On décrivait souvent William comme un homme froid, antipathique et parfois même violent. Il était implacable en affaire, temporisait James dès qu'il s'enflammait, faisait trembler ses collaborateurs avec son absence totale d'humanité, mais tout cela n'était qu'une façade. Car William était avant tout un homme blessé, meurtrit et martyrisé, un homme qui aspirait au calme et aurait volontiers tout plaqué pour ne plus s'occuper que de son jardin si ça lui avait permis de fuir le monde réel. Il s'était longtemps cru monstrueux, il avait craint sa mutation, puis il s'était retrouvé dans l'autre camp, celui des vainqueurs, comme il se plaisait à le rappeler. William aimait sa nature de mutant tout comme il aimait l'humanité dans son entièreté. Il défendait chacun de ses semblables contre la barbarie des chasseurs, avait plus de sang sur les mains qu'il n'en fallait pour finir en enfer à la fin de son existence, mais il avait la conscience tranquille.
Finalement, William ne regrettait que deux choses. Avoir aimé une femme qui l'avait détruit, et avoir provoqué le départ de celle qui avait su lui apporter un équilibre salvateur. Sorcha était une blessure à peine cicatrisée, mais Rachael resterait à jamais ce poignard fiché dans son cœur, cette plaie ouverte d'où suintaient sang, regrets et désespoir. Secret et glacial, William ne montrait que peu ses sentiments. Pourtant, chaque fois que ses yeux se posaient sur ce cadre posé sur son bureau, un sourire d'une incroyable tristesse se dessinait sur ses lèvres. Ils étaient là, tous les deux, la mine heureuse et les cheveux détrempés. Ils s'étaient un jour perdus en forêt et avaient essuyé une averse à en vacciner plus d'un, mais c'était l'un des plus beaux souvenirs que William gardait d'elle. Il ne se passait pas une journée sans qu'il regrette d'avoir été lui-même, sans qu'il s'en veuille de l'avoir fait fuir... Sans qu'il se haïsse pour n'avoir pas su donner à leur enfant un père idéal.
Détournant son regard de la photo, il repris la relecture d'un contrat que Jimmy lui avait soumis la veille, griffonnant des notes dans les marges et entourant certains passages qu'il jugeait inutiles ou mal formulés. Lorsqu'on frappa à la porte, le mutant releva la tête en fronçant les sourcils. En pleine journée, il ne s'attendait pas à avoir de la visite. Ça ne pouvait pas être Jimmy, qui avait la fâcheuse habitude de rentrer et se servir dans le frigo avant de s'annonce, et ce ne pouvait pas non plus être Sorcha, qui elle s'était pointée la bouche en cœur dans son si précieux jardin. Si c'était pour du démarchage, la personne qui s'était déplacée allait amèrement le regretter. William retira ses lunettes, posa son stylo et se dirigea vers la porte, qu'il ouvrit sans prendre le temps de regarder à travers le judas pour savoir s'il valait mieux faire le mort ou non.
Lorsqu'il se retrouva face à Rachael, il lui sembla bien que son cœur avait raté un battement et peinait à oxygéner son cerveau. Elle était là, aussi belle qu'avant, inchangée en trois longues années, un sourire figé sur des lèvres qu'il avait si souvent embrassé que ce contact lui manquait toujours. Rachael. Pas son premier amour mais la plus personne avait laquelle il ait partagé sa vie, dont il n'avait pas eu de nouvelles pendant des mois et à laquelle il versait pourtant scrupuleusement une pension pour leur fille. La petite, il ne la vit pas immédiatement, obnubilé par les yeux de celle qu'il se serait vu épouser et avec laquelle il aurait aimé finir ses jours.
« Bonjour, Rachael », s'entendit-il dire avant d'avoir pu choisir ses mots.
Il était figé sur le pas de la porte, incapable de savoir s'il devait l'inviter à entrer ou lui dire de partir. Il allait prendre une décision quand un joyeux gazouillis le poussa à baisser les yeux vers l'adorable enfant qui gesticulait dans les bras de sa mère. Elle était belle, la petite Hope, avec ses boules brunes en bataille et ses grands yeux bleus espiègle. Elle était belle et pleine de vie, et lorsqu'elle tendit les bras en direction d'un père trop éperdu d'admiration pour réagir, celui-ci ne put que relever les yeux vers Rachael avec un regard interrogateur.
« Je... Je peux ? » Demanda-t-il en tendant doucement les bras vers l'enfant.
Celle-ci se laissa glisser avec bonheur dans les bras de William en agitant les bras, et lorsqu'il fut certain de bien la tenir, elle s'agrippa à lui comme un adorable bébé koala.
« Papa papa papa ! Je peux t'appeler papa hin dis ? »« Bien sûr que tu peux... Aller dis-moi tout... Tu t'appelles comment ? Tu as quel âge ? »Ces choses-là il les savait déjà, mais il voulait entendre la petite lui épeler son prénom et lui dire fièrement qu'elle avait déjà trois ans. A peine avait-elle fini de babiller que William s'effaçait pour laisser entrer Rachael.
« Entre, je t'en prie... Il fait un froid effroyable dehors. »D'une main, il referma la porte, puis se dirigea vers la cuisine. William vivait dans une belle et spacieuse maison, avec un salon épuré et harmonisé dans des teintes de gris. Un spacieux jardin était à moitié mangé par la serre, et la cuisine avait été spécialement choisie pour les soirs où Jimmy décidait de s'y inviter pour préparer le repas : immense et équipée de bien trop de bibelots et conneries que William la fuyait en général. C'est pourtant vers la cuisine qu'il se dirigea, avec Hope dans les bras qui lui racontait une histoire probablement passionnante mais à laquelle il ne comprenait rien.
« Je vous sers quelque chose ? »Demanda-t-il en posant à terre une Hope soudain déçue de ne plus être perchée dans les bras de son père.
Le dos tourné, William avait le nez dans le frigo lorsqu'il demanda, incapable d'affronter le regard de Rachael.
« Alors tu... Tu vas bien ? »Malaise...
© Grey WIND.