ça me tue de le remarquer, mais il a pas tort. Qu’est ce que j’attends de plus ? J’en sais rien mais c’est lui le surdoué dans l’affaire, c’est à lui de trouver la solution. Moi je sais juste le forcer à mettre le nez dans la merde qu’il a laissée derrière lui. Le problème, Marius, c'est que si je suis un connard, toi tu es un vrai petit con. Je serre les poings, crache un « Au moins voilà un point sur lequel on est d’accord » qui se perd dans le déplacement de l’Enfoiré. Qu’il s’éloigne, qu’il fasse les cent pas, je vois clair dans son petit jeu : il veut me rappeler à quel point je suis incapable de faire le moindre pas sans le secours de mes béquilles. - Qu'est ce que tu veux que je te dise, bordel ? Je n'ai jamais su vous montrer mon attachement, à toi et ton frère, je préfère m'enfermer dans mon travail que de m'essayer à des choses que je ne connais pas et ne comprends pas. Parce que je me sentais con à tenter d'assembler trois pauvres lego à la con quand vous trouviez ça fascinant... OUI je suis désolé de ne pas être le père que tu aurais voulu avoir. C'est comme ça ! J'aurais du me le rentrer dans le crâne plus tôt, tu dis ? J'aurais aussi bien pu ne jamais l'admettre ! Tu ne crois pas que tu as toi aussi des torts, dans l'histoire ? J’ouvre grand la bouche pour répliquer quelque chose mais je ne parviens à aucun résultat pour le moment. Parce qu’il se sentait con à vouloir jouer avec nous ? Mon cul, il n’a même pas essayé. Il n’a jamais essayé. Il ne sait même pas ce que ça veut dire que de jouer avec ses gosses. Sa vie, c’était pas nous, c’était son boulot. Et vaguement lorsqu’il avait le temps, il allait écouter Martial jouer du violon et m’engueuler parce que je n’étais pas assez bien.
Pas assez bien. Tu ne crois pas que tu as toi aussi des torts dans l’histoire ?. « Va te faire foutre, putain. Va te faire foutre avec tes conneries. » Je ne peux pas lutter contre mon père sur ce terrain là et pourtant je le sais. Alors pourquoi est-ce que je suis parti là dedans ? Parce qu’en plus d’être con, je suis impulsif. Et que j’oublie la plupart du temps de réfléchir avant de parler, avant de hurler, avant de me lâcher. « C’est bien mignon d’être désolé quand c’est trop tard, quand la seule chose que tu trouves à dire que c’est que tu ne comprends pas, ô pauvre petite victime, comment ton fils a pu devenir aussi con. Mais c’est de ta faute, bordel ! C’est de ta faute ! Si t’es incapable d’être humain, t’avais qu’à pas avoir de gosses, bordel ! T’avais qu’à nous foutre en orphelinat, t’avais qu’à te débarrasser de nous ! » J’en suis à un tel point que son visage déformé par la fureur ne me touche même plus. N’arrive plus à me toucher. Parce que je n’ai plus treize ans, parce que si je n’ai du le voir dans un tel état que trois ou quatre fois dans ma vie, et bien c’est la même chose pour lui. J’en ai marre, bordel, j’en ai marre de lui, j’en ai marre de sa manière de retourner la chose à son avantage comme si de rien n’était. - Tu ne crois pas que tu pourrais t'en vouloir un peu de m'avoir à ce point poussé à bout ? D'avoir tenté pour ton petit plaisir personnel de me faire emprisonner ? C'est une réaction en chaîne, Marius. Chacune de tes erreurs découle des miennes, c'est aussi simple que ça... Je suis prêt à admettre mes torts, mais je n'ai pas l'impression que ce soit réciproque... J’essaye d’assimiler, j’essaye de comprendre, j’essa… Non. Je n’essaye rien de tout ça. Tout ce qu’il peut me dire m’effleure sans que je ne puisse le retenir. Je n’essaye pas d’écouter, je n’essaye pas d’assimiler, je n’essaye pas de comprendre, je me contente de tout rejeter en bloc. Ou presque.
- Et pour l'amour du Ciel, la seule personne qui te déteste dans cette pièce, c'est toi-même, Marius !
Le coup de poing que je me prends métaphoriquement dans les côtes, je le traduis physiquement. Mes mains percutent ses épaules, surtout celle blessée, avec une violence et une agressivité non contenue pour mieux le repousser. Elles le heurtent une fois, deux fois, trois fois, toujours plus violemment. Le faire reculer. Le rejeter. Le virer de là. Le blesser. Le faire souffrir. Le faire partir. Me laisser tranquille. Me défouler. Me dépenser. Je hurle, en même temps, je hurle encore ce qui est le plus naturel chez moi lorsqu’il s’agit de répondre à mon père. « TA GUEULE ! » Il a raison, bien sûr. Il a souvent raison. Il se trompe, il me détruit, il me pourrit la vie mais il se débrouille encore pour avoir raison. Parce que je me déteste. Autant que je le déteste. Autant qu’il me déteste. « Dégage ! Putain, dégage de ma vie ! Laisse-moi tranquille, vire de là. » Ma voix se brise sans que je ne puisse la contrôler, je me retiens de justesse de retomber sans force dans mon fauteuil. Bien sûr que je me déteste. Comment est-ce que ça pourrait en être autrement ? Mon bras balaie la table basse, envoie balader mon ordi, tout ce qui pouvait y avoir dessus. J’en ai rien à faire, je n’y tiens pas. Ce que je veux, c’est mon frère. Ce que je veux, c’est un père. Ce que je veux… Qu'est ce que tu veux que je te dise, bordel ? Je n’en sais rien, genius. Tout ce que je sais, c’est que je suis perdu. C’est que je m’effondre, c’est que finalement mes jambes ne me tiennent plus. Bien sûr que je me déteste, comment est-ce que ça pourrait en être autrement ? Martial s’est certainement barré à cause de moi, Astrid m’a vendu à un Hunter, elle me déteste pour être le futur père d’un gosse qui ne sera pas le nôtre, elle porte un gosse qui ne sera pas le nôtre non plus. Bien sûr que je me déteste parce que j’ai l’impression d’enchaîner les mauvais choix, parce que j’ai l’impression d’être un mauvais choix. « Dégage, putain. Si tu ne me détestais pas, t’aurais cherché à comprendre pourquoi j’étais comme ça, pourquoi j’étais aussi con, putain. TU ME DETESTES JE LE SAIS ! Parce que tu ne peux pas me détester et t’être comporté pendant vingt putain d’années comme ça avec moi, c’est pas possible. C’est la seule explication logique ! Tu m’as humilié, ignoré, rabaissé, dénigré, écrasé, blessé, frappé, critiqué, déprécié, alors putain, n’essaye pas de te foutre de ma gueule encore plus, espèce d’enfoiré, de putain d’enculé ! » Je hurle si fort que ma voix se brise une nouvelle fois. Mes mains tremblent de fureur. Je prends mon inspiration pour étouffer ces larmes qui perlent au coin de mes paupières. J’suis pas aussi fort que mon père, j’sais pas contrôler mes émotions, j’suis incapable d’avoir l’air inattaquable. Avec moi, il suffit juste d’appuyer là où ça fait mal pour me faire sortir hors de mes gonds, il suffit juste de me briser les rotules pour me foutre à terre, il suffit juste de me frapper pour que je m’écroule. Je me prends la tête entre les mains pour murmurer. « Je veux Martial. Je veux mon frère. Putain, je veux mon frère. »
Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Lun 9 Nov 2015 - 4:28
I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong...
Hippolyte Caesar & Marius Caesar
Hippolyte n'était pas le genre d'homme dont on se moque impunément. En affaire, c'était un requin qu'on ne pouvait que craindre et prendre au sérieux, qu'on ne cherchait jamais à flouer car il avait toujours un coup d'avance. Etait-il nécessaire de préciser que les échecs étaient le seul jeu susceptible de retenir son attention ? Il punissait impitoyablement ceux qui essayaient de se jouer de lui, sans jamais prévenir ni accorder de seconde chance.
Du moins si l'on mettait le cas de Marius de côté.
Il était la seule personne capable de le faire sortir de ses gonds à ce point, le seul à avoir mis à mal sa patience à de si nombreuses reprises, et le seul à qui Hippolyte avait accordé autant de chance de se racheter. Et il persistait à vouloir recoller les morceaux, alors que ce rire, moqueur et pourtant si franc lui donnait envie de le mettre à terre comme lorsqu'il était enfant. Il s'était ouvert à Marius, avait tenté de lui dire maladroitement qu'il était désolé... Et voilà qu'il ne récoltait que des rires et des reproches supplémentaires. Il en supportait plus d'entendre ce gamin insolent l'insulter et lui manquer de respect, il aurait voulu pouvoir le faire taire d'un claquement de doigts pour ne plus avoir à mettre le nez dans sa culpabilité, dans ses torts qui s'amoncelaient depuis déjà trop d'années. Hurlant avec véhémence, Marius lui crachait son échec au visage sans prendre la peine d'atténuer un peu les choses. Il les lui jetait à la figure crûment, de façon au grossière et pourtant si franche, si désespérément honnête. Il en voulait à son père pour des années de déni, de non dits, d'absence de dialogue, de mépris... Tout était justifié. Tout avait sa place dans son discours agressif et désorganisé. Que pouvait-il vraiment répliqué ? Il avait beau se mettre en colère, tenter de se justifier, Hippolyte était impuissant face à la colère de Marius.
C'étaient 20 années de recherche d'attention constantes qui se cristallisaient dans ses hurlements, deux décennies à se demander ce qu'il avait pu faire au ciel pour mériter un tel traitement... Des années entières de mauvais traitements qu'on ne pouvait voir physiquement, qui s'exprimaient à travers des mots qui ne laissaient pas suffisamment d'empreintes physiques pour que l'on croit à une quelconque forme de torture. Car si Hippolyte répugnait à lever la main sur ses enfants, sa froideur, sa dureté, son intransigeances et ses sarcasmes étaient les facteurs dominants du manque de confiance en soi de Marius. A vouloir le façonner pour en faire sa copie conforme, il en avait fait l'homme qu'il était à présent. Tant d'années à refuser d'admettre sa culpabilité, et maintenant qu'il le faisait, Hippolyte se sentait dépassé, impuissant, incapable de répondre aux attentes de Marius. Et quelles étaient-elles, d'ailleurs ? Qu'attendait-il de lui ? Que voulait-il vraiment que son père fasse, s'il ne voulait pas de ses excuses ?
L'une des raisons de leur conflit venait de cette incapacité totale à comprendre l'autre. Marius avait besoin d'attention, d'être entouré, qu'on lui parle, qu'on le rassure aussi pour gagner confiance en lui... Il haïssait ce silence que lui imposait son père depuis des années, et c'était on ne peut plus légitime. Seulement, Hippolyte fonctionnait différemment. Il n'avait jamais eu besoin de l'attention ou de l'approbation de qui que ce soit, s'était émancipé de l'affection de sa propre famille dès l'enfance parce qu'ils n'étaient pas en mesure de le comprendre, et vivait parfaitement bien dans le calme et le travail. Tous deux avaient un mode de pensée si radicalement opposé qu'ils ne pouvaient se comprendre. Seulement, si Hippolyte persistait à penser que Marius avait ses torts dans l'histoire, il aurait du s'adapter. Il aurait essayer de faire des efforts pour son fils, parce que c'était ça, le rôle d'un père. C'était accepter son enfant tel qu'il était, le chérir pour ses qualités et ses défauts, et se montrer malléable pour accompagner l'enfant. Ce n'était pas le rejeter et le dénigré parce qu'on ne voyait pas en lui la perfection que l'on souhaitait. Et quelque part, Hippolyte était autant en colère contre Marius que contre lui. La culpabilité avait décidé de pointer le bout de son nez aujourd'hui, avait posé ses valises et ne semblait pas prête de disparaître. Il répugnait à admettre ses torts, tout en se sentant terriblement coupable d'avoir à ce point malmener Marius. Et peut-être aussi parce qu'il lui avait fallu vingt ans pour l'admettre. Vingt années avec que sa conscience ne se décide à se réveiller.
C’est bien mignon d’être désolé quand c’est trop tard, hurla Marius, interloquant son père. C'était trop tard ou ça ne l'était pas ? Qu'il se mette d'accord avec lui-même, bon sang ! Serrant les poings pour essayer de se calmer, Hippolyte reprit sur un ton plus tard, mais où vibrait la colère.
- Je croyais que tu disais tout à l'heure que tu ne voulais pas que ça soit trop tard ? Je ne te suis pas, Marius...
Et puis la dispute se poursuivit, inexorablement, les entraînant un peu plus dans la abysses de la haine, dans une relation si conflictuelle qu'ils ne pourraient bientôt plus rien se pardonner. Trop de mots difficiles à avaler avaient été prononcées, ils n'avaient plus désormais que deux alternatives : S'enfoncer un peu plus et dire à adieu à tout espoir futur de réconciliation, ou tenter de remonter la pente. Et la seconde option serait semée d’embûches, longue et périlleuse, bien plus difficile à parcourir que la première. C'était toujours bien plus facile de détruire que de créer, de toute manière. Hippolyte le prouva en lançant une dernière remarque exaspérée à son fils. Dont la réaction ne fit pas attendre. Il avait frappé juste, sans même chercher à le blesser... Plus dans une volonté de lui mettre l'évidence sous le nez. Hippolyte aurait pu être satisfait d'avoir si bien touché sa cible, mais il n'en ressentait qu'un profond sentiment de malaise. Non il n'était pas fier d'avoir ainsi blessé Marius. Parce qu'il trouvait cela triste, pathétique, terriblement mélancolique et désolant de voir que son fils avait si peu d'estime pour lui-même. Et la faute à qui ? Qui avait sapé continuellement ses efforts, dénigrer ses réussites pour ne voir que ses échecs ? Regarde-toi dans une glace, Hippolyte, tu es le seul responsable de cette situation, lui marmonna la pauvre conscience qu'il avait dans le crâne.
Hurlant toujours autant, Marius repoussa son père avec une force qu'il n'avait pas prévu, et qui l'envoya valser contre le meuble le plus proche. Par réflexe, Hippolyte voulu se rattraper à la table, tendant son bras blessé pour cela. Il sentit alors quelques points de suture lâcher et la blessure se rouvrir, lui arrachant un grognement de douleur. Il avait été salement amoché par un dégénéré quelques jours auparavant, et la blessure était si profonde que le muscle et les tendons avaient été abîmés. Il n'en fallait donc pas beaucoup pour que la cicatrice se rouvre, tant elle était fragile. Et malgré le sang qui se remettait à couleur sa chemise, Hippolyte se garda bien de faire le moindre commentaire. Ce n'était pas le moment ni le lieu, et de toute manière il ne se comportait pas comme une chochotte. A défaut, il faisait la diva en se pensant plus irréprochable que son fils. C'était trop demander à ce glacial personnage d'éprouver autant d'émotions à la fois, il était incapable de les gérer. Il se sentait mal vis à vis de Marius et n'était pas habitué à éprouver cela. C'était plus facile de lancer quelques sarcasmes bien sentit que de tenter de s'excuser, c'était plus facile de se mettre en colère que d'accepter la culpabilité...
C'était plus facile d'être un connard que de tenter d'être un bon père.
Mais sa colère ne fit que s'accroître alors que Marius lui hurlait que s'il se comportait ainsi, c'était parce que lui le détestait. Que jamais il ne se serait comporté ainsi si ce n'était pas le cas. Et pour un observateur extérieur, la conclusion de Marius aurait semblé logique : Hippolyte l'avait rabaissé toute son enfance, traité d'idiot, de bon à rien, l'avait accablé sous les silences et l'ignorance, lui avait refusé l'affection qu'il réclamait... Tout portait à croire qu'il n'aimait pas son fils et pourtant, c'était tout le contraire. Il avait toujours veillé sur les jumeaux, s'assurant qu'ils ne manquaient de rien et étaient en sécurité... Mais tout cela, il l'avait fait par l'intermédiaire de nourrices et de gardes du corps, par directement. Il leur avait délibérément refusé le droit d'avoir une relation privilégiée avec leur père, des discussions autres que celles de leurs résultats scolaires... Tout laissait à penser qu'Hippolyte n'aimait pas Marius, alors comment lui prouver qu'il se trompait sans avoir l'air de mentir ? Comment lui expliquer qu'il avait fait tout cela en pensant bien agir, en faisant de lui un homme fort et non un idiot ? C'était... C'était incompréhensible. Il n'y avait aucune logique dans les actes d'Hippolyte, c'était ça la véritable explications à son comportement déplorable.
Il serra un peu plus les poings, grimaçant en sentant la douleur de sa blessure rouverte le lancer, mais resta silencieux, laissant Marius continuer sur sa lancée. Après des années à lui intimer le silence, il lui devait bien ça. Il lui devait bien de dire ce qu'il avait à dire jusqu'au bout. Quand bien même éprouvait-il l'envie dévorante de lui mettre trois paires de baffes. Et il fut d'autant plus touché par les déclarations de Marius qu'il se sentait impuissant face à l'absence de Martial. C'était la seule chose dont avait besoin son fils, pas d'un enfoiré décidé à lui faire mordre la poussière, mais un frère capable de le comprendre. C'était une chose que jamais Hippolyte ne pourrait lui donner. C'était là tout le paradoxe qui existait entre eux : Marius était trop démonstratif, son père pas assez. Il avait beau se sentir véritablement mal, son visage restait fermé, incapable de se dérider pour montrer autre chose que de la colère, là où les traits de Marius trahissaient la détresse, la tristesse, l'angoisse, et même quelques larmes qu'il parvint difficilement à cacher.
- Je ne te déteste pas, Marius, souffla-t-il avec le sentiment de se répéter, une fois de plus. Tu me pousses à bout, tu m'énerves, tu m'exaspères, mais je ne te déteste pas. Je ne t'ai jamais détesté. Si je te détestais, je ne chercherais pas à renouer le contact je... Je n'essayerais rien du tout. Il n'y a pas d'explication logique. Ce n'est pas logique, c'est complètement absurde parce que j'ai merdé et avant que tu en rajoutes une couche, merci j'en ai conscience. Je ne te déteste pas, et je continuerai à te le répéter jusqu'à ce que tu te le mettes dans le crâne.
Hippolyte soupira, se laissa à nouveau tomber dans le fauteuil le plus proche en prenant garde à ne pas mettre du sang partout, et poursuivit sur sa lancée.
- Je ne vais pas te faire le couplet larmoyant du père dont le plus beau jour a été celui de la naissance de ses enfants, ça serait totalement et même si ça me paraît évident, tu n'y croirais pas. Seulement, j'admets avoir mal agis avec toi, avoir... Merdé quelque part mais jamais je n'ai éprouvé la moindre haine à ton encontre. Tu es mon fils et je ne te présenterais jamais à qui que ce soit comme un étranger.
Il aurait voulu ajouter que ses enfants étaient ses plus grandes fiertés, qu'ils aient suivis le chemin qu'il avait tracé pour eux ou non. Seulement, il ne pouvait se permettre de dire cela à Marius après lui avoir tant de fois répété qu'il était une déception. Tout ce qu'il aurait voulu pouvoir faire, c'était prendre son fils dans ses bras pour lui dire de ne pas s'en faire, que Martial serait bientôt de retour et lui expliquerait tout... Il aurait du pouvoir le réconforter mais il en était incapable, car il ne s'en accordait pas le droit. Et de toute manière, Marius ne l'aurait pas laissé faire, il en était certain.
- Je ne sais pas quoi faire ou dire pour te prouver que je ne te déteste pas. Je suis prêt à accepter tous tes reproches, mais pas celui-là. Tu t'en rendras compte quand le tiens sera né. Il te suffira de poser un regard sur lui pour savoir que quoi qu'il arrive, tu seras prêt à donner ta vie pour lui sans même y réfléchir. Un père qui déteste son enfant c'est un monstre, ni plus ni moins. Alors... Tu peux interpréter ce que je viens de dire comme tu veux, Marius, mais je ne sais pas quoi faire d'autre pour te prouver que tu te trompes.
Il aurait aussi pu lui dire qu'il l'aimait, à défaut d'utiliser en boucle la même litote qui sonnait presque comme une rengaine. Il ne savait pas quoi ajouter à tout cela, il se sentait vidé de son énergie tout en sentant toujours la même colère bouillir en lui. Alors il préféra se lever à nouveau et eut un geste qui avait quelque d'exceptionnel tout en étant parfaitement banal : Il posa sa main sur l'épaule de Marius dans une attitude qui se voulait réconfortante. Ce qu'il y avait d'exceptionnel dans ce geste, c'était que jamais encore il ne l'avait fait. Marius n'avait pas six ans que déjà son père lui demandait d'arrêter de pleurer lorsqu'il faisait un cauchemars, alors lui poser une main sur l'épaule à presque trente ans... C'était aussi rare qu'étrange. Et c'était là le maximum qu'il puisse faire, qui lui semblait normal, logique.
- Laisse un peu de temps à ton frère, il va revenir... Et ne culpabilise pas pour ça, il n'y a aucune raison pour qu'il soit partit à cause de toi. Donne-lui simplement du temps pour mettre ses idées en ordre, je crois que vous en avez tous les deux besoin.
Et aussi spontanément qu'il l'avait posé sur l'épaule de Marius, Hippolyte retira sa main, trouvant décidément la situation étrange, inhabituelle et parfaitement hallucinante.
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Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Jeu 12 Nov 2015 - 0:48
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Ca fait six ans, au moins, que je suis presque fier de cracher à quel point mon père est un connard, à quel point je le déteste, à quel point je suis heureux de ne plus rien avoir à faire avec lui dès que quiconque aborde le sujet. De toute manière, il suffit aux curieux de feuilleter un peu la presse d’il y a huit ou dix ans pour avoir une petite idée de la tension qu’il peut exister entre le patriarche Caesar et le fils cadet de la famille. Ca fait plus de six ans que je ne cache pas cette rupture réelle qu’il y a entre mon père et moi. Je la revendique presque, effaçant d’un haussement d’épaule les interrogations des gens. Mais de ce qui a provoqué cette fracture, je n’en parle jamais. Parce que je n’en vois pas l’intérêt, déjà, mais surtout parce que pendant les mois qui ont précédé tout ça… notre relation, à défaut de s’améliorer, n’empirait plus. Et ça m’allait très bien. Ca fait vingt ans que j’ai définitivement fait une croix sur cette relation père-fils que j’ai toujours enviée chez les autres. Je crois que j’ai même cessé de chercher pourquoi c’est comme ça, j’ai même cessé de tenter de comprendre pourquoi mon père me déteste autant. Il me déteste, point final, et rien ne peut changer cet état de fait.
Alors pourquoi, bordel, pourquoi est-ce que je suis déçu ? A quoi est ce que je m’attendais au final ? Je suis stupide, complètement stupide. Et c’est ma déception qui me fait crier, presque plus que la colère, presque plus que tout le reste. On a du mal à croire, en m’entendant hurler, qu’il y a quelques minutes on était en train de parler mathématiques. Et j’ai même du mal à croire qu’on veuille vraiment chercher à se réconcilier, que je lui ai foutu Chester dans les mains en lui confiant que j’ai envie d’avoir un père, même à vingt-sept ans. C’est de sa faute, c’est de sa faute bordel si on est comme ça, si on est dans cette impasse. J’en ai rien à carrer qu’il soit désolé et qu’il s’excuse, qu’il ouvre enfin les yeux, je veux qu’il comprenne que c’est de sa faute et uniquement de sa faute si je suis aussi con et si on hurle à s’en casser la voix. Parce qu’au final, moi, tout ce que je voulais, c’était avoir des parents normaux qui s’intéressent à moi, c’était qu’à défaut d’avoir une mère, je puisse au moins attirer l’attention de mon père, qu’il me remarque qu’il me regarde dans les yeux. Ouais, j’avais Martial pour me prouver que j’existais et que je valais peut être même la peine d’exister, mais bordel, j’avais aussi besoin de lui. Et j’ai comme l’impression qu’il ne l’a jamais compris, qu’il n’a jamais pris la peine de tenter de comprendre. C’est de ta faute, bordel ! J’en arrive à un tel point que je n’entends plus ce qu’il me dit et que j’ai juste envie de crier, juste envie de me défouler. Comme il y a six ans lorsque j’ai débarqué dans son bureau en m’égosillant comme un forcené juste pour trouver un coupable.
Je refuse de lui concéder quoique ce soit. Je refuse de lui accorder avoir aussi ma part de tort, je refuse de plier devant lui et de lui trouver des excuses. C’était moi le gosse, c’était lui l’adulte : c’est tout ce dont j’ai besoin pour lui prouver et me prouver que ce n’est pas de ma faute, pas entièrement de ma faute si on en est là maintenant. Pour une fois. Avoir la confirmation que quelque part, je ne suis peut être pas raté de naissance, que c’est peut être aussi mon père qui m’a lâché au mauvais moment et qui a participé activement à l’erreur que je suis et que je m’obstine à être. Je sais que j’ai ma part de responsabilité, il ne faut pas croire. Je veux juste penser qu’elle est moindre comparée à celle de mon père. Et je sais aussi que je ne pourrai jamais lui pardonner ce qu’il m’a fait subir pendant vingt ans. Ses excuses, elles sont bien mignonnes, mais elles arrivent trop tard. Bien trop tard. C’est ce que je lui hurle, c’est ce que je lui crie. Parce que je ne sais pas parler normalement, parce que je veux qu’il m’entende, qu’il m’écoute, qu’il me comprenne pour une fois. Ces excuses arrivent trop tard pour arranger les choses, je suis pourri jusqu’à la moelle. Il aurait du être là, bordel, pour faire de moi quelqu’un de potable. Il n’aurait pas du être celui qui m’enfonçait toujours plus, qui m’humiliait toujours plus. Il aurait du. Je ne sais pas m’exprimer calmement. Tout en moi hurle ma rage et ma colère, j’y trouve un écho dans l’attitude de mon père qui va d’agressivité en agressivité, sans qu’il n’y ait personne autour de nous pour nous calmer. - Je croyais que tu disais tout à l'heure que tu ne voulais pas que ça soit trop tard ? Je ne te suis pas, Marius... Tu ne me suis pas ? Oh, sans blague, nouvelle inédite, il va falloir balancer ça aux infos tant c’est exceptionnel… Il ne me suit pas ? Ca ne m’étonne pas, il ne m’a jamais suivi, il ne m’a jamais compris. Et moi non plus, je ne me suis pas. Il n’a pas tort : je me balance entre la volonté d’arranger les choses et cette rancune par-dessus laquelle je ne peux pas passer, à la recherche d’un point d’équilibre introuvable. C’est Martial, mon point d’équilibre ; c’est Martial et ça l’a toujours été. Sauf qu’il n’est pas là. Et que je dois faire sans lui : je chute. Pleinement.
Les mots partent, les agressions cingles, l’accusation porte : la seule personne qui te déteste dans cette pièce, c’est toi-même Marius. J’ai mal. Putain, ce que ça fait mal. Et je veux propager cette douleur : mes lèvres s’écorchent, je lui ordonne de se taire, de me laisser, de partir. Mes bras percutent ses épaules, indifférent que je suis à son bras en écharpe. Je n’ai jamais brillé par ma patience et encore moins pour ma tempérance, je veux juste lui faire mal et le faire reculer, le faire se taire et le faire partir. Je ne mets aucune douceur dans mes gestes, heurte sa chemise, l’observe faire un pas en arrière et bousculer un meuble. Les bras tremblants, les jambes flageolantes, je subis à mon tour le contre coup. la seule personne qui te déteste dans cette pièce, c’est toi-même. Bien sûr que je me déteste, c’est une évidence. Mais la faute à qui ? Je veux décharger la responsabilité sur lui parce qu’elle est trop insoutenable pour que je la porte seul. Je me hais, Papa, c’est ça la vérité. Et tu me hais, aussi, c’est ça la seule explication. Je me hais d’être aussi décevant, je me hais de toujours mal réagir, je me hais d’avoir à ce point échoué pour que ma propre mère ait décidé il y a vingt ans de ne plus me donner le droit d’exister à ses yeux. Je me hais pour ce que j’impose à Martial pour ce que je fais vivre à Astrid. Je me hais même pour cette mutation que charrie mon sang et qui me sépare encore plus de toi. Mes yeux captent le sang qui macule dans une tâche grandissant l’épaule de mon père. J’étouffe la pointe de culpabilité dans un hurlement alors que je déverse sur lui ce que je pense, sans censure, sans exagération, sans rien de plus que la vérité brute, dure, blessante. Il m’a traîné dans la boue pendant trop d’années pour que je puisse croire qu’il ne me déteste pas.
Trop de reproches envenimés dans le silence, trop de douleurs infectées par l’indifférence, je me lâche totalement, accumulant les accusations pour mieux marteler ma colère et lui faire payer en culpabilité tout ce que je peux lui reprocher. Je me suis effondré dans le fauteuil, je me retrouve à me prendre la tête entre les mains, essoufflé d’avoir trop hurlé, épuisé par la tension. J’en ai marre. J’en ai marre de le voir me pousser aussi facilement à bout, de se jouer de moi en quelques mots. Parce que c’est ça, le truc. C’est mon père : il est supposé savoir aussi bien me faire mal que me rassurer, mais il n’a toujours excellé que dans un seul domaine et je vous laisse deviner lequel. Des larmes perlent à mes yeux, j’enfouis ma tête entre mes mains dans un murmure, ou plutôt une supplique. Je veux mon frère. Je le veux maintenant. Pour pouvoir me réfugier dans ses bras, pour l’entendre me soutenir, pour savoir que je vaux quelque chose et que surtout je vaux la peine d’exister. Je n’arrive pas à comprendre comment je peux être aussi faible et mon père aussi fort. Imperméable aux émotions, il n’a toujours affiché que deux sentiments devant moi : la déception et la colère. Et encore, la deuxième c’était au prix d’efforts éreintants de ma part. Moi, je suis une éponge, je suis un livre ouvert face à lui. Je crie, je hurle, il n’y a aucun contrôle, je suis malmené par mes émotions comme un cerf-volant dans la tempête. Un cerf-volant retenu jusque là seulement par mon jumeau. Sauf qu’il m’a lâché, et que je voltige et me prends des coups de partout. Je veux Martial, bordel, parce que mon père est incapable de m’aider, il n’est capable que de me détruire. Et même si je meurs d’envie qu’il me prouve un jour le contraire, je n’y crois plus depuis longtemps.
- Je ne te déteste pas, Marius. Tu me pousses à bout, tu m'énerves, tu m'exaspères, mais je ne te déteste pas. Je ne t'ai jamais détesté. Si je te détestais, je ne chercherais pas à renouer le contact je... Je n'essayerais rien du tout. Il n'y a pas d'explication logique. Ce n'est pas logique, c'est complètement absurde parce que j'ai merdé et avant que tu en rajoutes une couche, merci j'en ai conscience. Je ne te déteste pas, et je continuerai à te le répéter jusqu'à ce que tu te le mettes dans le crâne. Ses mots me percutent, sans parvenir à me convaincre. Parce que je ne veux pas être convaincu, c’est bien ça le problème. Vingt ans que je me persuade qu’il me déteste, qu’il n’en a rien à faire de moi. Vingt ans, et le voilà qui débarque comme une fleur dans ma vie pour me dire que s’il m’a pourri la vie, c’est parce qu’il ne me déteste pas. Ce n’est pas logique, ce n’est pas logique, putain.
Sauf que ça me rassure. Parce que je suis con, j’imagine, parce que je suis faible, parce que je suis ridicule. Je me fais prendre au piège par sa sincérité et je sais que je vais le payer. Mon père est un bâtard, mon père est un connard, mon père est un enfoiré, mais malgré toutes ses années, il se débrouille toujours pour être un héros à mes yeux. Je suis con, putain. - Je ne vais pas te faire le couplet larmoyant du père dont le plus beau jour a été celui de la naissance de ses enfants, ça serait totalement et même si ça me paraît évident, tu n'y croirais pas. Seulement, j'admets avoir mal agi avec toi, avoir... Merdé quelque part mais jamais je n'ai éprouvé la moindre haine à ton encontre. Tu es mon fils et je ne te présenterais jamais à qui que ce soit comme un étranger. Sa dernière phrase me fait tiquer, l’amertume tord mes lèvres, je retiens de justesse un sarcasme acide. Je suis fatigué, j’ai même plus envie de me battre. Sauf que… Tu es mon fils et je ne te présenterais jamais à qui que ce soit comme un étranger. Est-ce que je dois te parler de toutes ces fois où vous m’avez laissé à la maison sous prétexte que je n’étais pas sortable ou des conneries dans le genre ? Est-ce que je dois te parler de cette dispute, il y a bientôt six ans, pendant laquelle tu m’as clairement fait comprendre que je n’étais plus ton fils ? Mes poings se serrent autour de mes cheveux comme pour mieux les emprisonner et diffuser ma colère grandissante et surtout de retour. Jamais partie, juste tapie, juste épuisée. Il ne sait pas quoi faire pour me prouver qu’il ne me déteste pas ? Je ne sais moi-même pas ce qu’il pourrait faire. Vingt ans pour m’en convaincre, même si pour être franc à douze ans je l’avais déjà bien intégré : peut être qu’il va t’en falloir tout autant pour me prouver ce que tu assertes. Tu t’en rendras compte quand le tien sera né. Un frisson : c’est mon propre père qui me rappelle que ce que je lui hurle, peut être que mon fils me le hurlera à son tour dans quelques années. Putain. - … Alors... Tu peux interpréter ce que je viens de dire comme tu veux, Marius, mais je ne sais pas quoi faire d'autre pour te prouver que tu te trompes. Je relève la tête, dérouté. Perdu. Il faut croire que c’est ce que je sais le mieux faire, au final : être perdu, être con et être en colère. L’amertume de mon sourire dévoile cette fois ce petit côté résigné que je ne me connaissais pas. « Je… » Un soupir. Bien Marius. Un frisson, aussi, en le voyant se lever. Pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression qu’il va partir, qu’il va me laisser là-dessus pour m’obliger à y penser et à ne pas dormir la nuit jusqu’à ce que j’aie pleinement intégré tout ça. Pendant une fraction de seconde j’y crois, puis je me rends compte qu’il s’approche de moi au lieu de s’en éloigner. Et que sa main se pose sur mon épaule.
Je crois qu’il ne l’a jamais fait. Ou alors c’était pour me pousser dans la rue lorsque je faisais une colère, c’était pour m’interdire de sautiller, c’était pour me gifler. D’habitude, c’est Martial qui serre mon épaule de cette manière pour me dire qu’il est là, qu’il me soutient. D’habitude, c’est Martial qui diffuse par un simple contact un peu d’affection pour que je me calme immédiatement. C’est con, c’est affreusement con. Je me sens gêné. Parce que je ne sais pas comment réagir. Mes doigts récupèrent Chester, jouent avec ses oreilles. - Laisse un peu de temps à ton frère, il va revenir... Et ne culpabilise pas pour ça, il n'y a aucune raison pour qu'il soit parti à cause de toi. Donne-lui simplement du temps pour mettre ses idées en ordre, je crois que vous en avez tous les deux besoin. Je me mordille maintenant l’intérieur de la joue. La tempête est passée, je me sens capable de parler sans hurler. Sauf que je n’arrive pas à savoir si on est dans l’œil du cyclone ou si on se trouve en périphérie et qu’il s’éloigne véritablement de nous, là. Il n’y a aucune raison pour qu’il soit parti à cause de toi… Si tu savais. Si tu savais Papa. « Je… » ne peux rien lui dire. Je ne peux pas lui dire que je sais que mon altercation avec Kingsley est la cause de la disparition de Martial, quelle que soit la raison qui se trouve derrière tout ça. Je le sais, je le sens dans mes tripes. Si je te détestais, je ne chercherais pas à renouer le contact. Il est là, dans mon appart, à enchaîner les premiers pas, à prendre sur lui. Il n’y a pas d’explication logique. De toute évidence, non.
« Je crois que je me suis persuadé que tu me détestais parce que c’était le plus simple pour tout gérer. » Je commence à lui dire. Oui, je suis en train de lui concéder réfléchir à ce qu’il me raconte. « Au moins, ça me donnait une explication à donner à mes potes et aux profs. » Je soupire. « J’imagine qu’il va nous falloir du temps pour mettre les choses à plat. Je crois que je ne pourrais jamais te pardonner et tu pourras jamais être fier de moi mais… on peut toujours commencer par tenter de se tolérer. Tu respectes mes choix, j’respecte ton indifférence. » Ouais, c’est à mon tour de proposer non pas vraiment une trêve mais plutôt… un pacte de non agression ou quelque chose dans le genre. Je me mords la lèvre, relève la tête. Regarde mon père dans les yeux. Hésite à poser une question. Depuis quand j’hésite et depuis quand je guette une autorisation, moi ?
Mes doigts qui s’entortillent autour des oreilles de mon lapin cessent soudain leur mouvement. « Si tu me détestes pas, pourquoi… » Je n’arrive pas à finir ma phrase. Ou du moins, je n’arrive pas à la formuler convenablement. « … après mon accident,… à l’hôpital… tu m’as dit que ça allait s’arranger, que je pourrais remarcher sans souci, que tout recommencerait comme avant. Pourquoi t’as laissé Maman faire ça ? » Faire ça. Je ne sais même pas comment décrire ça en un mot. J’ai mis des jours à le comprendre, des mois à l’assimiler, des années à l’accepter. Que ma mère m’ignore, qu’elle fasse comme si je n’existais plus, comme si j’étais mort dans l’accident. « Tu t’en foutais ? »
Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Lun 16 Nov 2015 - 23:56
I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong...
Hippolyte Caesar & Marius Caesar
Il s'était excusé. Il avait vidé son sac, avait reconnu ses torts et admis avoir raté tant de choses avec Marius. Il avait fini par baisser sa garde, mettre de côté son insupportable orgueil pour admettre qu'il était le principal fautif de toute cette mascarade. Et il avait espéré qu'avouer sa culpabilité à voix haute l'aiderait à se sentir mieux. Il s'était trompé. Il se sentait même plus mal encore. Vidé, perdu, indécis... Pour la première fois depuis longtemps, Hippolyte avait perdu ses repères et son assurance. Parce qu'il n'était pas habitué à une telle vulnérabilité, mais aussi parce qu'il était tout simplement incapable d’interagir correctement avec un autre être humain.
Et puis il y avait aussi ce sentiment désagréable que toutes les excuses du monde ne rattraperait jamais des années gâchées et perdues à se hurler dessus ou à se tenir tête. Ces années-là restaient gravées dans leurs mémoires comme tant de moment de frustration et de colère, d'abandon et de chagrin. Il était trop tard, et Marius avait raison, dans un sens. Son père l'avait contraint à adopter une attitude dont il ne voulait pas, le forçant ainsi à grandir dans une coquille si petite qu'elle avait étouffé sa confiance et son assurance. Et pourtant, ils avaient chacun leurs torts. Plus Marius grandissait, plus il devenait exécrable avec son père, allant jusqu'à menacer de le faire jeter en prison pendant l'affaire malaria. Il avait souhaité un père attentif, affectueux... Un père ordinaire, en soi, mais il ne pouvait que se contenter d'un père qui préférait son travail à toute forme de jeu, le sérieux aux bonnes blagues, et les remontrances aux marques d'affection. A défaut d'être un nigaud plein d'amour, Hippolyte pouvait montrer le ciel à son fils et lui nommer toutes les étoiles qu'il y voyait, ou encore lui expliquer en détail le fonctionnement de chacun de ses organes... Il pouvait lui parler d'ouvrages de Racine, de Descartes ou même de King sans transition... Mais il était purement et simplement incapable de faire une chose aussi élémentaire que le prendre dans ses bras.
C'était une réalité certes difficile à accepter, mais jamais Hippolyte et Marius ne pourraient véritablement se comprendre. Ils étaient semblables et même identiques sur bien des point, mais le cœur du problème restait leur rapport extrêmement différent à l'autre. Marius avait besoin d'attention, d'affection, de soutien... De parler à son entourage, même pour lui dire des âneries. Hippolyte était son total opposé. Il n'aimait pas le contact des gens, les trouvait souvent trop médiocres et indignes d'intérêt, il était froid, faisait fuir tous ceux qui tentaient d'entamer un dialogue autre que professionnel... Et il faisait partie de ces gens qui se seraient très bien vu vivre sans le moindre contact humain. S'il n'avait pas eu Victoire et ses enfants, il se serait très bien fait à une vie de travail et de labeur en solitaire, sans vraiment ressentir les effets néfastes de la chose. Et c'était bien là tout le problème. Même au prix d'un effort surhumain, ni l'un ni l'autre ne pouvait comprendre le besoin d'attention ou de tranquillité de son interlocuteur.
Alors à défaut de se comprendre ou d'essayer d'imposer sa vision des choses à l'autre, ils pouvaient se tolérer. Et ça, Marius l'avait compris avant son père. Et c'était peut-être l'une des raisons qui poussait Hippolyte à ne pas faire la sourde oreille : Bien qu'entrecoupé d'injures, le discours de Marius était réfléchi, posé, concret... Bien plus mature que ce à quoi il avait habitué son père. Hippolyte arrivait enfin à le prendre au sérieux parce qu'il n'avait pas le sentiment de parler à un enfant refusant d'écouter. Il avait l'impression de parler à un adulte. Et si le sujet était grave et sérieux... Que c'était agréable d'avoir enfin une discussion posée !
- On se persuade toujours de choses qui sont plus... Faciles à admettre. La vérité c'est que je n'ai pas moi-même d'explication à tout ça. On ne m'a pas fourni de manuel du père parfait, et même si je l'avais eu, je l'aurais sûrement jeté au feu en me disant que je me débrouillais très bien sans ça.
Encore un aveu, à croire qu'ils lui pesaient trop sur la conscience pour les garder enfoui en lui. Et il ne s'attendait pas non plus à ce que Marius le pardonne, aussi n'eut-il pas à souffrir d'une quelconque déception.
- Je ne te demande pas de me pardonner, Marius. Et je t'ai pas dis tout ça dans l'espoir que tu te jettes dans mes bras en me disant qu'on serait désormais les meilleurs amis du monde. Mais je suis prêt à accepter ce que tu me proposes. Se tolérer et accepter de se parler sans hausser la voix, ce serait en soi une avancée. Quitte à te prouver que je ne suis pas si indifférent, que...
Il marque une pause, presque gêné de poursuivre.
- Que je pourrais avoir un rôle plus positif à jouer dans ta vie.
Ca, il n'y croyait pas trop. Il essayait de s'en persuadé, mais il n'était pas certain d'être capable d'approuver les choix de Marius ou d'avoir une attitude plus positive à son égard. C'était trop, bien trop lui demander, mais il pouvait essayer. Rien ne l'empêchait d'essayer d'être la pâle copie d'un père lambda. Non rien... Si ce n'est son abominable caractère, son intransigeance, son irrespect, son orgueil... Finalement, beaucoup de choses l'empêchaient d'être simplement un être humain ordinaire.
Un long silence s'installa entre eux, durant lequel chacun sembla réfléchir aux remarques de l'autre. Après l'angoisse de la disparition de Martial, les hurlements, les aveux, les moqueries, la sincérité... Que restait-il, sinon la gêne ? Hippolyte allait donc se retirer lorsque Marius repris la parole, le prenant totalement au dépourvu.
« … après mon accident,… à l’hôpital… tu m’as dit que ça allait s’arranger, que je pourrais remarcher sans souci, que tout recommencerait comme avant. Pourquoi t’as laissé Maman faire ça ? Tu t’en foutais ? »
Figé sur place, il fallu bien trente secondes à Hippolyte pour se rendre compte que sa blessure rouverte faisait goutter du sang sur le parquet. Sortant machinalement un mouchoir de la poche de sa veste pour limiter les dégâts, il alla se rasseoir face à Marius. La discussion n'était définitivement pas terminée. Comment pouvait-il répondre à cela en toute honnêteté ? Hippolyte était obligé de cacher des choses à Marius, à nouveau. Car l'une des principales raisons pour lesquelles il n'avait pas eu le cœur à convaincre Victoire de s'adoucir face à Marius, c'était bien sa propre culpabilité. Il n'aurait pu reprocher à son épouse quoi que ce soit quand lui-même lui cachait l'existence d'Ileana, sa fille cadette. Lui qui concevait difficilement l'adultère avait trompé Victoire de la pire des façons qui soit. Qui plus est en acceptant de reconnaître sa fille et en prétextant des déplacements professionnels à chaque fois qu'il allait la voir. Le jour de l'accident de Marius, Hippolyte assistait à la naissance de Lily et ça, il ne pouvait décemment pas le dire à son fils. Lui avouer qu'il avait failli laisser la vie dans un accident qui aurait pu être évité si son père avait été là et l'avait surveillé... C'était trop tôt. Beaucoup trop tôt.
Mais surtout, il y avait ce secret que Victoire portait sur ses épaules. Ce traumatisme qu'elle avait subit étant jeune, à cause des mauvais traitements infligés pas son père. Il savait sa femme instable, il l'avait plus d'une fois surprise à parler au miroir, à s'infliger de véritables tortures verbales qui n'avaient aucun sens aux yeux d'Hippolyte. Il savait simplement que c'était l'expression d'un profond malaise, et supposait que Victoire avait choisi d'ignorer Marius pour ne jamais être tentée de le traiter comme son père l'avait fait avec elle. Pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Et même de cela, il n'était pas sûr. Plus d'une fois il lui avait demandé pourquoi elle ignorait Marius, pourquoi elle refusait de lui parler... Elle avait toujours répondu qu'il ne pouvait pas comprendre. Combien de fois cela avait-il déclenché des disputes entre eux ? Quand Hippolyte ne parvenait plus à contenir les colères de Marius, et que Victoire restait hermétique à tout cela, se contentant de faire comme si Martial était son seul enfant ? Et encore aujourd'hui, Hippolyte ne comprenait pas. Les premières années, il avait véritablement cherché à savoir... Et puis Marius avait grandit, était devenu de plus en plus insupportable... Son père s'était un peu plus enfermé dans son travail et avait fini par se dire que Victoire avait trouvé la bonne solution pour rester zen face à leur cadet hyperactif.
Hippolyte se pinça l'arrête du nez, fatigué et désemparé. Réfléchir devenait de plus en plus difficile, et c'était une chose dont il avait horreur. Il ne pouvait que tenter de construire une réponse bancale qui n'en serait de toute manière pas véritablement une.
- Je ne m'en foutais pas, non. En réalité... Les premières années, j'ai voulu comprendre pourquoi ta mère agissait ainsi... Je lui ai demandé plus d'une fois ce qui la poussait à se comporter ainsi, tu dois te souvenir des nombreuses disputes que nous avons eu à ce sujet. Elle me disais simplement que je ne pouvais pas comprendre. Le fait est, Marius, que cette réponse ce n'est pas moi qui l'ai, c'est ta mère. Je n'aurais pas pu la forcer à vous confronter l'un à l'autre, c'est elle qui gagner à ce petit jeu-là. Je ne rejette pas la faute sur elle, j'aurais sûrement du insister un peu plus, seulement..., il soupira, préférant l'honnêteté radicale à une quelconque forme de mensonge. Tu es devenu de plus en plus difficile à vivre, et ne me dis pas le contraire. J'en ai eu assez de me battre sur un front avec toi, sur un autre avec ta mère, et de gérer l'entreprise en parallèle. J'ai bien conscience de ne t'apporter aucun réponse, Marius. Mais je ne vais pas inventer quelque chose que j'ignore...
Et ça lui coûtait de l'admettre. D'avouer qu'il était sans réponse face à une question épineuse.
- Je sais bien que tu vas me rire au nez, mais si tu veux savoir pourquoi elle a agit ainsi, c'est à elle qu'il faut le demander. Nous avons tous nos petits secrets, comme toi pour ton cœur.
Et songeant à cela, Hippolyte fut frappé par une évidence. Depuis combien de temps Marius savait-il pour son cœur ? Combien de mois, sinon combien d'années ? Etait-il possible que tout cela soit lié ? Non... C'était bien trop gros...
- S'agissant de son cœur... Je n'ai pas réalisé l'autre jour, mais... Est ce que cela aurait un rapport avec ta volonté d'arrêter le handball il y a six ans ?
Est ce que cette malformation cardiaque était à l'origine de la plus grosse rupture dans leur relation et de la ruine quasi totale de la vie professionnelle de Marius ? Si c'était le cas, ça ne ferait que renforcer la conviction d'Hippolyte selon laquelle Marius avait besoin d'un cœur viable, et vite.
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Marius Caesar
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Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Jeu 19 Nov 2015 - 1:13
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Je n’ai jamais été jaloux de Martial. Jamais, jamais, jamais. Bien au contraire, je trouvais ça presque normal qu’il soit privilégié, qu’il soit le préféré. Je n’ai pas souvenir de lui en avoir un jour voulu pour ça. Les seuls responsables, après tout, c’étaient mes parents. Et moi, à la rigueur. Je n’ai jamais été jaloux ou envieux de Martial. En revanche, des autres enfants… c’est une autre histoire. Je leur enviais leur père, je leur enviais leur mère, je leur enviais leur simplicité. Nous, c’était chauffeur, c’était berline, c’était appartement hausmanien et tailleur. C’était un univers si fermé qu’engoncé dans leur arrogance, mes parents nous cloisonnaient dans des moules et nous interdisaient une quelconque normalité. En prison. J’ai grandi en prison, dans une solitude exacerbée par mon père, diminuée pour rester dans le tolérable grâce à mon compagnon de peine, l’autre incarcéré, mon double et jumeau. Celui que j’aurais pu, j’aurais dû être, mon modèle et mon confident.
J’étais jaloux des autres, j’étais en colère contre mon père qui me détestait, ma mère qui m’ignorait. Je me souviens même des premières heures de ma cinquième, le professeur nous demandant ce que faisaient nos parents comme métier. Marius passant avant Martial dans l’ordre alphabétique, j’entends encore mon sourire goguenard lorsque j’avais craché que mes parents étaient morts. Mensonge éhonté, mensonge provocateur, mensonge inutile bien évidemment, tout le monde savait qui étaient les Caesar. Mais dans les faits… c’était plus simple de penser ça que de regarder la vérité en face. Et ça l’est toujours. J’imagine que je me suis persuadé qu’il me détestait parce que c’était le plus simple pour accepter son mépris. Le plus simple, le plus logique, le plus facile. Je suis un gosse, je n’ai pas grandi et quelque part, je ne compte pas le faire. On me force à devenir mature, on me force à réfléchir, on me force à m’assumer mais je n’ai pas envie. Parce que d’une certaine manière, l’homme face à moi m’a volé mon enfance, la femme qui l’épaule m’a volé ma vie, a réussi à me persuader que je n’avais aucune raison d’exister. Alors je veux grappiller où je peux un peu d’irresponsabilité pour ne pas être forcé d’accepter l’adulte que je suis devenu à cause d’eux.
Je ne peux pas lui pardonner. Je ne pense même pas être capable d’un jour avoir envie de lui pardonner, d’un jour pouvoir lui pardonner. Les deux se confondent, s’entremêlent, l’un ne vas pas sans l’autre. Mais si je ne peux pas obliger son indifférence, son mépris, son dégoût, s’il va me falloir des années pour tenter d’imaginer qu’il ne me déteste peut être pas… Je peux toujours tenter de tolérer ce qu’il est. Il ne peut pas changer. Moi non plus. Je suis qui je suis, Papa, je ne veux pas changer pour te faire plaisir. Alors à défaut de s’accepter, tolérons-nous. Je ne veux pas grandir, je ne l’ai jamais voulu, mais je me rends compte que je suis forcé de le faire. Ce pacte de non-agression que je lui propose est une preuve de cette maturité que je suis forcé d’avoir. J’en ai marre de lui dire d’aller se faire foutre, j’en ai marre de me borner à des dégage et des je te déteste. Il est revenu dans ma vie alors que je n’avais rien demandé à personne mais je ne me sens pour le moment pas la force de réellement l’en éjecter à nouveau. Parce que je n’ai plus Martial, déjà, et ensuite parce que c’est mon père. Et qu’il s’est excusé. Un soupir. Désabusé. - On se persuade toujours de choses qui sont plus... Faciles à admettre. La vérité c'est que je n'ai pas moi-même d'explication à tout ça. On ne m'a pas fourni de manuel du père parfait, et même si je l'avais eu, je l'aurais sûrement jeté au feu en me disant que je me débrouillais très bien sans ça. Je ne te demande pas de me pardonner, Marius. Et je t'ai pas dis tout ça dans l'espoir que tu te jettes dans mes bras en me disant qu'on serait désormais les meilleurs amis du monde. Mais je suis prêt à accepter ce que tu me proposes. Se tolérer et accepter de se parler sans hausser la voix, ce serait en soi une avancée. Quitte à te prouver que je ne suis pas si indifférent, que... Je relève la tête, le regarde dans les yeux. C’est maintenant lui qui ne termine pas ses phrases ? C’est inhabituel chez un homme comme mon père qui sait constamment ce qu’il veut et qui se débrouille toujours pour l’obtenir. Il hésite, il cherche ses mots. Je le sens fragile, plus fragile encore que son épaule qui saigne toujours de toute évidence. On ne m’a pas fourni de manuel du père parfait. En avait-il à ce point besoin ? Sur les deux jumeaux, j’ai envie de lui dire qu’il n’en a raté qu’un, ce qui fait déjà cinquante pourcents de réussite. Ce n’est pas si mal. Ca fait cinquante pourcents d’échec aussi, bien sûr. J’imagine qu’il ne doit jamais avoir eu une aussi mauvaise note de toute sa vie. Ca me ferait bien rire, dans d’autres circonstances, de lui pointer du doigt un si dramatique échec mais je me contente de le regarder. Lèvre mordillée, intérieur de la joue mordu, Chester torturé. Je ne te demande pas de me pardonner, Marius. Encore heureux. Parce que ça ferait un nouvel échec à sa liste. Quitte à te prouver que je ne suis pas si indifférent, que… Que ? - Que je pourrais avoir un rôle plus positif à jouer dans ta vie. Mes mouvements sur les oreilles de Chester s’interrompent.
En temps normal, c’est là que le Marius de base exploserait de rire. Parce que le Marius de base a un réflexe de survie logique lorsqu’il entend des conneries : c’est d’en rire. Un rôle plus positif ? Il se fout de ma gueule ? Ma vie va très bien sans lui. Oui, parfaitement, ta vie va très bien. Rappelle moi la dernière fois qu’un truc de positif t’est arrivé dans être immédiatement suivi d’une grosse merde derrière ? Soit. Passons. En temps normal, donc, j’exploserais de rire. Comme tout à l’heure. Seulement, entre temps, la pression est retombée. Entre temps, la tension s’est légèrement dissipée. Entre temps, j’ai gagné deux points de maturité. Et de fatigue. « Tu peux toujours essayer, même si je ne vois pas trop ce que tu pourrais trouver à faire qui ne vise pas à me formater à ton image ou à me pourrir la vie… » Je suis sarcastique, mais c’est plus fort que moi. Sois content, Papa, au moins, t’as évité le rire.
Le silence reprend ses droits, mes réflexions leur cours. Je suis songeur. Je me mords la lèvre, j’hésite à poser une question. On a l’air bien con, tous les deux, à ne pas savoir se parler sans s’insulter, sans se rabaisser, sans se provoquer. On a l’air bien con à tenter d’avoir une discussion posée. La précédente trêve, c’est lui qui l’a proposée, c’est lui qui l’a tuée. Cette non-agression, est ce que ça va être moi qui va la réduire à néant ? Peut être. Sûrement, me connaissant. Un soupir, Chester hurle sous mes doigts et ses oreilles s’entortillent autour de mes phalanges. Je cherche une formulation qui ne soit pas trop… agressive. Je cherche comment lui dire, comment lui poser la question qui me titille et que je n’arrive pas à ignorer. Si tu ne me détestes pas, je lui concède cette potentielle réalité. S’il ne me déteste pas, pourquoi m’avoir promis que tout s’arrangerait et laissé ma mère me détruire minutieusement en m’ignorant ? Tu t’en foutais ? Elle est là, l’amertume. Il est là, le reproche. Elle est là, l’incompréhension. S’en fichait-il à ce point de moi pour ne pas se soucier de ce que je ressentais, pour ne même pas tenter de comprendre ? Je compte les secondes, je les énumère lorsque j’observe mon père se figer.
Sa blessure, voilà la première chose à laquelle il s’intéresse. Mais loin de bondir sur l’occasion pour lui en vouloir, je me rends bien compte que ça lui permet surtout de gagner des secondes pour choisir ses mots. Je m’en rends compte ou du moins je l’espère. Je le suis du regard, avec ces yeux clairs posés sur lui qui insistent en quête de réponse. Des yeux de gosse, je sais, les yeux d’un gosse curieux qui veut savoir pourquoi. Lorsqu’on me regarde, on n’a rarement l’impression que j’ai bientôt vingt-sept ans. « Papa ? » Mon impatience me perdra. Je déglutis, me ramasser dans le fauteuil, soupire et constate d’une voix que je veux neutre mais qui n’est que déçue, « Tu t’en foutais… » Ce n’est plus une question. Son silence est ma réponse, après tout. - Je ne m'en foutais pas, non. En réalité... Les premières années, j'ai voulu comprendre pourquoi ta mère agissait ainsi... Je lui ai demandé plus d'une fois ce qui la poussait à se comporter ainsi, tu dois te souvenir des nombreuses disputes que nous avons eu à ce sujet. Elle me disait simplement que je ne pouvais pas comprendre. Le fait est, Marius, que cette réponse ce n'est pas moi qui l'ai, c'est ta mère. Je n'aurais pas pu la forcer à vous confronter l'un à l'autre, c'est elle qui gagner à ce petit jeu-là. Je ne rejette pas la faute sur elle, j'aurais sûrement du insister un peu plus, seulement... Tu es devenu de plus en plus difficile à vivre, et ne me dis pas le contraire. J'en ai eu assez de me battre sur un front avec toi, sur un autre avec ta mère, et de gérer l'entreprise en parallèle. Tout mon corps se tend, prêt à bondir, prêt à attaquer. Tu es devenu de plus en plus difficile à vivre. Donc en fait, c’est de ma faute, c’st ça qu’il essaye de me faire comprendre ? Je serre le poing sur Chester, me contrains au silence, me force à continuer de l’écouter sans l’interrompre. Marius qui contraint au silence, ce n’est peut être pas une première mais ça reste suffisamment rare pour être limite choquant. - J'ai bien conscience de ne t'apporter aucune réponse, Marius. Mais je ne vais pas inventer quelque chose que j'ignore... Je sais bien que tu vas me rire au nez, mais si tu veux savoir pourquoi elle a agi ainsi, c'est à elle qu'il faut le demander. Nous avons tous nos petits secrets, comme toi pour ton cœur. Je lève les yeux au ciel à la mention de mon cœur. Ouais, petits secrets… grosses emmerdes. Je ne vais pas inventer quelque chose que j’ignore. Il ne sait pas pourquoi ma mère a agi comme ça. Et ça ne le dérange pas. Je lui ai demandé plus d’une fois ce qui la poussait à se comporter ainsi. Non je ne me souviens pas de disputes. Je me souviens juste qu’aux yeux de ma mère, il n’y avait que Martial. Martial l’enfant prodige, Martial le violoniste, Martial le bon élève, Martial le fils aîné. Et moi, dans son ombre, qui devais aller jusqu’à commettre les pires conneries pour recevoir un regard et une gifle. « Il est hors de question que je lui demande, tu t’en doutes bien j’espère. De toute manière, elle aurait juste vaguement l’impression que le chien du voisin aboie… » Oui, je sais, je suis désabusé. Mais ça va faire vingt-et-un ans, alors j’ai eu le temps de me faire à l’idée. « Et laisse mon cœur où il est… » je souffle. Je ne veux pas qu’il compare le comportement de ma mère à mon silence vis-à-vis de mon cœur, ça n’a rien de comparable. Strictement rien. Et si je n’ai pas vraiment envie de parler de ma mère, j’ai encore moins envie de parler de cette bombe prête à exploser dans ma poitrine. Je n’ai peut être pas de diplôme de cardiologue, j’y connais peut être rien en médecin et tout, mais mon médecin m’a fait clairement comprendre il y a six ans et à chaque fois que je termine aux urgences ou que je vais chercher mes médocs qu’à ce rythme, mon cœur risque de finir par vraiment me lâcher. Parce que je l’use, parce que je le pousse à bout, parce que je refuse de le ménager et d’abandonner le sport.
- S'agissant de ton cœur... Je n'ai pas réalisé l'autre jour, mais... Est ce que cela aurait un rapport avec ta volonté d'arrêter le handball il y a six ans ? Je me fige. Ca fait écho à mes pensées. « Ca ne te regarde pas. » C’est ma réponse toute faite. Celle qui jaillit en protection avec le va te faire foutre habituel. Sauf que bien sûr, ça le regarde. Et que bien sûr, ça répond à sa question. Je ne sais pas ce qu’il a lu dans mon dossier, ce que le médecin lui a dit à l’hôpital, ce qu’il sait. Je ne sais même pas s’il sait que je suis interdit de sport à vie, sur le papier, et que je falsifie les documents nécessaires pour rassurer mes employeurs pour mes cascades. Je me demande juste quelle serait sa réaction en l’apprenant. La colère, vraisemblablement, puisqu’il n’aime pas qu’on se foute de sa gueule. L’exaspération, aussi, devant mon irresponsabilité que je ne veux pas laisser tomber. Et ? Et c’est tout.
Pourquoi est ce que je tais ma malformation en général ? Parce que ça ne regarde pas les gens. Parce qu’ils risquent de s’inquiéter pour moi, parce qu’ils risquent de vouloir régenter ma vie, parce qu’ils risquent de me prendre pour un handicaper et m’empêcher de vivre. Mon père m’a volé mon enfance, ma mère m’a volé mon existence, mon cœur ne me volera pas ma vie. Et les autres non plus. C’est pour ça que je ne veux surtout pas que Martial soit au courant, que je refuse, même, que Moira ou Seth l’apprennent un jour. Astrid sait à quel point je ne veux pas que ça se sache. Mais mon père, pourquoi lui cacher ? Pas parce qu’il risque de s’inquiéter pour moi, ça non. Ce serait surréaliste. Il ne me déteste peut être pas, la dernière fois qu’il s’est ouvertement inquiété pour moi, j’avais six ans et j’avais fait une chute quasi-mortelle. Le reste du temps… il s’inquiétait davantage pour l’image que je pouvais refléter et pour son nom, son nom sacré. Le nom des Caesar. Je soupire.
« Ca ne te regarde pas mais si tu insistes… ouais, c’est lié. J’ai pas voulu arrêter le hand, ils m’ont foutu à la porte. Pour me protéger qu’ils ont dit. J’ai quasi fait un arrêt cardiaque sur le terrain, ça la foutait mal, ils voulaient pas prendre de risque du coup, ils m’ont foutu en liste rouge, j’ai pas trop eu le choix. » Résumé succin mais j’imagine que ça va lui suffire. Je ne suis pas vraiment dupe : sa question ne cherche qu’une réponse. Et peut être même à simuler un quelconque intérêt pour moi. Je salue l’effort, même, faut pas croire. Je me rends compte que mon père essaye vraiment de se racheter et qu’il faut aussi que je lui concède des réponses pour qu’on simule correctement une conversation père-fils presque potable. Mais je sais aussi que ma réponse, il n’en a rien à faire en tant que telle. Je pense même que je pourrais lui dire calmement qu’au rythme où je vais, je ne fêterai peut être pas mes trente ou trente-cinq ans qu’il se vexerait juste d’être impuissant face à ça, pas inquiet pour moi ou triste. « Je voulais pas que Martial s’inquiète, c’est pour ça que j’ai dit que j’avais voulu arrêter le hand. Je préfère largement qu’il me voie comme un irresponsable que comme un… » Je cherche le terme adéquat. « comme un mourant, un infirme, un ce que tu veux. Et je veux que ça reste comme ça : Martial ne doit jamais découvrir pour mon cœur, Papa. » Oui, je ne me soucie que de ce que pourrait ressentir Martial en apprenant tout ça. Mon père, ma mère… j’ai beau avoir en face de moi mon père qui s’excuse, j’ai beau tenter de tolérer son indifférence… ca reste de l’indifférence. Et je l’ai accepté depuis longtemps. Je crois.
Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Dim 22 Nov 2015 - 22:17
[quote="Hippolyte Caesar"]
I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong...
Hippolyte Caesar & Marius Caesar
La chose la plus cruelle qui soit pour l'Homme et toute créature vivante, ce n'était ni la mort ou la perte, en soi... Car toutes deux découlaient d'une chose encore plus immuable, à laquelle nul ne pouvait se soustraite : Le temps. Sans compassion aucune, il s'écoulait inéluctablement, faisant choir les années sur les épaules de tout un chacun jusqu'à l'ensevelir totalement. Si l'Homme se pensait capable de lutter contre la maladie, les armes et la pauvreté, il était impuissant face au temps. Après tout, comment lutter contre un phénomène intangible relevant plus du concept qu'autre chose ? Et ce temps était précieux, plus que tout l'or du monde, plus que n'importe quelle œuvre d'art... Ce temps, ils l'avaient tous deux honteusement gâché pendant bien trop d'années.
Vingt et un ans à se faire la guerre pour imposer ses lois, et six autres à se murer dans le silence, par besoin d'espace mais surtout par fierté. C'était plus de deux milles jours à s'ignorer délibérément, à ne pas prendre la peine d'envoyer ne serait-ce qu'un message pour Noël ou les anniversaires... A prendre des nouvelles l'un de l'autre par l'intermédiaire de Martial, comme deux andouilles incapables de faire le premier pas pour renouer le contact avec l'autre.
Les premiers temps, Hippolyte avait vécu le départ de Marius comme une forme de soulagement. Plus de tensions, plus de hurlements, plus de bêtises à couvrir ni de sermons à prononcer. Il avait vécu ce calme et ce silence comme un cadeau et ne s'en était pas plaint. Et puis les mois s'étaient succédé aux semaines, les tensions étaient retombés, et il avait commencé à trouver ce silence pesant, artificiel... Les dimanches, il n'y avait plus que lui, Victoire et Martial réunis autour d'un repas qui se faisait dans le calme et le sérieux des discussions d'adulte, il n'y avait plus à lever les yeux au ciel en voyant Marius lancer des petits pois avec sa cuillère. Il était fini, ce temps où Hippolyte se demandait ce que son cadet avait bien pu inventer dans la semaine, quelle nouvelle ânerie il allait pouvoir leur raconter fièrement, avec ce sourire de gosse qui le caractérisait tant... Hippolyte avait pris de plein fouet la réalité : Marius était l'innocence et la bouffée d'adrénaline qui manquait cruellement à son existence, désormais.
Et malheureusement, Hippolyte était bien trop fier pour le dire à son fils. De toute manière, il lui aurait rit au nez. Seulement, c'était difficile de se retrouver du jour au lendemain sans ce petit démon hyperactif, cette pile électrique qui, à n'importe quel âge, ne pouvait s'enchaîner de multiplier les âneries. Sans l'accident de Marius, peut-être ne se seraient-ils jamais reparlé... Pouvait-on décemment se dire que ses problèmes cardiaques et son passage à tabac étaient le point de départ de leurs retrouvailles ? Retrouvailles qui s'étaient si précipitamment et avaient engendré tant de tensions supplémentaires qu'Hippolyte n'était pas certain qu'ils aient avancé d'un iota depuis ce moment-là.
Ils s'étaient parlé, certes, s'étaient beaucoup hurlé dessus, aussi... Mais l'avancée était minime. Ils reculaient sans cesse pour mieux se rentrer dedans sans la moindre délicatesse. Seulement, le silence ne les sauverait pas. Pas plus que s'ignorer n'arrangerait les choses. Mais les questions que Marius posait, son père n'en avait pas les réponses. Il ne savait comment lui expliquer qu'il ne comprenait pas pourquoi la propre mère du jeune homme refusait obstinément de lui adresser la parole. Hippolyte était loin d'être idiot, il savait qu'elle lui cachait quelque chose depuis des années, mais impossible de la faire parler. Lorsqu'il tentait d'aborder la question, ils finissaient par se disputer, ou bien elle adoptait une attitude similaire à celle qu'elle avait avec Marius : Elle ignorait son époux et faisait la sourde oreille, ce qui avait le don de prodigieusement énerver Hippolyte. Aussi comprenait-il que Marius se sente à ce point trahis en ayant l'impression que son père l'avait abandonné depuis des années. Il avait vécu ce qu'aucun enfant ou adolescent n'aurait du endurer : L'ignorance d'un parent et le mépris de l'autre. Non il ne s'en foutait pas... Il avait simplement mal agit. Et encore aujourd'hui, malgré le recul et la réflexion, il peinait à maintenir ce discours fait d'excuses et de repentir. Parce que ce n'était pas dans la nature d'Hippolyte d'éprouver une quelconque culpabilité pour quoi que ce soit.
Et comme il s'y attendait, Marius réagit au quart de tour. Bien sûr qu'il ne voulait pas se confronter à sa mère pour lui demander pourquoi elle s'était comportée ainsi avec lui... Le savait-elle elle-même, au fond ? Bien qu'il l'appréhenda, Hippolyte savait qu'il ne pourrait se soustraire à une future conversation musclée à ce sujet avec Victoire.
- Ecoute... En six ans, les choses ont peut-être changées pour elle aussi. Je peux réessayer de lui en parler, si tu veux... Car si c'est une réponse que tu cherches, elle est la seule à l'avoir.
Hippolyte n'aimais pas impliquer Victoire dans ses discussions avec son fils, parce qu'il savait à quel point il en voulait à sa mère. D'ailleurs, Il se demandait depuis longtemps à qui Marius pouvait en vouloir le plus... La mère qui l'ignorait ou le père qui le dénigrait ? Hippolyte soupira, une fois de plus. Cette histoire le fatiguait, son bras sanguinolent était comme une bombe à retardement le poussant à mettre fin à la conversation et pourtant, il avait encore des questions à poser à Marius, des zones d'ombre à éclaircir. C'était bien la première fois qu'il prolongeait une confrontation avec son fils plutôt que de chercher à y mettre un terme. D'ailleurs... Ne pouvait-on pas cette parler de discussion plutôt que de confrontation ? C'était subtile, mais on sentait l'envie de chacun de ne pas briser le fragile château de cartes qu'il peinait à construire depuis bientôt deux heures.
Et la réponse de Marius ne lui plu pas. Absolument pas. Il lui avait délibérément mentit 6 ans plus tôt, faisant passer son abandon du hand pour de la provocation et de l'irresponsabilité, plutôt que de demander de l'aide. Il avait choisi de piétiner tout ce qui lui restait plutôt que d'admettre qu'il était en difficulté. Idiot ! Abruti ! Hippolyte se retint néanmoins de dire cela à voix haute. Car il ne pouvait reprocher à Marius une attitude qu'il aurait lui-même adopté s'il avait été dans la même situation. Alors il se contenta de serrer le poing, la douleur de son bras l'aidant à se concentrer pour ne pas exploser à nouveau. Il réalisait pleinement que sans la très bonne condition physique de son fils, Hippolyte aurait pu se retrouver à enterrer son propre enfant six ans plus tôt, sans jamais avoir pu se réconcilier d'une manière ou d'une autre avec lui. Il s'y refusait. Trop détaché de la réalité, trop peu habitué à ressentir de l'affection pour un autre être humain, Hippolyte ne savait pas s'il aurait été capable de surmonter le chagrin lié à la perte de Martial, de Marius ou d'Ileana. Il n'y serait probablement jamais préparé. Et il ne pouvait tolérer que Marius parle de cela d'un ton aussi détaché, aussi peu intéressé... Comme si finalement sa vie n'avait pas la moindre importance.
- Tu es en train de me dire que tu t'es fais passer pour le roi des idiots, prétendant me provoquer... Alors que depuis le début ce n'est pas ton choix ? J'avais raison de ne pas y croire, finalement...
Sa voix tremblait légèrement sous l'effet de la colère, mais cette rage était davantage dirigée vers la fatalité et la génétique que vers Marius.
- Ta vie a donc si peu d'importance à tes yeux, Marius ? Ce n'est qu'un jouet, une chose que tu t'amuses à manipuler sans y faire attention ? Je ne sais pas ce que tu as traversé et je n'irai pas prétendre le contraire. Seulement j'ai l'impression que parce que tu penses n'avoir plus rien à perdre, tu joues avec le destin en pensant pouvoir gagner... Faire un arrêt cardiaque à vingt et un ans c'est plus que mauvais signe, je ne t'apprends rien. Alors... Pourquoi est ce que tu continues à être aussi insouciant ?
S'il y avait des reproches dans les mots d'Hippolyte, il y avait surtout de l'impuissance. Il ne comprenait pas pourquoi Marius attachait aussi peu d'importance à son existence... N'avait-il donc aucune estime pour lui-même ?
- Tu voulais trouver quelqu'un à qui en vouloir, n'est ce pas ? Te dire que ce n'était pas la faute à pas de chance mais qu'il y avait un coupable dans l'histoire ?
Il était résigné. Malgré le mépris et les reproches, Hippolyte connaissait son fils mieux que personne. Il avait eu besoin d'un bouc émissaire et qui mieux que son père pouvait remplir ce rôle ? Au fond, ils n'avaient pas eu à beaucoup se forcer pour tout briser entre eux. Et s'ils étaient passé expert dans l'art de tout détruire, ils étaient bien plus patauds quand il s'agissait de reconstruire.
- Tu mets ton frère sur un piédestal mais tu voudrais qu'il te voit comme un irresponsable... Tu sais très bien qu'il ne te verra jamais comme un infirme, Marius. Tu le connais aussi bien que moi, et je pense qu'il a le droit de savoir, qu'il aimerait savoir. Seulement ce n'est pas à moi de le lui dire, alors rassure-toi à ce sujet. C'est une chose trop lourde à porter pour toi seul,tu devrais le laisser t'aider.
Et pour la première fois, Hippolyte regrettait de ne pas avoir ces mots rassurants dont Martial avait le secret. De connaître l'affliction de Marius et de ne pas être en mesure de faire quoi que ce soit pour lui. Que pouvait-il lui dire ? Que tout irait bien ? Rassurer quelqu'un, ce n'était pas son fort, mentir sur des sujets aussi graves encore moins.
- Mais c'est ton choix, et je le respecte. Je t'en prie, Marius, ne joue pas au con avec ta vie...
Finalement il se leva, conscient que l'hémorragie de son bras devenait suffisamment critique pour que le sang pulse à ses tympans tandis que son teint palissait à vue d'oeil. Retourner à l'hôpital alors qu'il en sortait... Subir le sermon du médecin... Tant de perspectives peu réjouissantes... Seulement, il se voyait mal demander à Marius de prendre un fil et une aiguille pour lui recoudre le bras entre deux sujets sensibles et éclats de voix.
- Il faut que je retourne travailler... Tiens-moi au courant si ton frère refait surface, s'il te plaît.
Il ne savait trop quoi penser de cette matinée. Devait-il être content d'avoir fait cracher le morceau à Marius ? Ou regretter plus encore ses actes passés ?
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Sujet: Re: I've never been proud of you, son... Prove me that I was wrong... [Marius Caesar] Lun 23 Nov 2015 - 20:48
I've never been proud of you, son. Prove me that I was wrong.
Hippolyte & Marius
Mon père aura beau s’excuser, je ne lui pardonnerai jamais. Mais au moins, il m’a toujours parlé ou presque. Son indifférence, il ne me l’offrait qu’en punition particulièrement douloureuse. Nos premiers mois aux USA par exemple, quand il me faisait payer Malaria, lorsqu’il refusait de comprendre la moindre de mes phrases dite en français. Il voulait me forcer à apprendre l’anglais, il voulait me punir, il voulait me faire mal. Et il avait réussi. Je ne pourrai jamais lui pardonner ça, je le sais très bien et je tiens à ce qu’il le sache. En revanche, je peux apprendre à le tolérer pour qu’à chaque fois qu’on sera amené à se croiser, on évite à se lancer dans une guerre de tranchées dont on est tous les deux las. Ma mère en revanche, c’est une toute autre histoire. Je ne la déteste pas, je la hais, je pense. Je n’y ai jamais trop pensé parce que je n’ai jamais trop voulu y penser non plus. Ma mère est tellement froide, tellement distante, tellement… elle, que je ne peux même pas envisager une seule seconde d’aller la voir de moi-même et de lui pardonner. Je n’ai strictement aucun souvenir d’elle se comportant avec moi comme une mère est supposée le faire. J’ai de très vieux souvenirs de mon père normal, ce jour là à l’hôpital avec Chester, mais de ma mère… rien. Strictement rien. A partir du moment où je me suis réveillé dans ce lit d’hôpital, elle n’a été qu’une silhouette indifférente. Les seules réactions que je parvenais à lui arracher ? Des gifles, des mains s’abattant sur moi sous l’exaspération. Une fois, j’ai suffisamment dépassé les limites pour qu’elle me traîne jusque dans ma chambre, m’y envoie rouler et ferme la porte à clé derrière. Je devais avoir neuf ans et Martial était en train de suivre un cours de violon dans le salon de notre appartement Hausmanien.
Mon père aura beau s’excuser, je ne lui pardonnerai jamais. Mais je ne refuserai pas obstinément de le voir. Ma mère… - Ecoute... En six ans, les choses ont peut-être changées pour elle aussi. Je peux réessayer de lui en parler, si tu veux... Car si c'est une réponse que tu cherches, elle est la seule à l'avoir. Je le regarde fixement, l’air de dire tu te fous de ma gueule. Je n’ai même pas besoin de l’articuler, toute mon attitude le clame. Parce qu’il se moque de moi, là, ce n’est même pas une question. « Réessaye, ouais, fais toi plaisir mais je doute qu’en six ans, elle ait subitement décidé que je n’étais pas une pièce du mobilier particulièrement moche mais bel et bien son fils. » Je suis acide, je sais. Désabusé. Je n’arrête pas de me dire que Moira, Astrid, Seth, la plupart de ceux qui me connaissent ne me reconnaîtraient pas s’ils me voyaient. Encore heureux, je ne veux pas être ainsi constamment. Victoire Caesar, un sujet sensible qu’ils ont appris à ne pas aborder. Encore plus sensible que celui de mon père qui est rarement le bienvenu dans nos conversations. Et d’ailleurs, en parlant de bienvenu et de non bienvenu, je vois arriver le sujet de mon cœur.
Je n’ai pas envie d’en parler. Surtout qu’il ne faut jamais sous-estimer l’intelligence de mon père une fois qu’il a toutes les clés en main pour comprendre quelque chose, voire simplement suffisamment de clés en main. Ca ne te regarde pas. C’est direct, spontané, un tantinet agressif. Ce cœur, qui bat dans ma poitrine, présente une défaillance qui a ruiné ma vie, qui a ruiné ma carrière. Et j’ai voulu aussi lui mettre sur le dos les ruines de la relation père-fils que je n’ai jamais eue avec l’homme en face de moi. Je ne veux pas parler de mon cœur pour la simple raison que comme ma mère, comme mon père, je n’en parle strictement jamais. Et avec personne. Je ne peux en parler à personne. Sauf avec Astrid et avec lui. Avec mon père. Pourquoi ne pas lui en avoir touché deux mots lorsque je suis venu détruire son bureau il y a six ans ? Parce que j’avais honte, parce que je refusais qu’il sache que pour une fois, ce n’était pas lui qui venait de tuer dans l’œuf l’un de mes rêves. - Tu es en train de me dire que tu t'es fais passer pour le roi des idiots, prétendant me provoquer... Alors que depuis le début ce n'est pas ton choix ? J'avais raison de ne pas y croire, finalement... Sa colère, je la ressens dans toutes les fibres de mon être. Elle me hérisse le poil, elle piétine cette paix qu’on a conclue. Je le foudroie du regard. « Ouais, et alors ? Tu t’es jeté sur mon explication sans chercher à creuser parce que l’idée que je fasse ça pour t’emmerder te plaisait plus que de devoir creuser derrière mon mensonge » Et c’est reparti pour un tour. La rancœur revient à table, je la ressasse avec amertume. Et colère. Toujours colère. Nous ne communiquons que par la colère. - Ta vie a donc si peu d'importance à tes yeux, Marius ? Ce n'est qu'un jouet, une chose que tu t'amuses à manipuler sans y faire attention ? Je ne sais pas ce que tu as traversé et je n'irai pas prétendre le contraire. Seulement j'ai l'impression que parce que tu penses n'avoir plus rien à perdre, tu joues avec le destin en pensant pouvoir gagner... Faire un arrêt cardiaque à vingt et un ans c'est plus que mauvais signe, je ne t'apprends rien. Alors... Pourquoi est ce que tu continues à être aussi insouciant ? J’aimerais bien éclater de rire, je me contente de sourire et de ricaner. Ma vie a si peu d’importance ? Ce ne serait par hasard pas lui qui me l’a fait comprendre depuis que je sais compter, parler, écrire ? C’est beau, n’empêcher.
Il a passé des années à me faire comprendre que je n’étais qu’une merde, qu’un bon à arrière, qu’un insecte sous sa botte qui traînait, en plus, une mauvaise odeur et c’est lui qui me reproche d’être insouciant et de ne pas tenir à la vie ? Mais qu’est ce qu’il croit ? « Ta gueule… putain n’essaye même pas de me comprendre sur ce plan là. Faire un arrêt cardiaque à vingt-et-un ans, ouais, je sais que ça la fout mal. Mais je vais pas arrêter de vivre à cause de ce bâtard. Ca fait six ans que je suis habitué à l’idée que mon cœur fonctionne mal et que je fais avec. C’est tout. Y’a pas à chercher plus loin. » J’hausse les épaules. « J’prends mes médocs, irrégulièrement et que lorsque mon cœur s’emballe alors que je devrais les prendre tous les jours ; J’vais voir le médecin, à chaque fois que je termine à l’hôpital ou que j’ai besoin de médocs, alors que je suis supposé le voir tous les deux mois, et je fais attention quand je fais du sport. ou pas, sur mon dossier médical que je suis le seul à avoir le droit de consulter, il est clairement inscrit que toute pratique sportive est fortement déconseillée. Qu’est ce que tu veux que je fasse de plus ? Que je reste allongé sur le canapé toute la journée ? Il parait que c’est très mauvais pour le cœur… » Je me fais insolent, sarcastique. Mieux vaut en rire qu’en pleurer et j’ai suffisamment chialé de douleur à cause de mon cœur pour que je m’afflige le reste du temps. Je n’ai plus rien à perdre. Je joue avec le destin et pourtant je gagne. Je suis en train de faire le plus beau doigt d’honneur du monde au destin, là, c’est pas beau ?
- Tu voulais trouver quelqu'un à qui en vouloir, n'est ce pas ? Te dire que ce n'était pas la faute à pas de chance mais qu'il y avait un coupable dans l'histoire ? Oh ? Plus de colère ? De la résignation ? J’hausse les épaules, une nouvelle fois. « Tout juste. » Ca ne sert à rien de ne pas lui concéder cette déduction exacte. - Tu mets ton frère sur un piédestal mais tu voudrais qu'il te voit comme un irresponsable... Tu sais très bien qu'il ne te verra jamais comme un infirme, Marius. Tu le connais aussi bien que moi, et je pense qu'il a le droit de savoir, qu'il aimerait savoir. Seulement ce n'est pas à moi de le lui dire, alors rassure-toi à ce sujet. C'est une chose trop lourde à porter pour toi seul, tu devrais le laisser t'aider. Mais c'est ton choix, et je le respecte. Je t'en prie, Marius, ne joue pas au con avec ta vie... Ne joue pas au con avec ta vie ? J’ai envie d’exploser de rire, une nouvelle fois. Mais je n’y arrive pas, même en faisant un effort. Parce qu’il n’a pas tort, le con. C’est une chose trop lourde à porter pour toi seul. J’hausse les épaules. Je me mords la lèvre pour justifier mes yeux qui s’humidifient. Au moins, je me dis qu’Astrid sait. Crescentia aussi, tiens. Il ne te verra jamais comme un infirme. Oh, si. Oh que si il me verra comme tel. Parce qu’il voudra me protéger, il voudrait veiller sur moi, il s’inquiétera tellement que ça risque de lui miner la santé. Mais dans tous les cas, la question ne se pose pas. Parce que mon frère n’est pas là. « Nan mais laisse tomber, je sais ce que je fais, je sais ce que je veux. » Et je veux que ce soit clair : il est hors de question d’en parler à quiconque parce que ça n’intéressera personne.
Il se lève, je me lève aussi et je me rends brutalement compte que son bras saigne toujours. Je fais une grimace d’excuse. Putain, c’est plus grave que ça en avait l’air, en fait. Je ne m’inquiétais pas parce que mon père est un roc, mon père est invincible, mais je m’aperçois que c’est qu’un homme mal en point. - Il faut que je retourne travailler... Tiens-moi au courant si ton frère refait surface, s'il te plaît. Je fronce les sourcils.
« Tu plaisantes ? J’appelle une ambulance, là, et ils vont te recoudre. Pas question que t’ailles bosser dans cet état. » Je cherche dans ma poche mon téléphone, fais glisser le raccourci du numéro d’urgence entré pour réagir en vitesse si mon cœur déconne. Je surveille mon père du regard le temps que j’obtienne un contact et que je donne mon adresse pour la deuxième fois de la journée. Je raccroche, lance avec classe et délicatesse mon téléphone sur le canapé où il se perd dans les coussins. « Voilà, ils vont venir te chercher. »
J’arrive pas à m’excuser. Et pourtant je n’arrive pas m’en vouloir. Pourquoi je l’ai frappé ? Et pour l'amour du Ciel, la seule personne qui te déteste dans cette pièce, c'est toi-même, Marius ! Parce qu’il a raison. Et que je me déteste. A cause de lui. Je ne peux pas m’excuser parce que je ne pourrai jamais lui pardonner ce qu’il a fait de moi.