La mairie, l’hôpital- tout se précipitait, en une effervescence qui bourdonnait aux oreilles de Cesare- il tenait à peine compte de ce que les secouristes avec eux accomplissaient. Il tenait à peine compte du reste du monde tout court : peut-être était-ce l’instinct le plus égoïste qui soit, de rester accroché à la main de la Saddler alors même que le monde partout autour partait en ruines. Mais franchement, à qui pouvait-il penser autre qu’elle ? Clara était en sécurité, et si seulement son père, sa cousine, sa mère ou Bonnie avaient pu se trouver sous les décombres, il n’en serait certainement pas attristé. Hors, cette infime poignée d’êtres humains, était celle que Cesare avait l’habitude de côtoyer ces derniers temps, alors il lui était difficile d’envisager qui que ce soit d’autre dans le drame. Skylar ne serait jamais venue sur la place publique pour assister au discours d’une fille dont elle ne connaissait pas grand-chose- c’était même assez difficile de l’imaginer s’impliquer dans l’histoire au point de s’intéresser à la politique de Radcliff. Et qui y avait-il d’autre ? Personne- c’était à la fois un bilan bien triste à faire, après vingt-six ans d’existence, presque tous concentrés dans la même ville. Mais le chasseur n’avait jamais gravité dans cet endroit avec l’intention de se faire des amis : et fallait avouer qu’en de telles circonstances, c’était plutôt pratique. Avec Isolde sous les yeux et la promesse que Clara allait bien, il avait au moins un souci de moins en tête : il était sûr de n’perdre personne à qui il tenait outre mesure. C’était pourtant passé bien près- trop près. Alors sûrement que c’était pour ça, et uniquement pour ça, pour compenser les quelques secondes qui auraient pu être déterminantes, et où il était arrivé tout juste pour faire une différence, que Cesare s’accrochait si fermement aux doigts de la transmutante. C’n’était pas extrapoler, c’n’était pas exagérer de sa part que de dire qu’il n’aurait rien pour tenir bon, rien pour garder la tête à la surface plutôt que de plonger dans les abysses, s’il devait perdre Isolde. C’était la réalité, une bien triste réalité qui se dépeignait alors même qu’il lisait l’inquiétude naissante sur le visage de la jeune femme, sans pour autant pouvoir la partager. Certes, il s’était lié d’amitié avec Aldrich, mais ça faisait partie de cette part de passé à laquelle il avait renoncé lorsqu’il avait choisi de sauver Aria en sacrifiant tout le reste. Alors Aldrich n’en avait probablement rien à foutre de son inquiétude à lui- autant la concentrer sur la seule personne qui en avait grandement besoin.

Et c’n’était pas une mission si difficile que ça, de se concentrer simplement sur Isolde au point d’en oublier tout le reste- au moins ferait-il l’effort de trouver un moyen de prévenir Aldrich et la fameuse Léda, mais les prochaines heures –et plus encore s’il le fallait- il était prêt à les concentrer sur la Saddler uniquement. Il avait souri à sa réplique sur les lasagnes et le riz cantonais, bien content d’être le seul à comprendre l’allusion- ç’aurait fait bizarre sinon, vu comme ils étaient entourés là maintenant. Ils pouvaient les ignorer autant qu’ils voulaient, les secouristes étaient malgré tout en train de s’afférer. Et lorsqu’ils arrivèrent aux abords de l’hôpital, le DeMaggio resserra l’emprise de sa main autour de celle d’Isolde- une petite pression, pour lui signifier qu’il était toujours là ; qu’elle ait le sentiment de pouvoir se lever ou non, il l’aiderait quoiqu’il en soit. C’n’était qu’un détail, au fond, rien de plus qu’une démarche orgueilleuse pour prouver à Lancaster qu’il avait perdu- peu importait ce qu’il y aurait à la sortie de l’ambulance, Isolde allait devoir l’encaisser, l’affronter, et continuer. Certes, ça n’valait pas nécessairement le coup qu’elle tombe dans les pommes dans le procédé, alors il préférait demander. « J’suis là de toute manière. » lui adressa-t-il donc dans un sourire empreint de patience et d’empathie ; peut-être que c’était un choix dangereux et risqué, qui allait complètement changer la donne pour les prochains jours et dans les plans qu’il avait montés. Mais si y’avait bien eu une chose qu’il avait appris ici et maintenant, c’était qu’aucune vengeance n’valait le coup s’il n’y avait rien ni personne pour qui se relever derrière- et sans Isolde, peu importait s’il pouvait mettre un terme au règne tyrannique de son père, il serait voué à être une ruines d’humanité, alors même qu’il pouvait être tellement plus, rien que grâce à elle. « Si tu penses pas y arriver, tu t’accroches à moi… » et Cesare n’eut qu’à adresser une œillade en direction d’un des secouristes avec eux pour comprendre que ça pouvait marcher- et potentiellement aider leur efficacité pour un départ suivant. Ils étaient tout juste arrêtés devant l’hôpital, que le chasseur empoigna l’avant-bras d’Isolde, pour l’aider à se redresser. « Okay ? » qu’il insista une dernière fois, toujours avec un brin de sourire réconfortant à la commissure de ses lippes. Il croyait en elle, il avait toujours cru en elle, sans retenue et sans reculer- il avait cru en Isolde plus que n’importe qui d’autre, et aujourd’hui, il savait bien qu’elle était de taille pour prouver à Lancaster qu’il avait eu tort de s’attaquer à elle.