Baby it's cold outside

Gene & Ciaran

Finissant de poser la dernière petite guirlande lumineuse et multicolore qu’elle avait déniché en faisant un tour sur le marché de Noël, Gene regarda la commode dans son salon et sourit un peu, satisfaite de cette touche de couleur et de gaieté dans son petit chez-elle. Elle aurait dû rentrer à Cincinnati pour les fêtes de Noël, mais un malheureux concours de circonstances avait fait coïncider la date de son départ avec une tempête de neige massive qui avait cloué tous les avions au sol ; son budget étant ce qu’il était et ne voulant pas peser trop lourd dans celui de sa mère, elle avait dû se résigner à rester à Radcliff. Ca lui avait donné un sacré coup au moral, d’autant que Jim n’avait pas pu revenir non plus – il était parti depuis encore trop peu de temps et les routes étaient de toute façon trop enneigées pour qu’il puisse revenir jusqu’à cette ville qu’il avait quitté deux mois plus tôt à peine. Et comme la jeune femme n’avait pas voulu importuner Aspen ou qui que ce soit d’autre, elle avait prévu un petit programme simple, à savoir : une grosse journée à ne cuisiner que pour elle, un vrai bon film sur son ordinateur ou son petit post télé et puis beaucoup de sms ridicules échangés avec son meilleur ami. Ce n’était pas idéal, bien entendu, et être seule à cette période de l’année n’aidait pas son humeur à s’améliorer, mais c’était toujours mieux que de se morfondre dans son coin. Elle ne savait pas pourquoi mais elle avait trouvé en elle un regain de bonne volonté et d’entrain. Ce n’était rien d’extraordinaire, certes, mais elle parvenait de nouveau à sortir de son lit sans avoir envie d’y retourner sur-le-champ. Elle avait fait le grand ménage chez elle, elle avait tout aéré, tout rangé, tout dépoussiéré et elle avait ressorti ses scénarios et ses carnets à croquis qu’elle avait trop délaissé ces dernières semaines. Tout doucement, elle était redevenue ce qu’elle était vraiment, cette personne qui se cachait sous une timidité maladive et des difficultés monstrueuses à interagir correctement avec le reste du monde.

Gene venait tout juste de raccrocher son téléphone, une grosse heure après avoir appelé sa famille pour leur souhaiter un joyeux Noël, quand son timer se mit à sonner bruyamment dans sa petite cuisine. Sans perdre une seconde, elle fila jusqu’à son four – qu’elle avait réussi à dénicher grâce à Jim – et en sortit la plaque de petits gâteaux qu’elle avait préparé plus tôt. Certes, le citron et les fruits rouges n’étaient pas spécialement les saveurs de la saison mais, n’étant pas une grande amatrice de chocolat, elle avait préféré se rabattre sur quelque chose qu’elle aimait bien. Et puis, de toute façon, elle serait seule à manger ce qu’elle avait préparé, alors pourquoi se soucier de papilles imaginaires à satisfaire ?
Précautionneusement, elle déposa ses petits moelleux sur une assiette pour leur laisser le temps de refroidir. L’une après l’autre, les pâtisseries s’entassaient sur le plat. Cependant, la petite brune fut interrompue dans sa tâche par le bruit de sa sonnette. La surprise lui fit hausser les sourcils très haut tandis qu’elle se demanda qui diable pouvait bien venir sonner à sa porte un après-midi de Noël. Curieuse quoique perplexe, elle remit rapidement en place le chignon lâche qui tenait en place ses longs cheveux et alla ouvrir. Elle se figea net en reconnaissant la silhouette sur le pas de sa porte.
De toutes les personnes qu’elle s’était imaginé voir sur son paillasson, Ciaran était bien le dernier sur la liste. Son élégant directeur de thèse était là, devant elle, parfaitement apprêté comme toujours, alors qu’elle était … nettement moins chiquement habillée. La chemise trois fois trop large qu’elle avait sur le dos appartenait à son frère de cœur et le grand short ample qui lui couvrait les jambes jusqu’aux genoux témoignait de la température plus qu’agréable qui régnait chez elle. Rougissant de son état, elle cligna des yeux et bafouilla, toujours aussi étonnée :

- Ciaran – monsieur O’Doherty, quelle surprise ! Qu’est-ce qui me vaut le plaisir ?

Non pas que la présence du grand Irlandais aux yeux de verre la dérangeât, bien au contraire, mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il venait faire un jour de Noël chez elle alors qu’il devait avoir une famille ou une compagne avec qui le passer. Encore une fois lui revint la question qui tournait en boucle dans sa tête dès qu’on lui portait un minimum d’attention : pourquoi elle ?

Baby it's cold outside

Gene & Ciaran

Dire de Ciaran que c'était un grand enfant était un euphémisme, et pas seulement parce le fringant jeune homme dépassait fièrement le mètre quatre-vingt. Il aimait les gâteaux, les sucreries, les œufs de Pâques, les contes absurdes, les dessins animés, mais il aimait surtout faire des farces d'enfant, à ceci près qu'elles avaient perdues toute trace d'innocence. Quand un enfant posait un seau d'eau au-dessus d'une porte, c'était pour voir le prochain venu se prendre une saucée et rire un bon coup. Quand Ciaran agissait de la sorte, c'était dans l'espoir de voir sa malheureuse victime contracter une pneumonie ou mieux encore : la tuberculose ! Un peu d'exotisme au pays des virus ne lui avait jamais déplu !

Alors bien sûr, Ciaran aimait Noël, les guirlandes lumineuses au dehors, la neige qui crissait sous les talons de ses élégantes chaussures de ville, les chants que les enfants venaient interpréter sur le pas de la porte des riverains émerveillés, simplement pour apporter un peu de joie dans les foyers, la débandades dans les magasins où les gens se précipitaient pour être certains d'avoir le meilleur prix sur la dinde ou le foie gras... Ciaran aimait tout cela, tout autant qu'il aimait déchirer le papier cadeau bariolé qui enveloppait ses cadeaux lorsqu'il était enfant. Il aimait toute cette innocence et cette joie de vivre, car c'était toujours la bonne période pour piétiner les espoirs des gens en prétendant que c'était simplement la magie de Noël.

Voilà bien des années que l'Irlandais ne fêtais plus Noël en compagnie de ses parents, fuyant comme chaque année la traditionnelle invitation qui lui était envoyée. A vrai dire, Ciaran n'était pas très friand de l'idée de se retrouver à la merci de deux chasseurs de mutants qui ne manqueraient pas de lui faire la peau si, après une coupe de champagne de trop, il en venait à montrer un peu trop explicitement sa vraie nature. Alors il passait souvent Noël avec sa compagne du moment, ou encore avec Helen, lorsque son imbuvable mari monté sur roulettes ne daignait pas rentrer pour le fêter en famille. Seulement, cette année, Ciaran était seule, et sa sœur pouvait pour une fois profiter du quota handicapé de la famille pour célébrer la naissance d'un petit gamin joufflu censé apporter la bonne parole aux ignorants. Eh bien... En 39 soirs de Noël, Ciaran l'attendait encore, sa bonne parole ! Une chose était certaine, tout ceci ne l'aidait pas à se décider sur ce qu'il allait faire ce soir-là. Affalé sur son canapé, en train de zapper sur toutes les chaînes disponibles en soupirant, il se prit à se dire que c'était tout de même bien moche de passer Noël seul, et que ça risquait forcément de le rendre encore plus méchant qu'il ne l'était, ce qui, si vous voulez mon avis, n'aurait pas été le plan idéal pour bien commencer l'année 2016. Ce n'est qu'après un long moment à regarder avec un air absent son écran que Ciaran eut idée. L'idée de la soirée, que dis-je, l'idée du siècle !

Ni une, ni deux, il attrapa son manteau, la bouteille de champagne qu'il gardait justement pour Noël dans son frigo, fourra une petite surprise dans l'une de ses poches et sortit de son appartement, guilleret. Saluant sa voisine qui le regarda avec un air interloqué avant de fixer bêtement le ravissant couvre-chef qu'il portait, Ciaran appelant l'ascenseur et sortit d'un pas vis dans le froid hivernal. Il aurait pu prendre sa voiture, mais le paysage avait quelque chose de poétique qui lui plaisait, aussi prit-il le chemin du centre-ville à pieds.

Une fois arrivé dans le hall de l'immeuble, il souffla sur le bout de ses doigts ankylosés, et se hâta de grimper jusqu'à l'étage où vivait Gene, absolument pas gêné ni de la situation, ni du fait qu'elle fêtait peut-être Noël avec sa famille. Si elle n'était pas là, tant pis, si elle recevait... Et bien il lui ferait ses yeux tristes en lui tendant la bouteille et elle n'aurait pas le cœur à lui refuser l'hospitalité, n'est-ce pas ? Il l'aimait bien, sa petite étudiante, la douce, la fragile, la timide et effacée Gene. Il l'aimait bien, mais la rédaction doutait de sa bonne influence sur la pauvre jeune femme.

Lorsque celle-ci ouvrit la porte, étonnée de le trouver ici, l'Irlandais lui tendit fièrement la bouteille de champagne avec un grand sourire. Hormis son impeccable costume bleu marine et sa cravate striée de fines rayures blanches, il n'arborait que deux originalités : des chaussettes vertes ornées de rennes de Noël, et un affreux bonnet de lutin qui le faisait ressembler à un croisement terrifiant entre un leprechaun diabolique et un farfadet.

« Joyeux Noël, Gene ! Oh et je vous en prie, appelez-moi Ciaran, c'est Noël, tout est permis ! »

Après lui avoir fourré la bouteille entre les mains, il ne se fit pas prier pour entrer, comme s'il était chez lui. C'était une véritable manie qui avait tendance à agacer, cette habitude qu'il avait de toujours entrer chez les gens comme un prince.

« A vrai dire... Je n'ai pas pu rentrer en Irlande pour passer Noël avec ma famille, et la perspective de le passer seul me chagrinait alors... Je suis passé voir si vous étiez dans le coin... Je ne vous dérange pas, j'espère ? Oh tiens... J'ai un cadeau pour vous... »

Avec un air de conspirateur, il tira de sa poche un bonnet de père Noël orné d'une clochette et l'enfonça sur la tête de Gene.

« Voiiiilà ! Comme ça, nous sommes assortis ! N'est-ce pas merveilleux ? Que disions-nous... ? Ah oui... Vous... Attendez du monde, peut-être ?

Oh il avait bon espoir que non, et qu'elle accepte de passer Noël avec lui. Rien qu'avec lui. Car Ciaran avait une idée en tête, et Ciaran n'était pas partageur. Encore moins un soir de réveillon.

Baby it's cold outside

Gene & Ciaran

Gene n'avait pas beaucoup d'amis. Timide, effacée, discrète, elle n'avait jamais vraiment attiré l'attention. Le monde impitoyable de l'université n'avait pas arrangé son cas et elle s'était perdue dans la masse grouillante et bruyante des étudiants, de Cincinnati d'abord, de Radcliff ensuite. Le peu de relations qu'elle avait réussi à construire dans sa ville natale ne survivrait probablement pas à la distance, et c'était un détail qui la travaillait. Ici, elle avait commencé à construire quelque chose de différent, une vie nouvelle, dangereuse pour les gens comme elle peut-être mais autrement plus palpitante que celle qu'elle vivait dans sa famille, protégée au point d'avoir fait d'elle une trouillarde notoire et d'une naïveté presque risible. Elle avait pris quelques coups, certes, mais elle avait eu des gens pour la soutenir mieux qu'elle n'aurait pu l'espérer. Jim pour ne citer que lui. Le jeune homme avait fait énormément pour elle et son départ laissait un vide terrible dans la vie de la petite mutante, mais ce qu'il lui avait apporté n'avait pas disparu avec lui. Oh bien sûr, elle ne s'était pas découvert une réserve cachée de courage, elle avait toujours tendance à longer les murs et elle avait encore du mal à tenir une conversation sans baisser les yeux et la voix, mais il y avait du mieux ; elle avait réalisé que cette nature terrifiée, elle n'en voulait plus, et si elle ne voulait pas perdre l'hyperémotivité qui rendait le monde aussi effrayant que merveilleux, elle voulait pouvoir sortir de chez elle sans avoir peur de sa propre ombre. C’est pourquoi elle avait décidé de faire de réels efforts, pour que son frère de cœur soit fier d'elle et pour que son quotidien soit un peu moins pénible à vivre.

Cependant, il lui restait beaucoup de travail à faire, et sa timidité légendaire allait lui mettre de sacrés bâtons dans les roues. Aussi, rien d'étonnant à ce qu'elle ait rougit jusqu'aux oreilles en ouvrant la porte et chez elle et en se retrouvant nez à nez avec Ciaran O’Doherty coiffé d'un bonnet de lutin aux oreilles pointues. Ce n'était pas vraiment un spectacle qu'elle pensait voir un jour, et pourtant son directeur de thèse était là, devant elle, avec une bouteille de champagne qu'il s'empressa de lui fourrer dans les mains. Par réflexe, elle se décala pour le laisser passer et referma la porte de sa main libre avant de s'approcher de lui. Elle était vraiment intriguée quant à sa présence chez elle. Elle voulut lui demander de plus amples détails, mais il les lui donna avant même qu’elle ait eu le temps d’ouvrir la bouche. La petite brune crut avoir mal compris ou mal entendu : l’Irlandais venait passer Noël avec elle parce qu’il n’avait pas pu retourner voir sa famille. Encore une fois, elle se demanda « pourquoi moi ? » ; elle ne voyait pas pourquoi, de toutes les personnes qu’il connaissait, c’était elle chez qui il avait choisi de voir. Il devait pourtant avoir mille et un contacts nettement plus intéressants à Radcliff, alors pourquoi avait-il jeté son dévolu sur la petite étudiante qu’elle était ? A la mention d’un cadeau, elle se mit à rougir une nouvelle fois et se laissa faire lorsqu’il lui enfonça un bonnet de père Noël sur le crâne. La clochette à son bout tinta joyeusement tandis qu’elle redressait la tête pour regarder le grand homme. Elle mit une seconde avant de comprendre qu’il lui posait une question et qu’elle allait pouvoir parler.

- Euh … non, je n’attends personne. Je n’ai pas pu repartir à Cincinnati avec les tempêtes, et puisque Jim est parti, je suis toute seule.

Elle sourit un peu. Elle n’avait jamais passé un Noël en solitaire, alors la présence de Ciaran, aussi impromptue et étrange fut-elle, lui mettait du baume au cœur.

- A croire que la nature s’est liguée contre nous. Surtout mettez-vous à l’aise, il y a un crochet pour votre manteau près de l’entrée si vous voulez.

Elle tourna les talons et fila mettre la bouteille de champagne au frais dans son petit frigo. Il faudrait le remplir bientôt, le contenu faisait peine à voir – suffisant pour une seule personne un jour de fête, mais pas assez pour tenir jusqu’au mois suivant. Elle s’en occuperait plus tard.
Passant ensuite dans sa chambre, la jeune femme en ressortit quelques secondes plus tard avant de s’approcher de son directeur de thèse et de lui tendre un petit paquet cadeau au papier coloré. A l’intérieur se trouvait une paire de chaussettes aux motifs aussi bien mignons que ridicules.

- Moi aussi j’ai un cadeau pour vous.

Elle lui sourit et se rendit compte tout à coup qu’elle avait dérogé à une règle simple de politesse.

- Est-ce que vous voulez quelque chose à boire ? Je n’ai pas grand’ chose à part du jus de fruit, du cidre et votre bouteille de champagne. Mais j’ai des moelleux aux fruits qui viennent de sortir du four si vous préférez manger quelque chose.

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Gene & Ciaran

Ciaran aurait très bien pu tout avoir du type bien. Il était souriant, élégant, gentleman, cultivé, avenant, intelligent... Déjà dans la cour de récré, il savait charmer son entourage de ses beaux yeux bleus et de sa voix enjôleuse. Si elle avait depuis perdu quelques octaves, pour le bonheur des oreilles de ces dames, ses paroles restaient inchangées : douceur, délicatesse et guimauve pour mieux masquer ce qu'il pensait en réalité. Car si Ciaran avait l'air d'un type bien, il était loin d'en avoir la chanson. Croyez-en la bonne âme s'évertuant à conter ses aventures, l'Irlandais tenait plus du tueur en série sadique et malsain que de l'altruiste psychiatre décidé à rendre le monde meilleur. Et l'ennui, lorsque l'on est omniscient et que l'on sait tout – car oui, je sais tout de ce qu'il se passe dans la tête de Ciaran et j'en suis moi-même effrayée – c'est que l'on est tenté de hurler aux pauvres victimes de l'orgueil de ce psychopathe de fuir au plus vite. Mais qu'importe, car Ciaran avait déjà sonné à la porte de Gene, scellant ainsi le destin d'une jeune femme qui était à des années lumière de se douter que cet homme-là était pire que le monstre vert rampant sous son lit lorsqu'elle était enfant. L'Irlandais allait la malmener, la séduire, la repousser pour mieux la voir s'obstiner à lui tomber dans les bras et ça, c'était pour lui le plus beau des cadeaux de Noël. Il avait déjà commencé à tâter le terrain, jouant avec les sentiments d'une jeune mutante que le vaccin n'avait pas épargnée. D'ailleurs, sans le vaccin en question, Ciaran ne se serait jamais intéressé à elle, et ça... C'aurait été une grande perte pour lui. Aux yeux de l'Irlandais, Gene faisait partie de ces pépites, de ces raretés que l'on ne rencontrait pas tous les jours, et il la hissait au même rang qu'Artur dans la catégorie des jouets à ne pas trop abîmer pour le moment. Quelque part, c'était facile de s'en prendre à eux. Le jeune Kovalainen était réservé, perdu et en colère, il en voulait au monde entier et préférait s'isoler, ce qui rendait l'influence de Ciaran d'autant plus importante sur sa psyché. Quant à Gene, elle était bien trop douce, bien trop effacée pour pouvoir s'opposer au pouvoir de son directeur de thèse, ou du moins c'était ce dont il aimait se persuader. Elle aussi était seule, quelque part, et c'était cette solitude qui la plaçait dans la catégorie des proies favorites de Ciaran. Seigneur, une chance qu'il n'ait pas souhaité tuer de ses propres mains ses victimes, ou bien la jeune femme aurait passé le pire Noël de son existence !

Planté devant la porte, Ciaran pris conscience de son impatience légendaire lorsqu'il se rendit compte que les 30 secondes séparant le moment où il avait sonné et celui où Gene était venue lui ouvrir lui avait paru durer une éternité. Pourtant, il aurait dû s'estimer heureux qu'elle soit chez elle et non à des centaines de kilomètres de là ! Il aurait été bien embêté, sinon ! Peut-être même aurait-il été suffisamment contrarié pour se mettre en tête de ruiner le réveillon de sa sœur. Ou d'Artur. Ou pourquoi pas les deux ? Aussi, lorsque Gene lui avoua qu'elle n'attendait personne, Ciaran n'en fut-il que plus heureux. Enfin heureux... Difficile d'affirmer que Ciaran puisse être heureux, lui qui s'était depuis longtemps fermé à ce genre de chose.

« Chic ! Enfin chic... C'est même plutôt moche que votre ami soit parti et que la ville soit bloquée mais souriez, vous n'êtes plus seule ! »

Aux yeux de cet egocent... excentrique, passer Noël avec lui valait bien tous les réveillons en famille ou avec un meilleur ami absent. Ne se faisant pas prier, il accrocha son manteau à la patère dans l'entrée, épousseta les quelques flocons de neige qui s'étaient glissés sur son couvre-chef et retira celui-ci presque à contrecœur. Alors que Gene se dirigeait vers la cuisine et s'éclipsait ensuite dans sa chambre, Ciaran faisait le tour de la pièce à vivre. Il détailla les étagères, la décoration aussi sobre et effacée que l'était Gene, et se permis même la fantaisie de déplacer un bibelot qu'il trouvait trop bien rangé. Lorsqu'elle revint, Ciaran n'eut pas à feindre à la surprise, puisqu'elle était réelle. Avec un sourire d'enfant émerveillé, il attrapa le petit paquet et entrepris de le déballer sans plus tarder.

« Des chaussettes ! Vous vous êtes souvenue que j'adorais les chaussettes ! Elles sont formidables. Elles iront à merveille avec mon costume gris ! »

Aussi, sans lui demander son avis, Ciaran la pris par les épaules et lui fit la bise, véritablement ravi. Il aimait les chaussettes presque autant que les guimauves à la fraise, et chaque fête de l'année était un prétexte pour qu'il en arbore une paire à motifs : bonhomme de neige à Noël, poules et lapins à Pâques, citrouilles pour Halloween... Celle-ci viendrait agrandir sa belle collection.

« Oh heu... Et bien entamons les hostilités avec le champagne, dans ce cas ! Laissez, je vais ouvrir la bouteille. »

Il la devança jusqu'à la cuisine, s'empara de la bouteille de champagne et commença à lui ôter son capuchon de papier métallisé.

« Des moelleux aux fruits, vous dites ? Si c'est de là que vient cette délicieuse odeur, je serais rav... »

Seulement cette phrase, il n'eut pas le loisir de la terminer. Un peu trop secoué pendant le voyage, le champagne semblait avoir décidé de recouvrer au plus vite sa liberté. A peine effleuré, le bouchon sauta, faisant jaillir une fontaine de champagne qui vint souiller la veste et la chemise de Ciaran, et doucher Gene qui se trouvait face à lui. Pestant, l'Irlandais parvint à remplir deux coupes de champagne avec ce qu'il restait dans la bouteille et contempla ensuite les dégâts. Le carrelage inondé, son costume tâché et surtout la pauvre Gene, trempée comme une soupe.

« Oh je suis navré, Gene... J'ai dû un peu trop secouer la bouteille pendant le trajet, ou bien le champagne est encore vivant, je ne sais pas... Je suis vraiment désolé, attendez, je vais vous aider. »

Une ride soucieuse sur le front, une moue désolée, il avait tout de l'homme navré et pourtant, intérieurement il riait. Qu'elle avait l'air nouille, pataugeant dans le champagne ! Et qu'il avait l'air bête, à tenter d'éponger le tout avec un mouchoir à lunettes broder de ses initiales ! Et bien oui, quoi ? Ciaran ne portait pas de lunettes, quel intérêt avait-il à se promener avec ce genre de chose sur lui ?

« Décidément, la soirée commence fort ! Vous... Vous auriez éventuellement une chemise à me prêter ? Je crains que la mienne soit un peu mal en point. » , ajouta-t-il en tapotant la tête de la jeune femme avec son inutile mouchoir déjà imbibé de boisson pétillante.

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Gene & Ciaran

Les fêtes de fin d’année avaient toujours revêtu une importance particulière pour Gene. Sa mère mettait un point d’honneur à ce que les jours concernés aient quelque chose de magique, une petite trêve bien méritée dans le maelstrom qu’était la vie en général. Un moment de paix avant le dur retour à la réalité, au travail, aux études, à la chasse aux mutants qui pouvait à tout instant faire une nouvelle victime en la personne de la fille aînée de la famille. Aussi prenait-on soin de fêter Noël et la nouvelle année en grandes pompes, quitte à devoir se serrer la ceinture pour le restant du mois de janvier. La jeune femme trouvait, maintenant qu’elle était une jeune adulte avec malgré tout une âme d’enfant, qu’elles avaient été trop gâtées avec sa sœur cadette ; après tout, sans être pauvres, ils ne roulaient pas sur l’or, et les montagnes de cadeaux au pied du sapin sapaient les finances de la famille Warner. Cela dit, elle ne pouvait pas spécialement blâmer ses parents puisque, dès qu’elle avait un peu d’argent de côté, elle s’empressait de faire des cadeaux aux autres. Il n’y avait qu’à voir ce qu’elle avait prévu pour Jim – un harmonica acheté dans un magasin spécialisé – pour réaliser qu’elle n’était pas toujours la plus raisonnable avec ce qui se trouvait sur son compte en banque. Elle avait aussi acheté des cadeaux pour sa mère et sa sœur qu’elle s’empresserait de leur envoyer dès que le temps le permettrait, ainsi qu’un petit quelque chose pour Aspen.
Pour Ciaran, elle avait longuement hésité entre un stylo à plume très chic ou un cadeau plus amusant. Finalement, elle était tombée sur cette paire de chaussettes absolument ridicule et le choix avait été fait. Cependant, elle ne s’était pas attendue à ce que son petit cadeau plaise autant à son directeur de thèse. Quand il l’attrapa par les épaules et lui claqua deux bises bruyantes sur les joues, elle se sentit rougir une fois encore, prise au dépourvu. Son esprit était comme une caisse de résonnance pour émotions : elle vivait dix fois plus intensément tout ce qui lui arrivait, en bien comme en mal – les joies et les déboires d’être hyperémotive étaient légions. Aussi se sentit-elle assez stupide quand elle bafouilla le début de sa réponse.

- Ah euh ce n’est rien, vraiment, je suis contente que ça vous fasse plaisir.

Elle s’exhorta au calme, ne voulant pas se rendre plus ridicule encore devant l’Irlandais. Il faut dire qu’il l’impressionnait clairement, le grand homme aux yeux clairs, que ce soit par son intelligence, son charisme, ou même sa voix si chaude et grave qui donnait l’impression d’être un ronronnement perpétuel.
Sautant sur l’occasion d’aller dans la cuisine chercher des verres, elle le précéda dans la petite pièce et poussa le plat où tiédissaient ses petits gâteaux avant d’ouvrir l’un des placards au-dessus du plan de travail. Elle n’avait pas de flûtes à champagne, mais elle avait de jolies coupes que sa mère avait glissées dans ses cartons. « Au cas où tu aies des invités » avait-elle déclaré. La petite mutante n’avait jamais eu l’occasion de les utiliser que pour boire du jus de fruits avec son meilleur ami pour s’amuser, mais elles allaient finalement s’avérer bienvenues.
Elle posa les jolies coupes, referma le placard, puis les amena à Ciaran et les glissa à côté de lui pour qu’il puisse servir plus facilement.
L’instant d’après, le bouchon sautait et elle crut qu’un monstre de mousse pétillante bondissait hors de la bouteille de champagne pour l’engloutir toute entière. Un petit cri de stupeur lui échappa alors qu’elle se tendait et rentrait instinctivement la tête dans les épaules ; bras légèrement écartés, trempée de la tête aux pieds, elle avait l’air figée dans ce moment de surprise qui venait de la saisir. Clignant des yeux, elle finit par redresser la tête et constata que Ciaran n’avait pas échappé au champagne fou : s’il n’était pas aussi touché qu’elle, son beau costume lui aussi avait été victime de l’explosion inattendue de la bouteille. Au moins, ils auraient deux verres pour trinquer à leur malheur.
L’idée d’un liquide vivant et particulièrement énervé de s’être retrouvé enfermé la fit sourire.

- Si les chasseurs de champagne faisaient bien leur travail aussi, on n’en serait pas là.

Elle se laissa éponger sans broncher, appréciant de ne plus avoir de liquide acide lui coulant dans les yeux. Bon, elle était bonne pour se passer la tête sous l’eau, mais c’était un moindre mal ; ses vêtements finiraient dans son bac à linge sale et l’histoire finirait en anecdote amusante pour plus tard. Ciaran, lui, en serait quitte pour une belle note de pressing – quoique la brunette doutait que cela entame vraiment ses finances. Enfin, ça n’était pas le sujet ; le plus important était qu’il n’avait pas de change, contrairement à elle. Heureusement, elle avait encore une chemise ayant appartenu à Jim qu’il avait « oubliée » chez elle.

- Je dois avoir ça quelque part. Attendez, je vais vous trouver ça.

Elle attendit qu’il retire sa main puis s’éclipsa à l’autre bout de son appartement, dans sa chambre. Elle fit d’abord un crochet par la salle de bain et se lava les mains, voulant éviter de tendre à son professeur une chemise propre et pourtant déjà tachée. Fouillant ensuite dans son placard, elle trouva ce qu’elle cherchait et alla la donner à l’Irlandais.

- Tenez, elle devrait vous aller. Je reviens, le temps de me changer. Attaquez les financiers si vous voulez, hein, ne m’attendez pas !

Filant une nouvelle fois dans sa chambre, elle récupéra un pantalon et un débardeur ainsi qu’un gilet, l’ensemble noir à l’exception de quelques petits points blancs pour illuminer un peu son haut. Discrète, elle n’aimait pas spécialement les couleurs vives et avait l’impression de plus facilement passer inaperçue avec des couleurs sombres.
Fermant la porte de la salle de bain après s’y être glissée, elle se débarrassa de son short et de sa chemise, se retrouvant en sous-vêtements ; ouvrant la douche, elle rinça rapidement son visage, ses bras et ses cheveux – juste de quoi enlever le champagne et être sûre de ne pas être poisseuse d’ici une heure. Essorant ses longues mèches brunes et séchant sa peau, elle sauta dans ses vêtements propres et se dépêcha de rejoindre son directeur de thèse.
Elle s’arrêta sur le pas de la porte du salon et le détailla. C’était une vision étrange, le grand Irlandais dans la chemise de Jim, mais elle finit par sourire.

- Elle vous va bien.

Voyant que les deux coupes et l’assiette de gâteaux – elle remarqua d’ailleurs que le tas de financiers avait baissé – avaient été posés sur la table basse, elle s’approcha, pris les deux verres et en tendit un à Ciaran.

- Joyeux Noël. Et … merci d’être venu. Ca fait plaisir de ne pas le passer toute seule.

Elle sourit, trinqua avec lui et but une petite gorgée de sa boisson. Elle était sincèrement ravie de la présence du grand homme dans son petit appartement. Malgré tout ce qu’elle avait fait pour se convaincre qu’elle passerait une bonne soirée même en étant seule, force était de constater que son humeur s’était considérablement améliorée depuis qu’il y avait quelqu’un d’autre avec elle pour fêter Noël.