Grayman n’avait pas eu l’occasion de parler à qui que ce soit de ce qui lui était arrivé depuis les quatre derniers mois. Il était du genre à vagabonder là où ses pas le portaient, sans jamais vraiment chercher à s’attacher à qui que ce soit. Les quelques rares amis qu’il avait pu se faire étaient pratiquement tous à des lieux de Radcliff, exception faite de Léda qui s’était retrouvée au même endroit que lui grâce aux facéties du destin et du hasard. Cependant, même à elle il ne lui avait rien raconté. Il ne lui avait pas parlé d’Aria ni de la façon dont il avait rencontré la jeune femme ; il n’avait rien dit des rendez-vous qu’ils se donnaient avec l’héritière déchue des DeMaggio, ni comment, l’air de rien, il avait fini par tenir à elle bien plus qu’il ne l’aurait pensé. Il n’avait pas parlé des heures d’attente le soir de la fête foraine de février et de sa décision de revenir en arrière pour chercher la jeune femme. Il avait à peine évoqué sa vaccination pour justifier sa haine subite du jour et de la lumière vive. Il n’avait pas raconté son escapade de la dernière chance dans le manoir des DeMaggio il y avait quelques semaines de cela, de sa rencontre avec le frère d’Aria et des révélations de Cesare qui avaient fini de le mettre en colère et de lui faire se demander si tout ce qu’il avait fait durant quatre longs mois n’avait pas été parfaitement inutiles. Après tout, s’il avait su qu’il pourchassait un fantôme, il ne serait sans doute pas resté, d’autant qu’il n’avait même pas de tombe à visiter pour dire au revoir. De celle qui aurait pu devenir sa compagne, il n’avait plus rien à part quelques souvenirs qui finiraient par s’étioler avec le temps, et une rage farouche qui grondait en son cœur, brûlant du même feu ardent que le chagrin qui venait le visiter parfois. Le géant préférait être en colère : au moins, à être furieux, il avait l’impression de continuer à avancer avec un but, aussi meurtrier soit-il. Au moins il occupait ses journées sans sommeil et ses nuits à rôder dans les rues de la ville, se souciant bien peu d’être pris après le couvre-feu. Après tout, la mort venait cueillir qui bon lui semblait quand bon lui semblait, et si la grande faucheuse décidait que son heure était venue, alors soit. Après tout, tout le monde finissait dans le même état, humains, mutants et tout ce qui vivait. La compassion d’Aspen arracha le tatoué à ses noires pensées. En effet, il ne faisait pas bon vivre à Radcliff ces derniers temps, d’autant plus lorsque l’on était né mutant. L’histoire se répétait toujours : les noirs, les femmes, les homosexuels, les mutants … le monde trouverait toujours un bouc émissaire sur lequel déverser sa haine sans vergogne, quitte à se salir les mains sous prétexte de défendre son intégrité. Un jour où l’autre, tout ceci se retournerait brutalement contre ces hommes et ces femmes qui se targuaient de défendre le reste de leur espèce. Et ce jour-là, il contemplerait cette chute tête la première avec une intense satisfaction. Mais ce jour n’était pas encore arrivé, et pour le moment il avait d’autres sujets en tête. Se recentrant sur la conversation avec la jeune rouquine à ses côtés, il écouta ce qu’elle avait à lui dire au sujet de la personne qui occupait suffisamment ses pensées pour l’empêcher d’aller plus loin ce soir. Il haussa doucement les épaules.
- Ce n’est pas vraiment le genre de chose que l’on peut prévoir, qu’elle se soit déjà produite dans le passé ou non.
Il en savait quelque chose, quoi qu’il doutait que son expérience soit similaire à celle de la demoiselle. Visiblement, elle aussi avait eu son lot de mauvaises surprises et de déceptions, et il était désolé pour elle, quelque part. Elle avait l’air gentille – d’un caractère fort, certes, mais gentille, et elle ne méritait certainement pas ce qui lui était arrivé.
- Je l’espère. Pour toi, pour ton frère, et pour moi.
Il lui sourit doucement. S’en remettre, c’était bien la seule chose à laquelle il voulait croire dur comme fer. Il n’imaginait pas traîner son deuil comme un boulet jusqu’à la fin de ses jours, et il ne souhaitait pas à la jeune femme et à son frère de subir les aléas de leurs jeunes vies pendant les années à venir. Pour eux tous, mieux valait qu’ils s’en remettent.
Spoiler:
J'suis désolée du retard et de la réponse qui pue le moupipi
Dans d’autres circonstances, Aspen se serait sentie terriblement mal d’être en présence d’un homme comme ça, à faire des confidences sur l’oreiller … surtout sans tout ce qui amène aux confidences en temps normal. Simplement il était tard, elle était fatiguée et, en quelque sorte, parler de tout ça librement avec un presque inconnu lui faisait du bien. Grayman avait quelque chose de bienveillant, qui prêtait aux épanchements, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. Peut être qu’elle avait besoin de craquer un coup, tout simplement. Demain, elle irait mieux, elle aurait remis sa carapace d’independent woman forte et pleine d’assurance, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Peut être même qu’elle ne reverrait plus jamais le jeune homme, ou simplement au détour d’une rue, comme ça, et ils se salueraient de loin, avec un sourire vaguement géné. Pour tout dire, elle n’avait pas vraiment envie d’y penser maintenant, ils verraient bien, plus tard.
- Ouais… Après la pluie, le beau temps … Il parait.
Elle tapota l’épaule de Gray, avant de se redresser en baillant. C’était qu’il était tard, au final, quand on y réfléchissait bien.
- Bon, c’est pas tout ça, mais moi, j’ai sommeil … Tu peux rester dans la chambre si tu veux, étonnement, je suis à peu près sur que ce sera plus confortable que le canapé. Et puis c’est pas comme si tu avais pu avoir des prétentions pour faire autre chose que dormir, alors met toi à l’aise… La salle de bain est juste là, si tu as envie de te doucher ou de te rafraichir un peu. Ah oui, ça aussi …
Elle disparut une minute dans son dressing, avant de revenir avec un tshirt blanc cinq fois trop pour elle, et qui par conséquent devrait réussir à passer les épaules du grand métisse. C’était un tshirt qu’elle avait gardé d’un de ses ex de la fac, un basketeur qui devait presque faire la taille de Grayman, à quelques centimètres près. Ils n’étaient pas restés plus de quelques mois ensemble, mais elle avait gardé son tshirt un peu comme un trophée, et en robe de chambre aussi, par la même occasion. Elle le tendit au jeune homme avec un petit sourire :
- Tiens, si tu veux avoir un truc propre à mettre pour dormir… Moi je vais me changer.
Suffisamment pudique pour ne pas se déshabiller devant Grayman, surtout dans les circonstances actuelles, elle se réfugia dans son dressing pour se démaquiller, nouer ses cheveux en une longue tresse pour ne pas déranger le jeune homme avec sa tignasse, et enfila un débardeur et un pantalon de pyjama noir. Aspen se glissa de son coté du lit à coté d’un Gray déjà installé, qui se sembla pas s’émouvoir de sentir ses pieds froids contre ses jambes. Leur nuit serait on ne peut plus platonique, mais ne pas être seule, c’était toujours ça de pris pour la jeune femme qui murmura un « bonne nuit » timide au jeune homme, incertaine de le retrouver à coté d’elle au petit matin. Au pire, elle s’en était faite une habitude …