De base, Max trouvait ça plutôt cool d'absorber les pouvoirs des autres transmutants, quand elle a compris le délire elle s'est tout de suite dit que ça pourrait être assez sympathique comme dons. Après tout, qui ne rêve pas de pouvoir tester toutes les particularités les plus sympas qui existent sur terre? Bon, peut-être qu'il n'y a qu'elle et son égo pour le vouloir, mais quoi qu'il en soit, de prime à bord, ça aurait du être intéressant. Puis, rapidement, comme pour tout, les effets secondaires ont fait leurs apparitions... Car oui, elle s'est rendu compte très tardivement de la seconde particularité de son pouvoir, à savoir absorber les personnalités et souvenirs de ses « victimes » . Autant dire qu'elle a vite déchanté la petite blonde. De pouvoir cool elle est passée à pouvoir insupportable. Ce n'est jamais évident de se projeter dans la vie d'un autre, encore moins quand notre propre existence vient parasiter ses souvenirs furtifs. Comme à cet instant, assise dans son petit hôtel miteux, après avoir touché plus ou moins volontairement un alcoolique notoire, drogué sur les bords, laissant Max avec l'envie soudaine de se noyer dans un verre de whisky ou de se planter une jolie aiguille dans le bras. Rien de très reluisant, le pire étant sans doute cette petite voix qui ne cesse de lui chuchoter qu'au fond, elle ne le veut pas vraiment, se battant vaillamment avec cette personnalité qui n'est pas la sienne et qui finit pourtant toujours par gagner. « Je me sens couper en deux... je ne peux plus endurer une souffrance pareil... » laisse-t-elle échapper à sa colocataire de fortune, mutante comme elle, vagabonde et associée de temps à autre. « Attend une minute, c'est pas une réplique du dernier star wars ça? » « Si... mais je trouve que ça colle plutôt bien à la situation. » Max reste elle-même, malgré son don, tout du moins en partie. Depuis le réveil de sa mutation, la belle ne peut pas s'empêcher de cogiter sur le sujet. Et si un jour sa personnalité disparaissait totalement au dépit d'une autre? Si du jour au lendemain elle devenait une autre personne, totalement différente de ce qu'elle est vraiment? Elle le ressent, tous les résidus des personnes qu'elle a touchées, des ombres minimes qui planent pourtant sur ce se dont elle est le plus fière : ses souvenirs et son caractère.

Combien de fois s'est-elle retrouvé à avoir l'envie de cuisiner des cupcakes tout ça parce que cinq ans plus tôt elle a absorbé la personnalité d'une ménagère ennuyeuse? Ou même à vouloir se taper le premier venue, seule dans un bar, à cause d'une nymphomane effleurée quelques mois avant? Tout ce qu'elle absorbe semble rester stocké quelque part dans sa tête, ressortant sans sa permission, de façon légère, mais perceptible quand on se connait aussi bien qu'elle-même. La folie, c'est ce qui parfois lui traverse l'esprit dans ses moments-là, se demandant s’il s'agit vraiment des conséquences de son pouvoir ou si elle ne devient simplement pas aussi folle que sa chère mère. Elle ne peut pas l'oublier ce détail, le fait qu'elle soit enfermée dans un hôpital psychiatrique depuis des années, dépressive, suicidaire, j'en passe et des meilleurs. Max en a trop souffert de cette mère perdue dans les méandres de souvenirs qu'elle n'a jamais vraiment voulu partagé. Plus les années passaient, plus elle la voyait s'effondrer, passant de petite fille à grand enfant jouant le rôle de l'adulte dans la maison, c'est sans doute pour ça qu'elle a tant de mal à s'attacher, tant de mal à accepter de vraiment évoluer, de faire sa vie, de peur de reproduire le même schéma. Bien sûr, la belle aurait pu absorber les souvenirs de sa mère pour mieux la comprendre, mais elle n'a jamais pu s'y résoudre, comme de peur de découvrir quelque chose qu'elle ne devrait pas savoir ou peut-être parce que, au fond, elle s'était habituée à cette routine, habituée au fait de devoir s'occuper d'elle pendant que personne ne prenait soin de l'enfant qu'elle était. C'est comme ça qu'elle a développé ses plus grands talents, le vol et l'arnaque notamment, quand on a douze ans et qu'il faut bien se nourrir, peu d'offres d'emploi s'offrent à vous hormis celui de voleur à la tire. Elle aimait bien cette habileté dont elle faisait preuve, une façon comme une autre de prouver au monde que Max O'Canaghan n'était pas qu'une bonne à rien comme sa chère génitrice semblait l'être. C'est d'ailleurs cette routine illégale qui l'a un jour mené à Radcliff, par accident, une simple pause dans un voyage qui devait s'avérer lucratif et qui finalement, s'arrêtera aux portes de cette ville si singulière.

Max s'en rappelle encore de ce jour où elle est arrivée ici, montre en main, déterminée à attraper un train en direction d'une autre ville, quelques heures de route plus loin. Le destin , le karma ou simplement son manque total de ponctualité en aura décidé autrement. « Hé merde... » lacha-t-elle en apercevant son moyen de transport disparaître au loin, elle n'avait d'autre choix que d'attendre le prochain et quoi de mieux que de boire un verre ou dix dans un bar local pour ça. Oui bon, je ne vous cache pas qu'à ce moment précis de sa vie le côté alcoolo d'une vieille victime ressortait trop souvent, elle ne fut donc pas vraiment surprise de se retrouver à boire de la vodka jusqu'à une heure du matin dans ce pub étrangement vide, ne se rendant pas compte du danger. À ses yeux Radcliff était une ville extrémiste, mais sans plus, la blondinette ne s'était nullement renseignée sur les uses et coutumes du coin, elle fut donc assez terrorisée , à sa façon, lorsqu'une espèce de gars armé l'empoigna fermement dans une ruelle alors qu'elle tentait, en titubant légèrement, de rentrer à son motel. « Je vous assure que j'ai rien fait, bon d'accord j'ai cabossée une voiture hier en me garant avec mon vélo, mais c'était un accident! » Max le sentait, ce gars n'était pas là pour prendre le thé, il avait une espèce d'envie meurtrière dans les yeux, comme si ça lui démangeait d'user de son joujou et ceci dit sans aucun sous-entendu sexuel. Sa surprise fut donc totale lorsqu'il changea radicalement de posture alors qu'elle s'attendait à se retrouver crucifiée dans un coin, voir pire. « Hey Charlie, désolé j'avais pas vu que c'était toi... » Charlie? Pourquoi il l'appelle Charlie? « C'est... pas grave... » Joue le jeu ma pauvre Lucette, à moins de vouloir finir en hamburger de transmutant. « T'es sûr que ça va? T'as l'air différente? » Apparemment, elle ressemblait vraiment à cette Charlie, mais réellement, après tout elle était à moins de cinquante centimètres de lui, la prendre pour une autre dans la pénombre à quelques mètres de distance, ça paraissait plausible, mais là, son regard était plongé dans le sien et rien ne semblait le choquer. « Non non, j'ai juste un peu trop bu de cidre... donc... là je peux partir hein?... » « Oui vas y pas de soucis... » Elle sourit, un peu crispée, tente le tout pour le tout sans se douter de ce qui se passe, sans vraiment comprendre la scène dont elle semble être l’héroïne. « Ok... c'était sympa... à la prochaine... » La demoiselle recule lentement, jusqu'à finalement s'en aller, assurée, comme pour tenir le rôle de cette fille qu'elle ne connait absolument pas. Comment était-ce possible d'avoir un sosie parfait dans une ville aussi paumée? Et puis vu le job du gars, cette trentenaire sexy ne devait pas jouer dans la cour de petits, mais plutôt dans celle des grands méchants loups... Qui était cette Charlie? Que fait-elle ici? Ont-elles un lien? Pourquoi lui ressemble-t-elle tellement? Tant de questions qui, cette nuit là, ont hanté l'esprit sauvage de Max après avoir échangé seulement quelques mots avec un inconnu, a-t-elle point qu'elle n'a jamais pris son train... Elle veut voir cette Charlie, curieuse, en attendant, elle fait profil bas, observe, absorbe, tout ce qui se passe,  dans l'espoir de retrouver cette fille dont elle ne sait qu'une chose : son apparence si similaire à la sienne. Et si elle découvrait plus qu'une transmutant capable de prendre son apparence? Car pour l'instant, c'est la seule théorie qu'elle a... si seulement elle savait.

Il fait froid ici, tout est froid ici, tellement que j'ai l'impression de ne plus ressentir mon corps, de ne plus rien ressentir, peut-être est-ce aussi la faute de tous ses cachets qu'ils me donnent, ouais sans doute... Tant mieux. Je n'arrive plus à supporter cette peine et cette souffrance, c'est trop dur, j'aimerais tout oublier, ne plus rien me rappeler, ma déchéance, ma faiblesse, je ne veux plus ressentir tout ça. J'y pense tellement pourtant, à cette journée qui a mis fin à la femme que j'étais pour laisser place à cette loque, ce déchet de l'humanité. Comment ais-je pu faire ça? Comment ai-je pu l'abandonner? Tout c'est passé si vite, je ne voulais qu'une chose, une seule et unique chose, partir loin de lui avec mes enfants, refaire ma vie, leur offrir le bonheur que je n'ai jamais eu, tout aurait du se passer parfaitement bien, j'avais tellement tout prévue... Lui au travail , moi avec les jumelles, les mettant dans la voiture, avant de prendre un vol pour la plus lointaine destination que j'avais trouvée à l'époque. Il n'y avait aucun accro à mon plan, aucune surprise possible... et pourtant... Comment ais-je pu faire ça? Il est arrivé, trop tôt, j'ai paniqué, j'avais peur, une irrémédiable peur que je ne saurais expliquer, je voulais juste m'en aller, le quitter et vivre heureuse avec mes filles, mais à cet instant, terrorisé, j'ai craint qu'il décide de me les enlever, qu'il prenne la décision de m'empêcher à tout jamais de les voir... C'était possible, il était lui, moi j'étais faible, effacée, inexistante, il aurait pu réussir à me les enlever toutes les deux...Charlie était encore à l'intérieur, Max , elle, était déjà dans la voiture. Je l'ai regardé, elle pleurait, surement parce qu'il hurlait et que j'en faisais autant. Une énième dispute d'un couple sans amour. J'ai eu peur. Comme j'ai toujours eu peur. Alors quand il s'est éloigné, pensant sans doute que j'allais le suivre, j'ai vu une échappatoire une solution terrible, des deux maux j'ai choisis le moindre et sans que je puisse vraiment le réaliser, j'étais dans la voiture, m'en allant à tout va, les yeux embrumés par les larmes, car je venais de l'abandonner... Comment ais-je pu faire ça? Comment ai-je pu être une si une mauvaise mère? Comment puis-je l'être encore aujourd'hui? Je ne réagis plus lorsque Max vient me voir, je l'entends, mais je ne l'écoute pas, je la regarde à peine, car la voir, ce serait voir Charlie et j'ai décidé d'être faible encore une fois, de fuir comme toujours et d'abandonner mon propre corps, mon propre esprit, plus rien ne m'appartient. Je les laisse faire, je les laisse me droguer pour ne plus rien ressentir, pour oublier cette souffrance... Je suis tellement désolée....Pensée d'une mère.