Dire qu’Ivory était énervée était un doux euphémisme. Elle était en colère, elle était blessée et elle se sentait seule, incroyablement seule. Elle n’avait pas pu parler de sa rencontre catastrophique avec un hunter, n’avait pas pu se confier à Seth. Pire, Seth, un des seuls repères qui faisait de sa vie dans cette ville quelque chose de supportable, l’avait attaqué. Il lui avait tiré dessus, comme ça, pour voir, pour le fun. Il avait disjoncté. Tout simplement. Ivo voulait voir Rafcliff brûler, pouvoir regarder chaque flamme noircir cette foutue ville jusqu’à ce qu’elle s’apaise pour de nouveau se mettre dans tous ses états. Elle était perdue et elle le savait. Elle ne pouvait même pas aller voir Pietra pour discuter de tout ça avec elle... Et si Seth était là ? Elle ne voulait pas le revoir tant qu’il était comme ça, elle n’en avait juste pas la force et elle n’avait aucune envie de se faire tirer dessus à nouveau. Elle ne prendrait pas ce risque.
Seulement voilà... Elle était à bout, il fallait impérativement qu’elle parle à quelqu’un et la première personne qui lui vint à l’esprit, ce fut Charlie. Charlie avec qui elle se sentait toujours bien. Charlie qui ne se trompait jamais sur son café préféré. Charlie qu’elle savait désormais comme elle. Seth l’avait un peu taquiné sur ce sujet, prétendant qu’elle avait le béguin mais, elle avait toujours démenti. Elle ne voulait certainement pas que son amitié avec son amie change. Elle avait trop peur de perdre ça. De toute façon, ça ne risquait pas puisqu’il n’était pas question de sentiments. Mais après tout, c’était leur jeu de se taquiner à propos de leur vie privée, il devait en avoir finalement eu marre d’être le seul de qui on pouvait se payer la tête. Il avait juste sauté sur l’occasion. Ivo n’avait d’ailleurs pas bien saisi pourquoi il s’amusait à ça puisqu’aux dernières nouvelles, pour le peu de réponse qu’elle avait pu avoir... ça n’était pas exactement la fête entre Seth et Charlie. Elle n’avait eu que des réponses évasives à ses questions et elle s’était aussi demandé pourquoi Charlie n’avait pas voulu parlé de Seth la dernière fois puisqu’ils se connaissaient. Il y avait peut-être eu anguille sous roche entre ces deux-là ? Elle ne savait et ne voulait peut-être pas savoir. Tout ce qu’elle savait, c’était que Charlie était toujours un amour avec elle et que l’un et l’autre ne voulaient pas trop en dire sur l’autre.
Là, tout ce qu’Ivory savait finalement, c’était qu’elle avait besoin de Charlie. Penaude, elle était devant sa porte, hésitant à sonner à la porte avec ses cafés et ses muffins. L’une comme l’autre ne pouvaient pas s’empêcher de se pointer avec de la nourriture. Elle espérait juste qu’elle ne la dérangerait pas. Elle se penchant et appuya sur la sonnette avec son menton, se mordillant l’intérieur de la joue en attendant, en espérant que son amie soit là.

Charlie n’avait absolument pas prévu de sortir ni même de voir qui que ce soit ce soir. Passer une soirée en tête à tête avec soi même, ça avait quand même son charme. Elle avait pris un long, long bain plein de mousse, et avait barboté jusqu’à ce que le bout de ses doigts et de ses orteils soient tout fripés. Elle adorait cette sensation, elle pouvait passer des heures, à se dissoudre dans l’eau parfumée. Elle était en train de se couvrir le corps entier de beurre de karité quand la sonnette de l’entrée lui fit remonter le museau. Il était étrange que l’on vienne la déranger un soir de semaine, mais Roman avait un certain… Penchant pour les visites à l’improviste.

- Ouiiiiiii j’aaaaar-riiiiiii-ve …

Elle enfila rapidement un shorty et son soutien-gorge, juste assez pour être présentable devant quiconque se trouvait derrière la porte. C’est qu’elle n’était pas très pudique, la Charlie, c’était encore un concept qu’on ne lui avait pas vraiment appris, petite. Elle trottina à travers le salon pour arriver jusqu’à l’entrée entrouvrant la porte pour découvrir une Ivory la tête baissée, fiwant le bout de ses chaussures, un sachet de gateaux et des boissons à la main. La blondinette pencha la tête légèrement sur le côté, comme un chiot interloqué :

- … On avait prévu un truc, ce soir ? j’crois que si c’est le cas, j’ai complétement zappé…

Elle secoua la tête, puis offrit un immense sourire à la grande brune : malgré tout, elle était bien contente qu’elle soit là. Il n’y avait pas une seule fois où la présence d’Ivory lui avait déplu, d’une manière ou d’une autre, elle avait ce caractère à la fois doux et énergique qui s’accordait parfaitement avec le sien, et sa compagnie avait quelque chose de rassérénant. Elle ouvrit la porte un peu plus largement pour laisser la jeune femme entrer, nullement gênée par sa quasi nudité qu’elle expliqua tout naturellement:

- Je sors du bain, je voulais pas faire attendre. Tu peux tout poser sur la table basse si tu veux, le temps que j’enfile un pantalon.

S’éclipsant un instant dans la salle de bain, elle revint tranquillement en pantalon de pyjama rose pâle en pilou et soutien gorge, s’installant en tailleur à coté d’Ivo sur le canapé, se penchant vers elle pour lui déposer un baiser sur la joue :

- Ben dis donc, t’as pas l’air dans ton assiette toi … Tes élèves ont pas été cools avec toi, c’est ça ? Dis moi tout ?

Attentive, elle songea que selon ce qu’Ivo lui raconterait, elle trouverait un moyen de lui mettre un peu de baume au cœur. Il lui restait encore une pile entière de DVD à regarder, et elle avait forcément un scénario qui plairait à son artiste d’amie.  Elle connaissait l’adoration d’Ivo pour les films d’horreur, et elle était à peu près sure d’avoir l’un des chefs d’œuvre de ce réalisateur, là, dont elle ne se souvenait pas du nom et à qui la brune vouait un véritable culte…

Là, sur le pas de la porte avec ses boissons et ses gâteaux, Ivory se sentait vraiment très bête. Elle en était presque en adoration sur ses chaussures, toute prête à tourner les talons malgré tout. Non, Ivo n’était pas à l’aise du tout de se pointer comme ça sans prévenir. Alors, quand la porte s’ouvrit après un j’arrive expressif, elle fut tenté de creuser un trou avec ardeur, surtout après que Charlie lui eut demandé si c’était prévu. Elle tombait sûrement mal, il était tard après tout. Nerveuse, elle joua avec sa bague un moment avant de réaliser que son amie était en sous-vêtements. Finalement, l’idée de creuser un joli trou n’était pas une mauvaise idée. Profond le trou.

- « Je... euh... c’était pas prévu. Merci. »

Que dire d’autre ? Un ange aurait tout aussi bien pu passer qu’elle aurait été dans le même état que maintenant.
Déposant son mini chargement sur la table, elle s’installa et profita juste l’espace d’un instant -sans s’en rendre compte- de la caresse des lèvres de Charlie sur sa joue. Elle se serait collé des baffes. Elle était choquée. Oui. Voilà, choquée ! Elle avait juste besoin de parler avec son amie, de passer une bonne soirée avec un film culte, calée dans le canapé à refaire le monde ou juste raconter des bêtises.
Ah oui, Charlie était revenue déjà. Il était temps de redescendre sur terre. Le respect, ça n’était pas pour les chiens.

- « C’est si flagrant que ça ? » Un gros panneau n’aurait pas fait mieux que la tête qu’elle tirait, malheureusement. « Ouais. Nan. ‘fin... C’est pas la fête quoi. Et nan. Pas mes élèves. »

Elle soupira. Elle aurait préféré chanter la sérénade plutôt que de lui balancer tout ce qu’elle avait sur le cœur mais, elle en avait besoin. Sans même faire attention, elle saisit la main de Charlie et se mit à jouer avec ses doigts, doucement, ne perdant pas de vue qu’elle était brûlée. Sa main dans la sienne, même de façon aussi sommaire, lui faisait du bien.

- « C’est... Bah c’est la merde. Voilà. J’vois pas vraiment comment dire ça autrement. Cette ville est merdique. Les chasseurs sont cinglés. Oui, je sais, ils sont dangereux, je devrai le savoir, tu m’avais prévenu. T’inquiètes pas, l’envie de leur faire un câlin m’est passée. Entre celui qu’on pourrait presque chopper en pleine vénération de son Seigneur et Maître à genoux avec son flingue en guise de crucifix et celui à cause de qui j’me suis fait tirer dessus par Seth... je crois qu’on peut dire que je les hais avec vraiment beaucoup d’amour ! D’ailleurs... je sais que tu le connais, j’sais pas d’où ni rien mais, c’pas le moment de le croiser. Monsieur est en plein bad trip. »

Oula... Elle avait légèrement accumulé semble-t-il. Elle ne pensait pas que ça se passerait comme ça. En fait, elle pensait qu’au final, elle ne dirait rien du tout parce qu’elle ne voulait pas inquiéter Charlie mais, c’était un beau raté. Elle s’assit sur ses mains pour s’empêcher de trembler quoi qu’elle aurait sans doute préféré y enfouir son visage. Son meilleur ami lui avait tiré dessus et ça la frappait de plein fouet.

Pour tout dire, Charlie ne s’attendait pas à voir arriver une Ivory aussi abattue chez elle. Déjà, ce n’était pas le genre de la grande brune, et quand bien même, elle s’était toujours imaginée cette dernière s’isoler pour reprendre des forces plutôt que de venir pleurer sur l’épaule de quelqu’un. Attention, elle ne jugeait pas le comportement de la mutante, mais de la voir ainsi lui faisait mal au cœur. Elle avait l’air d’un chiot battu qu’elle viendrait de recueillir sur une aire d’autoroute et qui craindrait encore de se voir abandonner. Pauvre Ivo.

Confortablement installée sur le canapé, elle ne réagit pas tout de suite en voyant la jeune femme lui prendre la main pour se mettre à toucher sa paume, ses doigts, tout en continuant de parler. C’était un peu étrange comme situation, mais comme elle n’était pas vraiment très au fait de ce qui se faisait et ne se faisait pas entre amies, elle préféra ne rien dire, de peur de froisser la jeune femme. Après tout, ce n’était rien de très érotique, tout juste y avait il de l’affection dans ses gestes, et peut être un besoin de se sentir rassurée. Charlie écouta les malheurs d’Ivo, tâchant de faire mentalement le tri entre les choses pour lesquelles elle pouvait l’aider et celles où elle était totalement incompétente. Par exemple, si elle avait faim, ou soif, ou besoin qu’on lui gratte le dos, elle se sentait de pouvoir le faire. Renverser le pouvoir politique en place en revanche, c’était plus compliqué. Elle se retint de lui demander comment diable elle avait pu se retrouver entre les griffes du très inquiétant Kingsley Morren : Rien que le fait qu’elle puisse connaitre son nom serait super louche aux yeux de la mutante brune, et elle ne voulait pas l’inquiéter encore plus. Elle releva la tête en fronçant les sourcils à la dernière remarque d’Ivo. Quoi, pause stop, Hein ?

- … Seth t’a tiré dessus ? Genre, pour de vrai, avec un flingue qui crache des flammes et une balle et tout ? Et t’es pas blessée ? T’as pu te changer suffisamment rapidement ?

Il y avait une note de fierté et d’admiration  peut être un peu mal placée dans sa voix, alors qu’elle espérait de tout cœur qu’en effet, que la mutante ait suffisamment géré son stress sur le moment pour réagir rapidement, et ainsi sauver sa peau. Son sourire disparut en voyant Ivo mettre ses mains sous ses fesses pour éviter de trembler, alors que son menton lui-même frémissait, prémisse d’un gros chagrin contre lequel Charlie se retrouverait totalement démunie :

- Oh non, Ivo, pleure pas, j’t’en supplie !

Dans un élan tout sauf réfléchi, elle prit la grande brune dans ses bras pour la serrer très fort. Elle-même ne savait pas trop ce qu’elle faisait, mais dans tous les films, il fallait faire ça aux personnes tristes, ça leur faisait du bien. Alors autant essayer avec Ivory, en plus, elle sentait bon, alors ce n’était pas comme si c’était désagréable …

- J’suis sure que c’était pas volontaire de sa part … Ya plein de gens morts dans son entourage, alors je suppose qu’il a pété un cable … C’est pas le premier et ça sera surement pas le dernier … L’important c’est que  toi tu ailles bien. * elle recula un peu, prenant le visage d’Ivory en coupe dans ses petites mains encore chaudes de l’eau du bain, l’air concerné* Et c’est bien le cas, hein Ivo, que tu vas bien ?

Il n’était pas dans les habitudes d’Ivory de craquer mais, trop, c’était trop, il fallait le reconnaître. Ajouté à ça la courte mais néanmoins éprouvante rencontre de son père... tout ça lui laissait un sale sentiment. Celui que les choses n’allaient pas s’arranger. Pessimiste, elle l’était assurément et plus encore maintenant.

Son comportement puéril était assez symptomatique de l’intensité de ce qu’elle ressentait pour le moment. Ivo se réfugiait toujours des façades parfois enfantine pour faire le point. C’était une sale habitude qu’elle avait prise et dont elle ne s’était pas détachée. Elle avait un penchant pour l’exagération même si désormais, ça relevait plus du mécanisme réflexe que d’une réelle théâtralité. Elle était comme ça. Tenir la main de Charlie et jouer avec ses doigts, c’était sa façon de se déstresser, sa façon aussi de rassurer son amie, lui montrer qu’elle n’était pas encore totalement plus bas que bas. Se faire jeter dehors par sa blondie-blanche plus si blanche de cheveux que ça n’était pas dans ses projets. Elle avait beau maintenir qu’elle n’était pas amoureuse, qu’elle n’avait même pas un tout petit crush de rien du tout, elle avait de l’affection pour Charlie. Point. Très amicalement bien entendu.

- « Tiré dessus. Pour de vrai. Avec un vrai flingue. Et une vraie balle. Oui. Seth m’a tiré dessus. Il a pété les plombs j’te dis. Un type l’a vacciné et ça a pas réussi à ses neurones. Il déraille complet, genre vraiment. Il change d’attitude à la même vitesse que j’me ressers du café. Quand j’ai vu qu’il était pas lui-même, quand j’ai vu de quoi il était capable... j’ai muté vitesse grand v et j’lui en ai collé une de toutes mes forces. J’espérais franchement que ça le mettrait KO mais ça l’a juste sonné un peu. Il est solide ce con. Il était pas franchement ravi alors il m’a menacé. J’pensais pas qu’il le ferait, c’est Seth quoi... alors j’ai pas bougé puis j’ai pigé que si et j’me suis barrée. Il m’a tiré dans la jambe, pour voir si j’étais résistante. Une histoire d’occasion à saisir pour tenir une promesse j’crois. Il s’est plus intéressé à moi quand la balle a ricoché. J’ai rien eu. Y a que mon pantalon qui a souffert dans cette histoire. »

Pas que pour être honnête... Elle en voulait à Seth sans lui en vouloir. C’était quand même un sacré coup au cœur qu’elle avait pris, sinon, elle ne serait pas là. Elle avait passé sous silence les cadavres, ses hommes, tout ce qu’elle avait pu en fait et qui ne concernait pas directement l’état dans lequel elle était.

- « J’ai pas envie de pleurer... J’ai envie de hurler et de foutre le feu à cette ville. »

Montagne russe émotionnelle le retour. Elle mit même quelques secondes à réaliser que Charlie était en train de lui faire un câlin. Câlin qu’elle lui rendit en douceur à cause de ses brûlures - elle ne savait pas où ça en était- tant sa présence et son contact lui faisait du bien. Elle soupira et parvint à se détendre un peu.

- « C’était vachement volontaire quand même... » Elle se détacha de son amie pour la regarder et hocher un peu la tête. « Ouais. J’crois que ça va. J’crois que j’arrivais juste plus à garder ça pour moi. Ça faisait trop. »

Charlie tâchait de retenir tout ce qu’Ivory venait de lui lâcher, classant les informations par ordre de priorité comme on lui avait appris à le faire. Déjà, elle s’était assuré de la bonne santé physique et mentale de son amie, ça, c’était fait. Concernant Seth … Et bien, elle n’était tout bonnement pas au courant, pour sa vaccination, mais elle doutait fortement que son vrillage ne soit causé que par l’injection d’une bête substance inhibitrice dans son corps, à moins qu’on lui ait enfoncé la seringue dans le cerveau directement. Il devait bien avoir eu d’autres choses, des gens qui étaient morts –c’était très courant de nos jours-, une autre mauvaise nouvelle ou une décision douteuse qui l’avait mené à de telle extrémité. En attendant d’en savoir plus, elle pouvait pas faire grand-chose, si ce n’était d’écouter Ivo lui raconter cet épisode d’action qui avait du lui briser le cœur. Pauvre Ivory, elle prenait toujours tout trop personnellement, alors forcément après, elle se mettait dans des états pas possibles quand les gens venaient à la décevoir. Pauvre chérie.

- Hmm… je suppose qu’avec sa mutation, un pétage de câble de sa part, c’est toujours impressionnant … Je sais pas, y a pas de gens avec des pouvoirs apaisants dans le coin, ou qui peuvent trifouiller les cerveaux pour les réparer ?

Elle se souvenait qu’en Russie, une de ses camarades de cellule était capable de ce genre de trucs, aller tripatouiller dans les cerveaux des gens pour leur faire dire et faire des choses contre leur gré. Elle-même avait du faire des choses pas très très agréables, à l’époque, sous l’emprise de cette femme-là. Malgré tout, elle offrit un sourire réconfortant à Ivo alors que cette dernière se dégageait de son étreinte, un peu gênée :

- En tout cas je suis fière de toi, réussir à tenir tête à Seth avec tout ce qu’il est capable de faire, franchement, chapeau ! je sais pas si j’aurais pu faire la même chose sans le …

Tuer. Oui, c’était bien ça.

- Mettre KO quoi. En tout cas vaut mieux que ça sorte, pis bon, c’est pas moi qui vais te jeter la pierre là-dessus, ni même à lui. Je suppose qu’il a plus besoin d’aide qu’on le déteste.

Elle passa sa main dans le dos de la jeune femme, avant de se concentrer sur la nourriture qu’elle lui avait ramené, sortant un bout de gateau pour le tendre du bout des doigts à Ivory :

- Allez hop, dans le bec, le sucre c’est toujours bien pour les chagrin. Tu veux qu’on commande un truc, des pizzas, du chinois ou autre ? J’avais pas prévu grand-chose ce soir, alors si t’as des idées de trucs qui peuvent te faire changer les idées, je suis toute ouie ! J’ai eu, des DVD, un ordi avec des jeux, fin pas beaucoup mais quelques uns, j’ai de la musique, un jeu de cartes, des huiles pour le bain si t’as besoin de te détendre…

Elle énumérait tout ça en comptant sur ses doigts, se triturant les méninges pour trouver de quoi changer les idées à son amie. C’était bien normal, non ? Elle n’aimait tellement pas la savoir triste. C’était peut être même la chose qu’elle détestait le plus au monde, c’est dire.

Ivo avait eu beaucoup de trucs à déballer et tout n’était pas très très clair mais, au moins, c’était fait. Elle en avait parlé et c’était le principal. L’affection qu’elle avait pour Seth, c’était quelque chose. Un jour, il l’aidait à monter son canapé et puis sans qu’elle pige d’où c’était venu, ils en étaient venu à copiner, à squatter l’un chez l’autre, à se confier des trucs, à se charrier. Il était devenu l’image qu’elle avait d’une amitié solide et elle avait appris à pouvoir compter sur lui. Peut-être trop même mais, elle refusait de se dire, de se rendre compte qu’elle était devenue dépendante de cette relation. Elle se targuait d’être indépendante, de n’avoir besoin de personne et c’était vrai sans l’être. Le problème, c’était que lorsqu’elle tenait à quelqu’un, elle y tenait avec tout son cœur. C’était son gros défaut et c’était pour ça qu’elle était généralement si farouche avec les gens. Les risques étaient trop grands.

- « J’en sais rien... »

Elle mentait bien sûr. Ivory connaissait quelques personnes qui pourraient peut-être faire quelque chose ou trouver des gens qui pouvaient... Pietra n’hésiterait pas à foutre les pieds dans le plat... Et il y avait Malachi mais, il devait s’occuper de Peter, pas risquer sa peau pour remettre de l’ordre dans la bouillie émotionnelle de Seth. Ils étaient prévenus tous les deux de toute façon.

- « J’suppose que si mais j’suis pas sûre que ça fonctionnerait longtemps. J’sais même pas si c’est permanent son état. »

Elle avait pas franchement pensé à demander et elle n’était pas sûre qu’elle aurait eu une réponse. Y avait peut-être bien un ange gardien mobilisé sur son cas mais, même lui aurait pas pu y faire grand-chose si elle s’était attardée. Il aurait été capable de changer d’avis et refaire attention à elle. Au moins, Charlie était fière d’elle et ça, elle en était fière aussi.

- « J’crois que j’ai surtout eu de la chance même si je m’entraîne un peu depuis que... bah quand tu m’as demandé de faire attention. » C’était un peu bizarre à reconnaître à voix haute. « J’voulais pas que tu t’inquiètes. »

Bête... elle se sentait bête. Elle sauta donc sur la proposition de son amie et avala un bout de gâteau qu’elle lui tendait. Elle ne prit même pas la peine de le prendre en main. Ça aurait pu être sensuel et même plus si elle ne s’était pas jetée comme une morfale dessus pour changer de sujet et si elle n’avait pas des bajoues de hamster. Elle se mit à rire et avala de travers, toussant un peu avant de reprendre son souffle.

- « Pardon. C’était trop tentant. » Elle lui offrit un regard navré mais amusé puis reprit. « Une soirée pizzas et bières ? Qu’est-ce que t’en penses ? J’te laisse choisir ce que tu veux faire comme ça, je vais enfin savoir ce qui te fait plaisir. Je t’entraîne toujours dans mes délires. J’aurais bien squatté ta baignoire aussi mais, ce serait abusé. J’suis pas venue pour me prélasser dans un bain. »

Puis franchement, c’était gênant... Un peu. Ok. C’aurait été carrément gênant. On faisait ça en couple... ou chez la personne dont on était amoureux ou avec qui on passait du très bon temps... mais pas chez une amie. Elle en aurait presque rougit si elle n’était pas elle.

Charlie aimait beaucoup Ivory, peut être d’une manière un peu différente des autres personnes : elle aimait Roman de tout son cœur  par exemple, mais c’était un mélange de respect et d’admiration pour l’homme qui lui avait sauvé la vie lui avait tout appris. Leur liaison n'avait jamais charnelle, et rien que cette idée la rebutait un peu, comme si on avait envisagé un père et sa fille. Avec Seth, c’était exactement l’inverse : ils s’étaient connus bibliquement avant tout le reste ou presque, et c’était la présence du mutant plus que ce qu’il lui avait apporté qui comptait pour elle, et leur romance, si on pouvait appeler ça comme ça, était bien plus physique, bien plus sensuelle. Pour autant, elle n’était pas amoureuse de lui comme elle avait pu imaginer l’amour, comme dans les livres ou les films : elle n’avait pas manqué de sa présence, elle ne rêvait pas de lui la nuit, elle ne fantasmait pas à une vie qu’ils passeraient uniquement tous les deux, comme un couple justement. Et Ivory … elle sentait bien que c’était pas tout à fait pareil encore, sans qu’elle ne sut véritablement ce que c’était : simplement, elle aimait bien passer du temps avec elle, plus qu’avec la majorité des gens. Elle aimait bien l’écouter parler de plein de choses, elle aimait bien la façon dont elle plissait le nez quand elle rigolait trop fort en faisant parfois un petit bruit de cochon. Elle adorait quand elle se transformait en verre la nuit parce que sa main, ou son pied venait toucher la bouteille d’eau ou de vin posée sur la table, et qu’elle rayonnait dans les lumières du soir. Charlie avait cette espèce de tendresse pour Ivo qui faisait qu’elle n’aimait pas la voir triste. Elle ne supporterait même pas ça, vraiment.

-          A part si il a été vacciné au NH25, je doute que ce soit permanent, et ce genre de produit court quand même pas les rues hein… et puis si il est si dangereux, ya un moment où la police va l’incarcérer ou le faire interner pour le soigner, il pourra plus faire de tort après…

C’était horrible à entendre, mais la pragmatique Charlie ne s’en rendait probablement pas compte : Bien sur elle avait de la peine pour Seth, mais déjà, ce n’était pas de sa faute à elle si il s’était mis dans ce pétrin, et ensuite, si il était si dangereux, ami ou pas, il fallait le neutraliser. Si elle perdait le contrôle, elle, elle n’hésiterait pas à demander qu’on l’enferme à nouveau, ou même qu’on lui colle une balle dans le crâne, si ça pouvait sauver des tas de vies à côté …

La jeune femme sourit en voyant Ivo sauter sur l’occasion de manger un bout de gateau qu’elle lui tendait –au moins, elle n’avait pas perdu l’appétit-, avant de froncer les sourcils devant les arguments trop nazes de la jeune femme :

-          Non mais tu plaisantes ? manger dans un bain, c’est genre, dans le top trois des meilleurs trucs à faire sur Terre, au moins. Ya pas moyen que tu refuses ça, limite se serait une offense à mon hospitalité quoi.

Elle attrapa son téléphone en se relevant du canapé, tapant de tête le numéro du pizzaïolo du coin de la rue :

-          Bonsoiiiiiiir, alors ce serait pour une pizza maxi avec de la sauce tomate, du jambon, du chorizo, plein de fromage peu importe ce que c’est, des poivrons, de la sauce piquante mais pas d’olive. Et un pack de bières, et une autre pizza, attendez jvous passe la personne qui va choisir sa pizza. Chez Charlie Munroe, normalement jsuis dans vos listes ! A toute !

Elle fourra le téléphone dans les mains d’Ivory avec un clin d’œil, puis s’éloigna d’un pas chaloupé en direction de la salle de bain ou la grande baignoire d’angle n’avait même pas eu le temps de sécher totalement encore. Elle remit le chauffage à fond, du liquide moussant, puis fit couler l’eau à nouveau. Si Ivo refusait, tant pis, deuxieme bain pour elle, elle n’était pas à un gaspillage d’eau près de toute façon.

Venir chez Charlie, ça avait la bonne chose à faire, Ivory en était sûre. Quand elle la voyait, elle allait toujours mieux après, comme si elle avait plus d’énergie. En fait, elle rechargeait ses batteries. Souvent, elle s’en était rendue compte mais, elle ne s’était pas attardée là-dessus, ça faisait un peu trop comme ces histoires toutes pleines d’âmes sœurs à qui il arrivait malheur quand elles n’étaient pas ensemble ou quand l’une allait mal. C’aurait été franchement réducteur et très neuneu. Non, Charlie était un monde à part en fait... un monde enjôleur et très attractif, peut-être même une drogue ? Hum. Nan, c’était abusé ça. Tout ce qu’il fallait retenir, c’était que ça lui faisait du bien et que c’était le principal.

- « Je t’avoue que je ne lui ai pas franchement demandé les détails. J’me suis tirée avant. Mais... t’as raison. Si c’est permanent, faudra faire quelque chose, il peut pas se balader éternellement alors qu’il disjoncte. »

Elle se trouvait vraiment affreuse de dire ça mais, Charlie avait vraiment raison. S’il était vraiment aussi dangereux que maintenant, qu’il continuait à faire ce qu’elle l’avait vu faire, il faudrait bien faire quelque chose. Il était aussi bien capable de faire un pas de danse en pleine rue que de faire la gigue sur un cadavre. Il semblait avoir chopé un certain penchant pour la mise en scène et franchement, ça faisait peur.
Enfin, elle était là pour aller mieux, pas pour parler de Seth et si ses souvenirs étaient exacts, le sucre, c’était toujours bien pour la déprime.

- « Manger dans un bain ? Sérieusement ? J’ai jamais essayé. C’pas chiant avec la flotte et tout ? » Elle fit la moue en réfléchissant. Pourquoi pas après tout ? « Je ne voudrais pas offenser ton hospitalité alors j’accepte ! Mais te plains pas si je sors toute nue de la baignoire ! »

Elle tira la langue, pas gênée pour un sous de ce qu’elle venait de lâcher. Cartes, Ivory était incapable de mettre un mot sur ses sentiments mais, elle était elle et elle était surtout sans gêne et ça, Charlie s’en était déjà aperçue.

Elle réfléchit donc à sa commande et saisit le téléphone qui faillit presque lui tomber des mains tant sa désormais blondinette d’amie lui avait passé vite. Forcée d’improviser, elle balança la première chose qui lui vint à l’esprit.

- « Euuuh... Oui, c’est pour l’autre pizza. Pour moi, ce sera une quatre fromages avec supplément de jambon, des olives mais pas trop, des poivrons, des champignons et de la sauce piquante aussi. J’peux avoir les olives à part et pas sur la pizza ? Merci ! Dans moins d’une heure ? Cool ! »

Elle raccrocha pendant qu’elle entendait déjà l’eau couler. Hallucinant, un bain chez Charlie. Bah ! Peut-être que c’était vraiment l’extase de manger dans son bain, elle n’avait jamais essayé.

- « Au fait... Avec tout ce bordel et tout ça. J’ai oublié. Y a un film qui a l’air super fun qui sort bientôt, ça te botterait pas d’aller le voir ? C’est un truc genre horreur ou j’sais pas quoi mais ça m’fait toujours rire. »

Dans l’encadrement de la porte, sur le côté, avec juste sa tête qui dépassait du chambranle, c’était assez comique à voir vu que ses cheveux pendouillaient dans le vide. Ce n’était pas tant qu’elle allait vraiment mieux mais, au moins, elle ne pensait pas à ce qui s’était passé...

La petite mutante ne voyait pas en quoi sa proposition de buller dans la baignoire provoquait autant de réactions chez son amie : c’est vrai quoi, qu’est ce qu’il y avait de plus cool qu’un bain, hein ? et puis, sa salle de bain était grande, il suffisait tout simplement de prendre un tabouret pour y poser les boissons, et le carton de pizza sur le rebord de la baignoire ou dans la vasque, et hop, le tour était joué. Elle le faisait tout le temps, avec de la musique en fond, c’était vraiment le pied. Elle fixa Ivory avec un regard étrange, alors que cette dernière la mettait en garde contre sa potentielle nudité dans le bain. Avait elle seulement remarqué que Charlie elle-même était à moitié nue depuis son arrivée ?

- Waaah … J’suis terrorisée. Au pire si c’est insupportable comme vue, j’te balance un caillou dessus, tu seras ma petite sirène de copenhague, mais dans ma baignoire, ce serait stylé.

Voilà, problème résolu, merci au revoir. Charlie l’entendit compléter leur commande au téléphone, alors qu’elle-même contrôlait la température de l’eau, histoire qu’Ivo ne se retrouve pas cuite comme une écrevisse une fois immergée. Elle leva la tête vers la jeune femme qui venait de passer la tête dans l’encadrement de la porte en souriant : un film, au cinéma ? Elle n’allait pas souvent au cinéma, elle n’avait pas l’habitude, aussi l’idée l’enchanta. Spontanément, elle répondit avec un grand sourire :

- Avec plaisir ! tout ce que tu veux, tant que je suis avec toi.

Oui, bon, de l’extérieur, c’était tout de même assez explicite comme réponse, mais Charlie ne faisait que dire la vérité : en général, peu importait ce qu’elle faisait avec Ivory, elle appréciait le temps qu’elle passait avec elle. Alors forcément, elle n’allait pas faire semblant d’hésiter, ou de vérifier dans son agenda si elle était dispo ou pas : en ce moment, Roman faisait le mort, alors elle passait le temps en chassant de temps en temps pour le compte de Thaddéus, et le reste de son temps libre, elle le partageait entre Ava et Ivo. Elle n’avait pas une vie aussi trépidante de celle qu’elle avait pu avoir fut un temps avec Roman, à courir le mutant aux quatre coins du monde, mais ce n’était pas si mal, à bien y réfléchir. Alors non, elle ne ferait pas semblant de réfléchir à savoir si elle en avait envie ou non. C’était le cas, alors autant le dire directement, sans chichi.

- Tu peux t’installer si tu veux, jvais aller chercher la base pour pouvoir mettre de la musique, ce sera plus sympa.

Il y avait assez de mousse dans la baignoire pour qu’Ivo s’y plonge toute entière sans avoir à se soucier de sa pudeur pendant bien une heure ou deux. Et puis elle n’était pas perverse, Charlie, quand même, elle n’allait pas reluquer Ivory comme ça, sans son autorisation ni rien. Elle partit chercher la base musicale dans sa chambre puis les boissons dans le salon, toquant à la porte de la salle de bain avant d’ouvrir, histoire d’être sure qu’ Ivo était déjà sous les bulles. Sans se soucier de la nudité de son amie, elle s’installa sur le tapis de bain, tripatouillant l’engin électronique jusqu’à capter son téléphone, et lancer une première playlist totalement hétéroclite. Elle régla le chauffage pour que la pièce se transforme rapidement en microcosme équatoriale, puis posa la tête contre le rebord de la baignoire, dos à Ivo, fixant le mur avec un sourire :

- Tu vois, jsuis sure que ça doit déjà aller mieux. Et avec à manger en plus, ce sera simplement le paradis.

De la nourriture, de la chaleur, des bulles et de la compagnie. Il n’y avait pas besoin de plus pour rendre la mutante blonde heureuse …
[/size][/color]

Ah ça, c’est sûr que de voir quelqu’un se balader à poil, c’était terrifiant. Ok, si le concierge du lycée se mettait à se balader tout nu, Ivory trouverait vraiment ça très très effrayant. Un vieux cinquantenaire bedonnant, très peu pour elle merci. Elle en aurait presque eu la nausée. Vraiment dégueulasse.

- « J’peux toujours me transmuter en gros caillou dans ta baignoire mais ça fera moins petite sirène, c’est sûr. Puis l’émaille, si c’est pour ressembler à un pot de chiotte, on va éviter. » Sûr que ce serait un grand moment... Vachement sensuel. N’importe quoi. De l’émaille... « On va s’en tenir à la version standard, c’pas mal non plus. »

Pendant que l’eau coulait, elle en profita pour faire sa demande mais, la réponse que lui offrit Charlie, cash, sans détour, la laissa un moment dans le vague. Tant qu’elle était avec elle ? Ivory en aurait presque secoué la tête pour éloigner tout ça. C’était qu’elle se mentait remarquablement bien à elle-même quand elle le voulait. Juste des amies, pas même un petit crush. Non ! Rassurée par elle-même pour elle-même, elle reconcentra son attention sur Charlie.

- « Cool ! J’t’enverrai un message pour savoir quand t’es dispo, quand on y va et tout ça. »

Pas la peine de s’organiser maintenant, il serait temps de le faire plus tard. Ça n’était pas comme si elles étaient des pro en la matière d’ailleurs. De toute façon, pour le moment, un bain chaud et plein de mousse l’attendait. Elle n’allait certainement pas ne pas le prendre. Alors pendant que Charlie partit chercher de la musique, elle se déshabilla, ôta bagues, bracelets, pendentifs et compagnie et puis elle se laissa glisser dans l’eau en soupirant et en fermant les yeux. Pas de doute, les bains, c’était le pied. Le pire, c’était que ça ne la gênait pas le moins du monde de barboter dans la salle de bain de son amie.
Quand elle revint avec la musique et à boire, c’était officiellement devenu la meilleure soirée du monde. Avec juste le genou qui dépassait de la mouse, Ivo regarda Charlie se poser. Ouais, meilleure soirée.

- « T’as raison, ça fait un bien fou. »

Elle posa son menton sur le rebord de la baignoire, faisant remuer l’eau en bougeant, pour pouvoir regarder un peu Charlie. C’est que ça l’intriguait cette histoire de cheveux depuis tout à l’heure mais, elle n’avait pas eu le temps de demander et puis sur le coup, elle avait eu besoin d’évacuer le bordel que tout ce qui était arrivé représentait.

- « Dis Charlie, pourquoi tes cheveux sont blonds ? J’veux dire, tu m’avais dit que tes cheveux étaient blancs parce que t’utilisais beaucoup ta mutation, que ça t’ennuyait pas. Tu t’en sers plus à cause de ce qui t’es arrivé la dernière fois ? Ta surchauffe ou j’sais pas quoi... »

En fait, Ivo pensait que maintenant, ça devait aller mieux, ça faisait un moment qu’elle avait été brûlée. Peut-être qu’elle faisait seulement attention mais, elle ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger. Est-ce que toutes les mutations avaient des effets comme ça ? C’était cool mais un peu étrange quand même. En même temps, dans ce monde de barge...

Charlie était bien contente de convertir son amie au luxe et à la volupté des soirées baignoire. A ces yeux, c’était encore mieux que les soirées pyjama, et de loin. Elle et sa salle de bain entretenait une liaison presque passionnelle, et elle n’imaginait pas un seul instant déménager dans un appartement dont la salle d’eau serait décevante. Une fois bien installée, elle prit une gorgée de sa boisson, le crâne contre le rebord de la baignoire, profitant de la chaleur alanguissante, songeant qu’une fois qu’elles auraient leurs pizzas, se serait vraiment, vraiment parfait. Elle ferma les yeux alors que le clapotis de l’eau dans laquelle trempait Ivo la berçait, n’ouvrant même pas un œil pour répondre à la question de la demoiselle :

- J’ai simplement très peu utilisé mes pouvoirs récemment. Le premier mois après mon accident, j’avais pas le droit de l’utiliser du tout, et puis en plus ça me faisait un mal de chien. Et après, j’ai repris piano, sans trop forcer. En plus, mon employeur m’a permis de me reposer un peu, du coup, et bien … Je suppose que mes cheveux en ont profité aussi, et ils ont retrouvé leur couleur naturelle. Je t’avouerais que ça me fait encore un peu bizarre, mais bon, c’est joli aussi.

Elle rouvrit les yeux tout en basculant la tête en arrière pour croiser le regard clair d’Ivo , le bout de son nez touchant presque le menton de la jeune fille :

- Et toi alors, tu as trouvé, genre, un mentor pour t’entrainer, ou t’es allée chercher sur internet ? Parce que bon, c’est pas wikipédia qui a pu t’aider, je suppose…

La blondie chasseuse était curieuse de savoir comment la mutante s’était débrouillée pour progresser si vite : elle qui était si réticente à utiliser son don, réussir à se transformer suffisamment vite pour parer un tir de pistolet, c’était quand même vaaaaachement le classe. Elle attendit sagement la réponse d’Ivo, s’amusant à détailler son visage qu’elle voyait à l’envers, la faute à sa position un peu étrange : mais même comme ça, elle était agréable à regarder Ivo.

- C’est marrant, t’es jolie même à l’envers. C’est pas le cas pour la plupart des gens.

Elle reprit une gorgée de boisson, bailla, avant de se reconcentrer sur la jeune femme :

- Ça va, t’as pas trop chaud, pas froid ? Si l’eau refroidit trop vite, tu peux en rajouter hein, je paye pas cette facture, c’est inclue dans les charges. Et ton film qui fait peur, c’est un truc de zombie, ou plutôt les trucs gores qu’ils font pas mal en ce moment ?

Autant Ivory l’avait converti avec enthousiasme aux films de zombie, autant elle avait du mal avec le cinéma gore. Ne vous méprenez pas, elle n’avait pas peur, mais elle avait elle- même vu tellement de corps dans des états extrêmes que tout ce qu’on pouvait lui montrer dans ce genre de films lui paraissaient terriblement … Faux. Genre, le sang ne giclait pas comme un arroseur automatique d’une gorge. Pis il avait rarement tel couleur ou telle texture. Et ne la lancez jamais sur l’utilisation du maquillage pour faire une ventre ouvert… Elle avait éviscéré quelqu’un, une fois, et ça ne ressemblait clairement pas à de la saucisse comme dans le dernier film qu’elle avait vu .

Les bains, Ivory avait toujours adoré ça. Quand elle avait cherché son appartement avant de filer de chez sa tante, elle avait absolument voulu un appartement avec une vraie salle de bain et surtout, une baignoire ! C’étai indispensable. Elle avait pour les bains une véritable adoration. De la musique, de la mousse, des sels de bain, des bougies même parfois et elle était capable de s’endormir dedans. Ça la tranquillisait, apaisait ses nerfs mais, Charlie semblait avoir élevé l’art de prendre un bain à des hauteurs insoupçonnées. Manger et boire dans l’eau, voilà une chose qu’elle n’avait encore jamais faite. Ni le prendre chez une amie qui restait tout à côté d’ailleurs.
Au moins, ce moment de calme lui permettait de répondre à une question qui lui tournait en tête depuis qu’elle arrivait de nouveau à réfléchir correctement. Les cheveux de Charlie. C’était donc bien ça, moins d’utilisation de sa mutation. Est-ce qu’elle aurait aussi aurait des changements physiques si un jour elle l’utilisait beaucoup ? Aucune idée. En tout cas, Charlie avait beaucoup de charme comme ça ou avec ses cheveux blancs.

- « Et ben blanc ou blond, c’est du pareil au même, c’est toujours aussi joli. Moi, j’aime bien les deux. »

Quand son amie bascula la tête en arrière, elle ne bougea pas tout de suite, pas vraiment, et pas très consciemment. Elle baissa encore un peu le regard, offrant un angle de vue un peu bizarre. Elle se mordit la lèvre un moment et haussa les épaules.

- « Pas vraiment. J’ai muté un peu plus histoire de mais... bah j’aime pas parler de ma mutation avec les gens et j’peux pas exactement passer une petite annonce pour ça quoi. C’est pas aussi simple que de passer un message dans la rubrique des cœurs paumés pour retrouver un crush de transport en commun. Note que c’est drôle comme section dans le journal... ou triste, j’arrive pas à me décider suivant les messages. Bref. Non. Quand j’ai peur ou quand je suis vraiment en colère, ça va super vite. Juste du bol. J’te l’ai dit. J’ai toujours peur de rester coincée en plus. »

Charlie ne s’était jamais moqué de cette peur et elle l’encourageait même à s’entraîner plus, à maîtriser sa mutation parce qu’elle ne voulait pas qui lui arrive un truc. Ça, Ivo l’avait bien compris. C’était une autre paire de manche de s’y mettre. Pour le moment, elle avait plus de chance de croiser un ange que de trouver quelqu’un pour l’aider à progresser. Tout le monde avait ses emmerdes.

- « Merci ! En même temps, on a rarement l’occasion de regarder les gens à l’envers. Et mais attends, moi aussi j’te vois à l’envers ! » Elle changea de position et se souleva un peu de la baignoire, pas trop quand même. « Ah ben tout pareil pour toi. Tu ressembles à une chips... parce que t’es craquante. Et peut-être parce que j’ai faim aussi. »

C’était le truc le plus débile qu’Ivo avait dit de sa vie ça. La pression qui retombait sûrement. Elle se remit bien dans la baignoire et reposa son menton sur le rebord.

- « Nope, c’est nickel. La température est parfaite. Pour le film, c’est plus un film qui joue sur le stress j’crois. Y a rien de gore. C’est avec une poupée. Pas à la Chucky hein. Plus version Annabelle. Tu connais ? »

Ivory n’aimait de toute façon pas le gore. C’était trop dégueulasse pour elle et franchement, y avait d’autres trucs plus fun à regarder.

Charlie écoutait les explications d’Ivory sur sa difficulté de trouver un partenaire pour s’entrainer : forcément, ce n’était pas le canard local qui pourrait faire la liaison entre la grande brune et un mentor façon Yoda. C’était presque dommage que Seth soit totalement barjot en ce moment, ils auraient fait un couple d’entraineurs super pour Ivo : elle comme lui maitrisaient leur pouvoir à la perfection, et ils aurait pu lui faire de super démonstrations de toute la potentialité de son pouvoir. Sauf que voilà, Seth était devenu une sorte de démon créteux, bien loin de l’ange  gardien dont avait besoin la mutante pour le moment. Charlie songea qu’elle pourrait peut être chercher quelqu’un pour Ivo, ele devait bien avoir deux trois mutants un peu costaud dans son répertoire à chasser à qui elle pourrait en toucher un mot. Elle gloussa en entendant la réplique de sa petite sirène qui se penchait un peu plus pour la regarder : elle avait vraiment de jolis yeux Ivo, on avait envie de nager dedans tellement ils étaient bleus.

- Hahahaha c’est trop gentil ça, meilleur compliment de la terre ! tu sais que je t’aime toi ?

Elle tendit le cou pour poser un bisou sur le menton de la mutante juste au dessus d’elle, alors que la sonnerie de la porte d’entrée sonnait une première fois. Elle sauta sur ses pieds avec une agilité féline, souriant de toutes ses petites dents pointues à l’idée de voir enfin les pizzas arrivées. Elle faillit dire à Ivo de pas bouger, mais en même temps, elle se doutait qu’elle n’allait pas sortir de la baignoire pour saluer le livreur. Elle trottina de son pas dansant jusqu’à la porte d’entrée, ouvrant la porte à un garçon au visage poupin, presque un bébé. Il fixa Charlie, ou plutôt le soutien gorge de cette dernière avec un mélange de stupéfaction et d’admiration. Pourtant, il n’y avait rien de sensuel ou même de charmeur  dans le comportement de la jeune femme qui lui arracha littéralement sa commande des mains en lui tendant deux billets de vingt sur lesquels il pourrait garder la monnaie, merci au revoir. Il eut à peine le temps d’utiliser son ton enjôleur pour entamer la conversation avec la jolie blonde que déjà elle lui claquait la porte au nez. Elle balaya le salon du regard, tenant ses pizzas et ses bières d’une main, comme une serveuse, avant d’attraper de celle qui était libre deux petites bougies qui semblaient se battre en duel sur sa table basse. Parfait.

Quand elle revint sur dans la salle de bain, elle posa les pizzas sur le tabouret à coté de la baignoire, les bières à même le sol, puis disposa les deux petits lumignons sur l’évier, les allumant du bout de son index brillant, avant d’ouvrir les bras en grand comme une magicienne qui vient de finir son tour de passe passe :

- Taaaaaada ! diner aux chandelles dans la salle de bain, c’est pas exceptionnellement trop cool ? Fais gaffe par contre si tu mets de la sauce piquante, celle de cette pizeeria arrache, tu risques de cracher des flammes…

Elle s’assit en tailleur face à Ivo, sur le tapis de bain, attrapant une bière pour la décapsuler et en boire une gorgée :

- Donc, tu disais, un truc de suspens et d’angoisse… J’espère que c’est pas un de ses films dans la forêt qui commence par un couple en plein batifolage dans une voiture, le mec entend un bruit et va voir, la nana se retrouve seule dans la voiture et après Couic.  Malgré tout le respect que j’ai pour les scénaristes, c’est tellement cliché… Tu trouves pas ?

Son explication donnée sur la façon bancale dont elle s’en était sortie, Ivory se demandait si elle n’avait quand même pas un ange gardien qui s’était penchée sur son épaule. La balle, elle aurait très bien pu se la prendre dans la jambe et ça ne faisait aucun doute que tout ça aurait très très mal fini. Fuir son meilleur ami armé avec une balle dans la jambe, ça ne devait pas être une mince affaire. En attendant, elle était chez Charlie, elle était bien et elle racontait des énormités plus grosses qu’elle. Sauf que voilà, y a des mots qui surprennent parfois, voire même des phrases. Quelque part dans le cerveau d’Ivory, c’était la panique. Il ne pouvait pas être question d’une déclaration. C’était Charlie. Charlie ne disait pas je t’aime. Charlie ne pouvait pas l’aimer. Il n’y avait définitivement pas d’amour entre elles ? Si ? Raaah ! Tout ça, c’était la faute de Seth avec ses conneries, à la titiller sur son crush, à essayer de lui faire avouer qu’elle éprouvait quelque chose. C’était quoi cette formule débile déjà ? Si l’amour est un crime alors fait de moi ta victime ? Ben là, elle était victime de toutes ces bêtises à propos des sentiments. N’importe quoi. Elle se ressaisit pile au moment du bisou sur le menton, sauvée par la sonnerie de la porte. Elle en profita donc pour tenter de se laver les neurones en s’enfonçant la tête sous l’eau. Tous les sons étaient déformés, c’était comme un cocon ou être sous la couette, le côté doux du plaid en moins.
Entendant Charlie revenir dans la salle de bain, elle se décida à sortir de son apnée et à remonter à la surface. L’odeur des pizzas se mit à se répandre dans toute la salle de bain et rapidement, son estomac la rappela à l’ordre. Envolées toutes les questions, quoi que pas trop vu qu’elle avait droit à un dîner aux chandelles spécial trempette.

- « C’est la classe. J’crois que ce sera le meilleur dîner de ma vie, le plus cool et le plus barré. J’veux faire un selfie pizza baignoire pour immortaliser ça. Tu peux pas refuser, je veux un souvenir. »

Elle l’aurait son selfie, foi d’Ivory ! En attendant, sous les conseils de sa blondinette d’amie, elle ne mit pas trop de sauce piquante, histoire de pouvoir encore articuler et parler. Inutile de dire qu’elle s’essuya les mains avant de le faire et d’attraper son bout de pizza. La pudeur n’était pas trop son truc, aucun doute que Charlie apercevait sûrement quelques éléments de son corps nu au vol. Elle n’était plus à ça près et puis une poitrine, son amie en avait une aussi, elle savait à quoi ça ressemblait. Flûte. Ça n’avait rien d’érotique, ce n’était même pas sensuel. C’était juste la pudeur bancale d’Ivo qui frappait encore.

- « Alors ouais. Mais nan. Le film en fait, ça se passe dans une super grande maison. Y a un couple de vieux qui appellent une baby-sitter. Gros stress, le gamin, c’est une poupée. T’imagines la tête de la nana qui arrive. Sauf que ça se passe forcément pas si bien. J’te montrerai la bande annonce voir si ça te plait. Rien à voir avec un Détour Mortel moisi, t’en fais pas. J’ai détesté. »