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 speaking of a friendly place in this world. (camille)

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MessageSujet: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeSam 30 Jan 2016 - 22:59


now i've got trouble
trouble, yeah, fly me away


Comme si on pouvait imaginer que cette soirée devienne plus pourrie qu’elle ne l’avait déjà été. Ça ne lui avait pas franchement traversé l’esprit, au moment où les balles avaient perforé sa peau pour s’insérer pernicieusement dans ses organes vitaux. Mourir, c’était suffisant. Ça faisait déjà suffisamment de choses à raconter quand elle se réveillerait, et qu’elle irait retrouver Lilo pour la rassurer. Elle peinait à imaginer l’état de son amie. Bien que celle-ci connaisse les capacités dont la dotait sa mutation, le choc de la voir se faire tuer au beau milieu de cette soirée se voulant légère et endiablée avait dû la retourner. Tout ce que la Hyde espérait, c’était que la culpabilité n’allait pas trop la ronger, en attendant qu’elle ne la retrouve. Mais connaissant la petite intangible, elle ne s’en faisait pas trop. Les capacités de survie de Lilo étaient suffisamment développées pour qu’elle tienne jusque là. Perdre un corps, ce n’était pas si grave. Le seul inconvénient, c’était de devoir s’habituer au suivant.

Oui, mais voilà. Mourir, ça ne suffisait pas. Il avait fallu que son foutu don de réincarnation choisisse le corps d’une fille qui semblait attirer les ennuis comme le sucre exaltait les guêpes. Elle avait ouvert les yeux au milieu d’une ruelle pourrie, visiblement entre quelques entrepôts qu'elle reconnaissait comme étant à l'écart de la ville, et cernée des cris paniqués d’un imbécile de première catégorie. Elle respire plus ! Elle respire plus putain ! Faut qu’tu viennes ! Magne-toi ! Au téléphone, l’autre beuglait. Son copain surveillait que personne ne se ramène. Et elle, elle reprenait lentement ses esprits dans un corps qu’elle ne connaissait pas, projetée dans une vie dont elle ignorait tout. Tout ce qu’elle ressentait, c’était la douleur sourde à l’arrière du crâne, et celle qui fendait sa pommette et son arcade gauches. Et son instinct qui, solidement accroché à son nouvel esprit, et visiblement décuplé par la personnalité dont elle avait pris la place, lui hurlait de se relever et de prendre ses jambes à son cou. Ce qu’elle avait, contre toute attente, réussi à faire. Après une ou deux minutes paralysée, à essayer de reprendre contact avec le corps pendant que les deux autres s’engueulaient à l’autre bout de la ruelle en guettant un homme qui n’arrivait pas, elle avait enfin réussi à bouger. Par chance, elle commençait à avoir de la bouteille en matière de changement de corps. Ainsi, elle avait rapidement retrouvé des marques. Elle ne s’était pas habituée à tout ce que cette nouvelle enveloppe impliquait, mais peu importait. Lorsqu’il s’agissait de courir pour sauver sa peau, il n’y avait pas besoin d’être un génie, ni de comprendre comment l’univers fonctionnait. Savoir actionner une paire de jambes était amplement suffisant.

Alors elle s’était relevée, sans se poser plus de questions. Et elle avait fui. Les deux autres gueulaient tellement qu’ils ne s’étaient rendu compte de rien. Elle avait rapidement tourné au coin de la rue et elle avait disparu. Ses jambes la portaient douloureusement et le cardio de cette fille semblait plus que précaire, mais elle s’en fichait. Qui qu’étaient ces deux gars, ils avaient frappé cette fille et l’avaient tuée. Elle leur devait sûrement du fric, vu l’état de panique dans lequel ils s’étaient mis, et vu les coups de téléphone passés. Ou la situation était peut-être bien plus compliquée que ça. Mais dans tous les cas, la fête aurait repris si ils s’étaient rendu compte de ce réveil. Et elle n’était pas certaine d’apprécier être conviée à ce genre de party.

En courant, elle s’était demandée où elle allait bien pouvoir se réfugier. Pas question de retourner à l’ancien appart’ qu’elle occupait — il serait très certainement fouillé par les Hunters après son infortuné décès. Pas question de partir à la recherche de Lilo, pas tant que les choses ne seraient pas un tantinet retombées. Et elle ne connaissait pas grand-monde d’autre, ici. Le couvre-feu était déjà passé, et elle pouvait risquer de se faire descendre n’importe quand, par n’importe qui. Il lui fallait un endroit où se cacher, un endroit où il ne lui arriverait rien. Et vite. L’idée, saugrenue, lui passa rapidement par la tête. Elle savait qu’il était en ville. Il l’avait déjà croisée par le passé, dans une autre enveloppe que l’originelle d’Elisa. Il ne savait peut-être pas ce qu’elle était, où elle était, ni en quoi consistait sa capacité, mais ça n’avait pas d’importance. La semaine passée, elle l’avait vu. Elle l’avait suivi. Elle savait où il vivait. Et elle retombait au sein familier de ces vieux instincts, du temps où on l’appelait encore Elisa Hyde, et que sa vie était des plus normales qu’il soit. Le réflexe d’aller chercher la protection d’un homme qui pourrait la lui assurer. De quelqu’un qui, pour elle ou pour son père, aurait tout fait.

Elle s’étonna, l’espace d’une fraction de seconde, d’être aussi proche de la rue où elle se souvenait clairement l'avoir vu habiter. Néanmoins, la surprise fut rapidement balayée de son esprit, et elle tendit à s’en réjouir. Elle passa devant les maisons, une à une. Et lorsqu’enfin elle arriva devant celle de son souvenir, elle remonta expressément la petite allée, et enfonça son doigt sur la sonnette sans réfléchir. Après trois secondes, elle se mit à frapper de l’autre main, sans cesser de faire retentir le bruit strident à l’intérieur de la bâtisse. Elle n’avait pas encore la moindre idée de ce qu’elle lui dirait, lorsqu’il ouvrirait, mais ça n’avait pas d’importance. Tout ce qui comptait, c’était qu’il ouvre. Qu’il la sorte de ce pétrin dans lequel la grognasse aux énormes seins qu’elle habitait désormais s’était foutue. Qu’il fasse quelque chose. Mais quoi ?

N’importe quoi, pourvu qu’elle passe la nuit.
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Silas Barnes
Silas Barnes

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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeVen 5 Fév 2016 - 23:37

They say that time's supposed to heal ya
But I ain't done much healing

Camille venait à peine de s’écrouler sur son lit quand la sonnerie de sa porte se mit à retentir en continu. Le son strident lui vrilla les tympans, accentuant une migraine qui le torturait déjà depuis des heures. Il était épuisé, avait un besoin impérieux de dormir et de se reposer. Fermer les paupières, même pour une fraction de secondes, lui avait paru être la meilleure chose qui fut. Il savait bien qu’il aurait du mal à s’endormir, mais … Il était loin d’imaginer que quelqu’un, une personne physique et non plus un effet de son propre cerveau, allait s’ajouter à ses difficultés pour trouver le sommeil. Il eut à peine le temps de maudire celui qui s’en prenait de cette façon à sa sonnette, et encore moins le temps de se demander qui pouvait bien s’acharner ainsi, que des frappements sonores vinrent s’ajouter au boucan. Immédiatement, il ouvrit les yeux et se redressa sur son lit, bien plus alerte. Ses doigts se glissèrent prestement vers le revolver qu’il gardait à présent toujours auprès de lui – il n’avait plus envie d’être la victime gratuite des bourreaux de ce siècle – et il se leva. La pièce tourna un peu autour de lui quand il posa les pieds au sol, mais il retrouva bien vite sa stabilité. Les coups retentissaient toujours, sans discontinuer, et cette fois il se demanda sérieusement à qui il devait cet acharnement. Les rares personnes qu’il connaissait à Radcliff et qui savaient où il habitait se divisaient en deux catégorie bien distinctes : ses voisins, aimables et polis, qui n’avaient jamais franchi le seuil de son jardin ; et les autres, qui se résumaient en tout et pour tout à deux demoiselles, bien différentes l’une de l’autre mais qui toutes deux ne s’étaient jamais embarrassées d’une quelconque sonnerie pour entrer chez lui. En résumé, il ne voyait absolument pas qui pouvait être en train de tambouriner à sa porte en sonnant comme pour réveiller une armée de morts. Mais ça ne présageait rien de bon, et ce fut la raison pour laquelle il glissa son arme dans sa ceinture, cachée dans son dos mais bien présente s’il devait se défendre. Il avait fréquenté un peu le club de tir de la ville, et avait retrouvé ses anciens réflexes avec un étrange plaisir. Il se sentait démuni, dans cette époque inconnue, mais son arme le ramenait dans le passé … Et lui donnait un point d’ancrage plus stable dans la réalité. Il savait toujours très bien se défendre.

Il traversa d’une démarche souple les quelques mètres de couloir qui le séparaient de la porte d’entrée, et jeta un coup d’œil à travers le judas. Il préférait savoir d’avance à qui il avait affaire, puisque cette personne daignait frapper au lieu d’entrer directement. Camille avait commencé à douter que les gens connaissent encore ce moyen de s’annoncer, puisque tous ses visiteurs précédents s’étaient introduits chez lui sans demander la permission … Bon, il avait la preuve que frapper n’était pas encore désuet à cette époque, mais vu la violence de son interlocuteur, il n’était pas certain que ce soit une bonne nouvelle …  Pourtant, la personne qu’il vit dans la petite ouverture à travers la porte n’était pas du tout ce à qui il s’attendait. Il s’était imaginé un homme à la mine patibulaire, plutôt du genre costaud et prêt à lui refaire le portrait peut-être, et trouvait à la place une petite brunette … Qu’il reconnu immédiatement. Il s’empressa d’ouvrir la porte, mettant ainsi fin au vacarme de la sonnette et de ses coups réunis. « Roxanne ? » La voix de Camille trahissait autant sa surprise que sa crainte. La jeune fille habitait à quelques maisons d’ici, et s’il ne la connaissait pas très bien personnellement, il l’avait déjà tirée une fois des ennuis où elle s’était fourrée … Et visiblement, elle avait remis ça. Elle avait le visage tuméfié, les vêtements en sang, et elle semblait terrifiée. Il la prit par le bras pour la faire entrer chez lui, et referma la porte derrière elle, non sans avoir vérifié auparavant que personne ne rôdait alentour. Elle s’était frottée à des hunters au moins une fois … Elle pouvait en avoir amené d’autres dans son sillage, et c’était la dernière chose que souhaitait Camille. « Mon dieu Roxanne, qu’est-ce qui t’est arrivé ? » D’un geste doux, il déplaça une mèche de cheveux qui barrait le visage de la jeune fille pour mieux pour évaluer l’ampleur des dégâts. Elle semblait avoir l’arcade sourcilière ouverte, mais rien de très sérieux. Pas de fracture ou de commotion, du moins autant qu’il puisse en juger. Il était plus inquiet pour le reste, ses vêtements maculés de sang et son teint cireux. Elle allait résolument moins bien que la dernière fois qu’il l’avait croisée, et pourtant elle n’était déjà pas en très grande forme à ce moment. « C’est ton sang ? Tu es blessée ? » Sans attendre de réponse, il l’entraîna jusqu’à son salon. Si elle était à nouveau en état de choc, comme la dernière fois qu’il l’avait récupérée en ville, il ne pouvait pas faire grand-chose pour elle, sinon essayer de la rassurer. Il s’occuperait ensuite de ses blessures éventuelles. Elle tenait debout, et elle était arrivée jusque chez lui, elle ne devait pas être blessée trop sérieusement. « Assieds-toi, je vais te faire un thé, d’accord ? Et tu me diras ce qui s'est passé. » Le thé, son remède pour à peu près tout et n’importe quoi, une méthode brevetée Caldwell depuis le début du siècle.
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeSam 6 Fév 2016 - 19:30


too old to die young now,
above or below the ground.


C’était la merde. Fallait encore courir, encore s’enfuir. Toujours prendre ses jambes à son cou, sans pouvoir de s’accorder de trêve. Si elle s’arrêtait, le monde la rattrapait, lui tombait sur le dos et la tuait à nouveau. Elle avait le chic pour s’attirer les pires ennuis possibles, et il fallait croire que son don recherchait cette même composante dans la personnalité initiale des corps qu’elle devait habiter par la suite. C’était un foutu fardeau, une malédiction sans nom. Elle avait appris à s’adapter et à se sortir des ennuis dans lesquels elle se mettait — où on la mettait. Mais la lassitude de devoir courir restait la même. Ce changement de corps-là ne faisait pas exception aux précédents. Et il commençait même on ne peut plus mal.

Lorsque la porte s’ouvrit, elle cessa son vacarme. Le doigt se retira de la sonnette, son poing d’abaissa, et elle se contenta de vriller ses yeux dans ceux de son interlocuteur. Elle s’apprêtait à ouvrir la bouche, prendre la parole pour s’excuser de le déranger alors qu’il ne devait pas la connaître. Elle était prête à lui balancer la bombe en plein visage, « c’est moi, Elisa, cherche pas, j’t’expliquerai », sans plus réfléchir. Prête à expliquer pourquoi une inconnue tambourinait comme ça à une heure avancée. Mais elle fut simplement coupée dans son élan, alors que ce visage familier et témoin des vestiges d’un lointain passé se mettait à parler. Roxanne ? Et elle bugua, la petite Hyde, se voyant enlevé les mots des lèvres, et soudainement laissée incapable de les retrouver. Incapable de se rassembler. La bouche ouverte, prête à gober les mouches, elle attendait que le temps de surprise passe. Et lorsqu’il prit fin, ce fut pour se voir attrapée par le bras et tirée à l’intérieur. Pas sûre de comprendre ce qui était en train de lui arriver, elle se laissa néanmoins faire. Elle ne répondit pas à ses questions, essayant de trouver une réponse adaptée. Se demandant s’il valait mieux jouer la comédie et être Roxanne, ou laisser place à la raison véritable pour laquelle elle était là. Elle se sentait des envies de se mettre à parler, de lui balancer tout un tas de faits, tout un tas de questions. Du genre : « ah okay, j’m’appelle Roxanne », « d’où tu la connais, en fait ? », « c’est fou, t’as pas changé », ou encore « pète un coup, j’vais pas mourir ; en fait, ça vient juste d’arriver. » Mais rien ne venait. Rien ne sortait. Elle se retrouvait muette, traînée dans une maison qu’elle n’avait jamais vue, et qui lui paraissait pourtant plus familière qu’elle ne l’aurait dû.

Elle se laissa attirer dans le salon, réfléchissant toujours par quel angle aborder les choses. Songeant toujours à ce qui était en train de se passer, à cette situation plus qu’incongrue. Visiblement, il connaissait cette fille. Cette Roxanne. Au moins, elle avait un nom — c’était mieux que rien. Il savait qui elle était, et il avait l’air de l’apprécier. Au point de lui ouvrir la porte et de la faire rentrer sans plus tarder. Fallait dire ce qu’il était : elle connaissait suffisamment le Caldwell pour savoir qu’il avait dû regarder par le judas avant d'agir, et qu’il devait avoir une arme non loin, juste à portée de main. Un coup d’œil rapide à la silhouette de l’homme. Rien devant — si c’était pas devant, il devait l’avoir coincée derrière. Il avait beau ne pas avoir changé d’un poil physiquement, les décennies avaient beau avoir passé et elle avait beau essayer de ne plus s’étonner de voir son entourage direct avoir traversé les époques en étant resté plus intact qu’elle, elle savait qu’on ne changeait pas la nature profonde des gens. Elle l’expérimentait à chaque changement de corps, se teintant en surface de la personnalité des âmes qu’elle remplaçait, se retrouvant influencée par leurs manières de vivres. Elle ignorait encore ce que cette Roxanne lui réservait, mais son petit doigt lui disait qu’elle ne tarderait pas à le découvrir. Camille, lui, n’avait pas de souci de changement de corps. Il était toujours le même, strictement le même, et elle doutait véritablement que les années passées aient fait changer sa personnalité au point qu’il s’en trouve soudainement rempli de confiance et de générosité envers la totalité de ses prochains. Fallait pas non plus prendre les enfants du diable pour des canards apprivoisés.

« Mais non, j’suis pas blessée. C’est juste mon trip de m’maquiller comme si je m’étais fait bastonner. » Pas d’amertume dans la voix, pas de méchanceté voilée. Une simple malice, de l’ironie salée ponctuée d’un sourire douloureux. Et elle savait pas d’où ça venait, mais c’était sorti sans qu’elle n’y réfléchisse, en réponse à la question du Caldwell. Sa voix un peu rocailleuse l’avait étonnée l’espace d’un instant, mais elle passa rapidement outre, enchaînant : « Va pour un thé, avec du sucre fermenté et liquide tant qu'on y est. J’ai besoin de m’réveiller. » Et une goutte de rhum ferait parfaitement l’affaire. À lui de trouver un thé pour aller avec, ou de décider de se passer des herbes dans une tasse de flotte. Et elle se laissa tomber dans le canapé sur ces mots, tandis qu’il s’éloignait. Elle attrapa des mouchoirs dans une boîte posée sur la table basse, tamponna le sang qu'elle sentait couler, grimaça et soupira un instant. Son choix n’était toujours pas fait. Lui dire la vérité, ou jouer à Roxanne et espérer qu’il marcherait ? Pour la première fois, elle en venait à vraiment hésiter — fatiguée de courir, fatiguée de se cacher.

Ses yeux balayèrent un instant le salon. Dans un coin, elle aperçut un miroir. En un bond, elle fut sur pieds. Elle se précipita devant la surface polie, désireuse d’autant voir sa gueule cassée que de découvrir son nouveau visage. Elle se planta devant le verre, et ne put s’empêcher d’avoir un léger petit sursaut. Y avait pas à dire, même si elle s’attendait à voir quelque chose de nouveau, c'était toujours un choc d'autant changer. Plus de peau basanée, plus de tatouages. Plus de tresses sur la tête, plus de bouille féline. Rien qu’une masse de cheveux noirs, des lèvres pulpeuses, une peau qui ne prenait visiblement pas assez le soleil, un perpétuel air malicieux. Et surtout, une énorme paire de seins. « Ouuuuuuh, j’ai gagné au moins trois bonnets avec toute cette histoire, moi. P’t-être même quatre. » Et qu’elle se regarda de profil, réajustant son haut, s’observant sous plusieurs angles. « J’l’aime bien, elle, tiens. Roxanne, c'pas mal. Ça m’va bien. » Soudainement, sans qu’elle ne prenne le temps de réfléchir davantage, les options venaient de se trier au fond de son crâne. Faire semblant ne la tentait plus. L’état de choc tendait à passer. L’impression de sécurité qu’elle éprouvait en présence du Caldwell lui faisait considérablement relâcher son attention — et son attitude en général. « Bon, ça ira mieux quand j’aurais plus la gueule dans cet état, j’suppose. M’enfin, c’est les risques du métier. » Elle posa ses mains sur ses hanches, après avoir essuyé le sang qui lui perlait de l’arcade. Elle fit volte-face, faisant le tour du salon, le nez en l’air et la mine curieuse. C’était décidément une soirée agitée. Pour elle, le plus dur était sûrement passé. Pour le Caldwell, elle aurait néanmoins parié que ça ne faisait que commencer.

hors-jeu :
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Silas Barnes
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeVen 12 Fév 2016 - 19:07

They say that time's supposed to heal ya
But I ain't done much healing

Camille s’était juré de ne plus s’inquiéter, de ne plus s’attacher, de ne plus rien faire pour que qui que ce soit s’approche de lui d’un peu trop près. Trop de fois il avait replongé dans le même schéma, trop de fois il en était ressorti échaudé. Il ne savait plus comment appréhender les relations humaines, et celles qui lui demandaient de l’attention ou de l’affection étaient les pires. Il n’était pas dans ce siècle depuis très longtemps, et déjà il avait l’impression d’avoir fait trop d’erreurs. Comme celle qui se trouvait devant lui. Roxanne, c’était définitivement une erreur. Il était tombé sur elle par hasard alors qu’elle se faisait agresser, en sang comme aujourd’hui, terrifiée comme aujourd’hui, et il l’avait aidée sans même y penser. Parce qu’elle habitait dans le même quartier, qu’il avait déjà croisé ses parents, qu’il ne se voyait pas lui passer devant sans la regarder alors qu’elle était dans une sale posture, et que l’homme allait s’occuper d’elle d’une façon que Camille connaissait trop bien pour l’accepter. Il s’était impliqué jusqu’au cou, il s’était même battu pour elle, bon sang ! C’était une sacrée erreur, ça. Laisser un homme à moitié mort sur le pavé pour sauver une fille qu’il ne connaissait pas. Mais ça se terminait là, non ? Elle allait mieux, elle avait des tas d’autres personnes bien plus appropriées que lui pour prendre soin d’elle … Mais voilà qu’elle réapparaissait devant sa porte, comme s’il était désigné pour l’aider à cause de sa seule petite faiblesse passagère. Quelle plaie. Et bien entendu qu’il ne pouvait pas la laisser dehors, bien entendu qu’il préférait qu’elle soit dans son salon plutôt qu’à la merci de dieu savait qui à l’extérieur … Mais il aurait également préféré cent fois qu’elle pousse un peu plus loin son chemin jusque chez elle. Pas chez lui. Il n’était pas la croix rouge … Même s’il avait du faire un peu trop bien semblant la dernière fois, et qu’il remettait ça cette fois encore.

« Mais non, j’suis pas blessée. C’est juste mon trip de m’maquiller comme si je m’étais fait bastonner. » Camille haussa un sourcil. Elle avait rapidement retrouvé sa langue et son mordant, malgré le sang qui maculait clairement son visage et ses vêtements. S’il avait cru qu’elle était sous le choc, il en était pour ses frais. Elle le regardait d’un air bien trop éveillé pour ça, et sa répartie prouvait qu’elle avait très vite retrouvé ses esprits, si jamais elle les avait égarés à un moment. « Sacré trip. Et t’as rien trouvé de mieux que venir le partager avec moi ? Si c’était uniquement pour montrer ton maquillage, tu n’étais pas obligée de me réveiller. » Lâcha-t-il d’un ton un peu acide. Il n’appréciait pas franchement d’être dérangé s’il n’y avait pas de raison impérieuse, et il aurait préféré qu’elle se passe de ses fanfaronnades et qu’elle passe à la véritable raison de sa présence. « Va pour un thé, avec du sucre fermenté et liquide tant qu'on y est. J’ai besoin de m’réveiller. » Il avait déjà commencé à faire chauffer de l’eau, et il sorti une tasse, avec un de ses thés favoris. Il hésita avant d’attraper la bouteille de rhum, mais il l’amena jusqu’à la table, avec deux verres – il pressentait qu’il aurait besoin d’un remontant, lui aussi. Tout en s’affairant, il gardait un œil sur Roxanne, et la vit bondir hors du canapé pour s’approcher du miroir. « Ouuuuuuh, j’ai gagné au moins trois bonnets avec toute cette histoire, moi. P’t-être même quatre. » Cette fois, il se retourna franchement, et écarquilla les yeux en la voyant se reluquer sans vergogne, fixant sa poitrine avec une certaine surprise – ou peut-être avidité ? Elle tournait et retournait tout en se fixant dans le miroir, comme si elle se trouvait dans un grand magasin et qu’elle avait trouvé la robe de sa vie. Il n’y avait aucune gêne dans ses gestes, aucune pudeur, et Camille sentit un vague malaise l’envahir. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire, bon sang ? Il voulait bien aller tabasser un homme pour éviter qu’elle ne se fasse violer ou même tuer, il voulait bien la soigner, lui offrir un abri, mais il ne voulait pas entendre parler de bonnets, de poitrine ou de quoi que ce soit d’autre. Tant qu’elle ne lui demandait pas son avis, il ferait comme s’il n’avait rien entendu. Ou presque. « J’l’aime bien, elle, tiens. Roxanne, c'pas mal. Ça m’va bien. Bon, ça ira mieux quand j’aurais plus la gueule dans cet état, j’suppose. M’enfin, c’est les risques du métier. » Et voilà qu’elle se détournait de son reflet pour faire le tour de la pièce en jetant des coups d’œil curieux autour d’elle, sous le regard désorienté de Camille. « T’es déjà sacrément chargée, tu vas éviter le rhum pour ce soir. » Grommela-t-il enfin quand il émergea un peu de sa surprise. « Je ne sais pas ce que tu as fait avant de venir ici, mais ils ont du frapper bien fort sur ton petit crâne, cette fois. » Il soupira et lui désigna la table, avant d’aller chercher la théière, l’eau bouillante, et les feuilles de thé. Tout en préparant le breuvage (qu’il allait être le seul à boire, sans doute) il lui jeta un nouveau coup d’œil. Elle avait beau sembler être en pleine forme, elle sortait de quelque chose d’énorme. Et elle avait besoin de lui. Mais pour quoi ? « Je croyais que tu devais arrêter les conneries. C’est quoi, ce soir ? La drogue ? Une autre histoire avec les hunters ? » Il lui présenta une tasse fumante. « Tu aurais mieux fait d’aller voir ton père, tu m’avais dit que tu le ferais. Tu devais lui parler. »
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeVen 12 Fév 2016 - 23:42


got a secret
can you keep it ?


Camille était derrière elle. Il était derrière elle, et elle le savait. Pourtant, elle ne se retenait pas, contemplant allègrement et sans la moindre gêne le nouveau reflet qui s’offrait à ses yeux. Le commentant, feignant de ne pas se souvenir de la présence de son hôte. Elle s’était précipitée sous son toit, elle avait fait en sorte qu’il lui ouvre et qu’il l’accueille. Le choc était passé, l’impression de sécurité revenait. Et avec elle, le naturel. Un naturel des plus décapants, et qui sembla rapidement troubler l’homme qui s'était dévoué pour l'héberger. Elle n’arrivait pas à regretter de l’avoir réveillé, quand bien même la décence l’y aurait obligée. Si elle avait été Arabella, sûrement se serait-elle rapidement excusée, amère et pressée. Mais là, elle n’en ressentait même pas le besoin. Camille avait été payé par son père pendant des années pour la protéger et s’occuper d’elle — entre autres délicates affaires à gérer. Et même si ça faisait presque un siècle que cet arrangement avait pris fin, en même temps que sa première mort, elle considérait qu’il était de ces choses qui ne s’arrêtaient jamais. C’était à cause de Camille qu’elle était morte. Et bien qu’elle ne lui en voulût pas vraiment, elle avait commencé à trouver des reproches à lui faire en apprenant qu’il avait retourné sa veste à la suite de la disparition du patriarche Hyde. Le genre de trahison qui avait eu du mal à passer, et dont la rancœur ne s’était atténuée qu’avec les décennies passant. Pourtant, elle le considérait toujours endetté. Envers elle, comme envers son père. Le genre de dettes qui ne s’effaçait pas en un claquement de doigts. Alors le tirer du lit, ce n’était décidément rien. Après tout, le réveiller une fois ne valait-il pas mieux que de l’empêcher de dormir à jamais ?

Les remarques qu’il fit lui tirèrent un sourire en coin. Elle se retourna, se désintéressant du miroir, scrutant l’espace autour d’elle. Elle avisa le rhum posé sur la table, d’un regard gourmand, mais ne s’en approcha pas tout de suite. La peur d’être dévoilée ne la tétanisait plus. Elle ne pouvait s’empêcher d’en rire, désormais. Grinçante, cynique. Amusée. « Si tu savais. » Pour le coup, sa tête avait cogné fort. Un peu trop fort. C’en avait tué la fameuse Roxanne. Et elle ignorait encore comment lui dire sans trop le secouer.

Elle prit place à table comme il le lui indiquait, embarquant la boîte de mouchoirs dans la foulée. « Crois-moi, j’en ai aucune idée. » Aucune idée de c’qui était arrivé à cette fille, de la raison pour laquelle ces types lui étaient tombé dessus. Les hunters restaient une possibilité — après tout, elle savait ne pouvoir habiter que des corps mutants. Mais si ç’avait été le cas, sûrement n’auraient-ils pas été aussi effrayés à l’idée de l’avoir tuée — à moins, bien sûr, que quelqu’un ne veuille la garder en vie. C’était néanmoins peu probable, et elle aurait été du genre à exclure cette option. Elle y réfléchissait encore lorsqu’il embraya, parlant du père. Un instant, elle tiqua. Ses yeux se vrillèrent sur Camille, se plissèrent. Elle mit quelques secondes avant de se rendre compte qu’il devait parler du père de Roxanne. Mais étrangement, elle ne crut pas nécessaire de relever. Elle savait que son père — le vrai — était aussi en ville. Et ça la préoccupait bien davantage que le paternel d’une fille morte, et que le fait, plus général, d’avoir des parents à gérer en même temps que cette nouvelle vie.

« Mon père. Parlons-en, tiens, d’mon père. » Elle savait que Camille ne parlait pas de Lysander. Elle ignorait même s’il avait connaissance de la présence du patriarche Hyde en ville. Mais sur l’instant, c’était bien le dernier de ses soucis. Elle attrapa la bouteille de rhum et se versa un fond de verre, sans même trembler. Elle sentait le caractère bien trop fort de Roxanne persister. Il aurait dû s’effacer, s’estomper ; laisser place à qui elle était, elle — Elisa Hyde. Au lieu de ça, il semblait soudainement faire ressortir tout ce qu’elle avait accumulé ces cent dernières années. Toutes ces vies à changer de corps, toutes ces frustrations à additionner. Ces mois entiers à être prise pour quelqu’un qu’elle n’était pas, et à devoir se cacher derrière les vies volées de ces enveloppes charnelles qu’elle habitait. Il lui semblait subitement que Roxanne marquait un écrasant rejet sur toutes ces décennies de pratiques. Qu’elle faisait ressortir ce qui, depuis longtemps déjà, menaçait d’exploser. Un secret qu’elle en avait marre de garder — que ce soit une question de survie ou pas. Et malheureusement pour Camille, il se retrouvait en première ligne. Avec, pour tout malus, quelques erreurs qu’elle n’avait toujours pas réussi à digérer.

« J’arrive pas à sauter le pas. Tu sais, ça va sûrement lui faire un choc de savoir que je suis encore en vie. Et il va sûrement pas comprendre, au début. » Comme toi. T’as toujours pas pigé, hein ? T’as cru devenir fou, t’as cru halluciner. Tiens. Cadeau à ta folie. Et à ta lâcheté, un peu, aussi. Elle vida le fond du verre de rhum d’un trait. Le liquide ambré lui brûla la gorge, mais elle ne fit pas la moindre grimace. Ça allait au moins avoir le mérite d’atténuer un peu la douleur — ou du moins, elle l’espérait. « Après tout, j’suis morte y a quatre-vingt-cinq ans. Ça a même fait la une des journaux. C’est à s’demander comment j’ai pu arriver ici aujourd’hui, moi aussi. J'nous trouve plutôt coriaces. On fait remonter l'espérance de vie. » Ses yeux se plantèrent dans les siens. Ses bras se croisèrent sur la table, tandis qu’elle se penchait doucement vers lui. Peu soucieuse du choc qu’elle lui provoquerait, et plus curieuse qu’autre chose de la manière dont il appréhenderait la nouvelle. « Mais faut dire c’qui est, toi comme lui, vous avez été sacrément mieux conservé. C’est quoi ton secret ? » Elle laissa quelques secondes passer. Ses yeux hurlaient la vérité, regard des plus sincères, à des années lumières de laisser le moindre doute planer sur ce qu’elle avançait. Un sourire naquit au coin de ses lèvres, alors qu’elle reculait finalement, servant deux verres de rhum. « D’ailleurs, j’suis désolée pour ta p’tite copine Roxanne. Faut croire que ses ennuis ont fini par la tuer. J’espère que vous étiez pas trop proches, et qu’son père à elle va pas trop t’en vouloir de pas l’avoir protégée. » Elle referma la bouteille. Puis, sans se départir de son ton léger, elle fit glisser l'un des deux contenants vers lui, rapprochant le second d’elle. « Un verre ? » Quelque chose lui disait qu’il n'allait pas dire non. Et qu'en plus d'en avoir besoin pour faire passer la pilule, ça lui ferait certainement le plus grand bien.
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeSam 13 Fév 2016 - 19:21

They say that time's supposed to heal ya
But I ain't done much healing

Roxanne était loin de s’inquiéter pour quoi que ce soit. Le sang sur son visage et ses vêtements, c’était comme s’il n’existait pas. Et les questions de Camille ne l’affolèrent pas davantage, le confortant un peu plus dans l’idée qu’elle devait soit être complètement bourrée, soit sous l’emprise d’une drogue puissante. Mais elle n’était pas dans son état normal. Camille la regarda venir s’asseoir en face de lui toujours aussi nonchalante, toujours aussi légère. A des lieues de ce qu’il s’était imaginé en la voyant tambouriner comme une dératée à sa porte d’entrée. « Crois-moi, j’en ai aucune idée. » Camille se renfrogna, la sensation qu’il perdait son temps enflant lentement en lui. Il ne comprenait pas ce qu’elle faisait ici, et il avait de plus en plus envie de la jeter dehors. Qu’est-ce qui l’en empêchait, après tout ? Si elle ne voulait pas faire d’efforts, il ne voyait pas pourquoi il se montrerait attentif. Il ne lui devait rien. Si elle voulait s’en sortir toute seule, il en serait le premier satisfait, ça lui éviterait encore des combines douteuses et des prises de position qu’il ne désirait pas. Mais dès qu’il évoqua son père, il vit un changement dans sa physionomie. Elle planta ses yeux dans les siens, et elle n’eut plus rien de la gamine insouciante qui papillonnait dans son salon depuis dix minutes. Bon, il avait peut-être fait un progrès, même s’il ne voyait pas trop comment. Elle adorait son père, et même s’il était loin de tremper dans ses combines louches, il pouvait l’aider. Ce n’était pas au voisin taciturne de se taper tout le boulot, après tout ! « Mon père. Parlons-en, tiens, d’mon père. » Non, franchement, ce n’était pas nécessaire. Camille ne voulait pas non plus devenir le psy de la jeune fille. Pourtant, il hocha la tête sans rien dire, la poussant du regard à continuer. Si elle s’épanchait sur son paternel, comme elle le désirait, elle partirait plus vite.

« J’arrive pas à sauter le pas. Tu sais, ça va sûrement lui faire un choc de savoir que je suis encore en vie. Et il va sûrement pas comprendre, au début. » Une expression de surprise passa sur le visage de Camille, qui eut la désagréable sensation d’avoir plongé tête la première dans un nœud d’ennuis plus gros que lui. Elle était censée être morte ? Qu’est-ce qu’elle avait encore bien pu faire ?? Il eut envie de secouer la tête et de pousser un gros soupir dépité, mais elle continua sur sa lancée sans lui laisser le temps de réagir. « Après tout, j’suis morte y a quatre-vingt-cinq ans. Ça a même fait la une des journaux. C’est à s’demander comment j’ai pu arriver ici aujourd’hui, moi aussi. J'nous trouve plutôt coriaces. On fait remonter l'espérance de vie. » Camille sentit ses entrailles se glacer, et tous ses muscles se crispèrent. Les yeux plantés dans les siens, il s’était mis à pâlir. Mais malgré l’étrangeté des paroles de Roxanne, malgré son air imperturbable capable de faire douter n’importe qui, il ne parvenait pas encore à faire le lien. Il ne comprenait pas, il ne voulait pas comprendre. Il n’y avait rien d’autre à comprendre que les divagations d’une fille paumée venue s’échouer dans son salon. Le reste n’était que coïncidence et affabulations. « Mais faut dire c’qui est, toi comme lui, vous avez été sacrément mieux conservé. C’est quoi ton secret ? » Camille frémit, et sa bouche s’ouvrit légèrement comme sous l’effet d’une stupeur trop énorme à contenir. Pendant une fraction de seconde il se demanda qui était ce lui dont elle parlait, mais c’était une question tellement insignifiante face à tout le reste qu’il l’oublia très vite. Un prénom venait d’apparaître dans sa tête, le heurtant de plein fouet, et il mettait toute son énergie à le repousser, à l’oublier. « D’ailleurs, j’suis désolée pour ta p’tite copine Roxanne. Faut croire que ses ennuis ont fini par la tuer. J’espère que vous étiez pas trop proches, et qu’son père à elle va pas trop t’en vouloir de pas l’avoir protégée. » En toute sincérité, Camille ne songeait déjà plus à Roxanne, et sa mort le laissa de marbre. Il n’entendit que la référence à son père, et cette fois, il comprit parfaitement. Ou en tout cas, son esprit fit le lien avec le reste, et ce ne fut pas le père de Roxanne qu’il vit, mais un autre homme, qui avait disparu il y a bien longtemps et dont Camille portait encore la responsabilité. Il ne l’avait pas protégée. Le regard flamboyant de la jeune fille planté dans le sien ne lui laissait pas le moindre doute. C’était un reproche, le pire de tous, celui qui avait trop longtemps tourné dans sa propre tête, et qui pour la première fois venait d’être prononcé à autre voix, par quelqu’un d’autre que lui. Le cœur de Camille s’était mis à battre une chamade affolée, et il fixait sa vis-à-vis avec tant d’intensité que sa vision périphérique s’obscurcissait. « Un verre ? » Il cligna des yeux, sortant de sa douloureuse immobilité, et les baissa vers le verre qu’elle fit glisser vers lui, plein du liquide ambré qu’elle venait d’y verser. Sans réfléchir, il l’attrapa et le vida d’une traite. Il sentit à peine la brûlure dans sa gorge, et il regretta presque qu’il n’ait rien de plus fort sous la main. Il n’était pas du genre à se soûler, mais il en avait désespérément besoin, d’un coup. « Je l’ai protégée. Jusqu’au bout. Ce n’est pas de ma faute si elle est morte. » Lâcha-t-il entre ses dents serrées. Une phrase trop longuement tournée et retournée dans sa tête pour essayer de se convaincre de sa vérité. Soudain, il frappa un grand coup ses deux poings sur la table, faisant s’entrechoquer la tasse sur sa soucoupe, et renversant la moitié du thé sur la nappe. Son verre vide roula sur le côté, mais il n’y fit pas attention. « Elle est morte ! Je l’ai vu mourir ! » Cria-t-il, la colère l’aveuglant avec plus d’effet que toute la douleur qu’il avait réussi à contenir pendant près d’un siècle. « Elle n’existe plus ! » Non, elle n’existait plus. Il le savait trop bien, il avait été le dernier à la voir en vie, et il avait du assister, impuissant, aux sévices qu’on lui avait infligé. Elle en était morte, et même si bien des fois il avait cru la revoir, l’entendre à nouveau … Il savait que ce n’était que son esprit qui lui jouait des tours. La folie causée par les remords, par le manque et la solitude. Il se leva si brusquement que sa chaise tomba au sol, et en deux enjambées, il fut à côté de celle qui ressemblait trop à Roxanne. Il lui attrapa le poignet, durement, et la força à se lever. Une fois debout, il lui attrapa le menton et plongea ses yeux dans les siens. « Je ne sais pas qui tu es, et je m’en fous. Mais tu vas me dire pourquoi est-ce que tu fais ça. Et fais très attention à tes réponses, compris ? » Il était furieux, il était blessé. Cette fille était entrée chez lui, avec l’apparence d’une des seules personnes qu’il pouvait faire entrer chez lui sans se poser de question, et elle avait remué des blessures trop vivaces. Des blessures dont personne n’était au courant. Il avait envie de lui broyer la mâchoire entre ses doigts, de lui fracasser la tête contre la table, de lui coller une balle entre les yeux. Il avait envie qu’elle parle, et il avait envie qu’elle se taise.
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeDim 21 Fév 2016 - 7:14


want you to tell me
that you're so sorry


Elle s’était imaginée qu’il aurait besoin d’un verre — et à juste titre. Se mettant à sa place, tentant d’appliquer le principe d’empathie pour quelques secondes au moins, elle s’était rendu compte que face à de telles accusations, elle aussi aurait eu besoin d’une bonne rasade d’alcool. À s'en brûler la trachée, à en tirer des larmes à ces yeux d’ordinaire si secs. Elle était ignoble. Odieuse, le plus simplement du monde, se réjouissant presque par avance de voir sa réaction. Il lui semblait qu’au plus profond d’elle-même, elle attendait ce moment depuis qu’elle s’était éteinte pour la première fois. L’espace d’un instant, elle se demanda si, dans le fond, son instinct ne l’avait pas portée à cogner à cette porte juste pour cette raison. Sa protection, elle s’en foutait bien, pour l'instant. C’était un bonus non-négligeable, mais finalement pas sa priorité.

Elle avait vu juste : il vida le verre en moins de temps qu’il ne lui aurait fallu pour le dire. Elle retint à grand-peine un « à la tienne », et se contenta d’un fugitif rictus, presque amusée. Pour autant, elle savait que l’heure ne serait bientôt plus à rire. Elle l’avait vu pâlir pendant les reproches, avait vu ses dents se serrer. La stupeur sur ses traits, puis la colère qui était en train de se dessiner. Les mots qu’il prononça étaient trop bas et trop contenus pour être de véritables témoins de son innocence. Il essayait encore de sauver les apparences, rassemblant ses esprits — se rassemblant tant qu’il en était encore temps. Mais bien rapidement, ce stupide mensonge dont il se gavait depuis toutes ces années éclata. Bien rapidement, la culpabilité fit remonter ce qu’elle devait, et la fureur reprit ses marques. Lorsqu’il éclata, ce ne fut que par instinct de survie qu’elle retint un sourire béat. Fière de son coup de sale gamine capricieuse, fière de sa boutade de fillette trahie. Elle avait sursauté aux poings sur la table, mais la vague d’excitation qui l’avait envahie lui en avait fait oublier toute trace de peur, ou même de douleur. Son visage amoché n’avait plus d’importance. La découverte de ce nouveau corps non plus. Rien ne comptait alors que Camille, et cette révélation à laquelle elle le forçait à faire face.

Elle avala son verre d’un trait, alors que celui de son vis à vis roulait sur le côté. Il avait foutu du thé partout. Les tasses étaient renversées, l’eau chaude tachait la nappe. Et la Hyde, elle, regardait ça avec un désintérêt prononcé, son précieux alcool dans une main, la bouteille dans l’autre. Elle est morte ! Je l’ai vue mourir ! Elle hocha rapidement la tête, une moue approbatrice fichée sur les traits. « Vrai. » Il hurlait, et elle conservait le ton le plus plat et le plus constant possible. La frénésie la faisait bouillir de l’intérieur, mais elle ne cillait pas. Elle commença à se resservir un nouveau verre, tandis qu’il poursuivait. Elle n’existe plus ! Et cette fois, le minois passif vola en éclat. Un sourire railleur et provocateur barra son visage, alors qu’elle susurrait : « Faux. » Sûrement n’aurait-elle pas dû. Elle était venue chercher protection, mais il aurait pu la tuer d’un coup de poignet. Elle ne savait pas se défendre. Elle avait appris les regards et les mots, la fureur et la survie. Roxanne savait visiblement y faire aussi, malgré le degré de provocation évident qu’elle manifestait en complément — et qui, même après sa mort, subsistait. Mais en ce qui concernait le moment d’armer ses poings et de frapper, c’était les abonnés absents. Tout ce qu’elle savait faire, c’était proférer des menaces qui faisaient en sorte qu’on lui foute la paix. Asséner des coups de pied dans les couilles, et des droites bien senties ; des preuves de son caractère trempé, pourtant bien loin d’être le fruit d’un savoir véritable. Parce qu’elle avait appris, avec les années — et notamment en se retrouvant face à de nombreux chasseurs et toutes autres sortes de tueurs —, que tuer était un véritable art. Un métier, presque. Certains faisaient ça comme des bouchers, c’était un fait ; mais l’art de se battre, de se défendre, requérait un entraînement, un savoir-faire. Certains apprenaient sur le tas, mais c’était tout de même à force de pratique qu’ils s’en sortaient. Et elle, la pratique, elle ne l’avait pas. Elle, elle fonçait dans le tas quand c’était le temps de l’ouvrir, et se cachait ensuite dans les jupes du premier qui passait. Si le combat devait être un art, la fuite aurait dû aussi être reconnue comme telle : car si se jeter dans la gueule du loup était une chose, réussir à toujours s’en tirer en était tout à fait une autre.

Ce soir, elle avait délibérément choisi de retourner le loup contre elle. Venue pour lui demander de la défendre, elle se retrouvait maintenant avec un clébard enragé qui s’était levé d’un bond. Et elle n’était pas sûre d’avoir prévu qu’il se jette sur elle, l’attrapant pour la forcer à se lever, saisissant sa mâchoire sans la moindre délicatesse. Elle en avait lâché son verre sous le coup de la surprise, repeignant le tapis de rhum. Ses doigts étaient néanmoins toujours serrés autour du goulot de la bouteille, qu’elle avait un peu trop secouée. Le liquide ambré lui dégoulinait le long du poignet, mais à cet instant précis, c’était bien le cadet de ses soucis. Elle regardait Camille dans les yeux, toute trace de sourire envolée. La peur ne prenait pas la place qui lui aurait été due. Le défi siégeait en maître, secondé de près par une légère nuance de mépris. Sa main libre s’était refermée sur le bras du Caldwell, tandis qu’il lui crachait ses menaces. Elle vint attraper sa main, le forcer à la relâcher un peu. « Lâche-moi ou j’te lèche la main. » Décidément, c’te nana avait vraiment un grain. Du genre à ignorer les menaces et à prendre le crayon pour signer elle-même son arrêt de mort. Du genre à gesticuler avec une bouteille dans la main, dans une position fortement inconfortable et plutôt dangereuse. Du genre à toujours préférer la provocation à la résignation. « Commenttuveuxqu’jeparlesitum’lâchespas ! » Ça serrait. Ça faisait mal. Elle gigotait de plus en plus, allant jusqu’à commencer à lui tordre le pouce. Et lorsqu’enfin elle put se dégager, elle sentit les larmes de douleur lui picoter les yeux. Sa lèvre s’était remise à saigner, et elle dut faire un effort monumental pour ne pas lui cracher le sang au visage. Elle avait beau le haïr pour ce qu’il avait laissé ces sales types lui faire, c’était il y avait quatre-vingt ans de ça. Et il ne méritait pas un dédain de cette envergure. Du moins, pas encore. « T’as raison, elle est morte. Ils m’ont tuée, pis tu les as regardés faire. J’espère que ton p’tit laïus de justification « j’ai-fait-tout-ce-que-je-pouvais » t’aide au moins à mieux dormir. Parce que moi, ça m’a pas empêchée de m’faire violer et battre à mort pendant qu’tu foutais le camp pour aller au plus offrant. » Elle recule de quelques pas, rapide. L’index accusateur levé vers lui. Elle n’est pas soûle. Pas encore. Loin d’avoir assez bu pour ça, loin de se laisser influencer par l’alcool. Elle est simple ivre de la vie, ivre de colère — ivre de la mort. Cette fois, c’était la fois de trop. Incapable de fermer les yeux une bonne fois pour toute, et de se reposer. Des souvenirs qui remontent à flot, et des anciennes plaies qui se rouvrent à la simple vue de son hôte. À la simple mention de ces atrocités. « J’fais ça parce que j’te hais de t’en être tiré comme un prince alors que j’me faisais traîner dans la boue comme une moins-que-rien. Et même une moins-que-rien devrait jamais subir ça. » Ses phalanges ne se desserraient pas du goulot. Elle ne le perdait pas des yeux, pas un seul instant. L’idée de se faire sauter à la gorge ne lui faisait ni chaud ni froid. Après tout, n’était-elle pas condamnée à revenir éternellement le hanter ? « Tu peux m’tuer encore s’il t’faut ça pour te soulager. Au moins, tu pourras dire que tu l’as fait d’tes propres mains, cette fois. Mais si tu fais ça, où que j’atterrisse après, j’reviendrai ici. Ça changera rien, nan, parce que j'’reviendrai te retrouver, j’reviendrai te hanter. » Te rendre fou, et me délecter du spectacle.

Elle renifla, passa sa manche sous son nez. Elle sentait que l’excitation l’avait quittée, que la colère se teintait finalement de tristesse. L’horreur de ses souvenirs subsistait dans son esprit, et elle déglutit. Le défi, lui, ne la quitta pas ; fallait croire qu’il ne la quitterait plus jamais, tant qu’elle serait dans ce corps-là. « Tu voulais savoir pourquoi j’fais ça ? » Elle tendit le bras, la bouteille au bout, coincée dans sa paume. Et son index se pointa vers Camille, alors qu’elle plantait ses yeux dans les siens, une ultime lueur de provocation au fond de l'iris. « J’fais ça parce que j’te hais. » Parce que j’te hais de m’avoir abandonnée.

J’te hais parce que j’ai cru qu’tu serais toujours là pour m’protéger, et que tu l’as pas fait. J’te hais parce que quand papa a disparu, t’étais tout ce qui me restait, tout ce en quoi j’croyais.

J’te hais parce que toi aussi, tu m’as laissée tomber.
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeSam 5 Mar 2016 - 22:17

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Il bouillait. Littéralement, il bouillait. Un brasier venait de naître dans son estomac, enflammant tous ses sens, aveuglant et insupportable. Il avait soigneusement évité de songer à Elisa, pendant toutes ces années. Il n’avait pas le droit de songer à elle s’il voulait avancer. Dans cette vie où il n’avait même plus son don pour se sauver de ses démons, il ne pouvait s’autoriser l’auto-flagellation constante que le souvenir d’Elisa faisait remonter. Il fallait qu’il surmonte ça, il fallait qu’il efface son passé pour se reconstruire une vie différente. C’était ce qu’il avait essayé de faire depuis le début, quand dans les années 30 on lui avait offert un nouveau job après les Hyde. On l’avait forcé à accepter ce job, bien entendu, mais il l’avait fait pour tourner la page, parce qu’il avait le droit de vivre lui aussi. Pleurer sur Elisa jusqu’à ce que la mort l’emporte, ce n’était pas la vie qu’il souhaitait. Ca aurait été tellement plus facile de se mettre une balle dans la tête pour rejoindre les Hyde … Mais ce n’était pas son genre. Il était libre, libre de la servitude des Hyde, libre de toute attache, et il pouvait vivre. Mais vivre loin d’eux, loin d’elle, ça avait été la chose la plus difficile qui soit. Il s’était accroché uniquement pour se prouver qu’il pouvait le faire, et il s’était détaché de cette douleur insupportable que le souvenir d’Elisa faisait naître en lui. S’il avait été coupable, c’était dans une autre vie. Dans celle-ci, il n’avait rien fait de mal, à quiconque. Mais il avait suffi qu’une gamine mal élevée vienne tambouriner à sa porte et lui jette au visage des souvenirs du passé, un sourire accroché à ses lèvres impertinentes, pour qu’il craque, qu’il explose, qu’il replonge tout entier dans le passé. Il pouvait la tuer. Il suffirait d’un petit geste sec de la main, une torsion sur sa nuque, et elle tomberait comme une poupée de chiffon à ses pieds, réduite au silence à jamais. C’était sans doute ce qui allait finir par lui arriver, Camille n’avait aucune patience pour ceux qui venaient le narguer en remuant d’anciennes plaies, d’autant plus si ces plaies n’étaient connues de personne. Mais il voulait savoir comment elle pouvait les connaître, justement. Et pourquoi elle les lui crachait au visage comme si elle avait quelque chose à y gagner. Elle allait perdre, quoi qu’il arrive. Et il espérait que le message était passé, quand il l’avait empoignée. Il n’y avait plus rien en lui du Camille prévenant qui s’était occupé de Roxanne quand elle avait eu des ennuis, il était l’homme violent et impitoyable qu’il avait pu être, des années plus tôt.

Malgré tout, ce n’était toujours pas de la peur qu’il pouvait lire dans les yeux de l’effrontée. Elle était à sa merci, il n’aurait aucune pitié pour elle, mais elle n’avait pas peur. Soit elle était inconsciente, soit elle possédait quelque chose sur lui qui la rendait si sûre d’elle. Il ne voyait pas de quoi il pouvait s’agir, mais cette absence de peur avait quelque chose de troublant. Pas suffisamment pour qu’il la lâche, cependant. « Lâche-moi ou j’te lèche la main. » Au contraire, il resserra sa poigne, luttant pour ne pas lui briser purement et simplement la mâchoire, mais appréciant à sa juste valeur le sang qui perlait de sa lèvre sous la pression de ses doigts. Il allait lui apprendre un minimum de respect, à cette sale petite … « Commenttuveuxqu’jeparlesitum’lâchespas ! » Elle se débattait toujours avec hargne, même si elle ne pouvait rien contre lui, et il finit par la relâcher avant qu’elle ne parvienne à lui tordre le pouce. Il allait falloir qu’elle parle. Très vite, sans quoi il ne répondait plus de ses actes. « T’as raison, elle est morte. Ils m’ont tuée, pis tu les as regardés faire. J’espère que ton p’tit laïus de justification « j’ai-fait-tout-ce-que-je-pouvais » t’aide au moins à mieux dormir. Parce que moi, ça m’a pas empêchée de m’faire violer et battre à mort pendant qu’tu foutais le camp pour aller au plus offrant. » Camille fit un pas en arrière, inconsciemment. Ses yeux étaient fixés sur elle, et il ne pouvait plus s’en détacher, comme si elle était une apparition sortie tout droit de son passé. Mais c’était impossible. Elle jouait encore avec lui, elle tournait le couteau de la plaie pour prendre plaisir à sa douleur, c’était tout … Il pouvait essayer de s’en convaincre, il n’y croyait pas. Il savait qui elle était maintenant. Un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale, et il cru que ses jambes allaient le lâcher. « J’fais ça parce que j’te hais de t’en être tiré comme un prince alors que j’me faisais traîner dans la boue comme une moins-que-rien. Et même une moins-que-rien devrait jamais subir ça. » Un flash, des images, des sons. Le visage d’Elisa tordu par la douleur, son regard qui croisait le sien en le suppliant silencieusement d’empêcher ça, le sentiment que plus jamais il ne pourrait vivre à nouveau. Il ne s’en était pas tiré comme un prince, mais il avait regardé sa princesse se faire déchirer vivante, et il n’avait rien pu faire. Il s’était débattu, il avait hurlé, menacé, supplié, il avait offert tout ce qu’il pouvait offrir, mais il n’avait pas pu la sauver. Il se fichait bien des moins que rien, mais elle, elle n’aurait jamais du subir ça. « Tu peux m’tuer encore s’il t’faut ça pour te soulager. Au moins, tu pourras dire que tu l’as fait d’tes propres mains, cette fois. Mais si tu fais ça, où que j’atterrisse après, j’reviendrai ici. Ça changera rien, nan, parce que j'’reviendrai te retrouver, j’reviendrai te hanter. » Mais il ne l’avait pas tuée ! L’image d’Elisa vint se superposer à celle de l’étrangère qui crachait son venin à sa figure, et il la regarda d’un air éperdu. Il ne comprenait pas comment elle pouvait se trouver ici, il ne comprenait pas pourquoi elle voulait qu’il la tue. Il ne comprenait pas pourquoi elle l’abreuvait de tant d’horreurs. « Tu voulais savoir pourquoi j’fais ça ? » Il regarda son index accusateur, ce geste d’ivrogne qui semblait presque déplacé dans ces circonstances. « J’fais ça parce que j’te hais. » Camille planta ses yeux dans ceux de Roxanne. Il ne reconnaissait pas Elisa dans ces traits, encore moins dans ce comportement, mais il savait qu’elle était là, derrière. Et qu’elle le haïssait. Le brasier se raviva au fond de son estomac, et il serra les poings dans un geste convulsif. Il l’aurait frappée, s’il ne s’était pas retenu de justesse.  Il l’aurait frappée et peut-être même tuée, puisque c’était ce qu’elle lui demandait, puisque c’était ce qu’elle voulait et ce qu’il voulait aussi. La tuer pour la faire taire, au moins quelques secondes avant qu’elle ne revienne miraculeusement. « Ca faisait longtemps qu’on ne m’avait pas rappelé que ma vie n’avait aucune valeur à côté de celle d’un Hyde. J’aurais du mourir en même temps que toi alors, puisque je n’ai pas réussi à te protéger. Après tout, pourquoi est-ce que j’aurais continué de vivre ? Pourquoi est-ce que j’aurais essayé de m’en sortir puisque les Hyde étaient morts ? Ma vie leur appartenait. C’est ça que tu essayes de me dire, ma douce Elisa ? » Lâcha-t-il à voix basse, les dents serrées. Il s’était battu pour ne plus appartenir à quiconque, pour obtenir une vie à lui. Pour laisser les Hyde loin derrière et se convaincre qu’il avait le droit de leur survivre. Mais elle ne l’entendait pas ainsi. « C’est ton père qui est parti, pas moi. C’est lui qui t’a abandonnée, pas moi. Je suis resté auprès de toi quand il s’est fait tuer, tu n’as pas idée de ce que j’ai fait pour essayer de te protéger ! Tu crois que j’ai pris plaisir à les regarder te violer ? Tu crois que je n’aurais pas préféré qu’ils me tuent moi pour épargner ta vie ? Tu étais une princesse dans ton château, tu étais intouchable, et j’étais à ton service. J’étais irrévocablement à ton service, et j’aurais fait n’importe quoi pour te sauver ! » Cette fois, il avait crié. Il voulait se défendre, il voulait qu’on entende enfin ce qu’il avait à dire, puisqu’il n’y avait jamais eu personne pour l’écouter. Il était le traître, il avait toujours été le traître pour ceux qui savaient et qui l’avaient vu retourner sa veste. Mais aux yeux d’Elisa, il ne voulait pas être le traître. Jamais. « Je ne t’ai pas sauvée. Ils t’ont tuée malgré tout ce que j’ai fait, et ils m’ont fait regarder. » Il serrait ses poings serrés si fort qu’il en tremblait. « Tu es vivante, je ne sais pas comment. Moi aussi, je suis vivant. Et pourtant, je sais que je suis mort ce jour là, en te voyant succomber à leurs coups. » Il avait lui aussi levé le doigt pour la désigner, comme pour se convaincre que c’était bien elle devant lui, comme le jour où elle était morte. « Tu peux me haïr pour ça, pour t’avoir survécu, mais je t’interdit de me haïr parce que je ne t’ai pas sauvée. »
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeSam 26 Mar 2016 - 5:39

Il y avait quelque chose de pathétique, dans cette situation. Peut-être était-ce la bouteille, pendant au bout de sa main. Peut-être était-ce son visage tuméfié, et ses yeux brillants d'on ne savait quel étrange sentiment. Peut-être était-ce sa manière de réagir, l'aisance avec laquelle elle passait d'un sentiment à l'autre – excitation, colère, tristesse. Peut-être était-ce la réaction en elle-même, les mots de la gamine égocentrique qui s'était cru abandonnée, et qui n'avait jamais tenté de voir le cours de l'histoire par un autre regard que le sien. Peut-être était-ce tout simplement le fait que cet homme, qui avait finalement donné sa vie entière à sa famille, et qui semblait enfin jouir d'une certaine liberté, se retrouvait librement insulté par l'individualisme déplorable dont elle faisait preuve. Il avait été une époque où elle avait eu bien plus d'estime pour lui que pour n'importe qui d'autre – son père excepté, peut-être. Elle tournait la tête pour le suivre du regard, lorsqu'il passait dans le couloir. Levait fièrement mais pieusement le menton, lorsqu'elle marchait à ses côtés dans la rue, et baissait humblement les yeux quand on lui soulignait à quel point elle était belle et en bonne santé – consciente, alors, que sa bonne fortune était autant due à l'argent du père qu'aux bons soins que Camille avait pour elle. Fut un temps où elle rougissait de pudeur lorsqu'il posait les yeux sur elle, et non de colère. Fut un temps où elle aurait tout donné pour qu'il lui accorde un peu plus d'attention que ce que son devoir lui incombait. Un temps auquel elle tentait de ne plus penser, aujourd'hui, mais qui hantait le moindre des battements de son coeur, pourtant alors pris dans la danse chaotique du reproche et du mépris.

Elle se sentait droite, elle se voyait fière. Aujourd'hui, elle était persuadée ne plus avoir besoin de son attention, comme elle en avait eu besoin avant. Elle était sûre qu'elle pouvait se débrouiller sans, comme elle l'avait fait toutes ses années. Mais aujourd'hui, elle n'était plus la petite fleur teintée d'innocence qu'il avait connue et protégée. Aujourd'hui, elle était sale, empreinte de la débauche et de la misère qu'elle semblait entretenir, jour après jour, en se traînant dans des endroits sans cesse plus délabrés – et de son plein gré. Elle n'avait plus d'estime pour son corps, plus d'estime pour la blancheur. La pureté ne voulait plus rien dire à son oreille, depuis trop longtemps déjà. Camille aurait protégé une enveloppe qui se serait servi de lui. Une âme noire qui avait flirté avec l'orgueil, et qui n'avait pu en sortir le pied une fois celui-ci trempé. Un esprit qui s'était enlisé dans les bas-fonds du sarcasme et du mépris, non par haine de ce qu'il était devenu, mais par aigreur de voir ce que le reste du monde était. Rien ne méritait d'être sauvé. Pas de place pour la blancheur et la douceur, de sorte que seuls le cynisme et l'amertume restent maîtres des flots de la conscience humaine. Elle se croyait inatteignable, parce qu'ayant vu le visage de la mort autant de fois que celui de la vie. Elle se pensait invincible, campée là, riant au nez de la tempête qui faisait rage. Niant ressentir quoi que ce soit – pour lui ou pour le reste de la Terre. Refusant d'admettre qu'en remplissant son coeur d'ombres, elle l'avait vidé de la compassion qu'aurait nécessité un équilibre, même précaire. Déshumanisée, et crachant pourtant sa prétendue connaissance de l'humanité à la face du reste du monde.

Sauf qu'encore une fois, Camille était là pour faire aller les choses de travers. Il avait été là lorsqu'il s'était agi de faire naître des sentiments déplacés et impossibles dans son coeur d'enfant. Il avait été là lorsque sa vie avait basculé, et qu'il n'avait pu la protéger. Et cette fois encore, il était là. Mais cette fois, ses mots remplacèrent ses actes. Ils cueillirent l'animal sauvage au creux du ventre, réveillèrent l'animosité qui la faisait poursuivre sans relâche son chemin depuis toutes ses années. Elle sentit son orgueil, blessé, se replier sur lui-même et se fâner. Sur la défensive, elle se prit à espérer qu'il arrêterait au plus vite. Mais elle avait semé le vent, et récoltait maintenant la tempête, tout à fait justement. Les mots s'accrochaient à son coeur, emportant à chaque griffure des lambeaux de chair encore palpitant de fierté. Elle n'était plus, intérieurement, qu'un petit animal que l'on noyait. Mais jamais elle n'aurait craqué. Jamais elle n'aurait ployé. Plutôt mourir que de reconnaître qu'il avait raison. Plutôt mourir à jamais que de pleurer un jour.

Ses yeux se plissaient, son coeur poursuivait une rapide pulsation, de plus en plus douloureuse. Il avait crié, et elle avait senti la chair de poule la gagner. Son bras était retombé, son poing se serrait autour du goulot de la bouteille. Elle n'avait pas la force suffisante pour la briser, mais l'envie y était. Une part d'elle se laissait emmener par les sentiments qu'il remuait, dans les vagues qu'il provoquait. La majorité de son être, cependant, restait tendu à l'extrême, sur la défensive. Elle refusait à admettre le chagrin qui montait. Refusait de s'avouer qu'en fin de compte, son coeur n'était pas mort. La rancoeur restait coincée dans sa gorge, tandis que ses yeux scrutaient le visage de Camille. Elle respirait amplement, comme laissant retomber une colère qui, à dire vrai, ne savait plus comment continuer d'influer. « Et pourtant, je sais que je suis mort ce jour-là, en te voyant succomber à leurs coups. » Furieux battement de travers. Le myocarde ne comprend plus l'ordre des pas qu'il doit suivre, le sens dans lequel il doit danser. Des émotions vieilles comme le monde ressurgissent, claque cuisante, violente. Souffle brièvement coupé. Une dernière sentence, assassine. Et elle a l'impression de sentir une douleur au creux du coeur, souffrance doucereuse qu'elle n'avait pas ressentie depuis plus de quatre-vingt ans. Aussitôt vient la culpabilité de se laisser affecter. La culpabilité de se rendre compte qu'elle n'est pas immunisée. Qu'elle ne l'est plus. Qu'elle ne l'a jamais été.

Un silence. Pesant, chargé de ressentiment autant que de froideur, de mépris et de confusion. Ne plus savoir vers quelle étoile naviguer. Les repères qui se sont envolés, en même temps que les certitudes. Elle avait joué toutes ses cartes d'un coup, sûre qu'elle allait emporter la manche sans s'essoufler. C'était sans compter l'habileté de l'homme qui lui faisait face, et qui comptait ses coups depuis plus longtemps qu'elle. Plus d'expérience, plus de droiture. Une tête sur les épaules, même au milieu de la violence des pulsions et des sentiments, du chaos des aveux et de la confusion des réactions. Et maintenant qu'il a joué, elle se retrouve une fois encore démunie. Obligée de rebondir sur un tremplin qu'on lui a supprimé. Trouver une solution vers laquelle se replier. Encore et toujours, la fierté lui refuse de s'avouer vaincue. Et c'est un une voix sourde et presque grondante qui s'échappe d'entre ses lèvres, alors qu'elle soutient son regard, dans un essai ultime de garder la face. Dans un refus complet de montrer ce qui, en son être, a pu être secoué. « C'est trop tard pour me donner des ordres. » Trop tard pour m'interdire quoi que ce soit. « J'te hais depuis que j'me suis réveillée la première fois. Tu sais que j't'ai réclamé ? » Un ricanement, bref. Amer. Un sourire qui se fâne immédiatement après, dépourvu de toute volonté. Vague de mauvais souvenirs, de douleurs longtemps refoulées. « Quand j'ai retrouvé l'usage de la parole – quand j'suis sortie de mon état catatonique, qu'ils disaient –, c'est toi qu'j'ai appelé. J'savais que mon père serait pas là, que ma mère viendrait pas. C'était normal. Mais toi, t'étais où alors qu'il m'arrivait tout ça ? Comme si ça suffisait pas d'avoir été violée et torturée, j'ai même pas pu reposer en paix. J'aurais bien aimé me réveiller débarrassée de mes souvenirs, mais faut croire que ç'aurait été trop demander. » Le fond de la bouteille se pose sur un meuble, au passage. Elle renifle, essuie le sang qui perle encore de sa lèvre. Relève les yeux vers l'homme, peu amène. « On m'a enfermée chez les fous, parce que j'faisais rien d'autre que dire ton nom, une fois tous les trente-six du mois. J'arrivais même pas à pleurer, les premiers mois. Des fois j'criais. T'as déjà été dans une cellule capitonnée ? » Pas de fierté. Impossible de se pavaner. Le coeur douloureux crache des salves de venin longuement accumulées, jamais avouées. « Mais comment t'aurais pu savoir que fallait me chercher, hein ? Tu pouvais pas. J'ai fini par le comprendre. À partir de là, j'ai réussi à pleurer, parfois. Parce que j'réalisais que même mon super chevalier servant pourrait pas venir me sauver, cette fois. » Elle a recommencé à bouger. S'éloignant, s'approchant. Tournant autour des meubles, lentement. Restant à proximité, comme un aimant attiré par la polarité inversée. « Je peux pas t'en vouloir de pas être venu me chercher. Ce serait stupide, tu pouvais pas savoir. J't'en veux pour c'que je peux. T'as pas le droit, toi, d'm'en vouloir pour ça. » C'est prononcé sur un ton moins abrupt, mais ça n'en est pas moins empreint d'une douloureuse dureté. Elle finit par lui tourner un peu le dos, regardant autour d'elle. Laissant sa main fleurter avec le dossier du canapé. Regard détourné, au moment où la fatalité s'échappe une fois encore de ses lèvres : « Au fait, il s'est pas fait tuer. Il est toujours vivant, et il est même à Radcliff, lui aussi. » Un regard en coin. Insolent, fier, brûlant. « Papa, j'veux dire. » Et ça, hein. Qu'est-ce que t'en dis ?
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeJeu 31 Mar 2016 - 0:47

They say that time's supposed to heal ya
But I ain't done much healing

Combien de fois il s’était répété tout ça, combien de fois il avait essayé de convaincre les murs autour de lui qu’il était innocent, que tout ceci n’était pas de sa faute, qu’il avait essayé d’empêcher les choses de tourner de cette façon ? A l’époque des faits, il n’y avait eu personne à qui il puisse en parler, pas même sa sœur, qui était pourtant sa confidente sur beaucoup de sujets. Elle n’aurait jamais compris qu’il se torture ainsi, elle n’avait jamais accepté qu’il soit aussi dévoué aux Hyde. Elle voulait qu’il vive sa vie propre, et non pas celle de ses maîtres par procuration, mais il n’avait jamais su faire autrement. C’était ce qu’on lui avait enseigné, c’était ce qu’il était supposé faire, et c’était ce qui lui donnait le plus de satisfaction. Servir les Hyde, être l’ombre de Lysander, sa main armée ou son messager, son confident ou même son ami en quelques rares fois ; être le protecteur d’Elisa, son serviteur le plus dévoué, celui qui ne la laissait jamais avoir faim, froid ou peur, quelles que soient les circonstances. C’était ça qui lui donnait l’impression d’être vivant, d’être entier. Il n’y avait personne qui puisse comprendre ça, et encore moins pour comprendre l’enfer par lequel il était passé ensuite, quand tous les Hyde avaient été éliminés. Il n’y avait eu personne pour l’acquitter de sa part de responsabilité, personne pour écouter ses arguments et les valider. Personne pour lui accorder une nouvelle liberté, qu’il avait du gagner par ses propres moyens, dans le sang d’une famille qu’il ne pouvait plus servir car elle avait été responsable de la chute des Hyde. Il avait des péchés atroces sur les mains, le sang de beaucoup d’innocents, mais c’était uniquement celui d’Elisa qu’il ne parvenait pas à effacer. Il le voyait chaque jour, alors que c’était le seul qu’il n’avait pas fait couler lui-même. Il n’était pas responsable. Il avait essayé d’empêcher ça, il s’était interposé quand Lysander avait voulu partir, il avait prit le risque d’être désavoué par l’homme qu’il estimait le plus, pour éviter cette catastrophe. Cela n’avait servi à rien. Ensuite il s’était démené pour protéger Elisa malgré ce qu’il voyait poindre à l’horizon, et qu’il n’était plus en mesure d’arrêter. Il avait perdu Lysander, deux fois en une seule soirée, puis Elisa quelques jours plus tard à peine. Et il n’y avait jamais eu personne pour entendre son récit, personne pour entendre ses justifications. Aujourd’hui, elle se tenait devant elle, miraculeuse, ressuscité d’entre les morts, réincarnée il ne savait comment dans le corps d’une étrangère. Et bon sang, il ne la laisserait pas lui cracher dessus sans réagir. S’il avait pu espérer pouvoir s’expliquer devant elle, il aurait préféré faire ça autrement, plus calmement. Demander pardon pour de bon. Mais ce n’était pas ce qu’il faisait, puisqu’elle avait étalé sa haine si violemment et qu’il n’avait jamais du faire face à tant de cruauté venant d’elle. Mais cruel, il savait l’être, lui aussi.

Il vit ses mots faire mouche, les uns après les autres. Il vit la surprise sur ses traits, il vit le trouble dans ses yeux. C’était bien plus facile de supporter ce qu’il venait de faire en contemplant son visage sans y reconnaître la moindre trace de ce qu’elle avait été quand elle était encore son Elisa. Cela enlevait beaucoup de la culpabilité féroce qu’il aurait du ressentir à marteler des mots qu’elle ne méritait pas entièrement. Elle était toujours bien présente, la culpabilité, mais il ne s’en souciait pas. Avec son insolence, elle l’avait cherché, bien trop profondément. Et si elle n’avait pas l’habitude de cette facette de l’homme qu’elle avait connu, elle devrait s’y faire, tout comme il devrait accepter qu’elle n’était plus l’enfant innocente et adorable qu’il avait si longtemps chérie. Ce serait difficile, mais il pouvait tout accepter d’elle. Il espérait simplement qu’elle l’accepterait, elle aussi. C’était sa seule crainte : la perdre encore une fois. Elle n’était plus sa petite Elisa, elle n’avait plus besoin de lui. Et dans le silence qu’elle laissa planer, il vit la menace de cette rupture imminente flotter au-dessus de sa tête. Pesante, terrifiante. « C'est trop tard pour me donner des ordres. » Certes. Mais il n’avait pas franchement été très doué pour lui donner des ordres, même quand il le pouvait encore. Seulement là, il n’en allait plus des mêmes circonstances. Il ne voulait pas qu’elle le haïsse pour quelque chose qu’il n’avait pas pu empêcher, malgré tous ses efforts. « J'te hais depuis que j'me suis réveillée la première fois. Tu sais que j't'ai réclamé ? » Encore sa haine, lancée et reçue comme une balle de revolver. Mais cette fois, elle avait encore pire à lui envoyer. Elle l’avait réclamé ? Il se sentit blêmir, et il s’accrocha au dossier de la chaise devant lui pour ne pas s’effondrer. Pas ça. Pitié, pas ça. « Quand j'ai retrouvé l'usage de la parole – quand j'suis sortie de mon état catatonique, qu'ils disaient –, c'est toi qu'j'ai appelé. J'savais que mon père serait pas là, que ma mère viendrait pas. C'était normal. Mais toi, t'étais où alors qu'il m'arrivait tout ça ? Comme si ça suffisait pas d'avoir été violée et torturée, j'ai même pas pu reposer en paix. J'aurais bien aimé me réveiller débarrassée de mes souvenirs, mais faut croire que ç'aurait été trop demander. » Il inspira laborieusement une goulée d’air, presque s’en rendre compte. Il suffoquait. S’il avait pu prononcer le moindre mot, il l’aurait suppliée de se taire. Ou peut-être se serait-il mis à pleurer, comme un enfant, laissant s’écouler ces larmes taries depuis longtemps. Il ne voulait pas de ces images qu’elle faisait naître en lui, cette nouvelle torture, inédite et d’une intensité qui surpassait tout ce qu’il avait pu connaître jusque là. Il avait cru que la voir se faire violer, puis se faire tuer, était le pire qu’il aurait jamais à supporter, mais il se trompait.  Le pire, ce n’était pas de savoir qu’elle était morte, c’était de savoir qu’elle était morte puis qu’elle s’était réveillée, seule, sans lui, sans qu’il puisse l’aider, sans qu’il puisse la réconforter, la soigner, la protéger. Elle avait subi le pire et s’était réveillée, seule à devoir y faire face. Et elle l’avait réclamé. Il n’était pas venu. Il n’était jamais venu. Après tous les cauchemars où il s’était tenu à côté d’elle, où il s’était glissé dans son lit pour la prendre dans ses bras et la bercer jusqu’à ce qu’elle sèche ses larmes et qu’elle se rendorme, il avait été absent quand elle avait subi le pire d’entre tous. « On m'a enfermée chez les fous, parce que j'faisais rien d'autre que dire ton nom, une fois tous les trente-six du mois. J'arrivais même pas à pleurer, les premiers mois. Des fois j'criais. T'as déjà été dans une cellule capitonnée ? » Il secoua la tête de façon mécanique sans y songer. Non, jamais. « Mais comment t'aurais pu savoir que fallait me chercher, hein ? Tu pouvais pas. J'ai fini par le comprendre. À partir de là, j'ai réussi à pleurer, parfois. Parce que j'réalisais que même mon super chevalier servant pourrait pas venir me sauver, cette fois. » Chacun de ses mots lui vrillaient le cœur. Il ne pouvait pas détacher son regard d’elle, parce qu’il avait trop peur de faire le moindre geste et de tomber. « Arrête. » Supplia-t-il d’une voix brisée, presque aphone. Il n’avait pas supplié quand il avait été torturé, il n’avait jamais demandé la miséricorde de qui que ce soit pour lui-même, mais il la suppliait, elle. D’arrêter ce supplice qu’elle distillait soigneusement dans ses paroles et dont il ne pourrait plus jamais se défaire. C‘était trop tard pour qu’elle s’arrête, le mal était déjà fait. « Je peux pas t'en vouloir de pas être venu me chercher. Ce serait stupide, tu pouvais pas savoir. J't'en veux pour c'que je peux. T'as pas le droit, toi, d'm'en vouloir pour ça. » D’accord. Il comprenait. Elle lui en voulait de son absence, il s’en doutait.

Il tira la chaise devant lui et s’y laissa tomber, lourdement, avant de plonger son visage entre ses mains tremblantes. « Tu le sais, que je serais venu te chercher si j’avais eu la moindre idée … le moindre soupçon que tu étais vivante quelque part ? Tu le sais, n’est-ce pas ? » Lâcha-t-il entre ses mains, avant de les laisser retomber sur la table pour poser sur elle un regard intense, presque désespéré. « Je ne t’aurais jamais laissée là-bas toute seule. » Mais que valaient ces mots, après toutes ces années ? Même s’ils étaient vrais, même s’il était prêt à le jurer, cela ne servait à rien. Cela n’effacerait pas les tourments qu’elle avait vécus loin de lui. Il baissa les yeux, fixa ses mains qui tremblaient toujours comme un drogué en manque de came. « Chez les fous. En cellule capitonnée. » Répéta-t-il pour lui-même, sonné par les images que cela faisait apparaître dans sa tête. « Je comprends. Que tu me détestes. » Ajouta-t-il sur le même ton, sans la regarder. Il ne vit pas qu’elle s’était déplacée dans la pièce, et quand sa voix retentit à nouveau, il leva la tête pour la regarder, surpris. « Au fait, il s'est pas fait tuer. Il est toujours vivant, et il est même à Radcliff, lui aussi. » Une pause, un regard qu’il ne sut pas interpréter correctement. Ce il qui revenait à nouveau dans la conversation et qui glaça Camille au plus profond de ses entrailles. Et juste avant qu’elle ne précise sa pensée, il comprit. « Papa, j'veux dire. » Lysander Hyde. Camille fixa Elisa sans réagir, la bouche légèrement entrouverte, pendant de longues secondes. Incapable de penser à quoi que ce soit. Bloqué sur ce nom qui résonnait dans sa tête. Finalement il se leva, mécaniquement, et se dirigea vers le buffet où elle avait posé sa bouteille de rhum. Il la déboucha, leva le goulot à ses lèvres, y but une longue rasade brûlante, puis deux, puis trois. Quand la brûlure fut insupportable le long de son œsophage, que sa main commença à lui faire mal à force de serrer le verre comme s’il s’agissait d’un cou qu’il avait envie de briser sous ses doigts … Il poussa un cri de rage, animal et incontrôlable, et balança la bouteille contre le mur le plus proche, où elle explosa en une gerbe de fragments de verre et de gouttelettes ambrées. Il contempla la marque sur le mur puis tourna un regard flamboyant vers Elisa. « Je veux pas le savoir. Me parle plus jamais de lui. Il est mort en 1930. S’il est ici et que je le croise, c’est moi qui le tue. »
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeJeu 28 Avr 2016 - 22:11

Elle n’arrivait pas à savoir si c’était la rancœur ou la cruauté, qui la poussait à ainsi parler. Un habile mélange des deux, très certainement ; elle en voulait à Camille de ne pas avoir été là, et sa vengeance se diluait dans les propos sans cesse plus blessants qu’elle lui servait. Elle voulait lui faire du mal, voulait le heurter. Elle avait envie qu’il souffre, autant qu’elle avait pu souffrir, abandonnée comme elle l’avait été. Et ce désir brûlant de lui faire mal animait chacun de ses gestes, motivait chacun de ses mots. Revivre ses propres souffrances ne la dérangeait pas tant que ça ; elle sentait que Roxanne avait une capacité à cloisonner qu’elle était en train d’épouser, et n’en était nullement gênée. La précédente Elisa aurait sûrement tremblé en crachant ce genre de mots ; la douleur aurait sûrement été davantage qu’une filigrane, et il y avait fort à parier pour qu’elle se soit recroquevillée dans un coin, toujours sauvage et peu désireuse du moindre contact, mais visiblement secouée par ce qu’on lui avait fait. Sauf que là, c’était différent. Là, elle ne ressentait rien — pas vraiment. Rien d’autre qu’un malsain plaisir à voir le visage de l’homme face à elle se décomposer. Et il est obligé de tirer une chaise et de s’asseoir, alors qu’elle se gonfle intérieurement de fierté. Elle a réussi. Elle lui a fait mal. Il a voulu qu’elle arrête, il a voulu que le supplice cesse. Et elle se retient de lui susurrer quelques mots détestables, l’insupportable gamine. Elle se retient à grand-peine, alors que la flamme de la haine danse au fond de ses yeux ; prépare-toi, ça n’fait que commencer.

Et elle l’écoute, essayer de se rattraper, essayer de plaider l’innocence. Bien sûr qu’tu serais venu ; t’aurais eu intérêt, même. Le regard sans pitié de la jeune femme ne lâche pas le brun, alors qu’elle l’écoute tenter d’assimiler ce qu’il vient d’apprendre. Ça a l’air dur — vraiment dur, et elle s’en sent presque heureuse. Et il donne finalement crédit à sa haine, crédit à sa rancœur. La pointe de fierté qui danse alors en son cœur ne fait que s’agrandir et s’amplifier. Elle a gagné la manche. Il s’est avoué vaincu, et elle est encore reine de la situation. Elle ne cherche pas à savoir d’où lui vient ce besoin de contrôle, n’essaie pas de comprendre ce qui anime sa soudaine propension à chercher la merde. Mais elle refuse de se laisser reposer sur une victoire, la garce. Et elle a bougé, et elle a parlé. Les défis terminés n’ont aucun intérêt ; tout c’qui compte, c’est ceux qui sont en train d’être joués. Et celui-ci ne sera qu’une brique de plus à retirer des fragiles certitudes que Camille s’est construites. Une brique qu’elle arrache avec une parfaite impassibilité, et qu’elle prend soin de lui lancer au visage pour le tester.

Ce fut une erreur, mais elle l’ignorait encore. Pour la seconde, elle trépignait intérieurement, l’ombre d’un sourire vainqueur posé sur ses lèvres. Elle observait l’homme qui avait pâli, la fixant quelques instants sans bouger. Ses yeux ne le quittèrent pas davantage lorsqu’il se leva pour aller récupérer la bouteille de rhum qu’elle avait laissé sur un meuble. Elle ne bougea pas, savourant le mal qu’elle semblait lui avoir fait, et le visage décomposé qu’il n’arrivait pas à réassembler. Mais lorsque la bouteille s’écrasa sur le mur le plus proche, elle ne put retenir un léger sursaut ; son sourire fana rapidement, et la bestiole reprit des airs de sauvage sur la défensive, alors que son regard passait des débris de bouteille sur le mur au visage soudainement fermé de Camille. Dans son regard, la colère et une nouvelle forme de haine, qu’elle lui découvrait à peine. Une lueur qui n’annonçait absolument rien de bon, mais qui lui plaisait beaucoup plus qu’elle ne l’aurait avoué. Elle a réussi ; elle l’a à nouveau foutu en rogne, et il est prêt à sortir de ses gonds. Les conséquences, elle s’en fiche bien — persuadée, comme la gamine insolente qu’elle est, que jamais il n’osera poser la main sur elle.

Et c’est ce qu’il dit qui la fait tiquer. Les quelques mots crachés ont le don d’aviver le brasier qu’elle a créé, et de la faire, à son tour, entrer dans un état d’esprit des plus mauvais. Et elle a un rictus désagréable au coin des lèvres, sans se soucier de la douleur qui l’empêche de l’afficher davantage. « Surprise. » Faut pas le chercher, mais elle ne peut pas s’en empêcher. Elle sait de réputation ce qu’il est capable de faire, et c’est à croire que, ce soir, une part d’elle veut le voir. « Il est là, j’l’ai vu de mes propres yeux. C’pour ça que j’suis ici. » Pour lui pourrir la vie, exactement comme j’suis en train de pourrir la tienne. Parasite. « T’étonnes pas si tu m’trouves en travers de ta route. Tu risques de devoir me passer sur le corps avant toute chose. » Pas pour le protéger, pas pour le sauver. Mais s’il y en a bien une qui est en droit de le faire virer fou, c’est elle. Elle s’approche d’un pas, peu impressionnée par la silhouette en colère de Camille. Qu’il essaie de l’arrêter, pour voir. « Ceci étant, j’serais ravie de savoir c’qu’il t’a fait pour qu’tu lui en veuilles presque autant qu’à toi-même. Tu viens quand même d’gâcher un très bon rhum. » Elle voudrait savoir, et elle saurait. C’qu’elle voulait avoir — leur souffrance —, elle l’aurait. Quoi d’plus simple, quand on s’est fait violer et salement assassiner à cause d’un abandon aux drôles d’airs délibérés ?
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeDim 12 Juin 2016 - 19:38

Cela faisait trop d’informations en trop peu de temps. Camille devait déjà digérer le retour d’Elisa parmi les vivants, sous cette apparence appartenant à une autre, mais elle le bombardait en même temps de souvenirs désagréables et de données auxquelles il ne voulait pas faire face. Il avait des centaines de questions qui tournaient dans sa tête, et des émotions violentes qui se heurtaient les unes aux autres, lui infligeant un mal de crâne carabiné et lui mettant le cœur au bord des lèvres. Elle ne le laissait prendre aucun répit et semblait tirer beaucoup de plaisir à le voir s’enfoncer ainsi. La Elisa qu’il connaissait n’aurait pas joué ainsi avec lui, pas d’une façon aussi cruelle, mais cela faisait également partie de toutes ces choses qu’il devait assimiler. Elle avait changé, et sans doute qu’il y était pour beaucoup, son incapacité à la sauver le premier jour ayant précipité cette métamorphose qui s’était déroulée dans la souffrance la plus odieuse. Camille ne parvenait même pas à se réjouir qu’elle soit vivante à nouveau, à apprécier sa présence alors qu’il l’avait tant regrettée durant ses années d’éveil. Poser ses yeux sur elle reviendrait à présent à penser à tout ce qu’elle avait vécu, tout ce qu’il n’avait pas pu lui éviter. Il était déchiré de l’intérieur et devait faire de son mieux pour ne pas exploser sous cette masse de données trop énormes pour réussir à toutes les appréhender. Camille avait regretté Elisa et avait souvent souhaité la revoir, mais à présent, il voulait surtout qu’elle disparaisse. Qu’elle le laisse en paix au moins le temps de se calmer … Ensuite elle pourrait revenir le tourmenter, puisque c’était ce qu’elle recherchait. Il la comprenait, il l’accepterait, mais pas aujourd’hui. Il ne voulait plus rien recevoir aujourd’hui.

Mais ça ne suffisait pas. Elisa comptait l’enfoncer jusqu’au bout, et c’est dans ce dessein qu’elle lui révéla la présence de Lysander, il n’en doutait pas. La lueur mauvaise dans ses yeux parlait pour elle … Mais elle ne se rendait pas compte de ce qu’elle faisait. Camille aurait d’abord eu besoin de temps pour digérer tout ce qu’il venait d’apprendre, pour surmonter la tempête que cela faisait naître en lui, avant d’apprendre que Lysander n’était pas mort. Alors peut-être aurait-il pu y réfléchir plus posément, peut-être aurait-il pu accueillir cette information différemment. Mais là … Il ne pouvait pas. C’était la goutte faisant déborder le vase. L’unique chose que Camille refusait en bloc. A ses yeux Lysander était mort et c’était la seule façon qu’il avait de vivre avec la colère qu’il ressentait envers lui. Lysander était mort, parce que s’il ne l’était pas, cela faisait basculer les responsabilités. Cela rendait insignifiantes les années de torture que Camille avait du subir, en s’imaginant que c’était de sa faute. Cela anéantissait tout ce auquel il avait cru, toutes les excuses derrières lesquelles il avait pu se cacher, toutes les espèces de réconfort qu’il avait pu trouver pour se rassurer, toutes ses certitudes. Le sentiment d’injustice qui avait déferlé en lui à cette nouvelle lui comprimait la poitrine et aveuglait son jugement, faisant ressurgir une rage sans nom. « Surprise. Il est là, j’l’ai vu de mes propres yeux. C’pour ça que j’suis ici. » Il n’avait pas besoin qu’Elisa confirme, et surtout pas qu’elle en rajoute. Oh oui, il avait bien compris qu’elle se réjouissait de sa réaction, mais ce sourire qu’elle affichait pour le narguer ne faisait qu’augmenter sa colère. A présent, il la voyait telle qu’elle voulait qu’il la voie : comme une gamine effrontée qui aurait eu besoin d’une bonne correction pour apprendre à se la fermer. Et les poings de Camille le démangeaient à cette idée. Puisque Lysander n’était pas là, puisque c’était elle qui s’offrait si insolemment à sa colère …  « T’étonnes pas si tu m’trouves en travers de ta route. Tu risques de devoir me passer sur le corps avant toute chose. » Il serra les poings de toutes ses forces, et un rictus mauvais s’étala sur ses lèvres devant tant d’assurance. Elle n’avait pas idée de ce qu’elle proposait. Elle avait beau avoir une confiance en elle inébranlable, elle ne faisait pas le poids. Et quand elle fit un nouveau pas en avant, il songea qu’il pouvait l’éjecter loin de lui d’un seul revers de la main. « Ca ne me posera aucun problème, crois-moi. » Lâcha-t-il avec mépris. Toute la culpabilité qu’il ressentait envers elle ne serait jamais à la hauteur de la haine qu’il avait pour Lysander, et elle ne serait jamais capable de protéger son père contre lui, il s’en fit la promesse. « Ceci étant, j’serais ravie de savoir c’qu’il t’a fait pour qu’tu lui en veuilles presque autant qu’à toi-même. Tu viens quand même d’gâcher un très bon rhum. » Camille eut un geste d’impatience. Pourquoi poser la question, alors qu’elle était elle-même la réponse ? Mais l’enfant gâtée attendait qu’il s’explique, et il ne se ferait pas prier.  Pour la première fois depuis presque un siècle, il avait le loisir de parler à quelqu’un qui comprendrait – ou au moins, qui connaissait la situation. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle comprenne, elle était tout autant aveuglée par sa haine qu’il pouvait l’être. Leurs cibles étaient simplement trop différentes pour qu’elle puisse partager ce qu’il ressentait. « A moi ? Rien du tout. » Ricana-t-il. « Puisque je m’en suis sorti comme un prince, d’après tes propres mots. » Une expression qui prenait d’autant plus de sens à présent que Lysander était de retour chez les vivants. « Mais tu crois que tu en serais là, s’il n’était pas parti ? Tant qu’il était mort, je ne pouvais pas lui en vouloir à lui. C’est à moi que j’en voulais, pour pas avoir pu l’arrêter quand il est parti. » Il fit un pas vers elle, franchissant le dernier mètre qui les séparait, et lui attrapa durement les bras. « Mais il est pas mort. Il nous a laissés derrière lui sans revenir pour s’occuper de son propre bordel. Et c’est devenu ma faute, ma faute quand j’ai pas pu te cacher, ma faute quand j’ai pas pu te sauver, ma faute quand tout ce qui était aux Hyde est passé aux mains des autres ! » Hurla-t-il finalement en serrant sa poigne sur ses bras, les yeux fous, enragé de toutes ces accusations qui avaient été siennes mais qui revenaient à l’abandon de Lysander. Et qui, pourtant, restaient gravées sur sa chair à lui, sans jamais atteindre le véritable responsable.
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MessageSujet: Re: speaking of a friendly place in this world. (camille)   speaking of a friendly place in this world. (camille) Icon_minitimeLun 18 Juil 2016 - 7:48

Elle savait, au fond d’elle, qu’elle aurait dû se garder de trop s’aventurer dans le passé. Remuer la merde depuis trop longtemps retombée était une bien mauvaise idée, et une bien piètre et ingrate manière de s’attaquer à celui qui avait dédié toute une partie de sa vie à la protéger. Mais fallait croire qu’elle avait laissé le bon sens de côté depuis bien longtemps déjà, la petite effrontée. Trop heureuse de pouvoir parler à quelqu’un de ce qui lui empoisonnait le cœur, trop satisfaite de pouvoir enfin se tenir face à l’un des responsables, et d’avoir le champ totalement libre pour lui faire payer. Mais peut-être l’insouciance d’avoir à se soucier du sort des corps qu’elle occupait n’avait-elle pas arrangé son cas : et elle se riait du danger, la brunette, piquant le loup avec une fourche sans se soucier de se mettre à l’abri en prévision du moment où il exploserait. Pas de barreaux pour la protéger, pas de cage dans laquelle le maintenir sous scellé. Il était là, féroce et écumant, débordant de toute cette rage envers le second responsable de toute une déchéance. Et elle ne prenait pas la peine de s’en protéger, s’exposant à chaque seconde un peu plus, consciemment et impudemment. Incapable de laisser la peur se frayer un chemin dans son corps, incapable de broncher — jusqu’à ce que les deux mains se referment autour de ses bras, à tout le moins.

Et alors, elle sent ses sourires insolents se glacer. Elle sent son cœur battre furieusement contre sa cage thoracique, à la vue du danger qu’elle a réveillé. Et son instinct de survie lui intime finalement qu’elle est allée trop loin. Qu’elle a trop poussé, qu’elle a trop cherché. Elle a creusé trop profond, touché le fond. Et elle n’aime pas ce qu’elle y voit — le revers de ce visage qui a toujours tout fait pour la protéger. Elle n’aime pas les accusations qu’il porte, et le ton de sa voix qui monte. Elle sent les doigts serrer ses bras, lui faire mal. Et c’est tout ce qu’elle peut lui dire, alors qu’il lui parle, véhément, enfermé dans son histoire comme un animal fou, reprenant les mots même qu’elle a utilisés dans l’intention de le blesser. « Lâche-moi. Tu m’fais mal. » Elle l’a cherché, et elle ne le niera pas. C’est œil pour œil, dent pour dent — qui sème le vent récolte la tempête. Mais la petite princesse qu’elle redevient, face à Camille, n’a jamais pris l’ouragan de plein fouet. On l’en a toujours protégée, et le mélange de l’insolente et de l’intouchable ne lui réussit plus, ce soir. Pas cette fois.

Et il commence à crier. La culpabilité le dévore, la colère le consume. Et elle voit les flammes de ces brasiers négatifs danser dans ses yeux, alors qu’il serre davantage encore. Elle se débat, incapable pourtant de se dégager — plus très loin de se mettre à cogner. Et quand il arrête finalement de parler, écumant de rage, c’est un même hurlement qui lui répond, rauque et féroce. « Lâche-moi ! » Et la timidité des mouvements pour le repousser s’estompe, alors qu’elle dégage furieusement un de ses bras, lui donnant un coup dans le tibia au passage. Elle finit par réussir à se reculer, les traits tout aussi déformés par la méchanceté que ne le sont ceux de Camille. Elle l’a cherché, mais elle n’a plus envie de jouer. Elle le regarde, et elle le hait — autant qu’elle peut haïr son père, et le moindre des mots qu’il a pu sortir. Parce qu’il a raison, et elle le sait. Sauf que les choses ont changé. Et que si elle est arrivée ici en arguant le passé, il y a bien longtemps déjà qu’elle s’en est détachée.

Et c’est l’amertume dans les yeux qu’elle recule de quelques pas, prête à lui échapper s’il tente quoi que ce soit. Et le fuel dans sa voix n’en est que la plus évidente des illustrations, alors qu’elle lui crache, peu amène : « D’ta faute ou d’la sienne, qui s’en soucie, maintenant, hein ? C’est du pareil au même. Y en a pas un pour rattraper l’autre. » La lèvre qui se retrousse un peu, mauvaise. « J’ai l’impression d’être la seule à pas avoir perdu la tête avec le temps. » Et qu’elle affiche une petite moue presque trop satisfaite, l’insolente. « Heureusement que j’ai appris à me débrouiller sans vous, hein. » Et elle s’écarte d’un autre pas. « Tu sais quoi ? J’vais pas m’interposer plus longtemps entre toi et ta p’tite vengeance à deux francs six sous. » Un sourire bref, alors qu’elle le fixe. « D’toute manière, c’est pas comme si ça allait changer quoi que ce soit. » Que j’m’interpose, ou que tu te venges, c’est du pareil au même. Le mal est fait depuis bien longtemps, tu ne crois pas ?

Et elle ne veut pas rester ici une seconde de plus, l’impertinente. Ses yeux ont déjà avisé le petit couloir par lequel ils sont arrivés dans le salon. « T’embêtes pas, je connais la sortie. » Et elle s’éloigne, rapidement, s’approchant de la porte d’entrée. Le battant s’ouvre, et alors qu’elle s’apprête à sortir un dernier regard en arrière la fait se figer. « Oh, et pas la peine d’appeler pour prendre des nouvelles. J’ai appris à me débrouiller. » Et la porte claque derrière elle alors qu’elle sort. Le plus vite possible, elle se fond dans la nuit, avant qu’il n’ait pu lui emboîter le pas. Lui échapper. S’en aller. Mais dans le pire des cas, qu’aurait-il bien pu faire ? La tuer ? Quand bien même il en aurait été capable, ça n’aurait rien changé. Quoi qu’il arrive, elle trouverait désormais le moyen de revenir le hanter.


( the end )
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