There ain't no second chance against the thing with forty eyes, girl
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Un soir, un bar à moitié vide. Attablée discrètement dans un coin, deux jeunes femmes, l’une visiblement mal à l’aise. Alors qu’elle plissait les yeux et portait les mains à ses oreilles pour étouffer le brouhaha qu’elle seule entendait, l’autre l’arrêta, posant ses doigts sur son poignet avec un sourire timide. L’autre le lui rendit et accepta que la brune ne pose sa main sur son front, comme pour vérifier sa température. L’étrange action dura une vingtaine de secondes, durant lesquelles le visage de la première se relaxa autant que l’autre se crispa. Finalement, Pietra retira sa main du front de Salomé, et accepta le « merci » que celle-ci lui offrit en silence. Les deux femmes restèrent encore une vingtaine de minutes dans le bar puis, lorsque celui-ci commença réellement à se remplir, elles se levèrent d’un commun accord et s’engouffrèrent dans le sombre corridor de la nuit.

Pietra retourna seule chez elle – non pas que Salomé l’ait instantanément abandonnée, mais elle commençait à se sentir mal, et la compagnie lui était toujours désagréable lorsqu’elle sentait une migraine approcher. Les deux jeunes femmes avaient décidé, après une soirée passée dans les laboratoires de la Callahan à tester leurs cerveaux respectifs, de sortir boire un verre et de mettre le pouvoir de Pietra encore un peu à l’épreuve. Cette fois-ci, elle avait réussi à bloquer la télépathie de Salomé pendant presque un quart d’heure, avant que l’afflux de jeunes gens prêts à célébrer la fin de la journée ne les chasse hors du bar. Malheureusement, elle en payait désormais le prix : un léger ruisseau de sang gouttait de sa narine droite, à laquelle elle appuyait délicatement un mouchoir tout en poussant la porte de son chez elle.

« Oh, ma tête. » gémit-elle, chancelante. A ses pieds, Roy miaulait comme un idiot, visiblement décidé à lui chanter la sérénade pour l’aider à oublier sa migraine. Elle lui gratta la tête et fut récompensée par un coup de dents, merci beaucoup, c’est sympa. Il refusa également de se retirer de son chemin alors qu’elle tentait de se diriger vers la cuisine, lui qui habituellement y courait pour l’attendre prêt de sa gamelle… Ce fait fut suffisant pour l’inquiéter. Pietra se rendit soudain compte que le bord de son tapis était retourné – chose peu remarquable pour beaucoup, mais lorsqu’on est maniaque comme elle, il s’en faut de peu. Sentant son pouls s’accélérer, elle ramassa sans bruit les clés qu’elle venait de poser sur la table et les arrangea entre ses doigts de façon à se créer une arme. Si seulement elle avait pensé à se munir d’un revolver, ou même d’un fusil. Mais s’il y avait bien quelqu’un dans sa maison, l’arme aurait peut-être déjà été trouvée et retournée contre elle. La majorité des gens meurent d’une balle de leur propre arme, après tout. Cette information peu réconfortante en tête, la brune s’avança jusqu’à la cuisine et, cachée derrière la porte, alluma brusquement la lumière de la pièce afin d’éblouir l’envahisseur.

Un juron s’échappa d’une bouche qui n’était pas la sienne, et son cœur se serra. Etait-ce un cambrioleur ? Un meurtrier ? Un Hunter ? Reculant de la porte pour ne pas se retrouver coincée derrière si l’homme décidait de sortir en trombe de la cuisine, elle prit son courage à deux mains. « Qui est là ? Montrez-vous et déposez votre arme ! » La force mentale avec laquelle elle appuya son ordre manqua de dérober ses jambes de sous elle, mais elle tint bon, s’appuyant sur un dossier de chaise en attendant de voir surgir l’inconnu.

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Comme à chaque fois que quelqu’un se retrouvait face à son don, l’homme paru d’abord perplexe, puis suspicieux. Il se leva et s’avança un peu afin qu’elle puisse voir son visage, mais ne posa pas immédiatement son arme. Même sans, ceci dit, il était du genre à impressionner : son visage avait le même relief rugueux que les assassins de films, bizarrement toujours issus d’Europe de l’Est, et son regard brillait d’une lueur un peu trop intelligente pour être rassurante. Cette brillance fut détournée de ses propres yeux plissés de douleur et de tension par le bras de l’homme, qui venait de décider d’obéir à l’ordre de Pietra, du moins en partie. L’arme fut effectivement posée sur la table, mais pas lâchée – le problème du contrôle mental, comme chacun sait, c’est qu’il faut toujours être incroyablement précis et spécifique pour être sûr que l’objet ou la personne contrôlée ne désobéisse pas.  « Pietra Nelson-Byrd. Il faut qu'on parle. » Sans déconner. Le mec venait d’entrer chez elle par effraction, avec au moins une arme à la main, et c’était lui qui disait ‘il faut qu’on parle’ ? Pietra suffoquait tant qu’il lui fallut un moment avant de se rendre compte qu’il venait de l’appeler par son nom complet, qui ne figurait nulle part sur le devant de sa maison. De toute évidence, ce n’était pas un cambrioleur lambda, mais quelqu’un qui l’avait intentionnellement prise pour cible. La question demeurait : pourquoi ?

« Fait glisser ton arme jusqu’au bout de la table, et on parlera. » Elle était trop fatiguée pour réellement appuyer sa phrase d’une quelconque poussée mentale, aussi espéra-t-elle que sa première démonstration soit suffisante à impressionner l’inconnu et à le rendre plus commode. Sans desserrer ses doigts des clés qu’elle tenait toujours entre elle et lui – au cas où il s’aviserait de se jeter sur elle à l’improviste – elle attrapa une chaise et la retourna pour s’assoir dessus à cheval, appuyant son bras gauche sur le dossier. Dieu qu’elle avait besoin d’une aspirine et d’un peu de calme. Mais visiblement le destin avait autre chose de prévu pour elle, du moins pour l’instant. Ainsi assise, elle se trouvait à mi-chemin de la table, de façon à ce que, une fois l’arme glissée comme elle l’avait demandé, celle-ci se retrouverait à distance équidistante d’eux deux, diminuant fortement les chances qu’un deux ne s’en empare pour la retourner contre l’autre. L’inconnu s’en rendit visiblement compte et finit par lentement faire ce qu’elle demandait, ne la lâchant pas des yeux pour autant. Même Roy, qui s’était glissé dans la cuisine pour voir ce qu’il se passait, ne pipait mot. Et pour un siamois, se taire, c’est quelque chose.  

« Si on commençait par qui tu es et ce que tu fais chez moi ? » L’homme ne lui répondit rien, mais continua de la dévisager comme s’il cherchait à découvrir un secret sous les restes de son maquillage. « Allez, tu connais le mien, c’est le minimum de politesse tout de même. » ajouta-t-elle, tentant même un sourire. Il n’y avait que Pietra pour tenter de faire de l’humour dans une situation pareille.

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Roy miaula brièvement pour obtenir l’attention de sa maîtresse, qui se retint de lui caresser la tête ; bien que le geste l’ait réconfortée, elle ne voulait pas risquer un instant de lâcher l’intrus du regard, surtout pas quand il faisait cette tête de fossoyeur. « Je ne me souviens pas avoir dit que j'étais poli. » Pietra eut un léger rire, qui n’atteint pas pour autant ses yeux. « Oui ça j’ai cru le comprendre quand tu es rentré chez moi par effraction. » Visiblement l’homme devant elle était un ours ayant pour mutation la capacité de se transformer en humain. Il ne mâcha pas ses mots et ajouta presque instantanément : « J'irais droit au but. Tu es mutante. Et quelqu'un veut ta mort. Je suis là pour toi. »

Pietra le dévisagea longuement, abasourdie. Pardon ? Comment cet homme qu’elle n’avait jamais vu de sa vie connaissait-il sa mutation, elle qui avait échappé au dépistage ? Et surtout, qui d’autre était-il au courant et hostile au point de vouloir se débarrasser d’elle ? Un Hunter, qui d’autre ; seulement, elle n’en connaissait aucun qui soit à sa poursuite, enfin à sa connaissance. Elle déglutit et fini par prendre la parole. « Une petite précision : tu es là pour moi, c’est-à-dire pour me tuer ou pour m’aider ? Parce que la phrase est assez vague… » Aucune réponse. Elle attendit encore quelques instants, cherchant un quelconque signe sur le visage de l’inconnu, qui avait l’air de moins en moins à l’aise. Comme il ne s’était toujours pas jeté sur elle, elle se décida enfin à prendre le risque et de lui faire confiance – du moins pour l’instant.

« Bon, je suis encore vivante, donc j’en conclus que tu es soit particulièrement sadique, soit tu ne comptes pas m’abattre. Je vais me faire un thé et prendre une aspirine. Si tu tentes quoi que ce soit, je te demanderais de verser la bouilloire pleine sur ta tête. » lui annonça-t-elle avec un sourire digne d’Hannibal Lecter. Puis, lentement, elle se leva de sa chaise et se dirigea vers la bouilloire, qui se mit rapidement à siffler. En attendant que l’eau bout, elle sortit une aspirine du tiroir à pharmacie, et mit un sachet de thé dans une tasse ; habituellement, elle aurait pris une camomille, mais la présence de l’homme dans sa cuisine ne la motivait aucunement à s’endormir. La brune n’offrit aucun rafraîchissement à son invité surprise, mais alla se rassoir sur sa chaise dans la même position qu’avant ; cette fois, cependant, elle laissa ses clés sur le comptoir, ne pouvant tenir trop de choses à la fois. De toute façon, si l’autre tentait une attaque surprise, il allait se prendre une douche de thé brûlant.

« Commence par le début : t’es entré chez moi, sans prévenir, apparemment pour me tuer… » Elle désigna d’un geste de la tête l’arme sur la table « …. Je t’ai jamais vu de ma vie, donc quelqu’un d’autre a dû t’envoyer ? T’es un chasseur de primes, c’est ça ? Je pensais que vous existiez que dans les films. »  Pour l’instant, c’était surtout elle qui remplissait cette conversation, mais après son flot de questions, l’autre avait tout de même intérêt à lui donner un minimum d’informations. S’il se révélait être le genre de mec qui aimait jouer les mystérieux, elle serait probablement tentée de lui fracasser sa tasse sur le crâne. Tout en réfléchissant à ce scénario potentiel, Pietra continua à siroter son thé, priant pour que l’aspirine prenne rapidement son effet.

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« En effet, je suis à la base venu vous chercher. Croyez-le ou non il y a un contrat de 3 000$ sur votre tête. D'ailleurs un conseil. Quand vous vous absentez, veillez à bien fermer vos fenêtres. » De nouveau, Pietra laissa s’échappa un rire sarcastique. « Merci du conseil, mais c’était pas la peine de me faire une démonstration – un simple message aurait suffi. » Sous son comportement stoïque, Pietra tentait de cacher la peur qui la saisissait : quelqu’un voulait sa mort au moins d’engager un tueur à gages, et elle ne savait aucunement pourquoi. S’il s’agissait de Hunters, ils seraient venus eux-mêmes. Mais mis à part sa mutation, elle n’avait jamais rien fait qui aurait pu justifier un tel traitement ; alors, qui ?

« Je n'ai plus l'intention de vous tuer Pietra Nelson-Byrd. Mais si je ne le fais pas, quelqu'un d'autre viendra le faire. » « C’est rassurant, merci. » lâcha-t-elle, avant de finir sa tasse de thé. Note à soi-même : s’équiper d’un bon système de sécurité, et potentiellement d’un chien de garde ; Roy était peut-être insupportable avec les invités, mais ça n’offrait pas exactement une grande protection… L’aspirine commençait doucement à prendre effet, mais la tension dans son crâne et ses épaules n’était pas prête de la lâcher – du moins, pas avant qu’elle ait réglée cette affaire. Elle pensa un instant à poser la tasse vide, mais se ravisa : sans clés, le revolver aussi près d’elle que de l’autre, la tasse demeurait sa seule arme. Non pas qu’elle soit très motivée à l’idée de lui fracasser sa tasse préférée sur le crâne, mais s’il se décidait à bondir, elle n’aurait pas le temps d’utiliser son don, à moins de le désorienter en premier lieu.

Tandis qu’elle continuait de le surveiller, l’homme avait repris la parole, ayant visiblement eu une idée. « Sauf si... Sauf si je m'arrange pour que mon employeur disparaisse... » Pietra ne comprit pas tout de suite ce qu’il insinuait. Puis, la façon dont l’homme la dévisageait commença à l’inquiéter : visiblement il attendait une réponse, mais quoi ? … Non. Il ne pouvait quand même pas penser qu’elle allait tranquillement lui tendre quelques milliers de dollars pour qu’il aille tuer ce prétendu employeur dont elle ne connaissait ni l’identité ni la motivation ! Soit il la prenait pour une imbécile de première, soit il croyait s’être retrouvé entre deux tueurs de sang-froid qui n’hésiteraient pas une seconde à se renvoyer la balle. Subitement, Pietra se souvint de l’expression horrifiée du Hunter alors que son arme s’approchait de sa tempe ; bon, peut-être qu’elle n’était pas une petite ingénue, mais tout de même, entre un acte d’auto-défense et un acte prémédité, il y a un monde de différences.

« Tu penses sérieusement que je vais jeter 3000$ comme ça dès qu’un inconnu rentre chez moi et m’annonce qu’on veut ma mort ? Non, avant que je prenne une quelconque décision je vais avoir besoin de réponses. » Résumons les faits : Pietra était rentrée chez elle, seule et vulnérable, pour trouver un homme dont elle n’avait encore jamais vu le visage attablé dans sa cuisine, l’attendant l’arme au poing. Une fois désarmé, il lui avait annoncé qu’une autre personne l’avait payé pour la tuer, mais qu’il avait magiquement changé d’opinion et lui proposait maintenant de se retourner contre son employeur. Elle n’était peut-être pas un maître stratège, mais il y avait beaucoup de points à éclaircir dans son histoire avant qu’elle ne soit convaincue. « Donc on recommence : qui es-tu et pourquoi est-ce que je pourrais avoir confiance en toi, après ton intrusion dans mon domicile, armé d’au moins un flingue ? »

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Evidemment, l’inconnu refusa encore de coopérer. « Qui je suis n'est pas important. » Peut-être pas pour lui, mais pour elle, une seule preuve de bonne volonté, aussi petite soit-elle, était nécessaire à ce qu’elle lui fasse confiance. « Si vous pouvez avoir confiance en moi? Evidemment que non. » Bon. Au moins il était honnête ? Ou franc, plutôt. Pietra se retint de faire un énième commentaire acerbe, et laissa l’homme continuer. « Mais il va bien falloir. Comme je te l'ai dit, je suis sensé revenir avec ta tête. » Sa tête ? Pourquoi pas son cœur, plutôt ? C’était bien plus dans le thème du vilain chasseur envoyé par la reine maléfique, mais qui se retrouvait soudainement transi par l’innocence de sa victime… Ceci dit, Pietra ne ferait pas une très bonne Blanche-Neige, donc c’était peut-être mieux comme ça. « Donc si je reviens sans, quelqu'un d'autre viendra la chercher. Je sais que c'est pas facile à gober. Alors on va faire un truc. » On ? Qui ça, on ? Pietra n’était pas sûre d’être ravie de se retrouver soudainement en équipe avec un tueur à gages, aussi franc soit-il.

L’autre ne lui laissa pas le temps de rétorquer quoi que ce soit, et plongea une main dans sa poche. La mutante se raidit, prête à l’immobiliser d’un ordre, mais il ne fit que sortir un portable, qu’il posa sur la table de la cuisine. « Pas un seul son, OK? » Il en avait des bonnes lui. Il pensait qu’elle allait se mettre à faire la cuisine dans le fond pendant qu’il passait son appel, peut-être ? Le bruit de l’appel emplit la pièce silencieuse, jusqu’à ce qu’une voix grave ne décroche. « Allô? » « La femme est morte. » « Beau boulot. On vient chercher le corps. » Pietra jeta un coup d’œil accusateur en direction de l’homme. Merci, mon héros ! Sans lui, jamais les méchants ne se seraient mis en route chez elle aussi rapidement… L’autre eu au moins la politesse de paraître mécontent de ce revirement, même s’il semblait ne pas en changer son ‘plan’ pour autant. « Maintenant on à 5 minutes. Ou moins. On a tout notre temps pour discuter. » « Vu comme t’es bavard, elles vont passer vite, ces cinq minutes. » lâcha-t-elle d’un ton sarcastique. Elle ne pouvait s’en empêcher, cet homme la rendait folle, avec son grand jeu de taciturne torturé. Si au moins il consentait à lui donner un nom, même un faux, elle serait un tant soit peu disposée à l'écouter. « Mais je ne vais pas te poser un tas de questions comme t'as l'aire d'aimer ça. Moi je ne veux qu'une réponse: Pourquoi ils te cherchent? »

Pietra lui rit au nez. « T’es marrant toi. Tu penses que j’vais te raconter ma vie après que tu refuses même de me donner un nom ? » Elle aurait dû paniquer, elle le savait. Plusieurs hommes se dirigeaient en cet instant chez elle, ce lieu qu’elle avait cru sauf, et ils s’attendaient à récupérer son cadavre encore saignant. Si Gee’ avait été là, elle serait déjà en pleurs. Mais Pietra avait toujours été de celles qui, dans les moments critiques, devenaient dangereusement calmes. Déjà, elle réfléchissait à sa meilleure option. Si cet homme était réellement de son côté, elle pouvait compter sur lui pour s’occuper d’au moins un des assaillants ; quant à elle, elle savait très bien qu’elle pouvait en retourner un autre contre ses propres camarades, et causer un minimum de confusion. Ou peut-être la meilleure solution était-elle de les « aider » à s’évanouir ?

« De toute façon, je n’ai aucune idée de qui ces gens sont, ni pourquoi ils me veulent morte. Je n’ai jamais entendue la voix de ce mec de ma vie. » C’était peut-être le plus frustrant dans cette histoire. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait, et l’autre se comportait comme si elle avait une liste d’ennemis potentiels qu’elle mettait à jour régulièrement. Probablement parce que, à le voir, il devait en avoir une lui-même. « Si c’était des Hunters, ils ne t’auraient pas envoyé à leur place, alors tu imagines que je sèche un peu… » Après leur première altercation, ce n’était plus vraiment la peine de prétendre qu’elle était une humaine ordinaire. Elle se rendit soudainement compte que sa migraine était partie. Enfin, une petite victoire dans sa journée. Si elle avait dû affronter ces hommes avec en plus des nausées et des saignements du nez, elle savait très bien qu’elle ne s’en serait probablement pas tirée – ou pas sans dommages. Maintenant, au moins, elle avait l’avantage de son côté.

D’ailleurs, il était peut-être temps de rappeler à son visiteur ce dont elle était capable.  Pietra planta son regard droit dans cet espèce d’orage qui servait d’yeux à l’homme, et articula, clairement : « Je te ferais remarquer que pour l’instant, je t’ai laissé le choix en te posant mes questions. Mais si tu ne me donnes pas au moins un prénom, je risque de me montrer plus… insistante. » Sourire froid. Ce n’était peut-être pas le moment de se disputer avec l’homme qui prétendument venait de lui sauver la vie, mais Pietra ne comptait pas bouger.

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E
« Roy. » Pardon ? Évidemment, le siamois débarqua au taquet, s’attendant sûrement à être félicité parce qu’il connaissait son nom. « Non, c'est pas mon nom. C'est bien celui de ton chat. » Il avait l’air fier de lui en plus, ce crétin. Il voulait qu’elle le traite comme son chat, c’était ça ? Il s’attendait visiblement à une réaction de sa part, mais à vrai dire Pietra ne comprenait pas laquelle. Il croyait peut-être l’impressionner à savoir « magiquement » que son chat s’appelait Roy ? Le nom de la bête était marqué sur son collier, il ne fallait pas être devin pour le trouver. Enfin, elle doutait que Roy ait laissé l’envahisseur s’approcher suffisamment pour qu’il puisse le lire. Avant qu’elle ne dise quoi que ce soit, l’autre continua. « Et oui ma belle, je suis comme toi. » « Ne m’ap… Aïe ! » Pietra failli exploser. Il l’avait giflée, giflée. En un instant elle était debout, prête à lui suggérer gentiment d’arrêter de respirer, mais il lui plaqua la main sur sa bouche. Furieusement, elle s’apprêta à lui mettre ses ongles dans les yeux, avant qu’elle ne sente un poignard contre sa gorge. Elle s’immobilisa. « Je t'ai dit que je n'allais pas te tuer. » Oui visiblement il comptait simplement la baffer et lui mettre une lame au cou. Super. Pietra aurait tellement avoir un don de souffrance en cet instant. Dès qu’elle aurait le loisir de même murmurer, il allait payer. « Mais juste une chose, par pitié ferme-la. De un parce que je ne supporte pas qu'on me donne des ordres. De deux parce que je n'ai aucune envie de connaitre ton avis sur le fait que je sois mutant. » Son avis ? Son avis était surtout qu’il était le mutant le plus désagréable qu’elle ait jamais croisé, et elle en avait connu pas mal. « De trois, parce qu'ils sont juste derrière la porte alors planque-toi dans la cuisine. » Ça fait trois choses, imbécile. Pietra était tellement en colère qu’elle n’eut pas le temps d’avoir peur. L’autre disparut et la laissa récupérer dans la cuisine, tandis qu’il discutait à demi-mots avec ces nouveaux arrivants.

Quelle ordure. Il pensait réellement qu’elle allait attendre sagement dans sa cuisine, alors qu’il faisait Dieu sait quoi avec ces hommes ? Hors de question. Pietra réfléchit un instant, et un sourire se décida lentement sur ses lèvres. Il détestait les ordres, le pauvre ? Il était tombé sur la mauvaise mutante, alors. Armée du revolver, Pietra passa dans la pièce d’à côté juste à temps pour voir son prétendu allié se jeter sur un homme, tandis que son compagnon glissait à terre, un poignard dans la gorge. Les deux autres étaient au sol, engagés dans une espèce de match de catch assez destructeur. Ils allaient tout casser, ces cons, si elle n’intervenait pas. La brune attendit le moment propice pour les approcher, alors qu’ils étaient trop occupés à s’entre-tuer pour s’apercevoir de sa présence. « STOP LES DEUX. » Elle les avait attrapés par les cheveux, comme deux gamins qui se battaient dans la cour de récré. Leurs regards eurent tout juste le temps de se fixer sur elle avant que son pouvoir ne prenne effet – la joie d’une augmentation tactile. Tu ne t’attendais pas à ça, hein, enculé ? « Vous arrêtez de bouger jusqu’à nouvel ordre. » Immobilisés par ses mots, elle les rejeta tous les deux sur son tapis tâché de sang. Putain de merde, elle l’aimait ce tapis. Elle avait bien envie de forcer ‘Roy’ à le nettoyer avant qu’il ne se casse, tiens. « Toi » dit-elle en le pointant du doigt. « Tu peux bouger. » Il se leva, aussi mécontent qu’elle. Tant mieux. « J’ai des Tyraps dans le tiroir à droite de la télé, si tu veux l’attacher. » Ce disant elle tira une chaise, et fit assoir l’assaillant visiblement paniqué de voir que ses membres ne lui répondaient plus. Il avait une sale gueule, et ce n’était pas seulement parce que l’autre l’avait salement amoché.

Tandis que le balafré attachait le survivant, Pietra se tourna vers l’homme agonisant sur son tapis. Ses geignements mouillés l’irritaient au plus haut point. « Dépêche-toi de mourir, s’il-te-plait. » dit-elle, indifférente. L’autre s’exécuta presque aussitôt, mais à vrai dire avec sa blessure il n’avait pas vraiment besoin d’être ‘aidé’ à terminer le processus. C’était surtout pour donner une idée de l’étendue de son pouvoir à leur otage. A l’intérieur de son crâne, cependant,  la douleur sourde de sa migraine reprenait. Elle n’en montra rien, mais vint se placer devant ledit otage, non sans jeter un regard à son allié, histoire de lui rappeler qu’elle ne lui avait toujours pas pardonné sa claque. « Qui est ton employeur ? »

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Apparemment, la méthode de Pietra était trop douce pour son allié, qui décida de lui faire une démonstration. « Moi j'aurais fait... Comme ÇA! » Son pied s’écrasa avec un bruit écœurant dans le visage du corps, et transporta brièvement la mutante au dernier incident où elle avait vu le visage d’un homme exploser. Le crâne avait craqué sous la pression du coup de pied, et un liquide visqueux se mêlait au sang qui coagulait déjà sur son tapis. Devant le regard que lui jeta Pietra, l’autre ne répondit rien d’autre que : « Le sang ça part bien à l'eau froide. J'y connais quelque chose. » Si le sourcil de la brune avait plus se hausser davantage, il aurait sauté de son front pour aller fonder une famille au Nebraska, avant de retourner à Radcliff avec ses enfants et se hausser tous ensembles devant ‘Roy’. Le sang c’était une chose, mais retirer des bouts d’os et de cervelle de son tapis, c’en était largement une autre. Il comptait tapisser son salon de preuves ADN de son meurtre, ou quoi ? Et ça s’appelait un professionnel… Cependant elle ne dit rien : il était visiblement en train de s’amuser, et vu son penchant pour la violence elle n’avait aucune envie de devenir l’objet de son attention, du moins pas avant qu’elle ait décidé ce qu’elle comptait faire de lui.

« Alors mon cher, la dame t'as posée une question? » « Je n… » Avant qu’il ne puisse compléter même un deuxième mot, l’autre perdit patience et lui colla une droite. Il avait visiblement un énorme problème à l’idée que quelqu’un d’autre que lui ne réponde pas aux interrogatoires. Un traumatisme d’enfance peut-être ? Ça devait être ça, peut-être qu’il avait toujours été choisi pour les interrogations surprises de la maîtresse, et maintenant il tentait de renverser les rôles. Tandis que Pietra exerçait sa qualité de psychologue digne de Wikipedia, l’autre continuait.  « JE N...? T'allais dire quoi là? Je connais pas de prénoms qui commencent par ‘je n’! Réfléchis bien avant de parler mon coco. » Mon coco. C’était assez déconcertant d’entendre ce psychopathe utiliser des expressions de vieilles femmes, tout de même. La victime jeta un regard désespéré en direction de Pietra, qui haussa les épaules, faussement désolée. Avec un tel comportement, ils n’avaient même pas besoin de jouer les rôles du gentil et du méchant flic, c’était naturel. L’inconnu passa à la vitesse supérieure lorsqu’il détacha le blessé, et Pietra leva l’arme par réflexe, ce dont le premier s’aperçut évidemment. « Rend moi mon flingue. » « Pourquoi? T’as pas l’air d’en avoir besoin. » Avant qu’elle ne puisse réagir, il posait ses mains sur les siennes et la forçait à appuyer sur la détente.

Click. Rien. « Il est pas chargé ma jolie! Je déteste abattre quelqu'un avec une arme à feu, c'est pas drôle. En fait ça, c'est pour ÇA! » expliqua-t-il, balançant un autre coup sur la tête de l’homme qui, malgré avoir été détaché, demeurait paralysé par l’ordre de Pietra. Non pas que l’autre semble s’en être rendu compte. « Ça fait bobo? On veut le nom du boss. Ou bien je peux t'arracher les yeux sans anesthésie. T'en mourras pas. Et ça marche très bien avec les petites cuillères... Bien sûr je pourrais rajouter de l'acide et du sel dessus... » Il divaguait. Pietra se décida à intervenir, lassée par le flot de menaces qu’elle devinait pourtant réelles. Lassée. Si on lui avait qu’un jour elle serait ennuyée par la présence d’un psychopathe dans son salon alors qu’il tentait de soutirer des informations à un homme venue la tuer…

La brune avait espéré que l’autre soit suffisamment doué dans l’interrogation pour qu’elle n’ait pas à utiliser son pouvoir, mais plus elle le regardait et plus elle avait l’impression qu’il tuerait leur otage avant qu’il ne leur soit d’une quelconque utilité. Déjà qu’avec deux coups sur la tête il avait peut-être une commotion cérébrale, il était temps d’intervenir. Elle le poussa donc sur le côté, fermement mais sans violence. « C’est pas que je n’apprécie pas tes méthodes – en fait si, c’est largement ça – mais pour l’instant ce monsieur a deux coups sur la tête et nous aucune réponse. Donc à mon tour de jouer. » Ce disant, elle s’accroupit devant le survivant, qui la dévisagea avec un mélange de haine et d’inquiétude. Sourire peu rassurant. Posant ses mains sur ses bras nus et bleuis, elle prit la parole. « Dis-moi le nom de ton employeur. » Il déglutit, tenta de résister quelques secondes, en vain. « Je ne connais pas son nom », admit-il, non sans jeter un regard terrifié en direction de l’homme derrière elle. Ce dernier fit un pas en avant, avant que les confessions ne reprennent, rapidement cette fois-ci. « Tout ce que je sais, c’est qu’il travaille pour le gouvernement, et qu’il nous envoie souvent s’occuper de potentiels mutants qui auraient glissé entre les mailles du filet. » « Le filet ? » La voix de Pietra s’était alourdie, et ses yeux brillaient étrangement. « Le dépistage. »  

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L’homme derrière elle fit un bruit qui laissa entendre son peu de surprise. La majorité des mutants soupçonnaient depuis longtemps que le dépistage n’était qu’une façade pour un recensement mal intentionné, et les aveux de leur otage en était la preuve. Même s’il s’agissait d’individus et non pas d’une action concertée, quelqu’un se servait évidemment du processus pour fournir des cibles aux Hunters. Malgré l’odeur étrange du sang et des restes humains qui commençait à imprégner son salon, ce fut cette révélation qui donna à Pietra la nausée. Sa main se plaça instinctivement sur sa bouche, de peur de se retrouver à vomir en plein interrogatoire. Heureusement, avant qu’elle n’ait eu besoin de dire quoi que ce soit, l’autre avait déjà repris ses questions. Sauf que cette fois-ci, ses questions s’adressaient à elle, et non à l’homme assis devant eux.

« Explique-moi comment tu as fait pour y échapper. » lui demanda-t-il, avant de se corriger. « Si tu y a échappé, comment se fait-il qu'ils te connaissent? » La brune ne répondit rien, encore trop choquée pour oser ouvrir la bouche. A l’intérieur de sa tête, la migraine grandissait, s’accaparant la nausée comme un symptôme supplémentaire. Si elle continuait à utiliser son pouvoir, elle risquait l’évanouissement. Silencieusement, Pietra se releva et disparut dans la cuisine pour ressortir avec une chaise, qu’elle posa à quelques pas des deux hommes avant de s’y assoir péniblement. Pendant qu’elle était partie, l’interrogatoire avait continué. « Je suis chasseur de prime moi aussi. Je sais comment ça se passe. Tu as toujours le dossier de la personne pour en apprendre plus sur elle avant d'aller la chasser. A quoi ressemblait le dossier de cette fille? Pourquoi la cherchiez-vous?! Et surtout, pourquoi m'employer moi pour faire le travail? » Pietra leva le regard vers l’inconnu, surprise. C’était les premières phrases logiques qu’elle l’avait entendu sortir pour l’instant ; peut-être qu’il n’était pas totalement inutile après tout.

L’homme assis sur la chaise jeta un regard à Pietra, dont le teint grisait rapidement ; il se serait peut-être tu si la présence menaçante de son compagnon et le souvenir encore lancinant de ses derniers coups n’avaient pas servi de rappel. Il déglutit difficilement, et commença : « Elle faisait partie d’un groupe de personnes à surveiller, même s’ils avaient été marqués comme ‘négatifs’ au dépistage. Au début, elle ne nous intéressait pas vraiment, enfin, pas jusqu’à ce qu’il y a quelques mois… » Pietra leva le regard, l’estomac plein plomb. Elle s’y attendait presque, mais la phrase suivante lui fit quand même perdre raison. « Une autre femme, dans un autre centre, qui avait eu les mêmes résultats qu’elle, ne se joigne à un groupe de mutants rebelles. » « Gee’ ?! » Le cri explosa des lèvres de Pietra, et en un instant elle était debout, attrapant l’otage par le col de sa chemise bien abimée. « Est-ce qu’elle est encore vivante ? Hein ? Enculé, si vous avez touché à un cheveu de sa tête, même ce que l’autre peut te faire subir ne sera rien comparé à la façon dont je te ferais mourir… » Les yeux en feu, les doigts plantés comme des griffes dans la chair de l’homme, les lèvres retroussées comme un loup prêt à mordre, elle tenait plus du monstre que de l’humaine en cette instant. Il fallut qu'une nouvelle vague de douleur ne la déstabilise pour qu'elle le relâche, après quoi elle retomba lourdement sur sa chaise, la tête entre les mains. « Gee’, qu’est-ce que tu as fait… » murmura-t-elle. Elle sentit sur elle le regard de l’homme debout, lourd d’interrogations. Avec un effort, elle releva la tête. « Gee’ est ma jumelle, elle… Elle a l’autre moitié de mon don. Séparées, il est semi-dormant, presque indétectable, enfin… » elle eut un sourire mi-gêné. « … à moins qu’on ne l’exerce.»