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Comme lieu de rendez-vous, le club de tir n’est peut-être pas le choix le plus évident ; mais lorsqu’on sort avec un vétéran des forces spéciales, mieux vaut profiter de l’entraînement gratuit qu’il peut vous offrir, n’est-ce pas ? C’était du moins la logique d’Ellie lorsqu’elle avait appelé Dawson hier matin pour lui annoncer qu’elle avait réservées deux heures au stand de tir pour eux, afin qu’il lui apprenne à se servir convenablement d’une arme. Dawson n’était pas certain d’où venait son soudain intérêt pour les armes à feu – la dernière fois qu’ils étaient sortis ensemble, elle avait été plus pacifiste qu’autre chose – mais il avait la désagréable impression que cela avait un rapport avec les récents évènements ayant chamboulé Radcliff. Cependant, il était bien trop heureux d’avoir une occasion de revoir Eleanor pour trop l’interroger et, à l’heure dite, il se trouvait dans le parking du centre, cherchant une place où se garer. Evidemment, un connard avait choisi de prendre la place des handicapés. Merci beaucoup. Se promettant intérieurement de rayer le côté de la voiture du voleur au moment de sa sortie, Dawson vit soudain une figure familière qui agitait les bras sur une place de parking vide, et sourit. Ellie lui avait gardé une place. Il baissa sa vitre et agita une main dans sa direction, pour lui confirmer qu’il l’avait bien vue, avant de virer vers la droite et venir se garer sur la place choisie.

« Salut toi. » lui dit-il avec un sourire, lorsqu’il eut coupé le moteur. « Donne-moi deux secondes pour ajuster ma jambe et je suis à toi. »  Evidemment, c’était aujourd’hui qu’il avait décidé de mettre son jean le plus serré, simplement parce qu’il se souvenait qu’Ellie l’aimait beaucoup. Bravo Dawson, tu es d’un pratique… Après une trentaine de secondes de gesticulation pour le moins étrange, il sortit enfin de la voiture, et s’approcha de la jeune femme. Il n’était pas vraiment sur de la meilleure manière de la saluer : d’un côté, cela faisait si peu de temps qu’ils s’étaient retrouvés, et il ne voulait pas la brusquer ; de l’autre, il lui était difficile de ne pas reprendre leur relation là où ils s’étaient arrêtés la dernière fois, et tout simplement la prendre dans ses bras dès que l’envie le frappait. Après un instant d’hésitation il se pencha pour l’embrasser sur la commissure des lèvres, et s’écarta, rougissant.

« Alors comme ça tu veux devenir la nouvelle Calamity Jane ? » plaisanta-t-il alors qu’il sortait son sac du coffre, et le jeta négligemment sur son épaule. « Je te préviens, si je te retrouve à utiliser ce que je vais te montrer pour braquer une banque, j’irais chercher l’étoile de shérif dans mon paquet de céréales. » N’importe quoi, Dawson. Si Ellie voulait se reconvertir en Bonnie du 21e siècle, il était presque certain que l’homme se retrouve du jour au lendemain à la suivre en gentil Clyde obéissant. Enfin, mieux valait ne pas lui donner d’idées. La voiture verrouillée, le duo se dirigea vers l’entrée du centre, marchant l’un à côté de l’autre comme deux gamins qui n’osent pas se prendre la main.
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« N’importe quoi. Tu m’aiderais probablement à m’enfuir de l’état plus que tout autre chose. » lui répondit la brune du tac au tac. Merde, cramé. Viktor eut un sourire légèrement coupable : il ne pouvait rien nier, elle le connaissait trop bien. Dans tous les cas, elle était déjà envolée dans son petit scénario. « On irait se planquer dans un motel miteux et on détruirait toutes nos cartes de crédit. » L’image le fit rire : Ellie et lui claquant les portes de leur décapotable (sa voiture avec son logo ‘handicapé’ n’avait pas vraiment l’allure requise), s’enfermant dans une chambre aux murs d’une couleur indescriptible, faisant des rêves de grandeur alors qu’ils découpaient toutes leurs pièces d’identité ; il n’y avait pas à dire, c’était étrangement romantique. A cet instant leurs mains se frôlèrent, et le sursaut le tira de sa rêverie. Il jeta un sourire embarrassé à Ellie, qui le lui rendit ; visiblement, ils étaient tous les deux aussi empotés l’un que l’autre pour l’instant. Main brûlante, mais n’osant prendre la sienne, Dawson retourna a ses pensées.

Beau gosse. Elle l’avait appelé beau gosse, et la note taquine dans sa voix n’était pas suffisante pour faire descendre Dawson de son petit nuage. Même l’appellation la plus banale prenait un sens nouveau dans la bouche d’Ellie, comme si ces mots avaient été faits pour elle seule. A ses côtés, Dawson avait l’impression d’être passé du chien de garde au petit chiot obéissant et le pire, c’était qu’il adorait ça. Il lui tint la porte et la laissa choisir le stand tandis qu’il les inscrivait avec la réceptionniste. Ses permis vérifiés, il la rejoint et ouvrit son sac, révélant plusieurs armes. Plus précisément, il contenait deux fusils, trois Brownings, un Glock et un Smith & Wesson. Le dernier de ces revolvers il l’avait acheté pour sa mère, durant un de ses brèves périodes de paranoïa – un site Internet l’ayant convaincue que ce genre d’armes était plus adapté aux femmes, elle avait envoyé son fils en acquérir un. Dawson doutait personnellement de cette théorie, mais si Ellie le souhaitait, au moins l’option était là. Lui-même ramassa son Browning préféré, et le chargea en attendant qu’elle fasse son choix.

« Alors, monsieur, vous êtes prêt pour mon cours privé ? » Le ton de sa voix le fit frissonner, et son regard soutenu n’aidait en rien. Trop mauvais acteur pour le cacher, il se contenta de lui répondre, l’air parfaitement sérieux : « Mais bien sûr mademoiselle – avez-vous choisie votre arme ? » Sa propre voix était partie dans un faux accent britannique digne d’Alfred, la majordome de Batman. Il avait même pris sa pose, un bras derrière lui, l’autre ajustant un monocle imaginaire. Si avec ça elle ne le trouvait pas sexy… Il jeta un coup d’œil charmeur à la demoiselle accoudée devant lui, qui ne le lâchait pas du regard. « Montrez-moi ce que vous avez. » « Avec plaisir. » Le brun se plaça devant la cible, l’arme entre ses mains et tira quatre balles. La chaleur qui parcourait ses bras contrastait avec la froide tranquillité de son expression, le masque du soldat surentraîné qu’il était et demeurerait toujours, d’une certaine façon.

Les quatre coups firent mouche, allant se planter dans le cercle intérieur de la cible. Dawson baissa son arme et fit un sourire en direction d’Ellie, cette fois-ci totalement sûr de lui. « A ton tour. » dit-il, la poussant d’une main dans le dos devant la cible. « Si tu touches le cercle intérieur deux fois sur six, je te dois une bière. » lui chuchota-t-il, et son souffle fit danser une mèche de cheveux à côté de l’oreille de la jeune femme. D’autres professeurs lui aurait peut-être demandé d’imaginer quelqu’un qu’elle détestait, mais associer la haine et le tir semblait pour Dawson une façon bien dangereuse d’enseigner. Sans compter qu’une bière gagnée lui donnait l’excuse parfaite de la garder près de lui un peu plus longtemps encore.
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Il y a encore quatre ans, Viktor n’aurait jamais pensé à utiliser une arme devant Ellie. D’abord, parce qu’à l’époque il était incapable de même charger un pistolet tant ses mains tremblaient, et tant le contact froid et lourd de menace de l’arme lui rappelait son séjour en Iraq. Mais surtout parce qu’il n’avait jamais eu le temps de la connaitre, et de se laisser connaitre, ou du moins suffisamment pour qu’elle sache instinctivement que son amas d’armes ne provenait pas tant d’une obsession de sa part pour ces machines à tuer, mais d’un mélange de valeur sentimentale et de coïncidences que lui seul était capable d’accumuler. Le Viktor qu’Ellie avait connu, celui qui s’enfermait pendant des jours dans sa demeure parentale avant de réapparaître tout aussi subitement, parfois souriant, les bras chargés de cadeaux, d’autres fois pour exploser sans explications, ce n’était pas vraiment le genre d’homme à qui on confierait une arme. Alors la voir aujourd’hui à ses côtés, souriante après avoir entrevu son côté le plus dangereux, c’était. C’était la preuve qu’ils avaient une chance de repartir à zéro, sans que le passé ne rejaillisse sous leurs pieds hésitants.

« Oh là là, c’est parti. » marmonna-t-elle, soudain nerveuse. Dawson ne put s’empêcher de sourire, attendri. Les premières tentatives sont rarement impressionnantes, mais il trouvait l’idée d’Ellie ayant le trac absolument adorable. Il fit bien de se retirer sagement un peu plus loin alors qu’elle tira ses coups, où le recul l’aurait fait basculer contre son torse. Enfin, l’idée n’était pas déplaisante, mais mieux valait ne pas trop la déconcentrer… pour l’instant. Pendant qu’elle tirait, le brun observa la figure de la jeune femme – pour des raisons strictement professionnelles, je vous assure – et de ce fait prit un peu plus longtemps qu’elle à voir qu’une seule balle avait fait mouche. « Ha-ha, je suis lamentable. On dirait que tu vas ne me devoir qu’une demi-bière » Son air piteux ne fit malheureusement qu’agrandir le sourire de Dawson. Il s’approcha pour la désarmer, et se pencha pour l’embrasser rapidement, sur les lèvres cette fois-ci, pas de demi-mesures de chochotte. Pour toute réaction, elle s’exclama facétieusement « C’est ta faute ! Tu m’empêches de me concentrer », non sans lui donner un petit coup sur le bras. Dawson prit un air outré. « Moi, déconcentrer mon élève ? N’importe quoi, je suis un professionnel, moi, madame, jamais je n’utiliserais de méthodes incorrectes ! » Grand sourire. Le malheureux qui avait un jour dit à Dawson qu’il était drôle devait beaucoup d’explications à ses proches.

« Tiens, on va réessayer » dit-il, finissant de recharger l’arme. « Mais cette fois, tiens toi droite… » il l’aida à se positionner, une main sur le bas du dos, l’autre sur son épaule, « … ne penche pas ta tête… » ajouta-t-il, une main sous son menton pour la forcer à relever la tête, « … et essaye de ressentir l’arme comme une extension de ton bras, plutôt qu’un ajout encombrant. » Sa main passa du menton d’Ellie à sa main droite, dans laquelle il replaça l’arme, sans la lâcher du regard. Il avait gardé une expression sérieuse tout du long, mais lorsqu’il fit un pas en arrière, ses muscles se relâchèrent pour laisser transparaître son sourire espiègle. « Deviens l’arme, Eleanor,  soit l’arme, ne fait qu’un avec elle. » Il fallait vraiment qu’il arrête de faire semblant d’être dans un film d’action, ne serait-ce qu’une minute. Devant l’air peu impressionné de la brune, il se ressaisit quelque peu. « Plus sérieusement El’, je sais que c’est bizarre, mais ça marche. » Tu lui fais confiance, n’est-ce pas ?
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Le rire d’Ellie se répandit dans l’atmosphère chargée de la sale, cristallin et simple. Dawson sourit comme un imbécile, trop heureux d’avoir réussi à tirer ce son de ses si jolies lèvres. « Si vous le dites, Jason Bourne. » lui répondit-elle avec espièglerie, avant de se retourner vers la cible. Le dos droit, le menton levé avec une sorte de détermination effrontée, elle avait l’air d’une héroïne de film, prête à s’engager dans un stand-off dramatique, quitte à y laisser sa vie. A cette idée, Dawson frissonna. Il ne savait toujours pas d’où venait son soudain intérêt pour les armes, et il doutait sincèrement qu’elle ait choisie cette activité simplement pour passer du temps avec lui, ou feindre une passion partagée. Ce n’était pas le genre de la jeune femme, du moins celle qu’il avait connue. Il se pouvait très bien qu’elle ait changé, en ces quatre ans de séparation, et plus il la regardait plus il lui semblait effectivement qu’elle n’était plus entièrement l’Ellie d’avant. Ce qui était tout à fait normal, après tout – entre dix-neuf et vingt-trois ans il y avait énormément de gains en maturité, si tout se passait bien. Mais ce qui retenait l’attention de Dawson, c’était l’espèce de durcissement qui transparaissait dans sa posture, comme une coquille qui s’est cassée et, même réparée, perd de sa flexibilité. C’était le même changement qu’il avait si souvent vu s’opérer sur les nouvelles recrues de son unité, après leur premier combat, et la ressemblance était trop frappante pour qu’il l’ignore.

«  OH MON DIEU, REGARDE ÇA. » L’exclamation le tira de ses réflexions, et il jeta un coup d’œil à la cible, juste le temps de voir qu’elle avait atteint le centre trois fois sur six. L’instant d’après Ellie se jetait dans ses bras, le pistolet jeté plus loin, et l’embrassait à pleine bouche. Pris par surprise, il la rattrapa en plein vol et s’accula contre le mur pour ne pas qu’ils trébuchent tous deux, l’attirant contre lui par la taille.  Elle s’écarta après seulement quelques secondes, à son grand regret, même si son expression ébahie en valait presque la peine. « Faut croire que tes conseils de naze fonctionnent, après tout !  Merde, je pensais jamais y arriver. Je savais que c’était une bonne idée de te demander. »  dit-elle avec un sourire, qui le fit rougir de plus belle. « Ravi d’avoir pu t’aider. Si tu continues à progresser aussi rapidement, je pense que je n’aurais bientôt plus rien à t’apprendre. » ajouta-t-il, non sans un petit dépit. « Il faudra que je trouve une autre excuse pour te voir… » Ce disant il l’attira contre lui, une main sur sa hanche, l’autre se glissant déjà dans ces longs cheveux bruns qu’il avait si souvent caressé. Qu’elle était belle. Avec un sourire, il se pencha pour l’embrasser, oubliant pendant quelques instants les questions qui se pressaient dans son esprit.

Ils furent tirés de leur baiser par le « hm » peu impressionné du manager, qui venait voir s’il pouvait passer leur stand à quelqu’un d’autre, puisqu’ils étaient… autrement occupés. Viktor balbutia une excuse incohérente, et manqua de trébucher sur son propre pied. La classe. Une fois le manager satisfait, il se tourna avec un sourire gêné vers sa compagne. « Il nous reste encore une petite demi-heure… Tu veux t’entraîner encore un peu, ou est-ce que tu veux que je te paie tes pintes promises ? » C’était, après tout, la seule question qui comptait vraiment.
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Ellie fit semblant de réfléchir, laissant son soupirant poireauter dans l’incertitude pendant quelques instants encore. « Je ne sais pas trop, il faudrait peut-être que je rentre chez moi… Cet entraînement m’a carrément épuisée. » Viktor se mordit la lèvre pour ne pas crier ‘NON’ et révéler l’étendue de sa déception. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche et lui demander d’un ton piteux si elle voulait au moins qu’il la raccompagne chez elle, quand la jeune femme explosa de rire et lui décocha encore un coup sur l’épaule, comme à chaque fois qu’elle avait réussie sa blague. « Je te fais marcher, James Bond. De la bière, ça serait bien. Encore plus si c’est avec toi, et encore plus si tu paies. »  Viktor sourit, trop heureux pour lui en vouloir de l’avoir trompé. Il la regarda s’éloigner pour récupérer leurs affaires, avant de se diriger vers le manager et de régler leurs frais, non sans se retrouver rougissant et bégayant comme un idiot lorsqu’Ellie le rejoint et salua joyeusement le manager toujours grognon, dont il avait soigneusement évité un regard direct.

Elle le traîna rapidement dehors et loin de son embarras, jusqu’à ce qu’ils atteignent la voiture du vétérinaire. Le coffre ouvert, Ellie lui attrapa la main et s’y assit, commentant sur la qualité du véhicule. Lui ne répondit rien, caressant la main de la brune avec son pouce, avant de la porter rapidement à ses lèvres. Elle le dévisagea longuement, si longuement que, si elle avait été n’importe qui d’autre, il aurait été mal à l’aise. Mais chez elle, cela semblait presque naturel de rester là et de s’offrir à sa contemplation, aussi longtemps qu’elle le voudrait. Finalement elle sourit, et il lui répondit aussitôt, presque automatique. « Je connais un bar sympa, juste au coin de la rue. On pourrait même y aller à pied, ça serait plus simple. Enfin, si ça te convient. » ajouta-elle, jetant un coup d’œil à sa jambe droite. Sa délicatesse le toucha ; ils n’avaient pas vraiment parlé de sa prothèse depuis qu’ils avaient renoué, et elle « Non, ça ne me convient pas. » dit-il, avant de lui adresser un sourire taquin. « Tu penses que je vais te laisser marcher jusqu’au bar… quand je pourrais te porter ?! » Et d’un geste il l’attrapa par la taille, pour la jeter par-dessus son épaule gauche, ignorant les cris de surprise de la jeune femme. Le coffre refermé et la voiture verrouillée, il se mit à marcher dans la direction qu’avait désignée Ellie, lâchant un « Ça t’apprendra à me prendre pour un faible. » rieur et sans méchanceté.

A la fin du parking, cependant, il commença à sentir sa jambe droite se plaindre. Pas une réelle douleur, mais plutôt ce sentiment d’inconfort qui prévient avant que la réelle souffrance n’arrive. Aussi il s’arrêta, et fit descendre Ellie de ses épaules avec délicatesse. « Finalement, peut-être que je suis un peu faible. » avoua-t-il, une fois la demoiselle reposée à terre saine et sauve. Comme chevalier de la Table Ronde, on avait vu mieux. Enfin, ils étaient presque au lieu proposé, donc il avait tout de même réussi à prouver… Prouver quoi ? Sa force, sa virilité ? Son côté enfantin, surtout. Passant un bras autour de la taille de la brune, ils finirent la marche ensemble. « De toute façon, si j’étais rentré dans le bar avec une femme en sac à patates, je pense que le propriétaire aurait appelé la police… »
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« Très bien, d’accord, je retire mes paroles. Tu es certainement l’homme le plus fort et le plus viril de tout le Kentucky » admit Ellie, non sans passer une main dans les cheveux de son conquérant. Et quand ce dernier la reposa, vaincu par son handicap, elle ne dit rien, balayant ses inquiétudes armée d’un sourire et d’un baiser. Viktor pénétra avec elle dans le bar choisi, le cœur plein. La première fois qu’il avait parlé de sa prothèse à Ellie, il avait été en colère, plein d’une rage sans objet qu’il déversait à la moindre provocation, même contre elle. Ellie, qui l’avait accepté tel qu’il était, avec une facilité désarmante, et qui recommençait aujourd’hui encore. Le bras autour de la demoiselle, Viktor ne souhaitait plus jamais la relâcher. Se dire qu’il l’avait un jour embrassée pour ce qu’il pensait être la dernière fois, cela lui semblait désormais inimaginable. Il avait été un imbécile complet, à la repousser continuellement sans jamais lui donner de raisons, incapable d’admettre le dégoût qu’il ressentait envers lui-même, envers ce moignon encore bandé qui lui rappelait sans cesse son nouveau statut.

Et maintenant elle était de nouveau à ses côtés, joyeuse et pleine d’entrain, comme s’il ne s’était rien passé, comme s’il ne l’avait jamais fait pleurer. « On aurait été dans de sales draps. Déjà la manager du club de tir, puis le propriétaire du bar… On est des fauteurs de trouble quand on est ensemble, non ? » Le vétérinaire rit à sa remarque, ne pouvant nier la vérité. « A ce rythme-là, ton fantasme de braqueuse de banque risque de se réaliser plus vite que prévu… » répondit-il, repensant à leur petit échange sur Bonnie & Clyde il n’y avait que quelques heures. Comme c’était étrange de se dire qu’en si peu de temps, ils étaient passés d’un duo maladroit à un couple, enfin un couple en apparence. A les voir se disputer du regard pour qui paierait la première tournée, on aurait pu croire qu’ils n’avaient jamais cessés d’être ensemble. C’était dangereux, et Viktor le savait. Il avait beau savoir instinctivement quelle bière Ellie commanderait, quel côté de la banquette elle choisirait, ou qu’elle passerait machinalement son verre d’une main à l’autre avant d’en prendre une gorgée, ce petit tic qui le fit sourire avec nostalgie, ils ne pouvaient oublier les causes de leur rupture, ou alors ils seraient condamnés à répéter les mêmes erreurs.

« Je voudrais porter un toast. Tout d'abord, à mes extraordinaires prouesses en matière de tir. Puis, à tes enseignements douteux mais efficaces. Et finalement, à nous. » Viktor acquiesça, levant son verre avec un petit rire, ne quittant pas Ellie du regard. Dieu qu’elle était belle, se dit-il, soudainement frappé par la beauté de la jeune femme comme la première fois qu’il l’avait croisée dans cette horrible cantine d’hôpital. « À nos retrouvailles, et… » Elle hésita, et Viktor rougit du silence. Ils étaient visiblement en train de penser la même chose : où allaient-ils, exactement ? Et surtout, y allaient-ils ensemble ? « Et au futur. » termina-t-elle, faisant clinquer son verre contre celui du brun. « A notre futur. » répéta-t-il, sérieux malgré le léger sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Il avait pris sa décision : il voulait s’engager, et il voulait qu’elle le sache. Après une – très grande – gorgée de bière pour se donner du courage, il attrapa la main d’Ellie et la chercha du regard. « Trois questions. » Devant l’expression un peu perdue de la jeune femme, il s’expliqua : « Trois questions qu’on a toujours voulu se poser, mais qu’on a jamais pu, parce que… » Il se mordit la lèvre. « … parce que c’était compliqué, ou parce qu’on avait peur de passer pour des cons. » Il but à nouveau, l’alcool déliant peu à peu sa langue. « Par exemple : pourquoi est-ce que t’es incapable de garder un fond d’écran plus de 12 heures ? » Autant commencer avec quelque chose d’inoffensif.
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Ellie explosa de rire à sa question, s’étant sans doute attendue à quelque chose de largement plus sérieux. « J’en sais rien, moi ! J’y arrive pas, c’est tout. C’est… c’est… psychologique ! C’est peut-être une pathologie, ou quelque chose comme ça. Tu es probablement en train de boire une bière avec une cinglée. » « Ça je le savais déjà. » plaisanta-t-il gentiment. « J’espère que tes questions sont pas toutes aussi débiles. »  « Je vois pas de quoi tu parles, mes questions sont tout à fait respectables. » se défendit-il, l’air innocent. Ellie l’ignora, et il cacha son sourire dans sa bière. La réponse d’Ellie n’expliquait rien, mais au moins il avait réussi à l’amuser un peu, et surtout à faciliter le dialogue. Il ne pouvait pas les laisser retomber dans ce silence pesant qui avait hanté les dernières semaines de leur relation, lourd et  « À mon tour, maintenant ! Laisse-moi réfléchir. » Viktor fit un geste qui signifiait à peu près ‘prend tout ton temps’, et se mit à observer les autres occupants du bar. Ce faisant, il sentait le regard de la jeune femme sur son visage, comme si elle espérait trouver la réponse à sa question gravée dans ses traits avant même de l’avoir posée. Finalement, elle ouvrit la bouche.

« Pourquoi as-tu accepté mon invitation ? Qu’est-ce qui t’as poussé à accepter de me revoir ? » Viktor s’étrangla avec sa gorgée. Lorsqu’il eut fini de tousser, il se mordit la lèvre. « Tu y vas fort, je m’attendais à une question sur mes chaussettes à cœurs, ou quelque chose du genre… » dit-il avec un petit sourire. Ellie n’avait probablement pas tort de s’attaquer directement aux questions importantes, mais cela ne le rendait pas moins nerveux. Après quelques instants il reposa sa pinte, préférant ne pas risquer un nouvel étouffement avant d’avoir pu répondre aux questions de la demoiselle, et passa une main dans ses cheveux. « Je voulais te revoir parce que… parce qu’après notre rupture, j’ai passé un long moment à réfléchir à… ce qui s’était passé, et pourquoi. » Il était rouge, si rouge qu’il n’osait regarder la brune dans les yeux. L’importance d’Ellie dans sa vie – présente comme absente – était pour lui une évidence, mais il se rendait désormais compte qu’il ne lui avait jamais réellement dit, clairement et calmement. Les ‘je t’aime’ embrasés qu’ils avaient murmurés, agrippés l’un à l’autre alors qu’ils faisaient naufrage dans la tempête de leurs passions avaient été sincères, mais avouer ses sentiments dans les moments de calme était une autre affaire.« C’est seulement après que tu sois partie, que je me suis rendu compte du travail sur moi que j’avais à faire. Que je continue de faire. » Il tenta de reprendre son verre, mais dans sa nervosité, manqua de le faire tomber ; heureusement il avait suffisamment de réflexe pour le rattraper au dernière moment, et le liquide toucha les lèvres du verre sans pour autant les éclabousser. Avec un léger rire, il jeta un coup d’œil à Ellie, tentant de juger l’effet que son aveu lui faisait.

« Je voulais que tu me vois et que, même si tu ne voulais plus de moi, que tu saches que j’avais changé, et que c’était grâce à toi. » termina-t-il, glissant sa main sur la sienne. Quand cette dernière ne se retira pas, il la serra doucement, avec un sourire timide. Il se sentait le cœur d’un colibri, mais il ne regrettait absolument pas d’avoir enfin pu dire la vérité à Ellie, à lui dire combien leur rupture l’avait bouleversé, au point qu’il remette son existence entière en question. Il ne prétendait pas être devenu un ange, mais il savait qu’il possédait désormais une maturité et une sensibilité qui lui avait manquée il y avait trois, quatre ans, et qu’il se refusait à répéter les mêmes erreurs d’antan. Après quelques minutes de silence, durant lesquelles il se contenta de caresser doucement la main d’Eleanor, il posa à son tour une question : « Et toi, pourquoi est-ce que tu as décidé de m’inviter ? » Sans nouvelles depuis si longtemps, elle n’avait eu aucune raison de le croire changé, alors pourquoi lui accorder une deuxième chance ?
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« Oh, Vik. » Les deux syllabes glissèrent des lèvres d’Ellie avec un tremblement qui fit relever la tête à l’interpellé. Ce qu’il vit lui serra le cœur ; il avait trop souvent vu ce regard plissé lors de leurs disputes pour ne savoir pas qu’il retenait des larmes. Seul le léger rire qui les chassa lui offrit un peu de réassurance, ainsi que le serrement des doigts de la jeune femme sur les siens. « Tu me manquais. » admit-elle, et Viktor aurait pu l’embrasser à cet instant, sans écouter un mot de plus, tant l’aveu lui monta à la tête. Mais elle continuait déjà à parler, et il dut se contenter de porter sa main à ses lèvres, et d’en embrasser une à une les articulations, là où leurs doigts s’entrelaçaient. « Quand on a rompu, je me suis dit que la meilleure façon de m’en remettre était de tout oublier. Que tout reviendrait comme avant, et que je continuerais sans toi, sans le souvenir de toi. » Viktor ne pouvait pas prétendre que cela ne lui faisait pas mal, de savoir qu’Ellie avait tenté de l’oublier. Qu’elle s’était crue capable de l’effacer entièrement de sa vie, même pendant un court moment, c’était presque insupportable pour lui, qui avait toujours vu leur rencontre comme une marque indélébile sur leurs existences. Seul réconfort, Ellie était là, aujourd’hui, et c’était elle qui les avait remis en contact. Malgré tous ses alanguissements, il n’avait jamais osé en faire autant.

« Mais j’avais tort, j’avais vraiment, absolument tort – voilà une chose qui va te faire plaisir d’entendre. Ça n’a plus jamais été pareil. Ma vie. Sans toi. » Viktor sourit un sourire à 3000 volts, ne prenant même pas la peine de cacher à quel point ces paroles le comblaient. Elle avait entièrement raison, il aurait voulu se repasser l’épisode en boucle, encore et encore, jusqu’à connaître chaque inflexion, chaque mouvement de muscle qui y avait conduit. Et en même temps, il comprenait le silence qu’Ellie imposa ensuite. Les diverses émotions qui les bousculaient, se pressaient dans les moindres recoins de leurs regards et du nœud de leurs doigts, demandaient à ce que l’on prenne le temps de les trier. Finalement, elle reprit. « Et il s’est passé tellement de choses depuis, et je n’arrêtais pas de penser à toi, et au bout d’un moment je ne savais plus trop quoi faire, et j’ai fait la seule chose qui m’apparaissait claire – te téléphoner. Je ne savais pas si tu voudrais me voir, si tu allais m’envoyer paître, ou même m’insulter, mais je m’en fichais, je savais que je voulais au moins essayer. Que ça valait le coup d’essayer. Que tu valais le coup. »

Viktor était rouge, un rouge qui lui donnait plus l’air d’un enfant à qui le Père Noël a promis sa bicyclette qu’un vétéran des forces spéciales. Et émotionnellement, il avait en cet instant plus en commun avec ledit enfant qu’autre chose, même si Ellie valait beaucoup, beaucoup plus qu’une bicyclette neuve. « J’avais raison. J’adorais Vik. J’adore encore plus Vik 2.0. Et je ne te laisserai pas partir cette fois. » Il n’avait cessé de sourire en cinq minutes, tellement fort qu’il commençait à avoir mal aux joues. Seule la dernière phrase de la jeune femme réussit à estomper quelque peu son expression de joie, quand elle lui serra la main avec une timidité surprenante. « Enfin, si tu veux encore de l’idiote qui se tiens devant toi. » « Ellie… » murmura-t-il, se servant de leurs mains enlacées pour la forcer à faire le tour de la banquette et l’approcher suffisamment pour pouvoir passer son deuxième bras autour de sa taille. Si proches, elle en était presque sur ses genoux – ce qui ne devait pas impressionner les propriétaires, mais il s’en fichait entièrement. « Cinglée, idiote… Comme si ces mots pouvaient te décrire, toi, ma Ellie. » dit-il, tête enfouie contre son cou. Il pouvait sentir son pouls, aussi accéléré que le sien, et ne put s’empêcher d’effleurer cette partie de sa gorge avec ses lèvres avant de relever la tête et regarder Ellie droit dans les yeux.

« Si je voulais encore de toi… Ce serait plutôt à moi de te le demander, et à genoux. » rit-il, incrédule. Jamais n’avait-il osé imaginer que la jeune femme lui ferait une telle demande, même dans ses fantasmes les plus audacieux. Il s’était toujours vu comme celui ayant le plus à prouver, le plus à se faire pardonner. Alors qu’Ellie se pose en suppliante devant lui et lui demande de faire son choix… Il ne trouvait pas les mots. « Mais puisque tu as posée la question en premier… Oui. Toujours. » Cette fois-ci il n’y tint plus, et l’embrassa passionnément, bien décidé à ne plus jamais la lâcher.
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