Tessa ne se souvenait pas de la dernière fois où elle s’était rendue à une fête foraine, et elle avait été aux anges en apprenant que celle de Radcliff allait être installée. Elle ne savait même pas à quoi s’attendre, en réalité : mis à part les photos qu’elle avait pu en voir, elle ignorait ce qu’il y avait à une fête foraine. Mais elle avait entendu des enfants en parler, dans le parc, et elle était tout aussi excitée qu’eux à l’idée des manèges et des stands. L’ambiance à Radcliff était devenue tendue depuis le début de l’année, et Tessa commençait à se laisser contaminer par l’inquiétude générale. Elle n’osait plus se balader dans des coins qu’elle ne connaissait pas, elle avait peur qu’on lui saute dessus constamment pour l’attaquer … Il y avait tant d’histoires sordides qui couraient ! Même elle, qui avait peu de contacts avec les gens d’ici, elle avait entendu toutes sortes de choses qui faisaient froid dans le dos. Mais aujourd’hui, elle avait retrouvé son émerveillement et sa bonne humeur : la fête foraine était arrivée, et c’était aussi extraordinaire que ce qu’elle avait imaginé. Elle ne regrettait qu’une chose : ses finances étaient bien trop limitées pour pouvoir profiter pleinement de tout ce qui la tentait. Gourmande invétérée, elle s’était régalée d’une barbe à papa et d’une pomme d’amour dès qu’elle était arrivée, puis elle avait fait plusieurs tours dans un manège à sensation qui l’avait fait hurler de rire, mais elle regrettait à présent de ne plus avoir assez d’argent pour tester les auto-tamponneuses, le train fantôme, et la pêche aux canards … Il allait falloir faire des sacrifices ! Tout ceci coûtait affreusement cher, mais ça lui faisait tellement envie ! La musique, les lumières, les odeurs … Elle déambulait dans un autre monde, où la grisaille de Radcliff n’existait plus, et elle avait envie de toucher à tout, de goûter à tout. Il fallait profiter de ce paradis tant qu’il existait encore, non ?

Mais, dépitée, elle finit par se résoudre à rentrer chez elle pour vérifier si elle n’avait pas oublié quelques pièces dans une poche de pantalon. Qui sait, elle aurait peut-être une bonne surprise ! Elle fit donc demi-tour et quitta la fête, un peu d’espoir au fond du cœur. Mais elle ne connaissait pas cette partie de la ville, et elle réalisa qu’elle avait emprunté un cul de sac. Elle fit donc demi-tour pour ressortir dans la rue principale, et s’apprêtait à dépasser un homme quand il lui adressa la parole. Elle avait pris l’habitude de ne pas croiser le regard des gens et d’éviter de les regarder en face quand ce n’était pas nécessaire, elle n’avait donc eu aucune raison de le scruter plus en détail, mais … « Bonsoir Tessa. » Elle reconnu la voix avant même de lever les yeux vers son visage, et elle eut l’impression qu’on venait de la jeter en cage. Avec deux simples mots, il avait ravivé ses souvenirs du centre, supprimant tout ce qu’elle avait vécu lors de ses quelques mois de liberté. Un froid terrible la recouvrit et ses jambes manquèrent de céder sous son poids : en face d’elle, il y avait le Maître. De tous ses geôliers il était celui qu’elle voyait le moins mais qu’elle craignait le plus, celui qui semblait avoir de l’autorité sur tous les autres … et surtout sur elle. Elle leva un regard épouvanté vers lui, son cerveau refusant d’accepter le fait qu’il soit là. « Comment vous avez fait pour … » Elle ne parvenait même pas à mettre de mots sur sa question. « C’est Alvin qui vous a dit que j’étais là ? » Balbutia-t-elle, effarée. Elle ne voyait pas d’autre explication : il l’avait bel et bien trahie. Et elle était perdue, à présent. Elle fit un pas en arrière, puis un autre, et jeta un regard rapide derrière son épaule. Elle ne retournerait pas dans le centre, elle ne voulait pas ! Mais dans son dos, il n’y avait rien d’autre qu’un mur, aucune issue.

Chasing Shadows

Alistair & Tessa

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Durant tout le temps où il s’était occupé du centre, Alistair avait rarement vu de mutant aussi prometteur que Tessa. Elle était puissante, elle était efficace, et surtout, elle était suffisamment impressionnable pour la faire obéir facilement. Il suffisait de lui faire un peu peur, de la menacer de la séparer de son frère à jamais et de lui laisser espérer qu’elle arriverait à le revoir bientôt, et elle exécutait les ordres qu’on lui donnait sans poser de question. Le chasseur n’avait pas été qu’un simple tortionnaire cependant, il savait aussi offrir de petites babioles – livres, crayons de couleur, cartes à jouer – en guise de récompense lorsqu’il la sentait au bord de la crise de nerf. Il l’avait terrorisée en se montrant très peu, il avait fait en sorte que son ombre s’étende sur toute l’arène et dans toutes les cellules de ces lugubres bâtiments de béton, et il n’intervenait que de manière très ponctuelle, uniquement lorsque sa présence pouvait empêcher un élément un peu trop zélé de faire des siennes. Il avait toujours tout fait pour que ses petits préférés le craignent sans le haïr – comme un dresseur de chien sévère avec une meute de molosses qui baissaient la tête devant lui. Tessa n’était pas un molosse en apparence ; avec son visage délicat et ses longs cheveux blonds, elle avait l’air d’une jeune femme calme et discrète. Mais lui connaissait son potentiel. Lui savait ce dont elle était réellement capable et pourquoi il fallait absolument qu’il la retrouve rapidement et qu’il lui montre pourquoi c’était une très mauvaise idée de lui avoir désobéit et d’avoir fuit comme elle l’avait fait, faisant partir le centre en fumée et tuant beaucoup trop de gens sur son passage.
Pour son plus grand plaisir, la peur qu’il vit déformer ses traits lui informa qu’elle ne l’avait pas oublié, et qu’elle savait pertinemment ce qui l’attendait maintenant qu’il l’avait retrouvée.

- Comment vous avez fait pour … C’est Alvin qui vous a dit que j’étais là ?

Le patriarche Wolstenholme haussa un sourcil. Alvin lui avait affirmé plus d’une fois qu’il n’avait pas encore retrouvé Tessa. Il avait beau l’avoir payé le prix fort, cette mission pourtant simple n’avait jamais été menée à terme. Il avait commencé à perdre patience et à se demander s’il ne le menait pas en bateau. La jeune femme venait de lui donner la réponse : le mercenaire le faisait tourner en bourrique en le laissant attendre quelque chose qui ne viendrait jamais. Il n’aimait pas du tout qu’on se moque de lui, et il comptait bien lui dire deux mots à ce sujet – probablement entre deux coups de masse dans les genoux.

- Alvin ne m’a rien dit, et il aurait mieux valu pour lui qu’il l’ait fait. Mais je n’ai pas envie de parler d’Alvin ce soir.

Le hunter fit un pas dans sa direction. Il n’avait pas une carrure spécialement imposante ;  il n’était pas gigantesque ni très musclé, il n’avait pas de cicatrice, de barbe fournie ou quoi que ce soit de physiquement intimidant. Mais lorsqu’il avait décidé d’être menaçant, son expression austère et son regard aussi dur que le diamant dont il partageait certain reflets suffisaient à figer sur place l’objet de son attention.

- J’aimerais plutôt savoir pourquoi je te retrouve à Radcliff, en train de te goinfrer de je ne sais quelle saleté sucrée, alors que tu devrais être à ta place, dans le centre.

Il vrilla ses yeux clairs dans les siens.

- Tu sais, celui que tu as fait exploser en t’enfuyant.

© Grey WIND.

Spoiler:

Le retour du maître signait la fin d’une belle petite escapade pour Tessa. Il n’y avait aucun doute qu’il allait la boucler à nouveau dans le centre, qu’elle serait à nouveau obligée de tuer selon ses ordres, et qu’elle ne reverrait plus jamais la couleur du ciel. Elle commençait à peine à profiter de sa liberté, c’était trop injuste ! Elle ne voulait pas y retourner, mais le regard de l’homme sur elle était implacable, écrasant. Elle n’avait jamais su lui résister, et il réveillait en elle une terreur irrésistible. Il avait eu tous pouvoirs sur elle, et même loin du centre, elle ne parvenait pas à prendre du recul et à le voir autrement. Il était l’homme qui décidait qui vivait et qui mourait, celui qui pouvait détruire sa vie mais aussi la rendre meilleure … Elle ne l’avait jamais oublié, malgré ses efforts pour se détacher du centre. Et le tatouage qu’elle avait dans la nuque était la preuve qu’elle ne pourrait de toute façon jamais vraiment l’oublier … Elle était sa possession. Mais elle ne voulait pas l’être ! « Alvin ne m’a rien dit, et il aurait mieux valu pour lui qu’il l’ait fait. Mais je n’ai pas envie de parler d’Alvin ce soir. » Ce n’était pas Alvin, alors. Mais qui ? Tessa ne parvenait même pas à être soulagée qu’Alvin ne l’ait pas trahie, parce que d’une façon ou d’une autre, elle avait laissé une trace derrière elle qui avait conduit le hunter à la retrouver. Elle recula d’encore un pas quand il s’avança vers elle, incapable de détacher ses yeux de son regard de glace. « J’aimerais plutôt savoir pourquoi je te retrouve à Radcliff, en train de te goinfrer de je ne sais quelle saleté sucrée, alors que tu devrais être à ta place, dans le centre. » La jeune femme se raidit, avant de se voûter légèrement comme une enfant réprimandée par son père. La réprobation dans sa voix la touchait toujours autant que quand il émettait sa déception après qu’elle ait échoué dans l’arène, ça n’avait pas changé … Elle avait quitté le centre et elle n’avait pas cessé de le regretter, c’est vrai. Elle savait qu’elle allait le décevoir, et le plonger dans une colère noire. Et plus encore, elle savait qu’elle quittait un endroit familier pour un monde inconnu ou personne ne s’occuperait d’elle comme les maîtres l’avaient fait … Mais elle était partie. Et les sucreries dont il parlait n’étaient qu’une toute petite part des immenses compensations qu’elle trouvait à vivre libre, loin du centre. « Tu sais, celui que tu as fait exploser en t’enfuyant. » A nouveau la réprobation qui la frappait comme une flèche et qui lui faisait un mal de chien. « Je ne voulais pas tout faire exploser. » Commença-t-elle, piteusement. C’était vrai : elle n’avait pas eu l’intention de tut détruire ni de tuer autant de gens, elle voulait juste partir … Ses pouvoirs s’étaient emballés, mais ce n’était pas de sa faute. « Je voulais m’en aller, j’en avais assez de rester enfermée là-bas. Et Liam n’est jamais revenu. Vous avez essayé de l’éliminer ! » Elle n’avait pas voulu exprimer de reproche – elle n’y aurait jamais songé, grand dieu ! – mais la phrase était sortie toute seule et elle sembla épouvantée d’avoir eu tant d’insolence. Mais il avait bel et bien essayé de tuer Liam, il lui avait menti pendant longtemps, et elle lui en voulait. « Je ne retournerais pas là-bas. Vous n’avez pas … » Elle prit une inspiration, ses yeux agrandis par la terreur toujours fixés sur lui. Oserait-elle le dire ? « Vous n’avez pas le droit de me forcer à y retourner. »

Spoiler:

Chasing Shadows

Alistair & Tessa

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Alistair fixait Tessa, et tout ce qu’il voyait, c’était la même petite fille apeurée qui rentrait la tête dans les épaules dès qu’un mot était prononcé plus haut que l’autre, qui s’excusait lorsqu’on lui faisait des reproches, et qui prenait un air particulièrement coupable dès qu’elle entendait la déception poindre dans la voix de ses maîtres. Elle avait toujours cette attitude de chien de chasse apeuré, celle d’un animal qui pouvait se montrer redoutable en combat mais docile comme un agneau en présence de ceux qui lui donnaient des ordres. C’était comme ça qu’il l’avait conditionnée, et elle s’était montrée à la hauteur de ce qu’il attendait d’elle : impitoyable dans l’arène, sage et obéissante dès qu’elle sortait de la zone de combat. Alors pourquoi, pourquoi s’était-elle enfuie ? Que lui était-il passé par la tête ? Lequel des autres mutants du centre lui avait bourré le crâne d’envies de liberté ? S’il n’était pas mort, il ne tarderait pas à l’être. C’était la seule chose qui avait fait capoter tout ce que lui et ses associés avaient construit : que leur cobaye la plus puissante décide un jour de briser ses chaînes. Il avait été si sûr de lui, si persuadé qu’il avait définitivement dressé la jeune femme à rester dans le rang, qu’il avait été totalement pris par surprise lorsqu’un beau jour la moitié du centre avait explosé, entraînant de nombreuses morts et d’incroyables pertes financières et matérielles. Il s’en était longtemps voulu d’avoir été aussi peu préparé en cas de problème, d’avoir été aveuglé par sa fierté et la certitude que tout marcherait comme il l’avait prévu. Sauf que ça n’avait pas été le cas du tout ; la preuve en était que Tessa n’était pas dans sa cellule, mais debout devant lui, à Radcliff, dans sa ville natale. Sa simple présence mettait ses enfants et ses concitoyens en danger, et il se devait de régler ce problème, d’une manière ou d’une autre. Hors de question de la laisser gambader librement où elle le voulait, surtout maintenant qu’il n’y avait plus son frère pour canaliser ses pouvoirs.

- Je voulais m’en aller, j’en avais assez de rester enfermée là-bas. Et Liam n’est jamais revenu. Vous avez essayé de l’éliminer !

Le père Wolstenholme haussa un sourcil, ses yeux aux reflets métalliques toujours plantés dans ceux de la mutante. Il n’avait pas rêvé, elle lui avait répondu ; elle lui avait même fait un reproche. Elle eut l’air aussi effrayée de son effronterie que lui en était étonné et particulièrement agacé. Il n’avait pas envie de jouer à ça, pas la patience de supporter ses petits états d’âmes et ses sursauts de conscience. Si elle ne lui obéissait pas, il allait très vite devenir beaucoup moins aimable qu’il ne l’était. Elle n’avait encore jamais eu l’occasion de le voir en colère. Et elle n’avait pas du tout envie que ce jour arrive. Cela étant dit, s’il fallait en passer par là pour qu’elle lui revienne, alors il s’appliquerait à lui montrer ce qu’il en coûtait de s’en faire un adversaire.

- Pardon ? Je n’ai pas bien entendu, je crois. C’est bien une critique que je viens d’entendre dans ta bouche ?

Il avança d’un pas vers elle, pas du tout effrayé. Il sentait, sous sa veste de costume, l’acier froid de son pistolet qui n’attendait que d’être sortit de son étui. Si jamais elle devenait incontrôlable et qu’elle se mettait à utiliser ses dons, si jamais il n’arrivait pas à utiliser la seringue de NH24 qu’il gardait cachée à l’intérieur de sa poche, alors il la blesserait. Hors de question de la tuer alors qu’il venait tout juste de la retrouver – pas après tout ce qu’elle avait fait et tout ce qu’il avait sacrifié pour la faire avancer au pas. Néanmoins, elle avait l’air décidée à ne plus se laisser faire.

- Je ne retournerais pas là-bas. Vous n’avez pas … Vous n’avez pas le droit de me forcer à y retourner.

Les sourcils d’Alistair se haussèrent tandis qu’une lueur d’étonnement et d’incrédulité passa dans ses prunelles claires. Jamais, ô grand jamais il n’aurait cru entendre ça d’elle. Durant ses premiers mois au centre, il pouvait s’y attendre, oui, mais ce stade avait été dépassé il y avait bien longtemps déjà. Voilà que le gentil petit chien voulait se libérer de ses chaînes. Il ne manquait plus que ça – comme si le hunter n’avait pas déjà suffisamment à faire, il fallait en plus qu’il gère cette petite envie de liberté inopinée.
Il secoua la tête doucement, la déception inscrite dans tous les traits de son visage dur.

- Tessa … Je m’attendais à mieux de toi, vraiment. Je ne pensais pas que tu oserais me parler comme ça un jour.

Il s’approcha encore, la dominant facilement en hauteur. Malgré tout, il était curieux de voir jusqu’où elle irait dans ses propos, jusqu’à quel point elle lui tiendrait tête avant de craquer et de le suivre … ou de faire quelque chose de particulièrement stupide.

- Et tu veux bien m’expliquer ce qu’il y a pour toi en dehors du centre, hm ? Tu crois vraiment que ce monde va t’apporter quelque chose ? Ou qu’il va t’accueillir ? Est-ce que tu as la moindre idée de ce qui arrive aux gens comme toi dans cette ville ? De ce qu’on leur fait ? Dis-moi Tessa, à combien de personnes as-tu révélé l’existence de ton pouvoir ?

Si elle n’avait pas encore fait usage de son don à Radcliff, alors elle avait encore une petite chance d’être sauve. Mais si jamais les hunters l’avaient repérée, elle ne ferait pas très long feu. Lorsqu’ils se rendraient compte à quel point elle pouvait être dangereuse, ils enverraient leurs meilleurs éléments se charger du problème et anéantir la menace. Et Alistair en serait particulièrement fâché. Tessa était à lui, et si quelqu’un devait mettre fin à ses jours, ce serait lui et personne d’autre.

- A combien de potentiels meurtriers t’es-tu confiée, Tessa ? As-tu seulement conscience de comment différentier tes alliés de ceux qui te veulent du mal ?

Il aurait pu continuer encore longtemps comme ça si un bruit bien particulier ne venait pas de capter son attention. Haussant les sourcils, Alistair tourna la tête vers le ciel, en direction de l’explosion qu’il venait d’entendre. De là où il était, il ne pouvait pas voir la fête foraine, cachée par les bâtiments qui entouraient le cul-de-sac dans lequel il se tenait. Tout ce qu’il put apercevoir, ce fut quelques étincelles montant dans le ciel et une lueur rougeâtre qui n’annonçait rien de bon.

- Qu’est-ce que …

Pendant quelques secondes, il en oublia Tessa. Son esprit fut pris d’assaut par les questions et par une inquiétude grandissante. Que pouvait-il bien se passer à quelques centaines de mètres de là ? Quelle était la chose qui venait d’exploser ? Pourquoi l’avait-elle fait ? Et surtout, pourquoi commençait-il à entendre des cris paniqués se répandre dans les rues ?

© Grey WIND.

Spoiler:

Elle l’avait dit. Elle avait osé faire des reproches à son maître à haute voix, devant lui. Elle qui avait toujours frémi quand elle avait l’audace de songer à lui en de mauvais termes, quand elle était au Centre ! D’une façon ou d’une autre, elle avait fini par croire qu’il était omnipotent et qu’il pouvait deviner toutes ses pensées, qu’il la punirait si elle devenait désobéissante – même si c’était uniquement dans sa tête. Elle avait soigneusement effacé toute envie de rébellion de son esprit, certaine que c’était la meilleure chose à faire, et quand le mutant de la chambre à côté de la sienne lui avait proposé de s’enfuir, elle avait tout d’abord catégoriquement refusé. Non non non, pas question de monter des plans pour désobéir. Il n’y avait que la pensée que son frère avait été tué, et qu’elle ne le reverrait jamais, qui l’avait poussée à accepter finalement, et à faire exploser le Centre pour retrouver sa liberté … Liberté qui avait été bien courte, et pas toujours aussi agréable que prévu. Mais une liberté que Tessa comptait conserver malgré tout, parce qu’elle était loin d’avoir goûté à tout dans cette nouvelle vie … Et qu’elle avait envie de pleurer en pensant qu’elle pourrait peut-être un jour retourner en cellule. C’est pour ça qu’elle avait osé parler. Mais elle le regrettait à présent, en voyant le sourcil du maître se hausser sur son front. « Pardon ? Je n’ai pas bien entendu, je crois. C’est bien une critique que je viens d’entendre dans ta bouche ? » Ces questions ne demandaient pas de réponse, et elle se garda bien d’ouvrir la bouche. Alistair était plus menaçant que jamais, ses yeux étincelaient et la glaçaient de terreur. Elle ne se souvenait pas qu’il l’ait déjà regardée de cette façon, par le passé. Il avait toujours été … Le seul mot qui lui venait pour le décrire était "bienveillant", ce qui semblait ironique et peu adapté, mais pourtant, c’était la réalité. Il avait été bienveillant. Et c’était ainsi qu’elle le remerciait. Il fit un pas en avant et elle recula à nouveau. « Tessa … Je m’attendais à mieux de toi, vraiment. Je ne pensais pas que tu oserais me parler comme ça un jour. » Elle non plus, qu’il se rassure ! Elle était la première stupéfaite, mais elle ne pouvait plus vraiment faire machine arrière. Elle devait assumer ses paroles – qui de toutes façon, étaient la stricte vérité. Elle ne voulait pas y retourner, et s’il la forçait … Ah, elle ne voulait pas y penser. Pourquoi ne pouvait-il pas juste accepter et tourner les talons ?

« Et tu veux bien m’expliquer ce qu’il y a pour toi en dehors du centre, hm ? Tu crois vraiment que ce monde va t’apporter quelque chose ? Ou qu’il va t’accueillir ? Est-ce que tu as la moindre idée de ce qui arrive aux gens comme toi dans cette ville ? De ce qu’on leur fait ? Dis-moi Tessa, à combien de personnes as-tu révélé l’existence de ton pouvoir ? » Le ton si calme du maître tranchait avec ses yeux si froids, et ce fut presque pire de l’entendre lui parler ainsi, que s’il s’était réellement mis en colère. Il était égal à lui-même, et semblait ne vouloir que son bien. Elle comprenait. Et les questions qu’il soulevait étaient plus que justifiées. Elle sentit son cœur s’affoler encore un peu plus dans sa poitrine tandis qu’elle essayait de réfléchir à ce qu’il disait. « A combien de potentiels meurtriers t’es-tu confiée, Tessa ? As-tu seulement conscience de comment différencier tes alliés de ceux qui te veulent du mal ? » Elle écarquilla les yeux, bien trop consciente de la vérité de ses mots, mais elle ne voulait pas y croire. « Arrêtez ! Personne ne sait qui je suis, je ne l’ai dit à personne ! » Elle saisit un peu trop tard l’ampleur de ce qu’elle venait de dire. Elle ne pouvait parler à personne de ce qu’elle était. Tous ceux qu’elle avait croisés ici – Alvin mis à part – ignoraient ce qu’elle était vraiment, et personne ne la connaissait vraiment. C’était terrible, de réaliser une chose pareille, et le sentiment de solitude trop familier se remit à lui ronger le cœur. Mais elle avait Liam, ici, c’était déjà ça. Elle l’avait retrouvé ! Et ça, elle ne le dirait jamais au maître, jamais. « Et j’ai … rencontré des gens qui m’ont bien accueillie. » Commença-t-elle d’un ton un peu hésitant. Ce n’était pas un mensonge à proprement parler, mais ça n’avait rien à voir avec ce qu’elle aurait souhaité. Elle restait seule, au fond. « Au moins je suis libre. Je ne veux pas retourner dans le Centre, je veux continuer de pouvoir aller où je veux. Vous ne savez pas ce que c’est, de rester enfermé si longtemps. Je veux voir le ciel ! » S’écria-t-elle dans un cri du cœur passionné. Elle ne pouvait plus renoncer à ça. La nature, le chant des oiseaux, les odeurs et les bruits … Retourner dans sa cellule la rendrait folle. « Et je peux très bien me défendre ! Je n’ai pas peur des hunters. » C’était grâce à lui, d’ailleurs. Elle savait comment tuer … Mais ce n’était qu’une bravache de plus : elle n’avait jamais eu aussi peu envie de tuer qui que ce soit, hunter ou non. Elle ne savait pas ce dont elle serait capable si elle était en face de quelqu’un voulant la tuer, mais elle ne s’imaginait pas redevenir une tueuse comme dans le Centre. Impossible.

«  Qu’est-ce que … » Tessa suivit le regard d’Alistair en entendant l’explosion, mais elle ne lui accorda pas plus d’une demi-seconde d’attention. Elle se fichait bien de ce qui pouvait se passer ailleurs ! Ce qui importait, c’était ici et maintenant. Et avec le maître qui venait de détourner son attention d’elle, elle avait une chance de pouvoir s’enfuir. Cette idée lui noua les tripes d’une peur intense, mais elle n’hésita qu’un temps infime, et elle se lança. Alistair se tenait au milieu de la ruelle, et elle n’avait pas beaucoup de place pour passer à côté de lui, mais elle se fit aussi petite que possible et fila, le frôlant presque en le dépassant. Une brusque poussée de joie l’envahit en ne le sentant pas l’attraper au passage, et elle se mit à courir aussi vite que possible, la peur et l’envie de liberté lui donnant des ailes. Si elle pouvait sortir de cette ruelle, elle aurait presque gagné … Le maître ne l’avait toujours pas rattrapée quand elle déboucha hors de la ruelle, et elle se sentit victorieuse pendant une fraction de seconde, avant qu’un homme courant en sens inverse, et qu’elle n’avait pas vu, ne vienne la faucher violemment en pleine course, les faisant rouler au sol. Etourdie, un poignet endolori par la chute, Tessa tenta de se dégager au plus vite, mais l’homme la repoussa en lui donnant un coup sur le visage, les yeux fous, et il s’enfuit en courant bien loin d’elle. La brusque poussée d’adrénaline de Tessa laissait place à une panique sans nom à l’idée que le maître ne la rejoigne. Mais avant qu’elle n’ait pu se relever, une autre personne passa devant elle en courant, puis une autre, puis toute une foule lui sembla-t-il, et elle fut brutalement repoussée au sol. Tous ces gens ne lui prêtaient aucune attention, et menaçaient de la piétiner sans ménagement. Elle dut se mettre à quatre pattes et se protéger le visage pour éviter de se prendre un coup de pied, mais elle le prit dans les côtes à la place, et elle roula à nouveau sur le bitume. Mais que se passait-il ? Pourquoi le monde s’acharnait-il ainsi ? Elle ne comprenait plus rien, elle était terrorisée, et elle n’arrivait toujours pas à se relever …

Spoiler:

Chasing Shadows

Alistair & Tessa

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La conversation prenait un tournant qu’Alistair n’aimait pas particulièrement. Tessa lui répondait. Voilà qui était nouveau. Elle qui s’était toujours montrée si obéissante, si calme, si prompt à baisser les yeux et à ne jamais prononcer un mot plus haut que l’autre pour ne pas le décevoir, elle était en train de chercher à contrer tout ce qu’il lui disait. Visiblement, il l’avait beaucoup moins bien conditionnée que ce qu’il croyait. S’il avait aussi bien fait son travail qu’il l’avait prévu, alors elle serait toujours sagement assise dans l’une des cellules du centre qu’elle avait détruit – peut-être même se tiendrait-elle à ses côtés en tant qu’arme vivante, puisqu’après tout, c’était ce qu’il l’avait entraînée à devenir. Mais non, rien, absolument rien ne s’était passé comme prévu. Et maintenant, il allait devoir tout recommencer, tout reprendre à zéro jusqu’à ce que sa mainmise sur le libre-arbitre de la jeune femme soit totale. Déjà fallait-il lui faire comprendre que personne dans cette ville ne voudrait d’elle – d’autant plus avec le climat de tension insupportable entre les chasseurs et les dégénérés dont elle faisait partie.

- Arrêtez ! Personne ne sait qui je suis, je ne l’ai dit à personne !

C’était au moins ça de positif. Si elle n’avait révélé sa nature à personne, alors aucun hunter en ville ne saurait qu’elle était là, et aucun ne se déciderait à la prendre en chasse. Si jamais cela devait se produire, il devrait poser un droit de veto sur son sort. Elle était à lui, c’était sa mutante, pas un vulgaire renard que l’on chasse à courre. Et il refusait qu’elle se fasse lyncher par les chiens de Lancaster, pas tant qu’il pouvait la tirer de là pour lui donner une leçon et lui montrer directement pourquoi il était malavisé de lui désobéir. Il la laissa continuer son monologue, la laissant l’énerver un peu plus à chaque parole qui franchissait ses lèvres.

- Et j’ai … rencontré des gens qui m’ont bien accueillie. Au moins je suis libre. Je ne veux pas retourner dans le Centre, je veux continuer de pouvoir aller où je veux. Vous ne savez pas ce que c’est, de rester enfermé si longtemps. Je veux voir le ciel ! Et je peux très bien me défendre ! Je n’ai pas peur des hunters.

Le patriarche Wolstenholme la dévisagea froidement. Elle avait commencé à goûter à la liberté et, loin de l’effrayer, ça lui avait plu. Il ne manquait plus que ça. Il allait lui faire passer l’envie de jamais vouloir voir le ciel qu’il allait faire s’abattre sur elle. Il s’apprêta à parler lorsque l’explosion retentit. La surprise fut telle que le chasseur ne put s’empêcher de tourner la tête vers le bruit, ne distinguant pas grand-chose entre les immeubles sinon de vagues lueurs jaunes dans le ciel.
Avant qu’il ne comprenne qu’il s’agissait d’une explosion, il vit une ombre bouger dans le coin de son champ de vision. Le temps qu’il tourne la tête, Tessa en avait profité pour filer. Pestant contre lui-même, se traitant de tous les noms, il la regarda traverser la ruelle en courant, s’apprêtant déjà à sortir son arme pour lui tirer dans les jambes, lorsqu’un passant affolé entra en collision avec la mutante. Le trader pencha la tête sur le côté et finalement s’approcha tranquillement de l’entrée du passage. Il ne se pressa pas lorsque le reste de la foule arriva, surveillant simplement que sa cible se trouvait toujours prise au piège entre les pieds des passants affolés qui fuyaient il ne savait quel chaos – décidément, les fêtes de Radcliff étaient maudites.
Il attendit, patient, qu’une ouverture se présente, puis il se faufila dans le flot de badauds terrifiés, attrapa Tessa par le col et la traîna sans tendresse jusque sur le bas côté de la route. Il darda sur elle ses yeux froids comme le métal.

- Tu vois, c’est ça, ce qui t’attend à l’extérieur. Si tu n’es même pas capable de regarder avant de traverser, comment peux-tu croire que tu pourras t’en sortir seule ?

Il avait l’impression de parler à une enfant – une fillette qui avait fait un gros caprice et qui s’était fait très mal en n’écoutant pas ses parents. S’il fallait la traiter comme une gamine pour que les choses rentrent dans l’ordre, alors Alistair se prêterait au jeu bien volontiers. Après tout, il avait plus ou moins procédé ainsi pendant une dizaine d’années. Il aurait juste à trouver les bonnes variations pour que ses erreurs ne se reproduisent pas.

- Les gens ici ne t’aimeront pas. Ils ne t’ont pas vue alors qu’ils te piétinaient, ne crois pas un instant qu’ils auront un minimum de considération pour toi quand la panique sera redescendue.

Il pencha légèrement la tête sur le côté.

- Et il te suffira d’un moment d’inattention, de perdre le contrôle de ton pouvoir une seule fois, une seule, pour qu’ils se mettent à te chasser comme on chassait les sorcières.

S’il fallait la traumatiser pour la faire rentrer dans le chemin, alors autant commencer tout de suite.
Ce ne serait pas lui qui se plaindrait d’une telle méthode.

© Grey WIND.

Spoiler:

Au sol, paniquée, Tessa ne parvenait toujours pas à se relever. A chaque fois qu’elle essayait, il y avait une nouvelle personne pour la bousculer, un nouveau pied qui jaillissait pour lui écraser une main. A croire que ces gens n’avaient aucune conscience qu’elle était là et qu’ils lui faisaient mal. Elle entendait leurs cris, les bruits de la foule, et la panique ambiante qui régnait tout autour d’elle ne l’aidait pas à se calmer pour agir de façon plus sensée. Elle ne savait pas quoi faire, et finalement, ce fut le maître qui agit à sa place. Elle le vit fendre la foule avec une aisance tout à fait naturelle, qui n’étonna même pas Tessa. Bien sûr, il y arrivait sans mal, lui qui avait toujours eu cette autorité sur les autres ! Il ne pouvait pas se laisser bousculer par des inconnus de cette façon, Tessa n’y aurait jamais cru. C’est lui qui la sortit de là en l’attrapant par le col, pour la traîner hors de portée des passants paniqués, et il la laissa choir sur le bitume sale, meurtrie et couverte de honte. Elle avait essayé de s’enfuir, elle avait échoué. Il n’avait même pas eu à courir pour la rattraper, elle s’était fait avoir toute seule, comme une enfant sans expérience. Ce qu’elle était, au fond. Incapable de s’occuper d’elle-même. Elle leva les yeux vers lui mais les baissa à nouveau rapidement quand il la foudroya du regard, sévère et désapprobateur. « Tu vois, c’est ça, ce qui t’attend à l’extérieur. Si tu n’es même pas capable de regarder avant de traverser, comment peux-tu croire que tu pourras t’en sortir seule ? » Alors ça c’était injuste ! Elle savait très bien qu’il fallait regarder avant de traverser … Elle n’était plus une gamine, quand même ! Là, c’était exceptionnel, tous ces gens étaient sortis de nulle part. Mais elle n’eut pas le temps de protester qu’il avait repris : « Les gens ici ne t’aimeront pas. Ils ne t’ont pas vue alors qu’ils te piétinaient, ne crois pas un instant qu’ils auront un minimum de considération pour toi quand la panique sera redescendue. » La colère de Tessa s’évanouit brusquement sous l’effet de la honte et du désespoir conjugués. La honte de ses pouvoirs qu’elle contrôlait si mal et qu’elle avait appris à détester pendant des années au Centre, et le désespoir à l’idée qu’il ait raison … Elle ne voulait pas être rejetée et finir seule, c’était sans doute le pire qui puisse lui arriver. « Et il te suffira d’un moment d’inattention, de perdre le contrôle de ton pouvoir une seule fois, une seule, pour qu’ils se mettent à te chasser comme on chassait les sorcières. » Tessa se redressa, grimaçant à cause de la douleur due aux coups qu’elle venait de recevoir. Elle avait entendu bien des histoires sordides sur les mutants qui se faisaient traquer et massacrer dans cette ville, mais elle préférait ne pas y penser trop longtemps.

« Mais si je vais avec vous, personne ne m’aimera non plus. » Lâcha-t-elle d’une voix piteuse. Elle ne recherchait pas l’Amour avec un grand A, elle voulait juste que des gens soient gentils avec elle, qu’elle puisse se trouver une ou deux personne avec qui elle serait bien. La chaleur humaine, c’était ce qu’elle désirait plus que tout, rien de plus. « Vous voulez juste que je me batte, sans arrêt. Ce n’est pas vraiment de la considération, que vous avez pour moi. C’est quoi, d’ailleurs ? De l’intérêt ? Je suis votre petit objet ? » Elle rougit en entendant les paroles qu’elle venait de prononcer, qui étaient cette fois clairement de l’insolence envers son ancien maître. « Pour l’instant je m’en suis bien sortie, alors ça va continuer. Au centre, je sais bien ce que je risque si je vous déçois. Encore. » Ajouta-t-elle comme à contrecœur. Elle mentait, un peu. Elle galérait à contrôler ses pouvoirs ici, et elle était morte de peur à l’idée qu’un hunter lui tombe dessus, mais elle s’accrochait et elle faisait de son mieux. Les hunters lui faisaient moins peur que l’homme qu’elle avait en face d’elle, pour tout dire. « Vous ne serez plus aussi gentil avec moi qu’avant, maintenant. Parce que vous savez que je préfèrerais être dehors plutôt que dans le centre. » Elle le savait, il ne pouvait pas le nier – bien qu’elle doutât qu’il le fasse. Mais puisqu’il faisait l’effort d’essayer de la convaincre à venir de son plein gré, elle lui expliquait de la même façon pourquoi elle ne le souhaitait pas. Il était furieux après elle, et il ne serait plus aussi prévenant qu’avant, si elle le suivait. Dire qu’il avait été gentil était un mot un peu fort, sans doute, mais elle n’en voyait pas d’autre. Elle voyait les choses simplement, Tessa : bon, méchant. Noir, blanc. Heureux, mécontent. Le maître avait été content d’elle pendant des années et s’était conduit avec gentillesse avec elle. Maintenant, il était mécontent, et les choses ne seraient plus si douces. Alors comment le suivre de son plein gré ? C’était impossible. « Je ne viens pas. » Affirma-t-elle, les poings serrés, faisant montre de plus de courage qu’elle n’en avait réellement.

Chasing Shadows

Alistair & Tessa

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Depuis que le centre qu’il avait bâti était parti en fumée, Alistair n’avait eu de cesse de pourchasser les mutants qui avaient réchappé à l’explosion. Il en avait retrouvé certains, d’autres lui échappaient toujours, mais il n’avait jamais abandonné l’idée de mettre la main sur la seule qui l’intéressait vraiment, l’unique responsable de ce fiasco : Tessa. Ce petit bout de femme au pouvoir si dévastateur, il avait tout fait pour la modeler comme il l’entendait, pour en faire une arme digne de ce nom, pour en faire le fer de lance dans la guerre contre les siens. Avec une dégénérée aussi puissante qu’elle au service des hunters, il n’y aurait plus eu de problème à Radcliff ; il n’y aurait plus eu de problème dans le monde tout court, puisqu’il aurait suffi de l’amener sur les champs de bataille et de la laisser tout raser sur son passage. C’était un joli rêve, un but qu’il s’était fixé et qu’il avait lamentablement manqué, portant un coup redoutable à son orgueil. Il s’était juré de récupérer la jeune femme et de reprendre son conditionnement là où il l’avait laissé, de faire d’elle ce qu’il voulait comme il l’avait prévu.
Et voilà qu’il la revoyait enfin, dans sa ville natale, au beau milieu de cette nuit qui aurait pourtant dû être une soirée de célébrations mais qui, comme souvent ces derniers temps, avait viré au cauchemar. Pourtant, au milieu de ce chaos, il ne s’occupait que d’elle, et il n’arrivait pas à comprendre comment elle pouvait lui tenir tête. La dernière fois qu’il l’avait vue, elle baissait les yeux et obéissait sans broncher. Désormais, elle refusait tout bonnement de le suivre. Depuis quand s’était-elle découvert un libre-arbitre ? Ca ne plaisait absolument pas au patriarche Wolstenholme qui avait l’impression d’avoir été dépossédé de tant d’années de travail. Il ne savait pas qui lui avait mis de telles idées de liberté en tête, mais cette personne n’en sortirait pas indemne. Déjà, Alvin Townshend devrait répondre de son incapacité à lui ramener la jeune blonde. Ensuite, il prendrait son temps pour lui faire dire exactement ce qu’il lui avait raconté, histoire de savoir s’il avait réussi à la changer au-delà du raisonnable.

- Mais si je vais avec vous, personne ne m’aimera non plus.

Le trader la fixa, ses yeux froids rivés sur elle, les plantant dans les siens dès qu’il avait l’occasion de le faire.

- Cite-moi une seule personne qui t’a aimée ici.

Question piège : si elle citait le moindre nom, il ne perdrait pas un instant à faire des recherches et à trouver ceux et celles qui avaient fait tourner la tête de Tessa – ou lui avaient rendu sa capacité à penser pour et par elle-même, d’après le point de vu adopté.

- Vous voulez juste que je me batte, sans arrêt. Ce n’est pas vraiment de la considération, que vous avez pour moi. C’est quoi, d’ailleurs ? De l’intérêt ? Je suis votre petit objet ?

La langue d’Alistair claqua contre son palais, laissant échapper un petit sifflement agacé qui fila entre ses dents. Elle avait fini par comprendre, par réaliser qu’il n’avait pas une once d’affection pour elle, mais simplement de l’intérêt. Il ne voulait pas voir en elle une personne – les mutants n’en étaient pas – mais une arme, la faux de la Mort s’abattant sur tous ceux qui étaient nés avec un gène défaillant. Il n’en avait été et n’en serait jamais autrement.

- Pour l’instant je m’en suis bien sortie, alors ça va continuer. Au centre, je sais bien ce que je risque si je vous déçois. Encore. Vous ne serez plus aussi gentil avec moi qu’avant, maintenant. Parce que vous savez que je préfèrerais être dehors plutôt que dans le centre.

Elle avait raison, et il ne chercherait même pas à nier. Elle savait très bien ce qu’il en était désormais, et il ne voyait pas l’intérêt de lui faire croire le contraire puisqu’elle avait fini par comprendre. En effet, il ne serait plus aussi conciliant avec elle ; il ne lui apporterait plus de petits cadeaux pour lui faire accepter son enfermement comme quelque chose de nécessaire, il ne lui tapoterait plus la tête d’un air presque fier comme l’aurait fait un dresseur avec son chien, il ne laisserait plus passer le moindre écart et se montrerait plus dur, sec et intransigeant qu’il ne l’avait jamais été.
Et puis, elle prononça la phrase qui résuma toute sa pensée.

- Je ne viens pas.

Alistair la dévisagea. Il ne se souvenait pas de la dernière fois où on lui avait dit « non » avec autant de conviction. La jeune femme avait peur, ça se voyait dans ses yeux, dans les tremblements de son corps et de ses poings serrés. Elle avait peur de sa réaction, mais elle avait pris sa décision. Elle ne viendrait pas.
Pas par la force du moins.
Le trader se demanda alors comment ruiner la vie de la mutante encore un peu plus. Comment lui faire payer ce refus tout en la traumatisant suffisamment du monde extérieur pour qu’elle revienne à lui la queue entre les jambes. Ce n’était pas les moyens qui manquaient, et il prendrait un malin plaisir à la rendre folle petit à petit, à lui faire perdre foi en cette vie nouvelle. Quelques idées commençaient déjà à naître, et il y réfléchirait plus posément plus tard.

- Tu ne viens pas … ?

Comme toujours, sa voix était calme, posée, mais même ainsi, il semblait en ressortir une menace sous-jacente, des mots qui ne seraient pas prononcés mais qu’il n’était pas bien difficile de deviner. Les mains gantées du hunter se crispèrent un moment, faisant grincer le cuir qui les habillait, puis se détendirent. L’homme resta silencieux encore un moment avant de reprendre la parole.

- … Alors ainsi soit-il.

Il s’approcha tranquillement de la jeune femme, son regard métallique soutenant le sien, comme ces serpents de dessins animés cherchant à hypnotiser leur proie.

- Tu veux la liberté, Tessa ? Alors tu l’auras.

Il se planta devant elle, profitant des quelques centimètres qu’il avait de plus pour la toiser.

- Je vais te laisser te débattre toute seule dans ce nouveau monde. Je vais te laisser te fracasser tête la première contre tous les murs que tu vas rencontrer, et crois-moi quand je te dis qu’il y en aura beaucoup sur ta route.

Il se pencha légèrement, juste assez pour que leurs visages soient à la même hauteur.

- Et crois-moi aussi quand je te dis que tu finiras par revenir toute seule quand tu auras vu ce dont les gens sont capables.

Tessa n’avait jamais vraiment été confrontée à l’extérieur. Elle ne savait pas ce qui se tramait d’un bout à l’autre de la planète, de la chasse aux sorcières perpétrée contre les mutants, des guerres, des meurtres, de la méchanceté latente de l’humanité. Mais elle apprendrait vite, dans le sang et la douleur, que ce monde-là n’était pas fait pour elle.
Pas tant qu’Alistair Wolstenholme n’en aurait pas décidé autrement.

© Grey WIND.

Spoiler:

Tessa faisait preuve d’une insolence sans bornes, ce soir, et elle n’avait aucune idée de ce qui la poussait à se conduire aussi imprudemment. L’homme qui se tenait en face d’elle était celui qui hantait ses cauchemars depuis si longtemps qu’elle avait l’impression qu’il avait toujours fait partie de sa vie. Il était son maître, elle l’avait parfaitement assimilé, et elle ne remettait même pas en cause cet état de fait. Elle lui devait énormément de choses, à commencer par sa vie, qui aurait été bien plus courte s’il n’avait pas été là. De ça, elle était persuadée. Il lui avait fait subir des choses terribles, mais il avait aussi été bon avec elle, quand elle était au plus bas. Il avait toujours su faire un geste envers elle aux moments où elle en avait le plus besoin. Elle n’arrivait pas à voir ça autrement que comme de la gentillesse, même si au fond, elle aurait du se douter que ce n’était rien de plus que des calculs. Toujours des calculs. Il ne faisait rien pour rien. Mais elle avait du respect pour lui, un peu d’admiration aussi, ainsi que de l’affection … Et de la crainte, énormément. Pourtant, elle se rebellait. Elle passait outre tous ces sentiments si forts qui la liaient à lui, et refusait en bloc de le suivre. Elle était poussée par une force qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne comprenait pas, mais qui refusait qu’elle se laisse emporter une nouvelle fois. Elle avait goûté à la liberté et elle ne voulait plus y renoncer. Quelle étrange sensation ! Ca la faisait trembler de tous ses membres, mais elle sentait un feu qui brûlait en elle. Il fallait qu’elle l’entretienne à présent, pour ne pas qu’il s’éteigne aussi rapidement qu’il s’était allumé. Elle ne devait surtout pas céder, même sous le regard glacial de son maître. Il la fusillait des yeux, et elle aurait donné n’importe quoi pour pouvoir se cacher. « Cite-moi une seule personne qui t’a aimée ici. » La jeune femme ouvrit la bouche pour répondre, mais un bégayement pitoyable fut le seul son qui en sortit. Son visage se décomposa. Pouvait-elle citer une seule personne qui l’ait aimée ? Non. Pas une seule. C’était une bien triste constatation, et ça lui faisait mal d’y être confrontée aussi crûment. « Je … Je … Il n’y a pas eu de … Je ne sais pas s’ils m’ont aimée, mais il y a eu des gens qui m’ont … aidée. Et qui ont été gentils avec moi. » Même pour elle, la naïve par excellence, ces mots lui semblaient d’une stupidité crasse. Gentils, hein ? C‘était tout ce qu’elle avait récolté. De vagues démonstrations de gentillesse de parfaits inconnus, et puis plus rien. Personne n’était resté, personne ne l’avait vraiment accueillie. Sauf peut-être Alvin, mais il avait juste été gentil et rien de plus.

Et puis elle prononça les mots fatidiques. Non, elle ne viendrait pas. Quelque part en elle, elle avait trouvé le courage de prendre sa décision, malgré la solitude criante où elle se trouvait et qu’il venait de lui rappeler. Elle préférait encore ça à l’enfer du Centre … Mais pourrait-elle faire face sans flancher à la colère du maître ? C’était moins sûr. « Tu ne viens pas … ? » Le craquement du cuir des gants d’Alistair fit naître un frisson glacé dans le dos de Tessa, et elle eut une furieuse envie de détourner les yeux pour ne plus avoir à soutenir son regard, mais elle se retint. Par miracle, sans doute. «  … Alors ainsi soit-il. » Elle cru avoir mal compris. Quoi ? Une expression perdue vit le jour sur son visage. Que se passait-il ? Il avait accepté ? Impossible … Elle recula d’un pas, par réflexe, quand il s’approcha d’elle. Il avait beau lui avoir répondu calmement, elle s’attendait à une explosion de violence de sa part. Obligé. « Tu veux la liberté, Tessa ? Alors tu l’auras. » Il l’avait confirmé. Son visage s’éclaira, et un sourire timide, mais ébahi, s’étala sur ses lèvres. « C’est vrai ? » Son cœur battait plus fort, elle sentait l’excitation monter en elle. Déjà, elle ne voyait plus rien d’autre que cet accord qu’il lui donnait, oubliant trop facilement qui il était. « Je vais te laisser te débattre toute seule dans ce nouveau monde. Je vais te laisser te fracasser tête la première contre tous les murs que tu vas rencontrer, et crois-moi quand je te dis qu’il y en aura beaucoup sur ta route. » Ce fut comme une douche froide, assénée sans pitié. Tessa eut l’impression qu’il la trahissait soudain – mais à quoi s’était-elle donc attendue, bon sang ? Pendant une seconde, elle avait cru qu’il était redevenu l’homme bon qui l’avait illusionnée si longtemps. Quelle idiote ! Il n’était pas si bon. Il était cruel. Il ne voulait pas qu’elle soit libre, il voulait qu’elle souffre. « Et crois-moi aussi quand je te dis que tu finiras par revenir toute seule quand tu auras vu ce dont les gens sont capables. » Elle secoua violemment la tête : non, elle refusait de le croire ! « Vous vous trompez ! Vous êtes cynique, mais il y a des gens biens dans la ville. Et je serais bien ici. » Elle sentit des larmes se mettre à couler sur ses joues, et elle les essuya d’un revers de manche. L’idée qu’il puisse avoir raison lui faisait mal, physiquement. Elle avait si peur que sa prédiction se réalise … Si vraiment, le Centre était mieux que le monde réel, alors elle était perdue. « Je ne reviendrais pas. Je trouverais des gens, je me ferais des amis. Je vais mener une vie normale, loin de vous. » Elle inspira profondément, mais elle tremblait toujours autant, et sa voix bégaya quand elle reprit : « Mais je … Je vous remercie de me laisser partir. C’est vrai, merci. » Il ne s’en rendait peut-être pas compte, mais il l’avait tout de même libérée et elle lui en était reconnaissante.

Chasing Shadows

Alistair & Tessa

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Alistair s’était attendu à voir cette joie sur le visage de Tessa lorsqu’il lui avait annoncé qu’il la laissait partir. Après tout, il aurait été idiot d’attendre autre chose de sa part ; maintenant qu’elle avait goûté à un semblant de liberté, elle n’en voudrait que plus encore, et ne pas retourner au centre était sûrement la chose qu’elle voulait le plus au monde – et retrouver son frère, mais ça, ça n’arriverait probablement jamais. S’il était encore vivant, le trader s’assurerait qu’il ne le reste pas encore très longtemps après la conversation qu’il venait d’avoir avec sa jumelle. Il s’occuperait d’envoyer des hunters à ses trousses, de demander à certaines de ses recrues ou de ses camarades chasseurs jouer les espions et si jamais il s’avérait que le jumeau Abberline avait bel et bien survécu, alors il s’occuperait de le faire mourir d’une façon si atroce que la jeune brune serait forcée de reconnaître qu’il avait raison, que le monde était un endroit affreux et qu’elle allait souffrir bien plus qu’elle n’aurait pu le croire. En attendant, il se contenta d’apprécier en silence les larmes qui coulaient sur les joues de la demoiselle, en réponse à ses mots qu’il avait voulu francs et impitoyables – à son image lorsqu’il endossait ses habits de chasseur ou de maître esclavagiste moderne.

- Vous vous trompez ! Vous êtes cynique, mais il y a des gens biens dans la ville. Et je serais bien ici.

Le quinquagénaire la fixa de ses yeux aux reflets métalliques, une nuance de pitié brillant dans ses prunelles claires. Il y avait des gens biens à Radcliff, oui. Mais les seuls gens biens qu’il connaissait n’étaient pas du genre à s’acoquiner avec des mutants. Ceux qui le faisaient ne valaient pas mieux qu’eux, une alliance de cafards qui ne faisait que polluer la ville et le monde. Quelque part, ça ne l’étonnerait pas tant que ça que Tessa s’associe avec eux – qui se ressemble s’assemble, après tout.

- Pas cynique, réaliste. Mais tu verras par toi-même lorsqu’il sera trop tard, je suppose.

La peur était un excellent moyen de maintenir le doute dans l’esprit de la mutante. Elle lui avait aussi permis, dans une certaine mesure, de faire naître le respect qu’elle avait eu pour lui il fut un temps. Si cette peur pouvait la conduire à faire des erreurs et à la ramener à lui, alors peut-être que cette fois, il parviendrait à en faire l’arme docile en laquelle il avait voulu la façonner. Un autre hunter de sa connaissance y était bien arrivé, alors pourquoi pas lui ?

- Je ne reviendrais pas. Je trouverais des gens, je me ferais des amis. Je vais mener une vie normale, loin de vous.

C’était dégoutant de naïveté et d’espoir mal placé. Le trader en arqua un sourcil sceptique, se demandant à quel moment elle avait bien pu croire que quelqu’un comme elle pourrait mener une vie normale. Elle ne savait sûrement pas ce que voulait dire « normal » de toute façon, elle qui n’avait pas vu le monde changer et mettrait bien longtemps à se faire à cette décennie dans laquelle elle venait tout juste de mettre les pieds. Elle en ferait, des erreurs, et il s’assurerait qu’elle en fasse suffisamment pour tomber tête la première dans la désillusion.

- Ce sont de jolis rêves que tu as là.

Le cynisme de cette phrase prononcée avec le plus grand calme était cinglant ; Alistair l’aurait ouvertement traitée d’imbécile que ça n’aurait pas été différent.

- Mais je … Je vous remercie de me laisser partir. C’est vrai, merci.

Elle n’avait pas compris que cette liberté qu’il semblait lui offrir n’existait pas. Maintenant qu’il savait qu’elle était là, enfermée dans la ville, il ne la laisserait pas s’enfuir. Pas une fois de plus. S’il fallait coudre un mouchard dans tous ses vêtements, il le ferait sans hésiter. Mais elle ne se soustrairait plus jamais à son influence, même si elle était persuadée du contraire.

- Disons que c’est tout comme les cadeaux que tu recevais au Centre.

Les cadeaux en question n’étaient que des broutilles, une boîte de crayons de couleurs, une poupée, un mannequin de bois, rien de bien extraordinaire mais assez pour que la technique de la carotte et du bâton se montre diablement efficace. Les carottes distribuées par le trader n’avaient rien d’incroyable mais arrivaient toujours au moment où le doute s’immisçait un peu trop dans l’esprit de la jeune femme.

- C’est donc un au revoir, Tessa.

Un au revoir, oui. Certainement pas un adieu. Il n’y aurait plus d’adieux entre eux, et le patriarche Wolstenholme n’allait pas tarder à devenir ce fantôme qui la tourmenterait sans cesse, cette ombre au coin de la rue lorsqu’elle rentrerait chez elle, le boogieman de ses cauchemars.
Tournant les talons, il s’éloigna d’elle et se dirigea vers le chaos qui faisait rage à la fête foraine. Il avait d’autres problèmes dont il devait s’occuper désormais. Mais avant cela, il prit soin d’envoyer à tous ses contacts hunters de la ville un message leur indiquant la présence de Tessa et son signalement afin qu’ils gardent en permanence un œil sur elle.
Il n’aurait plus manqué qu’elle joue les filles de l’air une fois encore.

© Grey WIND.

Spoiler: