Elle l’avait promis, ils s’l’étaient promis. Ils n’pouvaient pas mourir, ici et maintenant, ou n’importe quand, tant qu’ils n’auraient pas atteint leurs promesses et touché du bout des doigts tout ce à quoi ils avaient rêvé. Y’avait Clara, y’avait eux deux, trop peu de choses en comparaison du reste du monde, mais le monde rien que pour eux : ils avaient survécu, et c’était tout ce qui importait. Le soupir de soulagement qui s’était échappé d’entre les lèvres du chasseur dès qu’il avait senti Isolde serrée dans son étreinte, ç’avait été comme un moyen de laisser sortir tous ses ressentiments, toute son inquiétude et toute la rage qui l’avait fait agir jusque-là. Il ne se retourna même pas vers le cadavre de Moren, au moment d’aider Isolde à rester sur ses jambes pour passer par-dessus ou entre les gravats qui jonchaient le sol. Le hunter avait lui trouvé sa dernière demeure, et l’anonymat serait la seule et unique récompense qu’il gagnerait de tout ça : Cesare n’croyait pas en Dieu, plus depuis des années déjà, et il n’voulait même pas se donner la peine d’imaginer quel châtiment une quelconque autorité supérieure pourrait offrir à un Kingsley à la recherche de salvation. Lui, il était toujours vivant- et déjà les secondes continuaient de défiler, le monde poursuivait sa course, plus léger qu’auparavant. Et peu importait s’il avait le souffle court, la gorge sèche à cause des flammes et de la poussière, les os et les muscles encore douloureux de l’attaque de Kingsley, Cesare parcourait tant bien que mal chacun des mètres qui les rapprochait de la sortie, sans jamais lâcher Isolde, sans jamais la laisser. Qu’ils les voient donc ensemble, tous les deux, que tout Radcliff assiste à ce qu’ils étaient- les survivants de l’attaque perpétrée par un homme qui n’était rien d’autre qu’un corps sans vie désormais ; il s’en foutait. Il s’en foutait d’son père, il s’en foutait du reste, il s’en foutait du passé, du futur- tout ce qui était important, était juste là avec lui. A la question d’Isolde, il mit quelques secondes à réfléchir- la plupart du bâtiment était désormais vide et silencieuse, avec des cadavres ici et là, des stigmates de l’offensive lancée par Lancaster. Dehors, c’était la panique, le carnage tout autant, des ruines d’immeubles tombées sur les rues, des gens qui avaient rampé d’en dehors le bâtiment pour mourir sur le trottoir. Alors tout ce qu’il put répondre, c’est : « C’est pas ta faute. » en glissant prestement une main sur sa joue- Isolde avait été la cible, et Isolde aurait dû faire partie des cadavres selon les calculs de Lancaster et de Moren ; mais elle avait survécu, et y’avait rien de mal à ça.

« J’ai vu-… plein de gens sortir. » qu’il tenta pour la rassurer malgré tout, alors qu’ils atteignaient quelques fenêtres brisées qui leur offrirent de l’air frais- assez d’énergie pour continuer leur route. « Les gens dans la rue-… ils aident les autres. Et-et… » il observa la Saddler, à travers la fumée et les décombres. « Et les secours sont arrivés vite. Y’a… plein de gens qui iront bien. » plus de gens ou moins de gens que le nombre de victimes ? Cesare n’savait pas ; il avait surtout vu des blessés et des cadavres, mais il n’avait pas été le seul à accourir en direction de la mairie dans l’espoir de faire quelque chose. Radcliff, peu importait ce qu’elle était devenue sous le règne de Lancaster, pouvait devenir quelque chose de mieux, quelque chose de bien. Ils avaient élu Isolde, et même l’attaque sanglante de ses ennemis n’pouvait pas changer ce fait. Et le son des sirènes à l’extérieur leur parvint enfin, capturant l’attention de Cesare. Sans lui demander son avis ou même attendre qu’elle le décide ou flanche, il hissa Isolde dans ses bras, la transportant sur les derniers mètres, enjambant les derniers cadavres et les débris qui débordaient sur la rue. On accourut à leur niveau, quelqu’un dans le néant faisant signe au DeMaggio d’aller dans cette direction, vers une ambulance qui se tenait un peu plus loin. On lui présenta un brancard, sur lequel il déposa Isolde, tandis que d’autres le tiraient par l’épaule avec la volonté de l’examiner lui- mais sa main s’accrocha à celle de la Saddler, et il ignora complètement ceux qui tentaient de lui parler. « J’suis là, j’vais nulle part. » qu’il adressa à Isolde tout autant qu’aux autres, d’une caresse écartant une mèche de cheveux blonds rougis par le sang qui s’échappait du front d’Isolde. Peu importait ce qui devait arriver ensuite, ils resteraient ensemble.

Partout où les regards se posaient, le spectacle ressemblait plus à une scène apocalyptique qu’à un quelconque éclair d’espoir- Cesare le savait, quand bien même son crâne douloureux et sa conviction l’empêchaient de s’attarder sur ces détails. Il savait que Radcliff ne se relèverait pas si facilement de cette catastrophe, et Isolde, encore moins. Mais pour l’heure, ils n’devaient se concentrer que sur une chose, sortir de ce bordel et rejoindre les secours ; il aurait pourtant voulu s’arrêter pour délivrer un de ces speechs sur la dévotion et l’engagement d’Isolde afin de lui redonner foi en elle-même et ce qu’elle avait cru bon de faire pour les habitants d’ici. Mais il n’était définitivement pas doué dans ce domaine, et partout, chaque craquement de bâtiment, chaque cri qui perçait depuis l’extérieur, leur indiquait que les secondes étaient comptées. Alors lorsqu’Isolde vint réfugier son visage au creux de son cou, Cesare ne put que lui murmurer un ‘ça va aller’ pour la rassurer : il fallait pas qu’ils s’arrêtent, ils n’fallait pas qu’ils faiblissent, quand bien même l’air frais de l’extérieur glissait dans leurs poumons comme une libération enfin atteinte. Les dernières enjambées lui parurent être aussi insurmontables qu’aisées, un drôle de mélange, l’adrénaline se mélangeant au soulagement dans le plus délicat des sentiments. C’était indescriptible, c’était douloureux et merveilleux tout à la fois- il savait qu’il n’y avait qu’avec Isolde, vivante, qu’il pouvait ressentir ce genre de choses ; peu importait ce qu’il s’était passé aujourd’hui, ici, ils se relèveraient et Radcliff également. Il ne bougea donc pas, tandis que les secouristes s’afféraient déjà autour d’Isolde, la reconnaissant bien entendu de la campagne qu’elle avait menée contre Lancaster- Cesare avait suivi toute cette affaire de loin, infiniment loin, histoire de ne pas être rattrapé par la pulsion de la retrouver où qu’elle soit, l’embrasser, la prendre dans ses bras et la supplier d’arrêter. C’était ce en quoi elle avait cru, c’était ce en quoi elle croyait encore aujourd’hui- et elle avait gagné, alors c’était sûrement ce en quoi Radcliff croyait. Ils avaient passé trop de semaines l’un sans l’autre, dans le silence le plus total et insoutenable, pour que le DeMaggio daigne faire le moindre geste indiquant qu’il quitterait le chevet d’Isolde, pour une raison ou une autre- la personne qui vint vers lui le comprit bien assez vite, menant ses quelques analyses tant bien que mal avec un Cesare qui l’ignorait presque totalement.

C’était Isolde le plus important, Isolde qui comptait avant tout le reste ; et à cette simple dévotion, cet amour sans faille, se mêlait une peur bien plus réelle et viscérale : il n’savait pas quel avait été le pouvoir de Kingsley Moren concrètement, et tout c’qu’il pouvait espérer, c’était que les derniers espoirs du hunter mourant n’aient pas conduit Isolde à sa perte. Elle avait saigné pourtant, et même si tout semblait aller bien là maintenant… Sa pensée se tut, lorsqu’Isolde ouvrit la bouche, arrachant un sourire compatissant et ironique à la fois au DeMaggio. « J’vais nulle part, j’te dis. » et son pouce avait commencé à caresser le dos de la main de la jeune femme, avant qu’il ne se penche pour venir déposer un baiser sur ses lèvres- onctueux, et s’attardant de longues secondes sur leurs bouches asséchées par les épreuves. Le premier baiser depuis des semaines et des semaines, d’infinies heures de solitude qui n’eurent plus la moindre importance, lorsque de sa main libre, il commença à caresser ses cheveux blonds. Ils étaient si occupés à s’émerveiller de leur petite victoire, que Cesare n’avait même pas remarqué le nombre de gens qui attendaient eux aussi d’être emmenés à l’hôpital- Radcliff était une petite ville, et les couloirs de l’hôpital du coin devaient déjà être remplis de gens blessés ou de cadavres en devenir ; mais heureusement, ni l’un ni l’autre n’en serait un aujourd’hui. « On est meilleurs tous les deux, d’toute façon. » qu’il releva, remarquant enfin que leurs mains entrelacées l’avaient été autour du collier auquel elle s’était tant accrochée jusque-là, celui-là même qui avait manqué de la tuer il y a peu. Tous les deux, ils étaient plus forts, plus déterminés, plus farouches- peut-être bien que Kingsley Moren avait pu leur apporter cette réponse-là ; ça n’avait pas valu grand-chose qu’ils s’éloignent pendant tout ce temps, tout comme ça n’valait pas grand-chose qu’ils craignent à ce point l’éloignement- parce qu’ils finissaient toujours par se retrouver au bon moment.

Kingsley Moren était mort- dans quelle vie est-ce que Cesare aurait pu penser que ça n’aurait aucune importance pour lui ? Après tant de mois à le traquer, à chercher une solution au problème qu’il représentait, après des mois à le poursuivre en tant que visage anonyme, construit par son propre esprit hanté par la mort de sa sœur. Kingsley Moren était mort, il l’avait tué, et c’était le cadet de ses soucis ; il n’y avait qu’Isolde qui importait pour l’heure, qu’Isolde qui le raccrochait à la réalité- la vie, plutôt que la mort d’une quelconque façon. Et pourtant, le DeMaggio s’était toujours su prêt à tous les extrêmes pour arriver à atteindre le tueur de sa sœur, il avait su, qu’il serait prêt à tout et même à mourir lui-même si ça pouvait l’amener au moment fatidique de ressentir la vie de Moren glisser entre ses doigts. Mais il fallait croire qu’il avait eu tort- bien entendu qu’il avait eu tort, après tant d’temps à chercher la vie au côté d’Isolde, à glaner des petits moments de quiétude, d’existence normale et ennuyante, alors même que le tueur d’Aria courait toujours. Maintenant, il y avait toujours Artur Kovalainen, et la promesse rageuse que Cesare lui avait faite ; mais il n’y pensait plus, il n’y pensait plus, alors que son cœur battait et battait si fort au creux de sa gorge. Rien ni personne ne lui ferait lâcher sa main en un tel moment- et même les paroles de la Saddler, l’appel à une prudence qu’il pensait obsolète et dépassée, il l’ignora d’un baiser déposé sur ses lèvres. Il n’voulait plus vivre caché, il n’voulait plus vivre dans la demi-mesure, alors même que c’était c’qui avait manqué de peu de les faire tuer- la faire mourir elle en tout cas, puisqu’il aurait suffi d’un pas grand-chose, juste qu’il respecte leur deal, pour qu’elle n’ait eu aucun secours, et qu’elle ait été seule face à Kingsley Moren. Définitivement, y’avait une part de Destin qui jouait avec eux, un ange gardien qui les observait, et se désolait souvent de leurs erreurs- mais celui-ci, avec un p’tit coup de pouce, un pas grand-chose, parvenait toujours à bien faire les choses. Peut-être n’était-ce qu’eux deux, mus par les appels de leurs chairs et de leurs âme- Cesare n’savait plus en quoi il croyait, là maintenant, alors qu’il se sentait épuisé, vidé de son énergie, son cerveau martelant encore avec force contre les parois de son crâne.

Peut-être bien que le long discours d’espoir et de volonté pouvait attendre encore, quelques minutes ou quelques heures- le temps que l’adrénaline s’envole, et que l’effet de sa disparition se soit dissipé. Parce que là, le chasseur sentit tout un frisson lui parcourir l’échine, des pieds à la tête, résonnant à travers ses jambes qui avaient été si dangereusement soumises à une force surnaturelle. Comment Moren était-il devenu un transmutant ? Une question pour plus tard, qui n’avait même pas encore franchi à nouveau les parois de son esprit, quand bien même ç’avait été le point déterminant de leur face à face. Mais pour l’heure, rien que la phrase d’Isolde suffit à ramener un certain malaise au bord de ses lèvres- la réalité, qui lui fit clairement sentir que ses pieds étaient ancrés sur le sol, mais que le sol semblait presque tourner partout autour de lui. Clara- il n’avait presque pas osé y penser. Il se reprit bien assez tôt, marmonnant pour lui-même à la recherche de son téléphone ; mais fallait croire qu’un trip dans l’espace intersidéral où la pression était trente fois supérieure à celui de la terre normale, avait coûté la vie au téléphone. Cesare soupira, ses sourcils arqués, avant de se redresser pour aller tapoter l’épaule d’un des secouristes pour lui demander son téléphone. Heureusement pour eux, Radcliff ne semblait pas encore totalement submergée par les appels et la panique, tant et si bien que l’homme lui fila un cellulaire, sans manquer de lui indiquer d’être bref malgré tout. « J’suis sûr que tout va bien. » qu’il parvint à articuler, alors qu’il tendait le téléphone à Isolde- il essayait de se rassurer lui autant qu’elle par ces mots, quand bien même l’inquiétude fut vite compensée, rassérénée par l’euphorie, la peur, la violence, l’inquiétude- tout qui s’était additionné trop vite dans sa tête. Cesare laissa ses jambes faiblir, tombant assis, contre le brancard qui supportait encore Isolde, sans avoir lâché sa main- par miracle ; il avait juste besoin d’une minute, une minute le temps que son esprit se mette en pause, et que le nuage d’inquiétude concernant leur fille soit balayée par une réalité rassurante. Si Isolde avait dit de ne pas l’amener, alors personne n’aurait daigné l’amener, c’était la moindre des choses- l’espérait-il, en tout cas.

Combien de temps s’était écoulé depuis les explosions ? Cesare avait tantôt l’impression que ça faisait des heures, tantôt l’impression que ça n’faisait qu’une poignée de secondes. Le temps courait de manière différente, selon les circonstances, selon le moment, selon la scène sur laquelle il posait son regard. Et maintenant, il n’savait plus qu’à peine où il était, son esprit s’évadant vers de trop nombreux souvenirs, vers de trop nombreuses opportunités qui bourdonnaient dans sa tête. Il n’partirait pas, il n’laisserait pas Isolde toute seule là maintenant- jamais, même. Et quand bien même ç’aurait pu être prudent, beaucoup de gens l’avaient déjà vu sortir la jeune femme à bout de bras, alors même qu’il avait été chargé par son propre père de la tuer- définitivement, y’avait probablement plus de place pour le doute s’il fallait qu’y’en ait eu un, un jour. Mais leurs précautions n’avaient pas sauvé Anthea, ou Aria, ou tous ces gens qui se trouvaient là : alors à quoi bon ? Sa main, de toute manière, n’semblait pas vouloir se décrocher de celle d’Isolde, et l’inverse était tout aussi vrai- pourtant, il en aurait bien besoin lui, rien que de la possibilité de s’asseoir pour une minute, le temps que sa tête arrête de tourner, que son cerveau arrête de tambouriner contre son crâne, et que l’air redevienne autre chose que brûlant dans sa gorge sèche. Mais le simple soulagement d’entendre la Saddler au téléphone suffit à apaiser les choses en lui ; pour un instant, Cesare ferma les paupières, profitant du noir calme et solitaire pour reprendre son souffle, et sentir son cœur battre avec la force du survivant dans son poitrail. Il espérait qu’Isolde allait mieux, il espérait que Moren n’ait causé aucun dommage, et qu’il soit mort dans des ultimes efforts inutiles. Il espérait que tout rentrerait dans l’ordre, quand bien même ça semblait être une épreuve insurmontable à l’heure actuelle. Et lorsque la transmutante raccrocha, le DeMaggio rouvrit enfin les yeux, relevant inutilement la tête vers elle puisqu’elle ne le voyait même pas faire. Clara allait bien. Isolde allait bien. Et il allait bien. De son poitrail, s’envola une enclume plus pesante que la pression que Moren avait fait peser sur eux deux un peu plus tôt.

Et ses doigts s’égarèrent en quelques caresses réconfortantes sur le dos de la main de la jeune femme ; ici et maintenant, eux deux, c’était la seule chose qui le maintenait à la conscience et lui permettait de résister à l’envie de faire une bonne sieste. L’inquiétude avait rythmé tellement de ses heures pour ces derniers jours- et tout s’était précipité si vite, c’était comme si subitement un crash d’avion venait de se terminer, et qu’ils en étaient les survivants, contre toute attente. « Ouais-… ça va… » qu’il répondit simplement à Isolde, sans pour autant encore avoir la volonté de se remettre sur ses jambes : ça ne lui semblait pourtant plus autant compliqué qu’y’a une poignée de secondes. « Même si-… y’a quelques trucs qui font tourner mon cerveau… » et bien heureusement ; le chasseur fut rattrapé par la réalité, la prescience de ses songes logiques, quand bien même il n’pouvait s’empêcher de se dire que ça n’avait aucune importance. Ils pourraient en parler plus tard, ou n’pas en parler tout court puisque finalement, Isolde n’connaissait rien de Kingsley Moren, alors le fait qu’il soit un transmutant n’serait illogique que pour lui. Et ce n’est qu’enfin, que Cesare relâcha la main de la jeune femme- non pas pour fuir le contact de celle-ci, au contraire, il lui manqua dès qu’il sentit cette chaleur lui échapper, mais pour se relever, tout simplement. S’appuyant de ses deux mains sur le sol poussiéreux, le chasseur se hissa sur ses jambes, conscient qu’elles étaient encore endolories- il avait pourtant déjà connu pire. C’est donc bel et bien conscient de ses actes, de ses pensées et de ses paroles que Cesare revint vers Isolde, se penchant vers elle pour déposer un baiser sur le coin de son front, là où il n’y avait pas de plaie trop douloureuse. « J’avais tort- on avait tort... on aurait jamais dû s’éloigner l’un d’l’autre pour la sécurité ou peu importe… » au final, ça n’avait fait aucune différence- y’avait quand même eu des conséquences, et Cesare avait trouvé un moyen d’affronter Moren- sans son père. De ses deux mains, il enroula à nouveau le visage d’Isolde, la regardant dans les yeux. « Je t’aime-… » qu’il murmura, dans un soupir soulagé- soulagé de pouvoir le dire encore une fois, envers et contre tout, soulagé après des semaines et des semaines trop longues. « et on devrait plus laisser personne choisir pour nous… » parce qu’au fond, ç’avait été en prenant en considération trop de choses qu’ils s’étaient retrouvés séparés ; c’était en pensant à son père à lui, qui tournait trop autour d’Isolde. En pensant à Lancaster, en pensant aux hunters de la ville. En pensant à Insurgency. A Clara. Y’avait des nobles causes, mais y’avait aussi eux, aptes à survivre à tout- ensemble.

A quoi avait-il pensé, avant toutes ces explosions ? Alors que ses tempes bourdonnaient encore d’une agitation aussi attendue que surprenante, Cesare n’savait plus- il en avait oublié l’instinct de survie, les calculs incessants qu’il avait faits en tournant autour de la mairie sans véritablement s’en approcher. Certes, y’a quelques semaines à peine, y’avait eu un instinct qui leur avait dicté que c’était plus intelligent, plus prudent, et mieux pour eux de se séparer pour quelques semaines et de n’pas se voir : ç’aurait été mieux pour Clara, ç’aurait été mieux pour leur couple, pour la sécurité du DeMaggio fiché au beau milieu de sa famille- et pour Isolde afin qu’elle puisse mener sa campagne l’esprit tranquille. Et si les dernières semaines semblaient s’être déroulées sans aucune vague, la fin était restée la même : il y avait eu une attaque, et même pas une attaque sur la Saddler elle-même ; une attaque de grande envergure, qui avait emporté trop de gens. Et trop peu de hunters, avaient même été au courant des plans de Lancaster- Cesare du moins, n’en avait pas entendu clairement parler, quand bien même il avait été établi parmi ceux-ci, que le maire de la ville ne se laisserait pas faire par une gamine, et que peu importait l’issue des scrutins, Isolde en payerait le prix. C’était bien pour ça qu’il était venu, y’a quelques semaines, en trombe pour retrouver Isolde et lui hurler dessus toute son inquiétude- parce qu’il avait eu raison, d’une certaine façon ; peu importait si les intentions de la jeune femme étaient nobles, altruistes ou pleines d’espoir, les hunters eux, ils n’se laisseraient pas faire. Et peut-être même que cette histoire avec Moren n’était que le début, que c’n’était qu’un avant-goût de ce que serait son rôle de maire : c’était, après tout, ce qui était arrivé à Lancaster lui-même. Combien d’fois avait-il été attaqué, par des inconnus ou par des transmutants, à cause de la politique qu’il menait ? Virer Lancaster, ça n’enlevait pas le problème à sa source- heureusement, ça au moins, la transmutante en avait conscience, et le temps permettrait probablement de faire les choses différemment.

Mais ils le feraient ensemble- c’n’était plus négociable désormais, c’n’était plus une possibilité de se séparer comme ça pendant des semaines de silence sans savoir ce qu’il se passait dans la vie de l’autre. C’n’était plus possible, de faire passer une prudence excessive en priorité, là où la menace serait toujours la même et reviendrait chaque fois un peu plus forte : ils avaient réussi à survivre à Kingsley Moren, et pas parce qu’Isolde avait été Isolde avec son sale caractère et ses nouvelles ambitions de maire, ni parce que Cesare était Cesare, celui qui voulait s’venger avant tout le reste. C’était pour sauver Isolde, avant de s’venger, qu’il avait réussi à contrer le pouvoir du hunter afin d’arriver où ils en étaient. C’était pour sauver Isolde, qu’il était entré dans le bâtiment en ruines. Alors certes, si ça devait aider leurs plans, Cesare était prêt à repousser l’inéluctable, à continuer de collaborer avec son père en gagnant du temps – quand bien même l’expérience lui avait déjà prouvé que ça, c’était un risque bien inconsidéré – si ça pouvait aider Isolde dans ses projets. Mais lui, lui il voulait juste être avec elle- il voulait juste lâcher prise, souffler, respirer. Peut-être n’était-ce qu’un désir de quelques heures, quelques heures de quiétude après des semaines d’errance, et de trop longues minutes d’inquiétude et de hargne ; mais là maintenant, le DeMaggio était prêt à jurer qu’il voulait ça pour la vie. « Non… » qu’il signifia enfin, par rapport à ce qu’elle avait dit avant- « j’ai pas envie d’en parler maintenant. » un vague sourire passa sur ses lèvres, tandis qu’il observait les alentours un moment. « Comment tu t’sens, toi ? » demanda-t-il enfin, sa main revenue caresser celle d’Isolde- il venait tout juste de réaliser qu’il n’lui avait pas demandé depuis qu’ils s’étaient revus- qu’il n’lui avait pas posé cette question toute bête depuis des semaines entières. De trop longs jours, qu’ils allaient avoir besoin de rattraper, rien que parce qu’ils en avaient envie.

Fallait bien croire que Cesare avait eu raison, quand il était venu frapper furieusement à l’appartement d’Isolde. Ses pires craintes avaient été confirmées, quand bien même il s’était cru extrapoler en commençant à partir dans toutes les théories possibles et imaginables vis-à-vis des complots des hunters. Le DeMaggio s’était pensé trop habitué à voir le mal partout- et pourtant aujourd’hui, il lui semblait qu’il avait sous-estimé la nature humaine-inhumaine des hunters. Ou de Lancaster. Parce qu’ici, ça n’semblait être qu’une histoire d’égo, entre un maire déchu et celle qui avait pris sa place : si ç’avait été une mission de chasseurs à la poursuite d’une transmutante, il y aurait clairement eu plus d’adversaires que Kingsley Moren tout seul- mais les quelques récits de son père, ajoutés à la hargne de Lancaster et la dévotion de Kingsley, tout ça permettait à Cesare de se faire une plutôt bonne idée des plans de base. Ils avaient été érigés et peaufinés par le maire lui-même, et non pas par une armée de chasseurs qui aurait subitement décidé de rester en retrait ou de se mettre clairement en danger au moment où les bombes explosaient. Ça, fallait avouer qu’il avait sous-estimé Lancaster et sa volonté orgueilleuse : Cesare avait été tant habitué à se préoccuper de son père, du pouvoir que celui-ci pouvait exercer sur sa vie, qu’il en avait presque oublié tous les autres ennemis. Or, Lancaster avait toujours été un ennemi- puisque lui-même il était un transmutant dans la plus infime de ses fibres- certes, pas par conviction, pas par dévotion totale et sans faille, mais juste parce qu’il était capable de plier le métal à sa volonté. Irrémédiablement, si les choses n’avaient pas changé, ç’aurait fini par lui nuire- et pourtant, toute l’attention du fils DeMaggio avait été concentrée sur une seule et même personne. Peut-être une erreur, probablement une erreur ; et aujourd’hui, comment pourraient-ils la réparer ? Au milieu des décombres, alors que tout le monde s’en sortait tant bien que mal, il n’semblait pas y avoir d’acte héroïque ou exemplaire à accomplir pour donner de l’espoir à Radcliff : maintenant, ce devoir reposait entre les mains d’Isolde. Une responsabilité, de laquelle elle devait avoir à peine conscience là maintenant. Tant mieux- il préférait largement profiter de ce moment pour inverser la panique avec un peu de quiétude, plutôt qu’ils s’retrouvent à enchainer tout de suite à la prochaine péripétie : ils le savaient déjà, les obstacles n’arrêtaient jamais de venir, qu’ils le veuillent ou non- alors autant profiter.

C’était tout logique, donc, qu’il n’ait pas l’intention de partir, peu importaient les dangers, les supplications d’Isolde, les priorités qu’il s’était si souvent fixés- tôt ou tard, Cesare devrait retourner dans la maison de ses parents, affronter les conséquences de ce qui venait de se passer : définitivement, est-ce que quelqu’un en avait quoique ce soit à faire, des deux abrutis qui s’accrochaient à la main l’un de l’autre au milieu du chaos ? Non, probablement que ce n’serait pas la première chose dont les gens parleraient, et les hunters eux-mêmes auraient déjà assez à faire. Kingsley Moren était mort, Lancaster avait perdu les élections et allait bientôt être affiché comme un terroriste actif. Le temps du règne des hunters était terminé, et dans les fibres de son âme, les pulsations de son cœur- Cesare était pour une fois du bon côté de la barrière. « Ton cœur est toujours là en tout cas. » qu’il signifia, le soulagement d’une évidence se mêlant à sa fatigue à lui- et pourtant, il n’avait pas fait grand-chose, il n’avait même pas été au cœur de l’explosion comme la blonde ; mais fallait avouer que le pouvoir de Moren avait une façon bien particulière de laisser des traces- cette simple pensée, suffit à faire glisser un frisson sur son échine, imperceptible tout autant que désagréable. « J’suis désolé- que t’aies eu à traverser ça… » clairement, il aurait appréhendé les choses différemment s’il avait su dès le début que Kingsley Moren était un transmutant- et pourtant, pourtant, ça n’semblait pas correspondre, ça n’semblait pas coller. Ca n’semblait pas s’accorder avec la réalité qu’il avait toujours connue. Kingsley Moren n’pouvait pas être un mutant. Mais avant que Cesare n’ait pu formuler ce songe à haute voix, on revint vers eux, indiquant qu’Isolde allait être redirigée vers l’hôpital- pourtant, celui-ci devait être bondé de gens, pris dans une véritable tornade de panique- peut-être même pire encore qu’ici, à l’air libre. Cesare hocha vaguement la tête, l’œil hagard, sans protester ni rien dire, parce que c’était clairement une évidence pour lui qu’il ne partirait pas. Il profita de quelques moments de flottement, pour se pencher vers la plaie que la Saddler avait au front, et qui avait abondement saigné : « C’est pas si terrible. » son sourire ravivé par ces semaines passées- elle était désormais bien avéré que le DeMaggio était celui qui s’y connaissait assez bien en blessures physiques, celui qui savait toujours les soigner et les analyser en de longues tirades. Certes, vu de l’extérieur, ça n’semblait pas si terrible, mais ici et maintenant, pour ça, pour elle, il préférait largement se reposer sur l’avis médical- le vrai.

Depuis qu’ils étaient sortis de la mairie, Cesare avait peu daigné lever son regard d’Isolde pour regarder attentivement autour d’eux : à quoi est-ce que ça pouvait bien servir ? C’était comme revoir le carnage de la fête foraine, et celui-ci, il était déjà bien assez gravé dans sa mémoire pour qu’il n’ait pas besoin de s’ajouter des images supplémentaires. Ici, il y aurait des morts comme à la fête de l’hiver ; au moins, la seule chose sur laquelle il pouvait se concentrer, c’était l’assurance qu’Isolde ne serait pas une d’eux- peut-être uniquement grâce à lui, parce qu’il était arrivé à point nommé et que ç’avait changé beaucoup de choses. Ou parce qu’y’avait eu une autorité supérieure, un genre d’ange gardien veillant sur eux qui les avait amenés pile au bon endroit, au bon moment. Après tout, comment n’pas croire en de telles choses alors même qu’ils étaient les survivants d’une véritable catastrophe ? Et pourtant, ça faisait bien longtemps déjà, que le DeMaggio avait arrêté de croire toutes les histoires qu’il avait entendues à la messe où sa mère l’avait emmené pendant des années lors de son enfance. Ca faisait une vie toute entière, que Cesare n’avait pas remis les pieds dans une église, ou levé les yeux vers le ciel en s’disant qu’y’avait un Tout Puissant qui veillait sur lui- et si ça devait être le cas, alors envoyer un timbré comme Kingsley Moren comme Saint Vengeur, ç’avait été la pire idée qui soit. Et que serait-il, alors, lui qui s’était tenu sur le chemin du Bon Dieu et de son serviteur si dévoué ? Non, y’avait pas de Dieu, c’était une chose évidente en Cesare depuis tellement de temps que même ça, ça n’pouvait rien y changer : alors peut-être que c’n’était qu’eux deux, leurs auras, l’appel de leurs cœurs qui les amenaient toujours l’un à l’autre. Il n’savait pas, il n’savait pas où était la frontière entre le réel et l’idéalisme mielleux- Cesare aurait pu perdre des heures entières à chercher Isolde parmi les victimes, les décombres et tous les recoins de la mairie. Mais non, il l’avait trouvée vite, et pile au bon moment, et ç’avait fait une différence, d’une quelconque façon. Pas comme avec Aria. Fallait croire que tous les rôles auxquels il avait failli avec sa sœur, il parvenait à peu près à bien les remplir avec la blonde- c’était peut-être une bonne chose, après tout.

Il sourit donc, pour répondre aux paroles romantico-niaiseuses qu’une Isolde en pleine possession de ses moyens n’aurait jamais daigné prononcer d’une telle manière, probablement. Elle avait un choc à la tête, ça devait jouer- ça en plus de l’adrénaline, la crainte, la douleur, la peine qui devait peu à peu s’éveiller en elle à mesure que le calme s’imposait dans son cerveau. Définitivement, s’il devait se contenter de sourire, de lui tenir la main et de lui murmurer des mots d’amour pour alléger la prescience du moment, il le ferait sans quantifier, et sans laisser ses prunelles sombres divaguer dans un réel trop réel. Parce que peut-être que c’était en partie d’la faute d’Isolde- peut-être qu’elle avait baissé sa garde trop vite, ou qu’elle avait cru ses ennemis plus vertueux qu’ils ne l’étaient. Peut-être parce qu’elle n’avait pas calculé, pas mesuré. Mais l’instigateur, ç’avait été Lancaster- et la main coupable, ç’avait été Moren, personne d’autre. Alors qu’Isolde survive, et se retape : parce que maintenant qu’elle était lancée, elle était lancée dans un véritable combat qui durerait plus longtemps qu’elle ne l’avait cru- n’était-ce pas ce qu’il lui avait dit, y’a quelques semaines, lorsqu’il était venu la trouver dans son appartement ? Ouais, il avait eu raison- cette attaque ne faisait que le prouver. Ça n’voulait pas dire qu’Isolde avait eu entièrement tort pour autant. « Ouais, on dirait bien que je sais plutôt bien comment pensent les enflures. » c’était bien pour ça qu’il pouvait prévoir de nombreuses choses sur les hunters : parce qu’il en avait été un, parce qu’il avait grandi entouré de ceux-ci, parce qu’il était le fils de deux hunters. Parce que ç’avait été sa vie, sa cause, sa façon de penser, sa façon d’être et d’agir. Il connaissait les hunters, pour sûr, mieux qu’Isolde ne serait jamais capable de le faire- c’n’était pas pour autant que c’était une bonne chose. Pas pour lui en tout cas, alors qu’il tentait si souvent de s’défaire de tout ça- l’emprise de sa vie sur lui, était pourtant immuable. Au moins Isolde pouvait-elle le faire sourire, et même faire appel à de bonnes parties de ses savoirs- s’il fallait qu’elle les exploite plus avant pour changer les choses, c’n’était pas lui qui s’opposerait à cette idée. C’était, au contraire, bien c’qu’il demandait. « J’te conseillerais de pas mettre de sulfate de magnésium sur une plaie ouverte, quand même. » qu’il souligna à l’adresse d’Isolde, dans un léger rire tandis que ses sourcils s’étaient haussés dans une nette expression de surprise- lui qui avait surtout l’impression qu’elle fermait son esprit et ses oreilles dès qu’il se mettait à parler comme ça. Lorsqu’Isolde fut transportée dans l’ambulance, il sembla être une évidence pour tout le monde de ne pas poser la question- Cesare la suivit, pour s’asseoir à côté d’elle, et reprendre sa main. « Tu dois-… prévenir quelqu’un ? J’veux dire-… faut pas faire un communiqué ou un truc de c’genre quand ça se passe comme ça ? Ou-ou des gens-… » il l’avait bien dit à Isolde pourtant, il n’était pas un politique et n’en avait certainement pas la fibre- mais à l’hôpital, y’avait plus de chance qu’ils aient un téléphone à disposition pour prévenir les bonnes personnes- après tout, il osait bien espérer qu’Insurgency n’avait pas laissé la Saddler se lancer toute seule dans cette entreprise contre Lancaster.

Si souvent dans sa vie, Cesare se sentait épuisé : le quotidien était relativement dur à supporter, partagé entre son père et leurs petites rixes, des croyances auxquelles il n’adhérait pas, et des images sanglantes qui se précipitaient dans son esprit. Et au moment d’affronter Kingsley Moren, peu importait ce qu’il avait fait ensuite, le DeMaggio n’avait même pas su pour quoi il se battait. Pour cette sœur qui avait été prêt à partir sans se retourner en le laissant derrière avec rien, pas même un mot d’adieu ? Pour sa propre vengeance, l’orgueil et l’arrogance du frère déchu à qui on avait osé arracher une part d’âme ? Parce qu’il le pouvait ? Ou pour Isolde, juste pour la sauver, rien que pour faire ça de bien au moins ? Surement que ça, au moins, c’était la seule chose dont il était sûr : il s’était battu pour Isolde- chaque fibre de son être avait lutté pour la sauver elle au moment fatidique. Au moment où chaque muscle de son corps avait brûlé, au moment où il avait vu la mort se rapprocher, paralysé et impuissant, ç’avait été sur la transmutante qu’il avait concentré toute son attention. Comme Moren lui-même, ce qui avait fini par lui coûter la vie : oui, même si Isolde et lui avaient beau traverser toutes les épreuves possibles et imaginables sans jamais que leur lien ne se brise, Cesare n’en était pas encore à imaginer que c’était la force de leur amour qui avait inversé les lois du monde et permis au chasseur de retrouver le contrôle de son corps. Kingsley avait été trop gourmand, comme lui-même l’avait été quelques mois plus tôt face à son père- et finalement, chaque mutation avait sa limite. Isolde l’avait maintenu à la surface, et c’était Isolde qui chassait l’épuisement, la lassitude et le désespoir tout à la fois- parce qu’ils espéraient, ou juste parce qu’elle était là, ses doigts accrochés aux siens, à délivrer des phrases presque trop niaises pour elle. Sans elle, il se serait effondré avant même de commencer à vivre- parce que vivre pour la chasse, ça n’avait pas été être clairement vivant. Vivre, ça n’avait commencé qu’au moment où il avait vu cette porte de sortie que lui proposait insidieusement la jeune femme ; pas parce qu’il l’aimait, mais parce qu’elle y avait cru pour lui, là où ça n’avait été le cas de personne ou d’aucune loi humaine ou fondamentale depuis le jour de sa naissance. DeMaggio, hunter – y’avait jamais eu d’autre équation possible pour l’être humain dans c’monde ; sauf pour Isolde. Isolde et lui.

L’atmosphère restreinte et quasi-intime de l’ambulance avait quelque chose de reposant ; le chaos semblait subitement loin, et s’éloigner à chaque seconde un peu plus. Il se perdit à en lâcher un vague soupir, avant que ses mâchoires ne s’enserrent l’une l’autre. Isolde parla d’Aldrich, et d’une Léda- la même Léda qui gardait si souvent leur fille fallait croire. Et il hocha vaguement la tête, en guise de réponse, sans pouvoir retenir sa main libre de venir déposer une légère caresse sur le coin indemne de son front. « On trouvera un moyen de les contacter… j’suis sûr qu’ils vont bien. » et compte-tenu des circonstances, lui aussi se mettait à être totalement niais, puisqu’au fond, il n’en savait rien : à vrai dire, s’ils avaient été deux des personnes qui avaient supporté Isolde jusqu’au bout, ils auraient dû être à la mairie- et y’avait tellement de corps, tellement de panique, tellement de blessés, que comment pouvait-il s’imaginer avoir l’esprit parfaitement tranquille ? Certes, il n’s’imaginait pas être dans les bonnes grâces d’Aldrich encore aujourd’hui- mais il comptait tellement pour Isolde, que Cesare pouvait au moins consacrer une part de sa menue énergie à espérer. « Tu sais quoi… » comme si c’était une évidence dont il se rendait subitement compte : « j’ai super faim. » la bouffe, le thème récurrent de leur histoire- et pourtant, il venait d’assister à de multiples explosions et de tuer un mec- il ne porterait pourtant pas le deuil de Kingsley Moren très longtemps ; il était déjà oublié, recalé à l’abysse du je m’en foutisme alors même que tout ce qui comptait était là, à portée de main. Et l’épuisement, la famine générale semblait se retrouver partout, même dans les gens qui les entouraient tous les deux, et qu’ils ignoraient si facilement : combien d’temps s’était-il passé exactement depuis le début de cette histoire ? Combien de gens avaient déjà été sortis de la zone pour être acheminés vers l’hôpital ? Bien assez tôt, ils auraient la réponse, puisqu’ils approchaient déjà de l’hôpital, et que le mot d’ordre des ambulanciers semblait être de larguer les patients à l’hôpital, afin de pouvoir repartir au plus vite chercher d’autres personnes. « Est-c’que tu peux te lever ? » adressa-t-il à Isolde, scannant son regard à la recherche d’une réponse- ses blessures ne semblaient pas grave au premier abord, mais si la tête lui tournait ou si elle avait des nausées, autant oublier ; Cesare n’était pas un politique, mais il avait déjà l’impression qu’une Isolde marchant sur ses deux jambes, vivante malgré l’attaque, ça marquerait plus les esprits et prouverait plus facilement tort à Lancaster qu’une Isolde sur un brancard. Quoiqu’il advienne, il serait là, peu importaient les circonstances, et leurs deux mains scellées étaient les témoins de cette promesse.