En réalité, Charlie avait prononcé ses mots sans trop y penser. Enfin, si elle, le pensait vraiment, qu’elle tenait à Ivory,  et qu’elle était importante pour elle. Mais l’amour était quelque chose de tellement abstrait, de tellement conceptuel, qu’elle ne savait pas trop à quoi ça correspondait, et notamment si ça correspondait à ce qu’elle ressentait pour Ivory. Et le souci, c’était qu’elle n’avait perso à qui poser la question, en plus. Elle se doutait que l’amour était un mélange d’admiration  et d’affection envers une personne, mais de là à faire la distinction entre un simple crush  et sa potentielle  âme sœur, elle en était encore bien loin. Elle était bien tombée vaguement sous le charme d’un ou deux amants de passage, mais jamais rien de très sérieux, et encore moins de durable. Impossible, quand comme elle on parcourait le monde, sa paire de stiletto dans une main, son glock dans l’autre et le couteau coincé entre les dents. Elle accueillit la remarque de la grande brune avec un peu de surprise, sans répondre de suite : elle qui était presque timide peu avant à l’idée de prendre un bain chez elle, maintenant elle lui demandait carrément de venir squatter la baignoire avec elle ? Décidément, elle était surprenante, Ivo. A moins qu’elle n’ait pas compris, c’est possible aussi, ça lui arrivait des fois.

-          Le mieux c’est quand t’as de la bouffe encore meilleur, mais là, c’était le plus rapide qu’on pouvait avoir. Faut prévoir vachement en avance sinon, mais ça perd un peu de son charme du coup.

Elle roula une part de pizza pour la caler à moitié dans sa bouche ouverte en grand, puis descendit son pantalon de toile sur ses chevilles sans la moindre gêne, avant de faire voler son soutien gorge et de venir s’installer entre les jambes d’Ivory dans la baignoire. La caresse  de l’eau la fit frissonner, alors qu’elle s’installait le dos contre la poitrine de la brune, attrapant le portable de cette dernière pour activité l’appareil photo, avalant d’un coup le reste de pizza pour offrir un joli sourire à l’objectif.

-          Seeeeeeelfiiiiiiiiie !

Elle cliqua sur le déclencheur, puis reprit la conversation là où elle en était, le plus naturellement du monde :

-          Bon ça va, ça m’a l’air honnête, comme proposition. Mais je veux bien voir la bande annonce avant, je sais que t’es du genre à t’enticher de scénario totalement improbable aussi et … Bah, ça va pas ?

Elle s’était interrompue parce qu’Ivory ne disait plus rien, et surtout, elle était rouge comme une tomate. Elle mit un moment à percuter. Oh. Ivory voulait peut être pas l’inviter pour de vrai dans son bain, c’était peut être juste une blague, le genre de subtilité qu’elle avait encore pris au premier degré, comme d’hab. C’est vrai que ça se faisait pas trop a priori, entre amies, de prendre des bains toutes nues… y avait une truc un peu érotique dans la démarche, c’était surement plus un truc de couple que de potes… Elle plissa le nez, baissant les yeux vers la mousse, alors que le rouge lui montait aux oreilles à son tour :

-          Je … j’ai pas du bien comprendre, pardon … je sors, hein, désolée ….

 
 
 

Ce qui était en train de se passer ? Ivory ne le réalisait pas vraiment. Quelque part, elle commençait à comprendre que tout ce temps, quand Seth l’avait emmerder sur sa relation avec Charlie, elle avait peut-être un peu beaucoup esquiver l’évidence. Peut-être que oui, effectivement, elle avait un petit crush sur la blondinette. Peut-être. Mais elle n’était pas prête à l’admettre. Pas du tout même. Depuis le tournant catastrophique qu’avait pris sa vie des années plus tôt, elle s’était promise de ne plus tomber amoureuse, de ne plus se lancer dans des liaisons qui voulaient dire quelque chose. Elle y était bien arrivée et elle voulait que ça continue. Soit, elle prenait un bain chez une amie mais, qu’est-ce que ça pouvait bien faire, ça n’engageait à rien après tout !

- « C’est peut-être meilleur mais c’est vrai que niveau spontanéité, c’est pas top. Moi, j’trouve que là, maintenant, tout de suite, c’est très bien. Faudra que j’dise à Seth de me tirer dessus plus souvent. »

Elle n’en pensait pas un seul mot bien sûr mais, elle préférait en rire qu’en pleurer. Si elle se remettait à penser réellement à ce qu’elle avait vu et ce qui s’était passé, pas sûr qu’elle ne repartirait pas en vrille. Elle préférait profiter de la tendresse du moment. Et avoir un sérieux problème de surchauffe cérébrale. C’était elle ou bien il faisait un peu plus chaud que tout à l’heure ? C’était sûrement le chauffage. Pas de voir Charlie nue en train de rentrer dans la baignoire le plus naturellement du monde. Franchement, elle aurait pu être en pleine extase si elle n’avait pas autant de difficulté à enregistrer ce qui se passait. Juste à temps, elle se ressaisit pour le selfie, elle l’avait voulu, elle l’avait eu, juste pas comme prévu.

- « Selfiiie ! »

Aussitôt dit, aussitôt repartie dans ses divagations. Elle avait Charlie contre elle, nue, dans la baignoire. Merde. Merde. Merde. Merde. Ne pas paniquer. Respirer. Bordel. Seth avait raison. Ce grand con sablé avait vu juste. Elle avait le béguin pour son amie. Fais chier. C’était pas censé se produire. Mais quand Charlie voulut se relever, s’excusant, elle réagit au quart de tour.

- « Nan, ça va. Reste. »

Elle la ramena contre elle et l’enlaça même. Foutue pour foutue. Autant... bah autant assumer. Ça n’était pas comme si elles allaient se lancer dans des fiançailles ou faire une demande en mariage. C’était juste un petit coup de cœur, même pas réciproque si ça se trouvait et ça finirait pas passer. Quand on attendait rien, on ne pouvait pas être déçu pas vrai ?

- « Pour en revenir au film... » Parce que c’était moins tendu et qu’elle détestait être gênée parce qu’elle ne l’était jamais. « Je n’aime pas que les scénarios improbables. Ok, j’aime pas mal de nanar mais c’est pas une raison. J’te ferai voir la bande annonce quand on aura mangé et tout. J’te jure, il a l’air vraiment bien comme film. »

Hop, ni vu ni connu, pas de silence gênant, pas d’inconfort palpable. Oui, Ivo était très très douée pour enfouir ce à quoi elle ne voulait pas réfléchir. Elle posa son menton sur l’épaule de Charlie, savourant le moment qui ne durait pas. On profitait des petites choses de la vie ou on ne vivait pas.

Charlie soupira de soulagement alors qu’Ivory l’interrompit pour la ramener vers elle, dans l’eau brûlante. Elle aurait eu l’air fine tiens, à se sécher rapidement et à réenfiler son pyjama. Elle aurait même pas osé lever les yeux sur la grande brune tout du long, si ça avait été le cas, et elle aurait surement eu un peu de mal pour enchainer, après tout ça. Heureusement, elle avait senti la main de cette dernière lui prendre le bras, et la refaire basculer doucement en arrière dans la position où elle était juste avant, avec le bonus en plus de ses bras autour d’elle. C’était totalement inédit pour Charlie, mais à cet instant précis, elle comprenait parfaitement pourquoi les personnages dans les films le faisaient constamment : c’était quand même suuuuper confortable et agréable. En plus, il restait encore plus de mousse, alors bon, ça faisait pas vraiment comme si elles étaient toutes nues toutes nues, elles étaient … plein de mousse.

- Bon, on regardera ça après alors, quand le bain sera froid et qu’il y aura plus de bulles. Tu re veux une part de pizza ?

Elle tendit le bras vers le carton gras pour attraper une part, qu’elle coupa en deux du bout des doigts pour la partager avec Ivo. Elle ne s’attendait pas à tout ça, la tendresse, la douceur, et surtout, le fait de se sentir tellement paisible, tellement bien. Elle avait un peu l’impression que tant qu’elle ne bougeait pas, qu’elle restait la dans la baignoire avec Ivo’, plus rien de mal ne pouvait lui arriver. Cette sensation, elle ne l’avait pas ressenti depuis très, très longtemps, et ça lui faisait presque un peu bizarre. Quand la grande brune posa son menton sur son épaule, elle laissa sa tête tomber en arrière, calant la courbe de son nez dans celle du cou d’Ivo, avant de fermer les yeux, sans rien dire. Ça faisait du bien, juste du bien. Elle savait que c’était un peu délicat, comme situation, surtout si elle ne relançait pas la conversation ensuite, mais elle se dit que bon, tant pis. Si Ivo avait quelque chose à redire, si elle était mal à l’aise, elle le lui dirait clairement, elle avait confiance en elle la dessus. Alors elle se laissa juste bercer par le clapotis de l’eau, posant ses mains sur celles d’Ivory qui étaient posées sagement au niveau de son nombril. D’ailleurs, ça la chatouillait un peu, pile là où elles étaient, ses mains. La faute à ses ongles surement. Ça devait être ça. Dans les enceintes, une chanson de … se mit en route, et Charlie ouvrit un œil, comme subitement réveillée par les premières notes de la musique :

- Oh, je l’aime vachement celle-ci, je crois que je la connais par cœur : « So I won't hesitate No more, no moooOOore. It cannot wait, I'm suuuuuure. There's no need to complicate. Our time is short.This is our fate, I'm yooooours. »

Le très léger accent russe de la jeune femme ressortait un peu quand elle se mettait à chanter, pas très juste, d’ailleurs. Mais elle adorait cette chanson, et ce n’était pas ses montées dans les aigues improbables qui allaient l’empêcher de chanter comme un pinson.

Ivory ne pouvait pas laisser Charlie partir comme ça, hors de question. Ça aurait créé un malaise et ça n’était surtout pas ça qu’elle voulait. Alors oui, elle était en train de faire un câlin avec une amie, nue avec ladite amie dans sa baignoire mais qu’importe. Ce qu’elle voulait dans l’immédiat, c’était qu’il n’y ait pas de malaise et il n’y en avait pas tant qu’elle parlait comme si tout ça était parfaitement normal. Ça ne l’était pas même si elle aurait bien voulu alors elle faisait comme si. C’était définitivement la meilleure soirée de sa vie même si c’était grandement perturbant.

- « Va pour le bout de pizza ! »

Manger une pizza dans un bain, c’était tout un art mais, elle enfourna le morceau sans se faire prier. Rien de très glamour, encore moins de sexy et sensuel mais, au moins c’était drôle. Elle mâchouilla pendant un moment sa part de nourriture puis se posa tranquillement. Elle était bien comme ça avec Charlie dans ses bras, son menton posé sur sa peau. Elle n’était même pas très loin de lui déposer un baiser dans le cou mais, là, elle avait peur que le malaise s’installe et elle ne voulait surtout pas ça.
Le silence progressant, Ivo ferma juste les yeux pour profiter de la caresse de l’eau, du contact de la peau de Charlie avec la sienne. Franchement, elle ne savait pas quand une telle chose se reproduirait, si ça se reproduisait... Tout ce qu’elle voulait, c’était que ça dure éternellement. Sauf que Charlie se mit à chanter -pas très juste mais ça n’était pas important- avec la musique qui passait et Ivory était en train de fondre dans la baignoire comme un glaçon au soleil. Il allait falloir passer l’eau de la baignoire par une passoire pour la récupérer à la fin de tout ça. Le pire, c’était probablement que la blondinette ne se rendait compte de rien. Son accent russe était mignon à n’en plus finir. Pour quelqu’un qui n’avait pas réalisé avoir un crush, elle était sous le charme.
La seule parade qu’elle trouva à cette histoire pour ne pas définitivement vouloir s’enfuir par le siphon de la baignoire, ce fut de chanter avec elle. Pas forcément plus juste mais, c’était amusant. Elle se dandinait même avec elle dans ses bras au rythme de la musique en chantant. Si elles n’avaient pas été dans la baignoire, elle l’aurait entraîné dans une petite danse qui n’avait rien avoir avec le tempo. C’est toute la chanson qu’elle fit comme ça avec Charlie avant de sourire comme une andouille.

- « C’est mignon, ton accent russe ressort quand tu chantes. Faudra que tu m’apprennes des mots un jour. Paraît que c’est vachement compliqué comme langue. »

Tout était valable comme conversation pour se remettre les pieds sur terre. C’était ça ou elle allait ressortir une phrase stupide dans le genre de la chips de tout à l’heure. Oui, c’était tout à fait son genre de balancer ce genre de choses. En fait, tout pourvu que ça ne sonnait pas sérieux. Voilà un truc qu’elle devrait apprendre en russe !

- « Apprends-moi à dire ça : Sans toi je suis comme un océan sans plage, un cheeseburger sans fromage, un téléphone sans appareil photo. J’suis sûre qu’en russe, ça claquerait vraiment mieux ! »

Charlie était soulagée de voir que son amie ne semblait pas trop s’émouvoir de la situation, alors qu’elles mâchonnaient leur part de pizza en barbotant : lentement, elle sentait ses muscles se détendre, alors qu’elle somnolait contre la peau de la mutante. Elle aurait pu s’endormir, vraiment, si il n’y avait pas eu la musique. Elle sourit en l’entendant reprendre la chanson avec elle : Charlie adorait chanter, elle chantait tout le temps, sous la douche, en faisant le ménage, en tuant des gens … Bref. En plus, Ivory chantait au moins aussi faux qu’elle, alors c’était marrant. A la fin de la musique, elle applaudit des deux mains, les éclaboussant un peu au passage :

- Ça m’arrive surtout quand je chante, ou quand je cherche un mot vraiment compliqué. Le pire c’est quand je parle français il parait, parce que je roule beaucoup les R. En fait, c’est pas tant que c’est compliqué, c’est juste que comme ce n’est pas le même alphabet, la logique grammaticale est totalement différente, donc il faut oublier tout ce que tu sais sur ta propre langue pour apprendre le russe. Mais, oui, je pourrais t’apprendre quelques phrases si ça peut t’amuser.

Elle leva les bras pour s’étirer un peu, se redressant un peu en dévoilant son dos pâle et lézardé, avant de se réenfoncer dans les bras d’Ivory comme dans un super canapé moelleux. Elle éclata de rire en entendant la réflexion de la jeune femme, attrapant une des bières pour en boire une gorgée :

- Waaaah, t’as des attentes hyper précises ! là comme ça, je crois que ce serait juste impossible pour toi de répéter comme il faut … On va commencer par plus facile, attends.

Elle se tortilla pour se retourner et faire face à la jeune femme, repliant les jambes contre sa poitrine en posa le menton sur les genoux.

- Il faut que tu regardes bien comment je positionne ma langue et mes lèvres… tibia krassivye glaza… tibiaaaa .. krass..ivye… Glazaaa …A toi !

Elle préférait ne pas dire à Ivo ce qu’elle lui faisait prononcer, juste pour l’embêter un peu et pour lui faire la surprise après. Ça lui faisait un peu bizarre de parler russe avec quelqu’un d’autre que Roman d’ailleurs. Ce n’était certes pas lui qui lui avait appris la langue, mais malgré tout c’était la langue avec laquelle ils se parlaient, surtout en mission, ou devant les mutants. Ça perturbait toujours beaucoup les gens, surtout les américains. Ils étaient toujours un peu frileux avec la langue du camarade Staline, allez savoir pourquoi …

 
 

Même si la situation était un peu étrange voire carrément spéciale, Ivory profitait. Elle avait décidé de marquer cette journée parce qu’au final, elle ne savait pas comment ça allait se terminer. Elle commençait à réaliser qu’elle avait un méchant crush sur Charlie et plus l’idée s’implantait dans son cerveau, moins elle arrivait à vraiment réaliser où ça la menait. En fait, Ivo préférait se dire qu’il fallait profiter du moment parce que ça n’était pas réciproque. Que Cupidon aille se faire voir et tirer ses petites fléchettes ailleurs. Elle n’avait pas un bon karma, que les petits anges là-haut se fassent une raison. L’amour, elle avait signé un contrat de malchance en la matière. C’était plus facile de vivre en voyant les choses du mauvais côté que d’encaisser des désillusions. Sauf que voilà, c’était trop tard, elle s’était déjà fait avoir et elle n’en savait juste rien. L’aveuglement, c’était une chose merveilleuse et c’était ce qui lui permettait de pousser la chansonnette dans la baignoire et faux en plus, elle était heureuse, Charlie aussi, c’était le principal.

- « Tu parles français ? Mais tu parles combien de langues ? C’est trop bien ! » Avec son pauvre anglais, impossible de rivaliser. « Carrément ! Ce serait chouette. Qui sait, je me mettrai peut-être même au russe. Ça pourrait être drôle. »

Le pire, c’était qu’elle le pensait vraiment. Elle était vraiment capable de s’y mettre. Si seulement elle se rendait compte du pourquoi elle voulait s’y mettre, ce serait encore mieux. Rapidement, elle oublia le russe, le français et les phrases à la con à apprendre en russe... Ses yeux tombèrent sur le dos de Charlie, ses cicatrices, ses marques. Elle retint de justesses sa main, toute prête à toucher ces anciennes blessures, à faire preuve de tendresse pour les effacer. La blondinette la ramena pourtant malgré elle au sujet précédent. Elle la laissa lui échapper et se tourner pour lui faire face. Toujours à s’interroger sur ce qui avait pu causer des cicatrices pareilles, elle se força à regarder, à faire ce que Charlie lui expliquait. Sa prononciation était bancale, probablement hilarante mais elle n’avait plus la tête à ça, trop volatile dans sa concentration.

- « Qu’est-ce que t’es en train de me faire dire ? Des insultes ou des trucs salaces ? »

Après tout, c’était les premières choses qu’on apprenait quand on s’essayait à une langue avec quelqu’un qui la parlait. Cela dit, il y avait autre chose qu’elle voulait vraiment savoir.

- « Charlie... Comment t’as eu toutes ces cicatrices ? Je sais que t’as été brûlée et tout ça y a pas si longtemps que ça mais, ça ressemble pas à des brûlures. » C’était surtout pas bénin à ses yeux. Ça ressemblait à tout sauf à d’anciennes blessures accidentelles. « T’as eu ça au boulot ? J’pensais que quelqu’un prenait soin de toi... »

Elle n’avait jamais vraiment interrogé Charlie sur son travail, sachant juste qu’il l’amenait à utiliser sa mutation de temps en temps. Puis que ça l’avait amener à connaître Ava. Elle s’était dit que son amie finirait par lui en parler, ça arriverait peut-être plus tôt que prévu.

 
 La réaction d’Ivory et son admiration devant ses qualités de polyglotte firent sourire Charlie : forcément, elle avait été un peu contrainte à apprendre différentes langues pour survivre, pour se faire comprendre de ses geoliers, bref, pour gagner le respect de son entourage, à un moment donné de sa vie. Elle avait survécu comme une petite flamme dans un tas de cendre, difficilement, mais elle l’avait fait. C’était cette lutte permanente pour sa propre survie qui lui avait donné ce caractère aussi tranché, qui pouvait inquiéter mais qui faisait aussi son charme. Alors quand Ivory lui posa la question, elle répondit sans la moindre hésitation :

-          Je parle l’anglais, le russe, l’espagnol et le français presque parfaitement. Après j’ai des notions d’arabe, mais il y a tellement de dialectes différents qu’au final je sais pas si ce que je dis à beaucoup de sens…. Pour le russe, tu peux commencer par écouter de la musique russe. Les chœurs de l’armée rouge, c’est sympa, dans son genre.

Elle n’était pas en adoration devant ce genre de musique, mais ça exerçait l’oreille aux intonations si particulière des langues slaves. Elle sourit de son petit sourire de vampirette, alors qu’Ivory se doutait soudain qu’elle avait du lui faire dire un truc étrange, peut être déplacé ou érotique. Elle battit des cils en laissant planer le suspens, avant de lâche dans un murmure craquant :

-          Ça veut dire « tu as des yeux magnifiques » en Russe. Mais c’est vrai dans toutes les autres langues aussi, hein.

Elle se dit que ça ressemblait peut être un peu trop à du flirt, un batifolage innocent, ou pas tant que ça, mais au final peut lui importait : Ivory avait réellement de très jolis yeux, les plus beaux qu’elle avait jamais vu, et pourtant elle en avait fait fermer, des yeux. Mais à ceux là, elle leur vouerait presque un culte. La blondinette resta silencieuse un instant après les différentes questions de la brune, ruminant ses interrogations sans savoir si elle devait se montrer totalement franche ou non : elle ne voulait pas l’inquiéter, encore, alors qu’elle avait enfin retrouvé son si joli sourire. Pour autant, elle n’aimait pas trop mentir à Ivo, ça lui serrait le cœur.

-          T’es sure que t’as envie de parler de ça ? Bon … Disons que j’ai pas eu une enfance super facile… Mon père était un scientifique un peu maboule, qui a totalement vrillé quand il a découvert que j’étais mutante. J’étais, genre, toute petite, et il m’enfermait dans la cave pendant des jours pour me faire faire plein d’expériences bizarres, à m’envoyer le jus, à voir combien de volts je supportais avant de tomber dans les vapes… Pis il est mort, et j’ai été admise dans une sorte de … De laboratoire qui faisait des tests sur les mutants, en échange du gite. Et disons que c’était… assez strict comme endroit, et on se faisait pas mal frapper si on était un peu agité… Et j’en suis partie, à 15 ans… Et depuis, bah, je fais pas des boulots faciles, jfais des trucs que seuls les mutants comme moi peuvent faire… Et, si, on me protège, t’inquiète pas, simplement des fois je fais un peu du zèle, et je me blesse… Mais je suis costaude hein, tu peux toucher mes bras, c’est du roc ! fin, pas du roc comme toi, mais presque !

 

Elle contracta ses petits biceps tout pâles, dessinant ses muscles noueux, se rapprochant à nouveau d’Ivo pour qu’elle puisse toucher. Manquant de place dans la baignoire, elle passa ses jambes au dessus de celle de la grande perche pour qu’elle puisse tater son bras, non sans un petit frisson étrange : est ce que la … proximité d’Ivory lui plaisait ? Genre, vraiment ? Parce que là elles étaient proches, très proches, mais elles étaient surtout de face, et ça lui offrait une vue imprenable sur le visage de son amie, sur ses grand yeux et sa bouche pulpeuse. Ça lui donnait envie de.. De mordre dedans ? Vraiment bizarre …

 

Franchement, Ivory n’en revenait pas de toutes ces langues que parlaient Charlie, encore moins après qu’elle les ait énoncées. C’était fou ça. Elle n’avait jamais eu aucun penchant pour les langues, se contentant de son anglais natal et elle le regrettait presque à présent. À moins que ce soit de ne pas parler russe pour comprendre la langue de Charlie qui la dérangeait. Elle n’était pas vraiment sûre d’elle sur ce coup-là. Ivo pouvait toujours tenter les chœurs de l’armée rouge comme il lui était conseillé, ça ne coûtait rien un peu de musique et si elle n’aimait pas, il serait toujours temps d’éteindre la musique. Au fond, la musique, c’était un moyen simple de découvrir une langue et elle se promit de tenter l’expérience même si elle se doutait d’avance qu’elle n’allait pas s’éprendre de cette musique. C’était l’effort qui comptait le plus, d’autant plus si elle y mettait tout son cœur. Et puis, en dernier recours, il y avait internet et Google. Pour le moment, elle voulait au moins savoir ce qu’elle avait vaguement tenté de baragouiner. En l’apprenant, elle eut une envie soudaine qu’elle contint heureusement de prendre Charlie dans ses bras pour lui offrir un peu plus de tendresse. C’était un peu bête parce qu’elle savait que son amie ne se rendait pas forcément toujours compte de l’impact de ses paroles mais ça, c’était carrément mignon et avec les cicatrices qu’elle avait eu sous le nez juste avant, elle avait failli se laisser tenter.

- « En tout cas, ça en impose même si c’est mignon. C’est impressionnant le russe. »

Inutile de le nier. Elle n’avait rien de particulier contre cette langue ni même contre la Russie, elle s’était toujours relativement foutue des conflits politiques. En fait, jusque là, elle n’avait vu ce pays que comme un gros cliché ambulant comme dans les films de James Bond. Jusqu’à entendre Charlie parler de son enfance. Cette histoire avait tout du scénario de film avec des gros méchants russes avec un accent à couper au couteau sauf que c’était l’histoire de Charlie et que ça n’avait rien d’amusant. En fait, malgré la chaleur de la baignoire, Ivory eut soudain très froid, frissonnant violemment de la tête aux pieds. Même la petite réflexion amusante de son amie passa à la trappe, c’était glauque.

- « Promis qu’on veille bien sur toi hein ? »

Elle lui toucha le biceps pour lui faire plaisir mais, c’est à un câlin que Charlie eut droit dans les secondes qui suivirent. Une étreinte douce, rassurante, un peu protectrice aussi. Bien malgré elle, elle déposa un baiser juste derrière son oreille, pas tout à fait sur le cou, tout près des cheveux.

- « Tu restes en vie hein ? Tu jures ! Avec qui je regarderai mes films de zombies ? Avec qui j’irai voir Ava à la morgue alors que ça me file la frousse ? J’lui ai promis qu’on irait manger ensemble à trois. Puis j’veux pas t’imaginer blessée ou te savoir sur une de ses tables. Bref. Tu restes en vie ! C’est un ordre ! »

Elle s’était détachée, un peu reculé pour pouvoir bien la regarder dans les yeux.

 
- N’importe quoi c’est mignon. Le russe ça claque comme un fouet, je crois que les seules langues pires, c’est l’allemand et le coréen du nord. Sinon toi t’es mignonne, mais le russe, bof.

Elle ne savait même pas pourquoi elle disait ça, ça venait tout seul. Roman lui disait justement que c’était le génie de sa personnalité qui faisait ça, elle avait une façon désarmante de s’adresser aux gens, qui faisaient qu’ils étaient soit surpris, soit vexés, soit attendris, quoi qu’elle dise. En tout cas, elle ne laissait personne indifférent, alors qu’elle-même avait tendance à se foutre de tout. Enfin de presque tout, parce qu’en ce moment, elle ne s’en foutait pas d’Ivory. Elle ne voulait pas qu’elle soit triste, ni inquiète, surtout pas à cause d’elle. Elle préférait faire le clown et la faire rire, plutôt que de voir ce pli soucieux sur son joli front.

- Mais bien sur que oui t’inquiète donc pas… Pis tu me connais, je suis assez forte pour me défendre toute seul aussi hein !

Elle sourit en faisant tater de son super biceps à Ivory, puis se laissa attirer contre elle, un peu surprise. Bon, il fallait dire que la distance entre elles n’était pas de base faramineuse, mais … C’était surprenant quand même. Charlie aimait bien les calins, elle était assez tactile de base, mais là, encore, ça faisait bizarre dans son ventre. Elle avait peut être bu un peu trop de bière, en fait, ou alors elle avait attrapé un rhume. Elle leva les yeux vers Ivo après qu’elle ait posé un baiser sur sa temps, incertaine de ce que ça voulait dire. C’était gentil, ça c’est sur. Mais était ce juste gentil, ou plus ? Puis c’était quoi, d’ailleurs, plus que gentil ? Elle n’en savait fichtrement rien, et c’était un peu frustrant. Alors elle fit ce qu’elle savait faire le mieux, à savoir rouler des yeux en soupirant comme une petite fille, puis rassurer son amie avec une petite voix d’enfant ennuyé :


- ouiiii maman je vais rester en viiiie, parce que t’es une trouillarde qui a encore peur devant des gens morts qui bougent ET des gens morts qui bougent pas. Pis d’abord j’ai déjà été des tas de fois sur les tables d’Ava pour rigoler, j’ai même dormi dans un des cercueils une fois pour voir ce que ça faisait !*elle attrapa le visage d’Ivo entre ses mains en lui faisant les gros yeux, alors que leurs nez se touchaient presque * et puis d’abord on dit s’il te plait quand on est polie Mademoiselle !

Elle resta la quelques secondes, à ne pas réussir à se décider entre lui foutre un petit coup de boule et l’embrasser, puis baissa les yeux en direction de l’eau : elle était rosé,normal puis que le bain moussant lui l’était. Mais si elle voyait l’eau, c’était qu’il n’y avait plus de bulles. Et que par conséquent, elle voyait tout d’Ivory, et Ivory tout d’elle. C’était un peu gênant, enfin, elle supposait, surtout pour Ivo, parce que bon, elle et la pudeur … Elle se recula un peu, puis entreprit de se redresser, attrapant une serviette qui pendait juste à coté :

- Si ya plus de bulles, ya plus de plaisir. On se sèche et on va dans le salon ? J’ai acheté la Kinect sur la Xbox avec un super jeu de danse vachement mieux que sur la WII, avec un vrai capteur de mouvement et tout. Je suis sure que ça va trop te plaire !

 

Amusée, Ivory l’était. Charlie pouvait bien dire ce qu’elle voulait, là, tout de suite, le russe, c’était mignon. Oui, ça imposait mais, pas là. Clairement pas. Bon, elle était d’accord, elle l’avait dit, le russe, ça claquait. L’allemand aussi pour ce qu’elle en avait entendu. Le coréen du nord par contre... c’était inconnu au bataillon pour Ivo. Après, ça n’était pas vraiment à ces langues-là qu’elle pensait quand il s’agit de déclarations d’amour, même si ça, ça n’en était pas une, elle en était consciente. Et puis voilà que la blondinette en remettait une couche en lui disant qu’elle était mignonne. En général, ce genre de compliment ne lui faisait rien du tout mais là... Quand elle tiendrait, Seth -s’il allait mieux un jour-, il allait entendre parler d’elle. Crétin de calédonien qui la connaissait mieux qu’elle-même.

- « Tu peux dire ce que t’veux, ça a beau claquer le russe, ça, c’était mignon. »

Elle lui tira la langue pour la forme en faisant une petite grimace. C’était pour se détendre, remettre les choses au clair, dans sa tête surtout. C’était d’autant plus indispensable qu’elle était inquiète pour Charlie. De voir ces cicatrices, elle avait eu de la peine. Elle en avait bien une elle mais, ça ne se voyait quasi plus et elle s’était acharnée à essayer de toutes les faire disparaître. Chacune avait été une des conséquences de sa liaison adolescente, du jeu de séduction d’un mec qui s’était révélé être un connard. Il avait été enjôleur pourtant, il avait du charme mais... il l’avait frappé et n’y avait pas été doucement. Voilà pourquoi la romance, les histoires de couple et autre connerie d’âmes sœurs, elle ne voulait même pas en entendre parler. Oublier tout ça, c’était bien mieux, plus sécurisant. Ce qui ne l’empêcherait pas de s’inquiéter pour Charlie quand même.

- « Ouais... je sais. Ton super pistolet mutant intégré. Mais quand même. »

Ce petit câlin pour se rassurer -parce qu’elle se doutait bien que Charlie n’avait pas besoin d’être rassurée-, c’était aussi un petit peu une excuse et ça n’était pas vraiment super bien d’en profiter. Cela dit, elle ne se faisait du mal qu’à elle. C’était sa façon de faire une croix sur ce qui pouvait se passer dans sa tête. Le reste, elle s’en accommoderait plus tard.
Elle rit un peu face à la bêtise de Charlie pour la rassurer et lui faire comprendre que tout allait bien mais, elle préférait qu’elle jure. Avec une petite moue cela dit, elle regarda son amie dans les yeux.

- « J’ai pas peur des mort-vivants. J’ai peur des cadavres et de la morgue, c’est tout. »

Sauf qu’elle ne bougea plus un cil quand Charlie se positionna juste devant, presque nez contre nez. Ivo fit tout pour faire abstraction de son cœur qui battait trop vite. C’était ridicule. Elle était ridicule. Elle baissa les yeux ensuite aux mots de son amie. En effet. Plus de bulles. Elle se força à ne pas penser à ce qui lui traversait l’esprit et se leva à son tour.

- « Tu vas nous faire remuer sur la kinect en mangeant de la pizza et en buvant de la bière ? Quel intérêt de se goinfrer si c’est pour tout dépenser ? Mais bon, puis que c’est toi... Allons faire quelques pas de danse ! »

 
Elle avait décidé d’interrompre ce bain pour tout un tas de raison : déjà, l’odeur des bougies parfumées commençait à lui monter à la tête, et elle risquait un mal de crâne carabiné si elle ne les éteignait pas rapidement. Ensuite, le bain commençait à tiédir et comme c’était déjà le second qu’elle prenait dans la journée, elle ne pouvait se résoudre à refaire couler de l’eau chaude. Et enfin … Ivory la troublait. Pas comme d’habitude, ou elle arrivait parfois à la surprendre avec ses attitudes ou ses réactions : non, elle la troublait vraiment, comme si elle ne l’avait jamais vu ainsi avant. Comme si elle lui plaisait. Sauf que c’était ridicule, Ivo était son amie, son petit secret qu’elle cachait scrupuleusement à Roman depuis plusieurs mois. Ivory c’était … c’était ses instants un peu égoistes de liberté. Ça ne faisait pas tout à fait pareil avec Ava ou Seth , c’était quelque chose de différent. De nouveau. Elle ne voulait pas tout gâcher parce qu’en l’absence de Roman, une présence auprès d’elle lui manquait. Il fallait dire qu’elle n’avait jamais été seule, Charlie, pas une seule fois. Toujours surveillée, toujours encadrée, toujours… Protégée ? C’était comme ça qu’elle le voyait en tout cas, probablement que si on demandait à Seth, il n’aurait pas utilisé ce genre de qualificatif… Elle noua la serviette rose autour de sa taille, la bleue autour de ses cheveux, et en tendit une blanche à Ivory, presque timidement. Elle qui était si peu pudique, elle ne voulait pas pour autant gêner la grande brune en la fixant plus de quelques secondes. Même si elle en avait un tout petit peu envie.

Attrapant les boites de pizza bien entamées et les bouteilles de bière, elle transporta tout dans le salon en trottinant, le temps qu’Ivory puisse se rhabiller sans qu’elle soit dans ses pattes. Elle vit son téléphone clignoter, et fit dérouler le message qui s’affichait : une liste de la squad qui donnait l’identité de nouveaux mutants détectés à Radcliff, avec leur nom, adresse et capacités. Elle parcourut la liste avec appréhension, cherchant le nom d’Ivory dans la deadpool. Heureusement, elle n’y était pas, mais cela suffit à assombrir le visage de la jeune femme : combien de temps les autres chasseurs mettraient ils à débusquer la jeune femme ? Serait elle assez entrainée pour résister à leurs assauts. Elle n’en était pas sure, et cela l’effrayait. La squad avait prévu de passer la ville au peigne fin, et Ivo se balladait souvent dans les lieux publics. Il ne suffirait que d’un effleurement pour que les bracelets de détection n’en fassent une nouvelle proie, et Charlie ne pouvait pas s’y résoudre. Pas en ce moment, pas maintenant. Elle se faufila dans la salle de bain quand cette dernière en sortit, juste le temps de renfiler son pantalon et son soutien gorge, puis revint dans le salon toute sourire, déterminée, avant d’attraper la télécommande :

- Alors, prête à prendre la raclée de ta vie ?

 

Le moment de la trempette étant terminé, ce qui rassurait un peu Ivory... Elle laissa Charlie vaquer son essuyage et son habillage pendant qu’elle repensait à tout ça en se rhabillant dans la salle de bain. Ce n’était pas plus mal que ce soit fini parce qu’elle ne savait pas trop comment tout ça aurait tourné si ça avait duré plus longtemps. Il n’était pas rare qu’elle se trahisse elle-même et elle aurait sûrement mis Charlie mal à l’aise avec un câlin ou un baiser qu’il lui aurait échappé, un peu comme tout à l’heure et ça, Ivo ne le voulait pas.
Elle s’arrêta devant le miroir et essuya son maquillage qui la faisait ressembler à un panda. Mignonne... tu parles. Elle avait été tout sauf mignonne là, pathétique. Franchement, si elle avait su, elle se serait mis un sac sur la tête. En faisant la moue, elle attacha ses cheveux vaguement séchés à l’arrache avec la serviette et sorti de la salle de bain, ses pompes à la main et avec une meilleure tête, ce qui n’était pas dur quand on excluait le maquillage catastrophique. Cette soirée était bizarre et avoir vu Charlie et en petite tenue et nue n’avait pas rendu ça moins surréaliste, pas plus que l’étreinte, les confidences et tout le reste.

Charlie avait déjà installé les pizzas et les bières, ce fut donc très naturellement qu’elle saisit une bière en ignorant royalement ses battements cœur qui s’emballaient tout seul alors que bon sang... Elles étaient juste dans le salon ! Même si là, Charlie retournait s’habiller. Avec sa bière, elle resta debout un moment près de la fenêtre et sourit quand son amie revint.

- « Rêve, j’suis surtout prête à te mettre une raclée ! J’ai le rythme dans le sang ! »

Ivory attendit que Charlie lance le tour et en profita pour manger un gros morceau de pizza avec quelques olives. Pas que c’était franchement conseillé avant de se dandiner comme une folle devant une console mais, elle avait vraiment faim. Elle but une nouvelle gorgée de bière pour faire passer le tout et la reposa sur la table quand tout fut prêt.
Elle se positionna devant la télé, attendant qu’elle lance le jeu et c’était parti. Danser avec elle devant la wii n’était pas vraiment quelque chose qu’elle comptait faire en arrivant mais, c’était toujours plus fun que de s’interroger sur son crush pour elle et sur ses inquiétudes. Juste pour l’ennuyer, parfois, Ivo poussait un peu Charlie en riant, passant la langue quand elle était concentrée sur l’écran avec un peu trop de zèle. C’était une habitude qu’elle ne perdait pas avec les années et qui la rendait parfois plus ridicule qu’autre chose.

- « J’vais te battre, j’vais te battre, j’vais te battre ! »

Elle répétait ça comme si c’était vrai sauf que pour l’instant, vu leur score, c’était pas tout à fait ça. Au final, Ivo se fichait bien de perdre ou de gagner tant qu’elle s’amusait et c’était clairement le cas.

 
Ce genre de soirée, Charlie en avait vu surtout dans les séries, à la télé, mais n’avait jamais envisagé d’en vivre une pour de vrai. Jamais elle ne s’était vue, dans sa tête, se faire chahuter par quelqu’un pour gagner un point bonus à la danse, terminer une tranche de pizza en se mettant de la sauce de partout, remuer son derrière en pyjama sur du Katy perry en levant les bras devant une victoire écrasante face à une adversaire déconfite mais hilare. Elle se sentait tellement … Normale, Charlie, ou en tout cas tellement normale par rapport à d’habitude, que ça lui fit presque bizarre, en réalité. Elle n’avait jamais été normale, et on ne l’avait jamais considérée comme telle. Elle était un monstre, une arme, elle savait qu’elle faisait soit peur, soit pitié, selon qui l’observait, et cela ne l’avait jamais gêné, auparavant. Mais ce qu’elle voyait dans le regard amusé d’Ivory, ce n’était ni l’un, ni l’autre, et c’était plutôt bien. Elle se dit qu’elle devrait avoir honte d’être contente de ça, parce qu’au final, quand la grande brune à le dos tourné, elle continue à être le monstre destructeur qu’elle a toujours été. A vrai dire, même avec Ivory, elle n’a jamais rien  créé. La grande brune l’empêche simplement de tout détruire pendant quelques heures dans sa semaine, c’est tout. Peut être que ça comptera pour son karma, une fois qu’elle sera morte, mais elle en doute un peu.

Elles jouèrent encore longtemps, facilement une heure, alternant les battles et les danses solos, quand l’une d’entre elle avait besoin d’un break pour manger un truc ou finir sa bière. Du coin de l’œil, Charlie avait remarqué qu’il était déjà tard, et qu’il serait compliqué pour la grande brune de rentrer chez elle à présent. Ce n’était pas si grave, son lit était un king size, et son canapé était juste super confortable, alors elle aurait le choix de ce qu’elle préférait. A plusieurs reprises, elle vit la jeune femme bailler, alors que leurs parties s’espaçaient de plus en plus : avec toutes ces émotions, elle devait être crevée, Ivo, c’était sur… Alors Charlie éteint la console, laissant la jeune femme s’affaler dans le canapé en lui disant quelque chose qu’elle ne retient pas. Elle avait une idée en tête, une idée bien précise, pas marrante, mais nécessaire. Pas pour elle, pour Ivo. Importante même.

-          J’vais me chercher un verre d’eau dans la cuisine, t’en veux un ?

Sans attendre de réponse, elle fila dans la cuisine pour chercher un objet bien particulier dans le placard sous l’évier : une seringue de liquide transparent, qu’elle gardait toujours, au cas où. Elle la rangea dans l’ample poche de son bas de pyjama, puis ramena les deux verres d’eau pour les poser sur la table, comme si de rien n’était. Comme si elle n’allait pas faire quelque chose qu’elle regretterait peut être beaucoup :

-          Ben dis donc, t’as l’air d’avoir un sacré coup de barre … Dodo ?

 

Ivory ne savait pas trop depuis quand elle n’avait pas fait une soirée comme ça. Ses soirées avec Seth étaient bien différentes, beaucoup d’herbes, beaucoup d’alcool et un tas de blagues vraiment loin d’être drôles mais, qui les faisaient rire eux. Ici, c’était différent. Pas le même genre de soirées du tout. Là, c’était juste... elle n’aurait pas su le dire. Spécial. Même pas la même chose que leur soirée dvd. Il y avait quelque chose en plus. Ou alors, elle était définitivement plus atteinte qu’elle le croyait et ce crush était bien plus dangereux que supposé. En attendant, elle préférait profiter de la soirée, de Charlie, de la pizza et de la bière. Oublier tout le reste était plus facile, beaucoup plus facile. Elle se fichait de perdre, ce qu’elle faisait très bien d’ailleurs quand ses mouvements ne synchronisait plus avec l’appareil et que qu’elle perdait la liaison en faisant l’imbécile pour passer derrière Charlie. C’était ridicule mais, elle passait la meilleure soirée de sa vie.
En attendant, tout ça l’avait pas mal remué et ça continuait. Elle savait qu’elle était en train de s’épuiser en faisant des pas de danses à peine crédibles devant une console mais, si elle s’épuisait, elle n’aurait pas de problème pour dormir et elle dormirait peut-être bien. Plusieurs fois, elle lutta contre les bâillements mais, les parties s’alternaient de moins en moins vite. Affalée dans le canapé à présent, la tête sur le dossier à regarder le plafond, elle avait un peu de mal à garder les yeux ouverts.

- « Je veux... » Ivo la regarda filer et sourit en haussant les épaules. « ...bien. »

Vu qu’elle en voulait un de toute façon, ça tombait à pique. La bière, c’était pas franchement très hydratant et elle n’aurait pas été capable d’en boire encore une sans être malade. Digérer en jouant, un art complexe qu’elle n’avait encore jamais expérimenté. En plus, elle galérait vraiment à rester éveillée. Elle remua la tête mollement pour répondre à sa question quand elle revint.

- « Ouais. J’suis un peu cassée là. Désolée de devoir squatter, j’avais pas prévu de... bah tout ça et l’heure. »

Là, elle était franchement prête à vouer un culte à Morphée tant qu’on la laissait pioncer tranquille. Elle était même prête à avouer qu’elle avait trouvé le moyen de s’enticher de Charlie si elle avait le droit troquer ses fringues contre un truc tranquille pour dormir, c’était dire. Quoi que non... Elle n’était pas prête pour ça et ne le serait jamais.

- « Je peux squatter ton canapé et... un truc, n’importe quoi pour dormir ? J’aurais bien risqué le coup de rentrer chez moi mais depuis l’autre taré du musée, j’aime autant éviter. »

Et puis ça ne changeait rien, elle avait promis de faire attention. C’était comique, quelque part. De plus en plus de gens dormaient les uns chez les autres. Elle était même sûre qu’il y avait de plus en plus de coloc’. Sociabiliser les gens par la terreur. Il aurait pu avoir d’autres idées de génie Thaddydou. Il devait avoir de sérieux problèmes relationnels ce type.

 

Charlie avait pris le temps de dissoudre un somnifère léger dans le verre d’Ivory, avant de lui tendre d’un air tranquille : Elle n’y avait pas mis grand-chose, niveau quantité, juste de quoi éteindre la  flamme de ses dernières résistances au sommeil. Elle roula des yeux en l’entendant dire qu’elle aurait pu braver le couvre feu ce soir, se contentant de la regarder avaler sa boisson cul sec : Ivory avait un certain don pour s’attirer des ennuis, presque un penchant pour ça d’ailleurs, alors il était hors de question que Charlie la laisse tenter le diable comme ça. Elle dormirait à l’appartement, sagement, et ce serait très, très bien comme ça.

-          Je vais aller te chercher des plaids, j’en ai plein dans ma chambre. Bouge pas.

Elle prit tout son temps pour chercher les couvertures les plus douces et les plus colorées, se hissant sur la pointe de ses petits pieds pour les atteindre, tout en haut d’une étagère. Quand elle revint, elle retrouva Ivo presque totalement endormie, lovée et somnolente sur le canapé. Elle avait un peu l’air d’un ange comme ça, ou des princesses endormies sur les peintures du musée. Elle la couvrit avec précaution et tendresse, alors qu’elle s’accroupissait ensuite à coté d’elle pour la regarder sombrer totalement. Quand la respiration de la jeune femme se fit bien plus lente, sereine, elle caressa doucement la chevelure de cette dernière, écartant une mèche de ses cheveux pour découvrir son oreille lui murmurant doucement, comme dans un souffle:

-          Tu sais Ivo, On se demande parfois si la vie a un sens et puis on rencontre des êtres qui donnent un sens à la vie. Ce que je fais, je le fais pour toi, et j’espère que tu me détesteras pas trop longtemps, je veux juste que tu sois en sécurité. Il va se passer des choses en ville, des choses graves, et je ne veux pas … je ne veux pas qu’ils te trouvent. C’est tout …

Elle sortit la seringue de vaccin de sa poche, et d’un geste doux, presque amoureux, elle enfonça l’aiguille délicatement derrière l’oreille de la mutante dans un endroit qu’elle ne verrait pas, qui ne la ferrait pas souffrir. Ivory ne bougea même pas dans son sommeil, alors que le liquide commençait déjà à s’insinuer dans son système, et que Charlie soupirait de soulagement. Pendant un mois, Ivory serait hors des radars. Personne ne pourrait la trouver. Ça lui laissait un mois, à elle, pour savoir ce qu’elle voulait, et trouver un moyen de la sortir de là. Elle posa un baiser léger sur le front de l’endormie, s’étira, puis traina des pieds jusqu’à sa chambre. Demain matin, elle ferait comme si de rien n’était, croisant les doigts pour que les effets secondaires n’appairaissent pas tout de suite …

 

RP CLOS