1996, sept ans
Du haut de son petit mètre, la jeune Anika courait joyeusement dans l’immensité de la forêt dans laquelle elle se trouvait. Dans sa course effrénée, elle évitait avec agilité les branches qui se mettaient sur son chemin, les projectiles qui arrivaient à son niveau et restait concentrée sur l’arrivée. Elle parvint bientôt à apercevoir le pot de sucreries, s’imaginant déjà le goût de ses friandises préférées quand un cri la stoppa. Aussitôt, ses paupières s’ouvrirent, réalisant que le cri ne venait pas de son rêve mais de la réalité. Ce cri, elle pouvait le reconnaître parmi une centaine d’autres. Vêtue de sa chemise de nuit à fleurs, la petite Annie descendit de son lit à toute vitesse, se hâtant dans le couloir du premier étage. En quelques secondes à peine, elle entra dans une chambre sombre et alluma la lumière. Roos était relevée dans son lit et pleurait, visiblement effrayée par quelque chose. « Roos, qu’est ce qui se passe ? » demanda Annie d’une petite voix fluette mais pourtant bien affirmée. Sans que la petite n’ai le temps de lui répondre, le père des jeunes filles arriva à son tour dans la chambre, encore légèrement endormi mais affichant un air inquiet. « J’ai entendu crier, qu’est ce qu’il se passe ici ? Vous n’êtes pas au lit ? » Alors que sa petite sœur continuait de sangloter, Anika la prit dans ses bras, caressant tendrement sa joue à la peau laiteuse. « Je crois que Roos a fait un cauchemar, j’ai couru la voir dès que je l’ai entendu crier. » Ému devant l’amour que sa grande fille portait à la plus petite, le père de la famille Bristow sourit chaleureusement avant de venir s’asseoir sur le lit à leurs côtés. Tous trois passèrent quelques minutes ensemble, s’assurant que la petite n’avait plus peur quand le père prit la parole. « Tout va bien maintenant, tout le monde retourne se coucher » « Non ! Je reste avec elle, on ne sait jamais. » rétorqua Anika, bien décidée à protéger sa petite sœur de n’importe quel monstre qui lui souhaitait du mal. Toujours aussi attendri, le patriarche de la famille embrassa ses filles et quitta la chambre, observant Anika s’allonger aux côtés de sa petite sœur.


2001, onze ans
« Anika viens la, je t’ai déjà demandé dix fois de me ranger tout ce bazar dans ta chambre ! » Entendre le ton accusateur de sa mère était sûrement la chose qu’Anika détestait le plus, avec le fait qu’elle ne la laissait jamais faire ce qu’elle voulait certainement. Alors qu’elle s’amusait dans le jardin, la jeune fille se retrouva contrainte de suivre le son particulièrement aigüe que sa mère provoquait. « Ça ne peut pas attendre ? Je ne peux même pas jouer tranquille, tu es toujours derrière mon dos ! » Bien qu’elle soit très proche de ses deux parents, Annie avait la fâcheuse manie de répondre lorsqu’ un deux lui faisait la morale. Elle ne supportait pas qu’on lui reproche des choses, qu’on l’empêche de faire ce qu’elle voulait ou tout simplement qu’on la dérange lorsqu’elle souhaitait être tranquille. Cependant, sa mère n’appréciait pas non plus que sa fille puisse lui parler de la sorte. Très en colère, elle descendit l’escalier et marcha rapidement vers sa fille, bien déterminée à lui faire la morale. « Anika Jemma Bristow, tant que tu continueras de me parler sur ce ton et de ne pas faire ce que je te dis, tu ne sortiras plus de cette maison. C’est compris ? » Au fur et à mesure que sa mère parlait, Anika sentait la rage monter en elle. Incapable de se contrôler, elle sentait le moindre de ses muscles se contracter, le moindre de ses poils se hérisser quand soudain, elle fut propulsée en arrière par une force inconnue. Inconsciente l’espace de quelques secondes, l’adolescente reprit connaissance, dérangée par une douleur à l’épaule gauche. Sa mère avait accouru dans sa direction, apeurée. « Qu’est ce que tu as fais ? » Aussi surprise qu’elle, Anika se releva difficilement avant de remarquer qu’un bout de verre du vase était planté dans sa peau, d’où sa douleur. Alors qu’elle tentait de l’enlever sans aggraver sa blessure, sa mère semblait réfléchir quand elle brisa finalement le silence. « Annie, ma chérie, étais-tu énervée quand tu t’es sentie propulsée ? » Le sourcil arqué, l’adolescente trouva alors la question de sa mère bien étrange, si bien qu’il lui fallut un certain temps avant de savoir quelle réponse était la plus judicieuse. « Oui mais… » Visiblement excitée par quelque chose qu’Anika ne comprenait pas, sa mère lui fit signe de se taire avant de reprendre la parole. « Je crois que ton don vient d’apparaitre ma chérie. C'est toi qui a provoqué ça » Sa mère ne perdit pas une seconde de plus et se leva brusquement, laissant la jeune fille encore au sol et complètement perdue face à l’annonce qu’elle venait de lui faire. Elle avait toujours su que les transmutants existaient, ses parents en étant, et chaque jour depuis elle avait attendu avec impatience l’arrivée de son propre don. Aussitôt, la peur de ne jamais être spéciale comme sa famille l’était avait disparue, laissant place à une satisfaction inconnue. Elle ne savait pas réellement ce qui lui arrivait, mais elle était juste heureuse, heureuse d’être spéciale elle aussi.


2013, vingt trois ans
Projetée sur un immense écran, l’image d’un bâtiment en feu s’affichait. La vision était chaotique, terrible. Alors que des dizaines de personnes couraient dans tous les sens, affolées par les flammes grandissantes, les pompiers arrivaient sur place. Anika, accompagnée de ses collègues, sortit du camion dans sa tenue de protection et commença par demander à toutes les personnes présentes de s’éloigner. Les quelques témoins leurs annoncèrent que des gens étaient pris au piège à l’intérieur de l’immeuble qui s’autodétruisait au fur et à mesure des minutes. Manifestement dans un état laborieux, les murs tombaient en ruine, mettant en danger de morts les quelques personnes se trouvant encore à l’intérieur. La jeune femme courut alors en direction de l’entrée, ne prenant pas en compte les avertissements de ses collègues. « Anika reviens, c’est trop risqué ! » La brune était bien trop bornée pour écouter et se trouvait déjà à l’intérieur. Tous tentaient d’arrêter les flammes de l’extérieur, incapables de savoir ou de voir ce qui se passait à l’intérieur, ou même si leur collègue était saine et sauve. De longues minutes s’écoulèrent avant que l’on ne puisse voir sortir de la fumée, Anika, portant une femme âgée et deux hommes titubant.
Le maire arrêta alors la vidéo puis se tourna vers l’assemblée qui se tenait devant lui. A ses côtés, Anika était vêtue d’une tenue distinguée et se montrait immobile et studieuse. Elle n’avait pas réellement l’habitude d’agir ainsi, mais les circonstances l’obligeaient. « Mesdames et messieurs, j’aimerais que chacun de vous applaudisse mademoiselle Bristow, une héroïne pour la ville de Redcliff. » Sous ses conseils, l’assemblée se mit à applaudir, tandis qu’Anika les observait, confuse. Aujourd’hui on lui décernait une médaille pour son courage. Aujourd’hui on l’appelait héroïne car elle avait sauvé la vie de trois personnes. Aujourd’hui on lui offrait la nationalité américaine pour acte de bravoure envers les États-Unis d’Amérique. Mais rien n’était aussi beau. D’abord parce que sa mère n’était pas là pour être fière d’elle, mais aussi car la vérité était cachée. Ce que tout le monde ignorait c’était la façon dont elle avait sauvé ces gens. Il ne fallait pourtant pas être un génie pour comprendre qu’une personne normale n’aurait pas pu accomplir un tel miracle. Qu’Anika faisait partie de ces transmutants que les religieux de la ville détestaient tant. La brune se mordait les lèvres, obsédée par l’envie de leur dévoiler que son contrôle des vibrations lui avait permis de repousser les flammes, de sortir indemne de cette destruction. Mais Roos lui avait dit de se taire et de profiter de son moment de gloire, car les gens comme elles étaient mal vus, il suffisait de voir ce qu’ils avaient fait à leur mère. Tuée par ces gens qui l’acclamaient à cet instant, ignorant ce dont elle était incapable. C’est alors que dans un sourire crispée, elle serra la main de Thaddeus Lancaster, retenant son envie meurtrière.



2016, vingt six ans
Les mains tremblantes, les lèvres entrouvertes, Anika était assise au bord du lit, paralysée par le chagrin et le dégoût. A côté d’elle, Nicholas la regardait, les yeux fixés sur son visage au teint de perle, sur ses yeux bouffis par les larmes, lui aussi silencieux. Avalant lentement et difficilement sa salive, la jeune femme finit par relever le visage, plongeant son regard azur dans celui du jeune homme. « Comment est-ce que tu peux me faire ça ? Après tout ce que j’ai vécu récemment, la mort de mon père, le rejet de ma sœur. Comment tu oses me dire que tu soutiens la cause de ces enfoirés ? » Sa voix était légèrement chancelante mais pourtant bien agressive. Les poings serrés et le cœur battant à tout à l’allure, le jeune homme prit son courage à deux mains pour lui tenir tête. « C’est justement à cause de ce qui est arrivé à ton père que je finis par penser comme eux ! Annie, ton père a été tué par un mutant. Mon meilleur ami est mort à cause d’un mutant. Ça ne peut plus durer. Tous ne maitrisent pas leur pouvoir comme toi, il faut les contrôler » Une lueur de haine s’était réveillée dans les yeux d’Anika qui se leva du lit, s’écartant le plus possible de son fiancé. Si elle pouvait encore l’appeler ainsi. « Vas-t-en. Je ne veux plus te voir. » « Annie… » La main en l’air, la jeune femme lui fit signe de se taire. La mâchoire serrée, elle respira profondément, contenant toute la colère qui montait en elle. « J’ai dit, vas-t-en. » Lorsque Nicholas eut enfin quitté la pièce, la brune se laissa tomber sur le sol frais de sa chambre, la poitrine douloureuse. Tous mourraient autour d’elle, tous lui tournaiten le dos et personne ne semblait comprendre ses motivations à défendre sa cause. Pas même sa sœur, pas même l’homme qu’elle aimait plus que tout.