Il y a un dicton, un aphorisme, un proverbe – j'aime les synonymes presque autant que le café – qui dit qu'on ne choisi pas sa famille. Faisons une petite expérience, vous voulez bien ? De toute manière je ne vous demande votre avis que par politesse, car que vous le vouliez ou non, vous serez mes cobayes. Imaginons un seul instant que vous naissiez au sein de la famille la plus ordinaire qui soit, avec un père et une mère, une sœur cadette, deux gros chiens et un adorable poisson rouge. Car oui, j'avais beaucoup d'affection pour Jean-Robert, petit carassius auratus de son état.
Vous vivez donc une enfance normale, ponctuée de semaines d'école et de week end où daidí vous emmène à la pêche et où mam vous traîne au milieu de la cambrousse pour rendre visite à votre grand mère. Jusque là, rien d'extraordinaire. Mais si toutes les histoires étaient aussi banales que celle-ci, la littérature n'aurait aucun avenir et vous pourriez passer votre chemin immédiatement ! Or, c'est justement maintenant que l'ennui s'est installé que je vais réveiller l'instinct du petit aventurier curieux que je décèle en vous.

Car figurez-vous qu'il faut ajouter deux paramètres d'une importance capitale à l'équation ! La première, c'est que mes parents descendent d'une longue lignée de chasseurs et d'occultistes. Oh je vous vois venir ! Vous allez me dire que ce sont des illuminés qui cherchent les fantômes et mettent du sel aux fenêtres pour retenir les esprits ! Ahaha ! Très drôle ! Et bien que nenni, mes jolis ! Depuis plusieurs générations, ma famille chasse ce que l'on appelle aujourd'hui des transmutants, des dégénérés, des... Ah zut je ne trouve pas d'autre synonyme qui ne soit pas encore plus insultant !

Mais bref, revenons en à nos moutons – et Dieu sait qu'il y en a, là d'où je viens – et reprenons où nous en étions. J'ai été élevé dans l'idée que les détenteurs du gène X étaient des anomalies de la génétique, des créatures démoniaque apparentées aux pires bestioles que l'on trouve dans le folklore irlandais (et là je vous l'accorde, c'est la partie un peu risible de l'histoire. Le jour où un mutant capable de marcher sur des arc en ciel croisera ma route, je commencerai à croire en l'existence des leprechauns. D'ici là...) ! Aussi, des mon plus jeune âge, on m'a appris à les reconnaître, à les identifier... Et à les dénoncer, ça ne serait pas drôle si je ne pouvais pas faire la fouine ! Seulement, il y a un hic. Car comme je vous le disais, il y a deux paramètres à prendre en compte dans l'histoire, et je n'en ai évoqué qu'un seul ! Essayez de suivre, un peu !

Le deuxième point... C'est que je suis moi-même un transmutant. Et c'est là que les chose se compliquent ! Car pour mes parents, la pureté du sang irlandais et humain coulant dans nos veines a toujours fait la fierté de la famille, il était impensable qu'un dégénéré vienne au monde chez nous ! Raté... Les premières années, je ne remarquais rien, et mes parents non plus. Certains donc sont flagrants, comme la pyrokinésie ou la capacité à se téléporter... Et d'autres sont plus subtiles, plus discrets. Je fais partie de ces mutants qui peuvent aisément cacher leur mutation parce qu'elle est presque invisible aux yeux du commun des mortels. A vrai dire, quand j'étais gamin, ça me semblait presque normal de ne jamais me faire gronder, de n'avoir besoin que d'un regard humide de larmes pour que mes parents me pardonnent d'avoir mis de l'encre dans les cheveux de ma petite sœur, ou encore quand je ramenais de mauvais résultats de l'école. Inversement, lorsque je faisais une grosse bêtise, il me suffisait d'accuser ma sœur pour qu'immédiatement la colère de mes parents se retourne contre elle. Elle a du souvent trouver ça injuste, la pauvre...  Bah ! Qu'est ce que ça peut bien me faire, après tout ?

Ce n'est qu'au début de mon adolescence que je commençais véritablement à me poser des questions. Jamais de réprimandes, jamais un gamin qui ne me faisait de misères dans la cour de récré, pas un accroc... Alors j'ai fini par me poser des questions. Etais-je particulièrement sympathique et bon orateur, ou bien étais-je aidé d'une certaine manière ? Je commençais à mener de petites expériences sur mes camarades, me demandant simplement si je ne pouvais pas jouer avec leurs émotions. Mais jamais je n'arrivais à redonner le sourire à quelqu'un de triste ou inversement. En revanche, j'arrivais à provoquer de grosses disputes entre eux, pour une raison qui m'échappait encore.

Alors, j'étais partagé entre deux émotions contraires : L'euphorie et la terreur. J'étais euphorique car j'avais le sentiment d'avoir un pouvoir sans limite sur les gens qui m'entouraient, je me voyais déjà les mettre à genoux, à mon orgueil de petit con à peine âgé de douze ans... Et puis j'avais peur. Terriblement peur. Car j'étais tout ce que je combattais, tout ce qu'on m'avait appris à haïr et mépriser. Si je pensais pouvoir dissimuler ma mutation, j'avais le sentiment d'être une honte pour ma famille, de la déshonorer au plus haut point... Et surtout, j'étais déçu. Car tout cet amour, cette affection que je recevais depuis mon enfance... N'étaient-ils pas faussés par ma mutation ? Tout cela n'était-il pas un mensonge et ne les manipulais-je pas depuis le début ?

Notre déménagement aux Etats-Unis n'arrangea rien à ma morosité. Je ne voulais pas quitter les verdoyantes terres d'Irlande pour aller m'enfermer dans d'immenses structures en béton. J'en avais la nausée rien que d'y penser, mais je suivais docilement le reste de la famille. Après tout, je n'avais que seize ans, à l'époque ! Je terminais mon lycée là-bas, suivant en parallèle l'apprentissage de mes parents. Traquer, débusquer et alerter, ça je connaissais. Tuer, en revanche... Je n'ai jamais voulu me salir les mains. Peut-être parce que quelque part, je voyais sur le visage de tous ces mutants le reflet du mien. Nous formions une bonne équipe, avec ma sœur ! J'étais meilleur qu'elle pour suivre une piste, et elle n'avait pas autant d'état d'âme que moi à les tuer. Et puis nous n'étions pas tous seul. Il y avait les Moren, cette autre famille de chasseurs qui nous regardaient régulièrement de travers lorsque nous prenions en chasse le même dégénéré. Il faut reconnaître que c'était risible... Une famille d'irlandais débarquant sur le terrain de chasse d'une fratrie de territoriaux... Forcément, c'était un peu la course pour savoir qui serait le plus rapide ou le plus fort ! Moi, je me fichais royalement de tout ça. Je me liais d'amitié avec le plus jeune de la famille, de quelques années mon cadet. Si je lui cachais minutieusement ma nature de transmutant, j'appréciais autant sa droiture que ses convictions. C'est peut-être pour cela que je ne cherchais pas à manipuler ses sentiments à mon égard comme je le faisais d'ordinaire avec tous ceux que je croisais...

J'avais vingt et un ans lorsque je choisissais de claquer la porte du domicile familial pour rentrer en Irlande et finir mes études de psychologie. Je n'avais jamais trop supporté la mentalité américaine, et elle avait fini par avoir raison de mes nerfs. Je préférais donc retrouver le calme de mon Irlande bien aimée, et m'installais dans un petit studio à Dublin. J'obtenais mon doctorat quelques années plus tard et m'installais avec un camarade de promo dans un cabinet du centre ville. Je découvrais rapidement les joies de travailler avec la police scientifique sur certaines affaires sensibles : C'était bien plus intéressant que d'écouter la vie barbantes et pleine de problèmes des inconnus que je voyais défiler dans mon bureau !

Et puis ce jour est arrivé. Oui oui, ce jour-là ! Mais si, vous savez de quoi je veux parler ! Le jour où votre carrière prend un tournant radical, le jour où vous réussissez un sudoku sans vous planter une fois, le jour béni où vous trouvez la fève dans la galette des rois et pouvez vous pavaner avec une ridicule couronne en carton sur la tête ! Oui voilà ! Ce jour-là ! Et donc ce fameux jour, je reçu un appel d'un ancien « ami » de l'université, devenu professeur dans un lycée, pour un cas un peu spécial. Il avait dans sa classe un élève brillant, à l'esprit très éclairé et avancé pour son âge, mais d'une arrogance rare et brimé par tous ses camarades à cause de son obsession pour la génétique et le surnaturel. D'un autre côté... Qui ne se serait pas payé sa tête, sérieusement ? Ainsi donc, le professeur désespéré s'imaginait qu'une petite discussion avec un psy remettrait son élève favori sur les rails et que tout irait pour le mieux... Quel naïf... S'il avait su à cet instant qu'il condamnait un adolescent à l'enfer, il n'aurait probablement jamais composé mon numéro ! Toujours est-il que dans ma grande bonté d'âme, je me rendais au lycée pour faire la connaissance avec Artur Kovalainen, mon nouveau petit mystère de la science. Et quelle ne fut pas ma surprise d'être immédiatement pris de haut, traité de faux scientifique et de docteur au rabais... Ah ça, il allait me plaire, le gosse. Hautain, arrogant, bien trop fier de ses capacités... Désespérément seul et perdu. Et c'était sur ces derniers points que j'allais travailler.

En bon praticien doué de patience, je le laissais débiter des railleries au sujet de ma profession, ne m'en formalisais pas et commençais à lui poser quelques questions à son sujet. Sa famille, ses hobbys, ses amis... Il resta hermétiquement fermé les premiers temps, et il me fallu deux ou trois séances pour obtenir autre chose de lui que des reproches et une mine bougonne. Parallèlement, j'insinuais en lui de la sympathie à mon égard, le poussant petit à petit à voir en moi le confident dont il avait besoin, jusqu'à ce qu'il ait l'impression d'avoir en face de lui l'ami qu'il attendait depuis tout ce temps. Il ne me résista même pas. Un esprit certes brillant mais extrêmement malléable et influençable. Le parfait petit cobaye dont j'avais besoin !

Il en vint finalement à se confier à moi, me parlant de sa sœur qui l'avait abandonné, de son père qui l'avait toujours dénigré au profit de son aînée, de l'absence totale d'amis dans sa vie... Et surtout de son obsession pour la génétique. Feignant de l'intérêt pour son récit qui me barbait plus qu'autre chose, je lui demandais alors pourquoi il s'intéressait à ce point à la génétique. Et là... Je découvrais un nouvel Artur. Enflammé, passionné, extrêmement calé sur le sujet... Mais il tournait autour du pot, refusant de me dire exactement pourquoi il s'y intéressait autant. Ce n'est que lorsque je l'aiguillais sur le sujet mutant qu'il m'avoua s'y intéresser depuis longtemps, depuis qu'il avait appris que sa sœur en était une. Alors les choses furent faciles. Incroyablement faciles. Je lui répondais que je le comprenais et partageais ses doutes, ses réticences à l'égard des dégénérés... Qu'il n'avait pas à craindre que je me moque de lui car je connaissais ce monde – ce qui devait être la seule vérité dans mon discours. Alors j'attisais la haine et la jalousie dans son esprit, faisant naître une animosité sans limite pour les mutants, jusqu'à ce qu'il n'ait plus qu'une idée en tête : Leur faire la peau. Au bout de quelques semaines seulement, il vint me voir en me demandant si je savais comment faire, si j'avais des solutions au problème mutant. Au final, on ne pourra pas me reprocher de lui avoir vendu la chose, c'est lui qui est venu me le demander !

Fort heureusement pour lui, je réunissais depuis quelques années déjà quelques apprentis chasseurs désireux de se venger pour une raison ou une autre des dégénérés. Chacun d'eux étaient manipulés par la haine que j'avais attisé en eux, si bien que j'avais presque l'impression de me retrouver à la tête d'une meute de loups enragés. Artur n'eut pas trop de mal à se faire à cette nouvelle vie... Enfin il devait avoir l'impression de parler avec des gens qui le comprenaient, et je raffermissais de jour en jour mon influence sur lui, l'éloignant petit à petit de sa famille pour le vouer corps et à âme à la chasse. A ce jour il est probablement ma plus belle création, ma plus jolie marionnette et celle que je m'amuse le plus à faire danser au gré de mes envies !

Je n'ai jamais tué. Pas un dégénéré ni qui que ce soit d'autre. J'ai toujours fais faire le sale travail à ma place, si bien que mon casier judiciaire est aussi vierge que celui du plus innocent des citoyens ! Avec le temps, je me laissais un peu de ce petit jeu et suggérais à Artur de prendre le large et de faire ses armes aux Etats-Unis. En le laissant entre les mains de Kingsley, j'étais assuré qu'il deviendrait un chasseur aussi impitoyable qu'intolérant. Seulement, j'avais oublié une chose... Avec le temps, l'emprise de ma mutation sur les gens s'estompe, et certains événements marquant dans la vie d'un homme peuvent radicalement changer ses convictions.

Après plusieurs semaines sans la moindre nouvelle d'Artur, après avoir entendu ses doutes et ses errances, je compris qu'il commençait à perdre pied. Alors j'ai pris mon petit baluchon, quitté mon Irlande bien aimée pour entrer en terrain hostile. Qu'on ne me dise pas que je n'y tiens pas, à ce gosse, bon sang ! C'est pour lui que je suis revenu ! Enfin c'est parce que je m'ennuyais, en réalité...
J'ai posé mes valises dans le trou du cul des states, à Radcliff, il y a seulement quelques semaines. Si je déteste déjà viscéralement cette endroit, il me tarde de retrouver mon petit protégé pour lui passer la cervelle au court bouillon !