There ain't no second chance against the thing with forty eyes, girl
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Lorsque Pietra s’était emportée, l’autre n’avait rien fait, au contraire. Il s’était confortablement installé sur une chaise, jambes étirées, comme un ado devant un grand écran. Elle s’était attendue à ce qu’il commente sur son éclat de violence, ou au moins qu’il ne tente de l’arrêter – même si ce n’était que parce qu’il tenait à son rôle de psychopathe officiel – mais non, rien. A croire que le spectacle lui avait fait plaisir. Sans un bruit, ils restèrent tous trois assis pendant quelques minutes, une espèce de triangle des Bermudes version émotionnelle. Puis finalement l’autre se leva, soupirant un « Bon allez » qui parut presque doux. Sans parler du regard rassurant qu’il lui jeta, désormais placé devant l’otage. Si Pietra avait été un peu perdue par rapport à son caractère jusqu’à maintenant, ce dernier changement la rendit complètement perplexe.

« Si il n'y a que moi d'opérationnel ici, je veux bien faire le boulot à ta place. » La remarque n’avait presque rien de cassant. Pietra cligna des yeux, avant de laisser un sourire reconnaissant se dessiner sur ses lèvres. Il avait dut comprendre qu’elle n’était pas en état de continuer l’interrogatoire pour l’instant, entre l’émotion et la douleur cinglante dans son cerveau. Elle avait l’impression qu’on lui enfonçait des éclairs de verre dans le crâne, un millimètre à la fois. Et elle avait pris son aspirine il y avait moins de quatre heures, donc elle était sans secours pendant encore un petit bout de temps. Dans d’autres circonstances, elle se serait allongée, ou serait au moins partie se chercher un verre d’eau ; mais elle avait besoin d’être présente pour les prochaines minutes ; trop de questions lui brûlaient la gorge pour qu’elle puisse même penser à s’absenter.

L’autre s’appuya sur les accoudoirs de la chaise, et planta son regard sur l’otage encore secoué par l’explosion de Pietra. « Alors l'ami, la dame a demandé si sa sœur est encore en vie. Il faudrait mieux ne pas mentir car voix-tu, elle est assez énervée là, et j'aimerais pas être à ta place en cas de mauvaise réponse. Ceci dit, si tu nous dis qu'elle est vivante et qu'elle ne l'est pas, je suis mutant également comme tu as pu le comprendre et je détecte les mensonges. » Pietra se retint d’hausser un sourcil, et ainsi ruiner le coup de bluff de l’homme. « Donc si tu me dit oui, et que la réponse est non, je saurais quand même la vérité. Et dans ce cas, tu te prendras une grosse ramasse dans ta gueule pour la mort de sa sœur, et j'en rajouterais une derrière pour m'avoir menti. » La mort de sa sœur… Les paroles de l’homme s’enroulèrent autour de la gorge de Pietra, serrées au point de l’empêcher de réfléchir. Si Gee’ était morte, elle le saurait, non ? Les jumelles savent ce genre de choses, dit-on. Enfin, ce sont les non-jumeaux qui portent le plus de foi à ce genre de superstitions, mais une partie d’elle était sûre qu’elle le sentirait.

« Je... On ne m'a pas communiqué cette information... » « MENSONGE! » s’écria l’autre, envoyant sa victime valser d’un coup. Ce dernier se retrouva à même le sol, un pied menaçant contre son visage. Vu ce qui s’était passé la dernière fois que l’intrus avait appuyé son pied sur ses agresseurs, Pietra eut le réflexe de se lever et de s’éloigner un peu. De la cervelle sur son tapis c’était déjà dur, alors si elle se retrouvait avec des giclures sur les chevilles… L’homme continua à appuyer, tirant un gémissement de douleur de la part de l’otage. « Aloooors...? T'as fini de te foutre de moi? Maintenant dis-moi ce que je veux savoir... » Il ne plaisantait pas, cela se lisait dans les traits de son visage. Conscient de sa mort imminente, l’homme à terre reprit son flot d’aveux : « Oui, elle est vivante ! Elle est vivante, personne ne sait où se trouve sa base rebelle, ils sont trop prudents ! » Pietra laissa s’échapper un soupir de soulagement, tandis que l’otage continuait. « Je vous en supplie ne me tuez pas, j’vous dirais tout ce que je sais, mais ayez pitié ! S’il-vous-plait. » Il était pitoyable, les larmes coulant sur son visage, la voix coupée de hoquets, encore à moitié écrasé par le pied de son assaillant. Pietra eut un rictus de dégoût, mais fit signe au chasseur de primes de retirer son pied – après tout, ils avaient encore beaucoup de questions qui demandaient réponse.

L’inconnu attrapa sa victime sanglotante par le col et la fit rassoir sur la chaise. Comme sbires d’un scientifique fou, on avait vu plus terrifiant. Peu étonnant que ces hommes aient été chargés simplement de ramener le corps, et non de la tuer ; même sans son compagnon, elle aurait probablement réussi à s’en tirer, si c’était le niveau demandé par leurs services de recrutement. « Écoute mec, la prochaine fois que tu dis ça, t'es mort. Réellement. » Pietra acquiesça ses dires, peu impressionnée par les pleurs de l’otage. Il avait tout d’un gamin de cour de récréation qui ne s’attendait pas à ce qu’on lui rende la claque qu’il s’amusait à infliger à ses petits camarades. Enfin, si l’autre mutant avait été aussi violent petit qu’il l’était maintenant, elle n’aurait probablement pas aimé être dans sa classe non plus…

Tandis qu’elle divaguait toute seule, ledit mutant avait prêté plus attention au flot de paroles hoquetant. « Toi qui te charges des petites affaires privées du big boss, tu sais où on peut le rencontrer. Je veux savoir où on peut le trouver. » Pietra releva la tête, soudainement attentive. Le patron. L’autre avait raison, il leur fallait remonter à la source, sans quoi elle et Gee’ ne seraient jamais en sécurité. Elle se rapprocha un peu des deux hommes, ignorant le poids qui semblait s’appesantir de seconde en seconde sur son crâne, et qui commençait à lui donner le vertige. Elle s’appuya sur le dossier de la chaise pour plus de sûreté, tandis que l’autre continuait : « Dis-moi où vous deviez vous retrouver. » L’homme sur la chaise continua à hoqueter, cherchant tant bien que mal à reprendre le contrôle de ses émotions. Il jeta un bref regard à Pietra, avant de bredouiller : « Euh… Qu’est-ce qui se passe ? » La jeune femme le regarda un instant confuse, avant de sentir une sensation familière de picotement dans son nez qui avait jusqu’alors été cachée par la douleur perçante de la migraine.

« Oh, merde. » jura-t-elle, portant sa main à son visage. Le liquide chaud et visqueux lui colla aux doigts, confirmant ses suspicions : elle saignait du nez. Elle traversa rapidement le salon et s’empara de la boite de mouchoirs qui trainait sur une table basse miraculeusement épargnée par le match de catch qui avait si récemment eu lieu dans la pièce. Elle porta le mouchoir à son visage, et se retourna juste à temps pour voir l’otage, visiblement libéré de son emprise, se jeter sur son allié. « ATTENTION ! » cria-t-elle. L’autre se baisse et, dans une prise digne d’un vrai match de catch, envoya son assaillant planer dans la pièce, avant d’atterrir sur son dos juste devant Pietra. Avant qu’il ne puisse bouger, celle-ci plaça son pied sur la gorge de l’homme, et appuya. Le gargouillement de douleur qu’elle en tira lui fit presque plaisir. Visiblement, l’autre mutant était une mauvaise influence. « Tu n’es vraiment pas très impressionnant comme larbin, quand même… » Elle retira son pied pour laisser l’inconnu ramasser leur otage et le forcer à se rassoir sur la chaise. « Avec tout ça, tu n’as toujours pas répondu à la question de mon collègue : ton patron. Où est-ce que tu comptais le retrouver ? » Ce n’était pas comme s’il pouvait simplement rédiger un rapport sur sa mission et l’envoyer par la poste, après tout.  

« Allez viens par là Connard. Oh tu permets que je t'appelle Connard? C'est que je ne connais pas ton nom et... Que j'en ai rien à foutre alors je t'en donne un autre. Qui te va cependant très bien! » dit l’inconnu, forçant l’otage à se rassoir. « Bon, c'est pas ce que je préfère mais... » continua-t-il, tout en sortant de sa poche un poing américain. Pietra grinça devant l’objet métallique ; déjà sans, il avait été capable de tuer un homme et de gravement en amocher un autre. Ainsi armé, elle ne doutait pas qu’il soit capable de faire des dégâts considérables. C’est visiblement la même pensée qui traversa l’otage – ou ‘connard’ comme il avait été si agréablement surnommé – alors qu’on s’approchait de lui. « Ou tu me dis, et tu te le prends pas, ou tu me dis pas, et tu te le prends. Franchement! Connard, t'as pas encore compris? C'est toujours la même leçon depuis tout à l'heure!! Si tu continues, tu vas redoubler. Mais ne t'inquiètes je t'ai prévus un cours de rattrapage ! » finit-il, alors que son poing s’enfonçait dans l’estomac de son interlocuteur. Ce dernier s’étrangla de douleur, crachant du sang sur le sol déjà bien sali de la demoiselle. A ce rythme-ci, elle allait devoir y passer une nouvelle couche de peinture.

« Aaah! Oui! C'est bon! D'accord! Je vais... Je vais vous dire! » s’exclama la victime, une trainée de bave et de sang dégoulinant de son menton, qui n’attira pas pour autant la pitié de ses bourreaux. « Plutôt que de balbutier des paroles inutiles, DIT! » « L'entrepôt! Le... vieil entrepôt désaffecté, il y a une cave, c'est son QG! » Pietra haussa un sourcil. Une cave ? Décidément, ces personnages se croyaient vraiment dans un film de Marvel ou DC. Elle devrait peut-être se trouver un costume, et se mettre à vadrouiller les rues de Radcliff, prête à défendre la veuve et l’orphelin… « T'en penses quoi? » La question la tira de ses pensées, presque surprise de le voir encore là. Elle fut encore plus surprise, cependant, par l’homme qui fonça sur elle avec une force désespérée, espérant sans doute la prendre en otage pour assurer sa survie. L’autre ne fit aucn effort pour l’arrêter – il devait probablement se dire que Pietra aussi souhaitait jouer avec son punching-bag – et elle eut tout juste le temps de se déplacer pour éviter de se faire attraper par le cou. Plus par réflexe que par réel talent, la mutante l’attrapa par le bras et se servit de son élan contre lui, l’envoyant se fracasser contre le mur de son salon. Par miracle, ses tableaux tinrent, et n’allèrent donc pas ajouter leur destruction à la liste de ses griefs. Ce dernier coup sembla achever l’homme, qui s’affaissa lentement, laissant une trace de sang sur le mur blanc de la brune. Evanoui ou mort, il ne semblait pas prêt de retenter une troisième attaque.

Pietra sourit un instant, avant qu’une nouvelle vague de douleur ne lui rappelle son état. Elle ramassa son mouchoir ensanglanté qu’elle avait laissé tomber, et s’affala sur son canapé. Un geste de la main lui apprit qu’elle ne saignait plus du nez, ce qui était déjà quelque chose. « J’en pense qu’on a deux corps sur les bras, et que je ne suis pas en état de partir en croisade… du moins pas ce soir. » Il était hors de question qu’elle laisse l’homme derrière cette attaque en vie, ou au minimum en état de nuire. Ce n’était pas une simple question de vengeance : son existence était un danger pour elle, pour Gee’, et pour tous les autres mutants qui avaient eu le malheur de finir sur sa liste de suspects. Pietra se passa la main sur le visage, et laissa s’échapper un long soupir. Il devait être dans les premières heures du matin, et la nuit ne semblait pas prête de finir. Finalement, elle rassembla ses forces et se força à se lever, pour venir se placer devant l’inconnu. « Je pense que tu vas devoir m’apprendre à me débarrasser des preuves d’un meurtre… Ou est-ce que tu es plus doué pour les commettre que les cacher ? » Pour la première fois peut-être, la pique était plus amicale qu’autre chose – non pas qu’elle lui ait pardonnée la claque, mais il était impossible de vivre certaines choses sans qu’un rapprochement, aussi léger soit-il, ne se fasse. Apparemment, torturer un assaillant anti-mutant en faisait partie.

L’inconnu rit, ce qui sidéra Pietra. C’était la première expression positive qu’elle le voyait utiliser, ses éclats de joie lorsqu’il torturait ses victimes ne comptant pas. Elle se sentit stupidement fière, mais se contenta de lui sourire tandis qu’il se passait la main dans les cheveux. « Je suis chasseur de prime, je ne fais pas disparaître les corps. Je les ramène. Sinon pour répondre à ta question, la meilleure solution pour moi est le feu. Mais il y a une chose qui ne brûle pas. Les dents. Et avec des dents, on identifie un corps. Alors moi, j’arrache les dents, je brûle le corps, et je vais faire des ricochets avec ses dents dans un fleuve. Parce que même si il leur arrivait de retrouver les dents, séparées, ça ne vaut plus rien. Maintenant tu sauras comment tu ferras si jamais tu me tue. » Ce fut au tour de Pietra de rire. « Si je te tue, ce sera avec tes propres mains, alors pourquoi cacher ton corps… » répondit-elle – toujours sur le ton de la plaisanterie, même si celle-ci était douteuse – avant de se souvenir que l’homme n’était pas au courant de ce qu’elle et Gee’ avaient fait, et qu’il n’était peut-être pas le moment de lui avouer son premier meurtre. De toute façon, il s’était dirigé vers l’homme affaissé contre le mur, dont le dos se soulevait encore, presque imperceptiblement.

« Mais avant de faire disparaître un corps... Il faut déjà qu'il soit mort. Je pense qu'on a tout ce qu'on voulait. Fait de beaux rêves Connard.» dit-il alors qu’il lui brisait la nuque d’un geste sec. Après le sang et les giclures qu’elle avait vues ce soir, le bruit lui parut étrangement normal, presque paisible. Elle secoua sa tête pour chasser ce sentiment, non sans grimacer de douleur.  « Malheureusement, ce n'est pas aujourd'hui que tu auras une démonstration de disparition de cadavre. J'ai des projets pour ces deux-là vois-tu. J'ai pour habitude de soigner mes entrées chez ceux qui me trahissent. » Pietra haussa un sourcil, mais ne répondit rien. S’il souhaitait embarquer les cadavres, c’était son affaire, après tout, et intérieurement elle était soulagée qu’il ne lui ait pas demandé de faire un feu de joie dans son jardin pour y brûler les corps. Parmi toutes les nouvelles connaissances qu’elle venait de découvrir dans ces dernières heures, elle ne souhaitait pas qu’on y ajoute ‘pouvoir reconnaître l’odeur de chair brûlée’.

« Bon alors, ils doivent avoir au moins deux sacs mortuaires dans leurs voiture. Un pour toi, et un pour moi puisqu'ils avaient prévu de me tuer. C'est parfait. Ils serviront pour eux. Tu ferais mieux de dormir un peu. Je vais aller les chercher et je vais embarquer Connard & co dans le coffre de leur jolie voiture noire. » « Je pense que je vais faire un peu de ménage, avant d’aller me coucher… » La sollicitude de l’homme la surprit, même si elle se doutait qu’il souhaitait probablement se débarrasser d’elle avant d’aller finir ses affaires de chasseur de primes. Et c’est ce qu’elle devrait faire, en réalité ; d’ici une vingtaine de minutes, elle risquait de commencer à avoir des vertiges, voir à s’évanouir. Passer un rapide coup d’eau froide sur son sol et retirer son tapis devaient être fait avant que le sang ne sèche – déjà, elle voyait la coloration du liquide brunir et se cristalliser sur ses meubles – mais après ça, elle ferait mieux d’aller dormir, si l’adrénaline dans son corps la laissait.

A cet instant, Roy refit son apparition, miaulant toute son indignation contre les évènements qui venaient de transpirer. Sa maîtresse le ramassa distraitement, enfouissant son visage dans sa fourrure dans l’espoir d’y retrouver un semblant de normalité. A cet instant, l’autre réapparut, portant effectivement deux sacs mortuaires sur son épaule. Dire qu’elle aurait du être dans l’un d’eux, à cet instant… La vision lui fit prendre une décision, et elle s’avança vers l’homme, son chat toujours dans les bras, ronronnant comme s’il ne se trouvait pas au centre d’un carnage. « Eh, ‘Roy’. Tu comptes aller t’occuper de leur patron ce soir, où… Tu serais prêt à attendre un jour, deux grand maximum ? » La question implicite pesait sur ses lèvres mais, si elle était prête à agir, elle ne pouvait encore verbaliser ce qu’elle lui demandait. « T’es pas le seul à être rancunier. » ajouta-elle avec un haussement des épaules. Malgré son ton désinvolte, le cœur de Pietra battait à tout rompre. Seulement, elle ne pouvait plus reculer, plus se cacher ; si malgré ses efforts, les anti-mutants avaient réussi à la trouver, il était temps pour elle d’entrer dans l’arène, et leur faire regretter leurs gestes.

« J'aimerais bien voir ça ma belle, » lui répondit l’autre, avec un nouveau rire. Pietra lui fit un clin d’œil, notant la touche de défi dans sa voix. A vrai dire, si elle avait voulu le tuer, elle lui aurait probablement ordonné de s’immobiliser, puis de s’arrêter de respirer – l’homme était trop inventif pour qu’elle puisse lui dire de s’étrangler ou de retourner son arme contre lui-même. Mais pour l’instant, ce n’était qu’une théorie, et malgré le peu de confiance qui régnait entre eux, elle n’était pas encore prête à la mettre en pratique. Au lieu de cela, elle continuait de caresser la fourrure de Roy, se sentant vaguement comme une de ces femmes dans les films d’action, impassibles devant la violence et la souffrance qui les entourait. Il ne lui manquait plus qu’une baie vitrée en arrière-plan, avec une vue de Manhattan en feu, et c’était parfait. Mais la ville de Radcliff n’offrait rien de ce genre, alors elle devrait se contenter du chat.

Ainsi plantée devant l’homme, elle tentait de calmer les battements de son cœur tandis que lui donnait sa réponse. « Tu sais, eux là, ils avaient bien dormis, leur patron attend ton corps pour ce soir, et le mien sûrement aussi. Je pense même qu'on est déjà en retard.” Ce disant, il récupéra le téléphone de sa dernière victime, et se mit à pianoter sur les touches, visiblement à la recherche d’informations. « Il n'y a pas un seul contact, ce qui veut dire que c'est papa qui appelle. Mais s'il n'a pas appelé pour le moment, ça veut peut-être dire qu’ils n’attendent les corps que demain matin. On ne peut pas attendre. Donc je te conseille de prendre une aspirine et de dormir quelques heures. » Pietra acquiesça, cachant sa déception. « Sers-toi de ta rancune. » continua l’inconnu, dans une espèce de délire Sith. Il ne lui manquait plus que la cape et ils pourraient conquérir la galaxie ensemble. Se retenant de faire une remarque, Pietra déposa Roy sur le sol – non sans que celui-ci ne s’agrippe à sa chemise, peu content de cette décision – et se dirigea lentement vers la cuisine, jusqu’à ce que la voix de l’autre ne la retienne.

« Dors jusqu'à 7h, ça te laisse presque 6h de sommeil, ça devrait le faire. Au pire tu dormiras dans la voiture. Mais si on n’est pas à l'heure, ils vont se pointer en se doutant de la magouille. Perso, je ne dormirais pas tant que je n’aurais pas eu ce mec. Toi tu peux dormir maintenant, et tu pourras dormir tranquille après. Moi je dormirais après. » Pietra s’arrêta net, surprise. Lui proposait-il sérieusement ce qu’elle avait entendu ? Elle se retourna lentement, cherchant un quelconque signe dans l’expression de l’autre. Lorsqu’elle n’y vit rien qui puisse laisser entendre un quelconque manque de sincérité, elle sourit légèrement. « Si tu promets de ne pas me réveiller avec la radio à fond, ça marche. » Elle s’imaginait assez bien cet homme sur la route, AC/DC ou un groupe du genre à fond, un malheureux dans son coffre, les cris et les coups de ce dernier cachés par le bruit de la musique. Enfin, cette fois-ci au moins ses ‘colis’ ne risquaient pas de faire trop de bruit. Tandis que son nouvel allié s’affairait à ranger les deux sbires dans leurs sacs, et à les transporter à la voiture, Pietra disparut dans sa salle de bains. Elle fouilla quelques minutes dans ses placards, jusqu’à ressortir un vieux flacon contenant quelques pilules roses et blanches. Celles-ci dataient de la dernière visite médicale qu’elle avait faite avec Gee’, alors que leurs migraines inquiétaient leur entourage – ils étaient d’une puissance redoutable et, même si en contrepartie elle se retrouverait sûrement malade dans les trois prochains jours, ils étaient les seuls médicaments capables de lui faire survivre les prochaines heures.

Avalant deux pilules à l’aide d’un verre d’eau, Pietra retourna dans le salon, non sans avoir attrapé une paire de gants en cuir et rattachés ses cheveux – elle n’avait peut-être pas la tenue parfaite de l’assassine, mais un minimum de pratique lui semblait important. Après un instant d’hésitation, elle passa dans sa cuisine et attrapa quelques trucs à grignoter, non sans un regard peu impressionné de la part de l’autre. « Tu me remercieras plus tard » dit-elle, se forçant à manger un bout de pain malgré sa nausée. « Bon, t’es prêt ? » Allez youpi, partons à l’aventure ensemble ! Ils passèrent dans le salon en silence, les dégâts abandonnés pour l’instant, au grand regret de la brune qui sentait déjà la journée de ménage qu’elle allait devoir faire le lendemain. Toujours en silence, elle se glissa dans le siège passager, et chercha une position confortable où s’assoupir pendant que l’homme les menait à leur destination.

« Mais je t'attends, figure-toi. » lui répondit-il avec un sourire digne du Joker. Au rythme où ils s’échangeaient leurs vannes, on finirait par croire qu’il s’agissait d’amis de longue date, plutôt que de quasi-inconnus partant pour un roadtrip des plus glauques. A y réfléchir, c’était plus inquiétant, la facilité avec laquelle Pietra s’était glissée dans le rôle de la coéquipière meurtrière… Heureusement, elle n’eut pas le temps d’y penser très longtemps, puisqu’ils se trouvaient déjà à la voiture. Elle se glissa dans le siège avant, non sans une pensée pour les deux morts dans le coffre qui ne s’étaient sûrement pas attendus à ce que leurs rôles soient inversés à la sortie de sa maison. Elle se pelotonna donc sous son manteau et ferma les yeux. Elle se sentait rapidement sombrer dans un repos tant recherché, quand le silence du moteur lui fit remarquer que l’homme n’avait toujours pas démarré la voiture. La brune se releva légèrement pour lui poser la question, quand il prit la parole.

« Mikael.» Elle ne comprit pas tout de suite de quoi il parlait. Elle tourna la tête pour le dévisager, cet homme soudainement tendu, les mains agrippés au volant, qui refusait de la regarder de face. Puis, il répéta : « Je m'appelle Mikael Hartman. » La jeune femme ne répondit rien, ne connaissant aucune phrase qui lui semble appropriée pour l’aveu qu’on venait de lui faire. L’inconnu – Mikael donc – avait visiblement eut du mal à se révéler, et la preuve de confiance qu’il venait de lui faire était étrangement touchante. Elle se contenta donc d’acquiescer gravement lorsqu’il osa finalement la regarder; l’instant d’après, la voiture démarrait et Pietra laissait son vrombissement la bercer dans la torpeur artificielle des malades. Elle ne sut pas combien de temps elle dormit, mais il lui sembla que seules quelques secondes s’étaient écoulées entre leur départ et le réveil brutal que lui offrit Mikael. « Hey, hey debout! Réveille-toi, on arrive dans 5 minutes, et j'ai besoin que tu sois bien réveillée quand on arrivera, alors étire-toi, mange un des trucs que t'as amené et active ton cerveau. » Pour tout réponse, Pietra grogna. Elle se rassit tout de même sur le siège, rejetant son manteau-couverture pour regarder par la fenêtre et voir où ils étaient. Les médicaments avaient agi sur sa migraine, mais ils n’avaient rien pu faire pour la nausée qui lui tordait le cœur et le ventre à la vue de leur destination.

Visiblement insensible à ce type d’émotion, Mikael continuait. « Ecoute-moi bien, tu sais comment je m'appelle, mais il va falloir que tu continues à m'appeler Roy ok? Ils ne connaissent pas mon nom donc motus et bouche cousue. Et c'est pareil pour toi. Comment t'appelles-tu aujourd'hui? Pas un truc de 6 pied de long s'il te plaît. » La brune était presque insultée qu’il la croit capable de dévoiler son nom au premier venu ; mais vue sa paranoïa, elle tenta de ne pas le prendre personnellement. « T’inquiètes pas Roy, de toute façon je trouve que le nom te va bien. » répondit-elle d’un air faussement décontracté. « Moi ça sera Salomé, mais tu peux m’appeler Sally. » Le nom avait été choisi plus en relation avec le personnage biblique et sa soif de sang qu’en rapport avec la jeune télépathe de sa connaissance. En parlant d’assoiffé, voilà que Mikael les garait devant un terrain de basketball, les yeux rayonnant comme ceux d’un gamin. Il sortit de la voiture et vida le coffre, avant de se mettre à traîner les corps en direction d’un panier. Pietra sortit également de la voiture, perplexe.

« Mais qu’est-ce qu’il fout ? C’est pas le moment de faire de l’art moderne… » maugréa-t-elle, tandis que Mikael dressait un tableau de pendus qui lui rappelait étrangement la mise-en-scène d’En Attendant Godot à laquelle elle avait participée, au lycée. Sauf qu’au lieu de Gee’ pour jouer Estragon, elle avait désormais un chasseur de primes à l’état mental plus que douteux. Appuyée contre un mur, mordant occasionnellement dans sa pomme, Pietra se retrouvait transformée en public pour le spectacle macabre qui se dressait sur le terrain de basket. Finalement, l’autre parut satisfait de son effet, et se retourna vers elle, ses traits ayant repris leur accent sadique. « Pietra? Peux-tu aller dans la voiture et quand je te fais signe, tu appuies sur klaxonne comme si ta vie en dépendait, sans t'arrêter, en restant appuyé. On va faire sortir les rats du nid... » L’interpellée acquiesça et s’engouffra dans la voiture, main sur le klaxon, prête pour le signal. Elle observa avec un mélange d’horreur et de fascination le feu qui se répandait sur les corps de ses assassins, avant d’appuyer de toutes ses forces sur le klaxon de la voiture.

L’effet ne se fit pas attendre ; les occupants du bâtiment sortirent en courant, et Pietra ne put s’empêcher de sourire devant leurs mines effarées. Il y avait, dans leurs expressions d’horreur et d’écœurement, un certain plaisir. Voir les personnes qui avaient si froidement ordonnée son exécution et celle de sa sœur se retrouver soudain face à face avec la mort, qu’ils n’avaient probablement jamais imaginé que de façon abstraite, c’était un très bon début de vengeance. Si le reste continuait comme cela, elle commençait à comprendre pourquoi Mikael prenait un tel plaisir dans son métier… D’ailleurs, en parlant de lui, quelle était la prochaine étape de son plan ? La demoiselle dans la voiture chercha donc l’homme du regard, la question informulée dans son regard.
 

Pietra avait toujours cru que l’effet de ralenti dans les scènes de combat des films d’action était ridicule. Comment une succession d’évènements aussi mouvementés pouvait-elle paraître aussi lente et méthodique ? Mais en cet instant, elle découvrait qu’elle avait grandement eu tort. Rien que d’observer Mikael devant la dizaine de personnes sorties du bâtiment, elle avait l’impression que tout s’était… eh bien, ralenti. Il était étrangement magnétique, en cet instant – même les scientifiques et prochaines victimes de son sadisme semblaient pour la plupart incapable de bouger. Pietra continua encore quelques instants d’appuyer sur le klaxon, puis relâcha la pression, par peur d’ameuter des autorités ou des innocents en plus de la troupe devant eux. Le silence qui remplaça le vacarme qu’elle avait causé n’en paru que plus assourdissant. Ses oreilles lui semblaient pleines d’ouate, et elle n’était pas sûre de si c’était sa proximité avec le klaxon, les médicaments qui l’empêchaient de ressentir sa migraine, ou tout simplement un symptôme de nervosité.

Même les deux coups de feu qui sortirent du revolver de Mikael ne furent pas suffisant pour briser cette sensation cotonneuse. Les deux corps s’abattirent lourdement sur le sol, faisant monter au nombre de quatre la liste des cadavres que la brune avait vu aujourd’hui. Intérieurement, elle se demanda s’il s’agissait d’une journée ordinaire pour le chasseur de primes, ou s’il était fier d’avoir établi un ‘record’. Lorsque toute cette histoire serait finie, elle se promettait de lui poser la question. A cet instant, un cri la fit revenir à elle : «Sally ! Tu veux pas me prendre ces deux-là j’ai du travail qui s’en va ! » Il lui fallut quelques secondes pour réagir, et pas simplement parce qu’elle ne savait plus qu’elle était censée s’appeler Sally. Dans l’intérieur de la voiture, elle s’était sentie étrangement isolée de la situation, spectatrice presque innocente du massacre. Mais la demande de l’homme lui renvoyait violemment au visage ce qu’elle s’était proposée d’aider à faire : tuer ces personnes. Certes, c’était eux qui avaient commencé, mais elle n’était plus trop sûre que la logique d’école primaire ne soit valable dans ce contexte. Peut-être cela valait-il dans le monde de son nouvel ami – qui lui avait offert ces deux vies comme on offre un trop-plein dans son assiette à son voisin – mais elle ne savait plus si elle voulait s’engouffrer dans ce monde.

Mais, mais, mais. A force de rajouter des ‘mais’ partout, elle allait sonner comme un mouton. A cet instant, Pietra se rendit compte que l’homme encore debout fonçait sur elle. Par réflexe elle démarra la voiture, et fit un virage si violent qu’elle dut s’agripper au volant pour ne pas glisser sur le siège d’à côté. Très classe. Surpris, son assaillant eu tout juste le temps de se jeter sur le côté pour éviter la caisse de ferraille qui fonçait sur lui. Malheureusement son collègue à terre ne put en dire autant, et Pietra passa sur lui avec un bruit écœurant. Le sang et qui gicla sur le capot de la voiture lui donna la nausée, et elle s’arrêta en plein milieu du terrain de basket. Sortant de la voiture, main sur la bouche, elle s’appuya sur la porte juste le temps de calmer son estomac. Evidemment, c’est ce moment que choisit l’autre pour sortir son arme, et tirer sur elle. La jeune femme senti une brûlure sur son bras, et baissa le regard pour s’apercevoir que la balle l’avait touchée au niveau de l’épaule droite, déchirant sa manche et laissant un sillon sanglant dans sa chair. Par miracle, il avait raté son coup, sans quoi elle serait sans doute déjà au sol à agoniser. Malheureusement pour lui, la douleur lui fit perdre tout semblant de compassion pour son humanité, et elle leva un regard sombre en sa direction, si sombre qu’il fit involontairement un pas en arrière. Sans mot dire, elle leva son bras, comme pour toucher les fils invisibles qui semblaient lui donner accès au système nerveux de chaque humain.

L’instant d’après son poing se refermait avec un « Arrête-toi » presque inaudible. L’homme s’arrêta net ; sa main se porta instinctivement à son torse, crispant sur son blouson tandis que son visage se colorait d’horreur. Il tituba en la direction de Pietra, mais la douleur qui parcourait son torse et son bras gauche le firent rapidement basculer à genoux, avant qu’il ne s’écroule sur le sol, un râle de douleur mourant sur ses lèvres. Elle attendit quelques instants, fixant avec intensité le torse de l’homme jusqu’à s’assurer qu’il ne se soulève plus, et se mit lentement sur ses pieds. Elle se sentait incroyablement légère – pas de joie, détrompez-vous, mais légère comme si elle risquait de s’envoler à chaque instant. L’idée qu’elle ait pu si facilement causer un arrêt cardiaque la secouait ; elle n’avait eu qu’à convaincre son esprit d’en ressortir les symptômes, et le résultat était là. Pourtant, l’effort n’avait pas été sans conséquences : alors qu’elle se retournait en direction de Mikael, elle se rendit compte qu’elle tremblait de tous ses membres, et du s’appuyer au mur. Luttant pour garder conscience, elle attendit qu’il ne finisse avec le responsable de l’opération.