Certaines histoires sont marquées par le bonheur, d'autres par la tragédie. Certaines histoires sont courtes et d'autres sont longues. Certaines histoires sont remplies de péripéties en tous genre, d'autres sont excessivement plates. Certaines histoires sont intéressantes, d'autres absolument pas. Certaines personnes sont choisies pour vivre pleins de choses, tandis que d'autres sont laissées de côté, enchaînée à vie à leur routine journalière. Des personnes ordinaires, c'est comme ça qu'on les appelle. Des personnes simples et n'ayant rien de spécial qui continueront de vivre leur vies malgré tout ce qu'il se passe autour d'eux. Des personnes que les événements ne touchent pas, des personnes qui n'ont aucun impact sur le monde, et qui disparaîtront sans laisser de traces. Certaines histoires méritent d'être lue, d'autres non. Ce ne serait qu'une perte de temps.
Elios, Elly, celui qui passe devant vos maisons tous les matins, le boulet du village, l'idiot sur son vélo ou encore le garçon qui a perdu ses parents. Tant d'homonyme pour ce garçon ordinaire, que tout le monde connaît sans connaître vraiment.
On sait peu de choses sur lui. Juste qu'il a la fâcheuse habitude de lancer les journaux n'importe comment, qu'il tombe souvent de son vélo parce qu'il roule toujours trop vit et bien sur, qu'il a perdu ses parents quand il était encore qu'un gosse …. encore qu'un gosse, ça sonne mal, vu que c'en est toujours un de gosse dans sa tête. Ah oui, on sait ça aussi, que ça fait longtemps qu'il a arrêté de grandir. C'est toujours à ça que les gens s'arrêtent généralement, ils cherchent pas à aller plus loin, et c'est dommage, parce qu'Elly c'est pas qu'un idiot sur sa bicyclette.
Faut pas juger un livre à sa couverture qu'on dit, pourtant c'est encore ce que la plupart des gens font. Mais je les comprend, c'est pas intéressant les histoires sur les gens ordinaires. Voici celle d'Elios Félix Hobbs-Dickens. Jetez-y un œil si l'envie vous en prend, mais à vos risques et périls. J'vous promet pas qu'elle soit bonne.


''C'est difficile de grandir sans ses parents'' serait une façon de commencer cette histoire, mais ce ne serait certainement pas la meilleure, étant donné qu'Elly n'avait que trois ans lorsque ceux ci périrent dans cet accident de voiture. Ses parents, il n'en a que de très vagues souvenirs, et ne peut mettre un visage sur leur nom que grâce aux photos dispersés dans les albums et autres recoins de la maison de sa grand-mère dans laquelle il a été élevé. C'est sa sœur aînée, Evey, qui a repris le flambeau de son éducation et qui s'est occupé de lui jusqu'à ce qu'il soit assez grand pour prendre soin de lui-même (et encore). Elios n'était pas fan de cette situation et n'hésitait pas à contester toutes les décisions de sa grande sœur ou à faire le contraire de ce qu'elle lui demandait de faire. « T'es pas ma mère. » rétorquait-il à tout va sans se soucier de ce que ces mots signifiaient pour elle, et comment ils pouvaient l'affecter.
Le fait était qu'Elios avait peur. Terriblement peur d'une chose. Une peur qui ne l'a jamais quitté, et qu'il ressent encore aujourd'hui : celle d'être un fardeau. Le poids de trop sur les épaules de sa grand-mère, ou de sa sœur. C'était pour ça qu'il repoussait sans cesses cette dernière quand elle décidait de jouer à la maman avec lui, pas dans le but de la blesser. Depuis la mort de leurs parents, elle mettait un point d'honneur à s'occuper de lui, mais pas parce qu'elle le voulait, parce qu'elle s'y sentait obligée. Mais c'était pas ce qu'il voulait Elly. Il voulait pas qu'elle se force à prendre soin de lui, car il avait peur, terriblement peur d'où ça pourrait les mener. Il ne voulait pas devenir un boulet trop lourd à porter, et il ne voulait pas qu'il devienne un reproche, ou qu'elle l'accuse de lui avoir volée sa jeunesse. Il en faisait des cauchemars, de confrontations où elle lui balançait tout ce qu'elle avait sur le cœur. Des mots blessants, très blessants où elle exprimait même son souhait qu'il ne soit jamais né. Peut-être un peu parano, j'en conviens, mais n'empêche qu'il ne voulait vraiment pas que ça arrive, et se forçait donc à sans cesses lui rappeler qu'elle n'était pas sa mère, lui faisant comprendre par la même occasion qu'elle n'avait pas besoin de faire tout ça pour lui.
Souvent, il se sentait comme un frère ingrat à cause de tout ça, et avait l'impression de ne pas la mériter. Il détestait cette sensation mais la ressentait depuis tout petit. Elle, qui était toujours là pour lui, mais lui, qui n'a jamais pensé à la remercier, et qui, pire encore, ne cessait de la repousser.
Il adorait sa sœur. Elle était à ses yeux la plus importante au monde, et même s'il prenait toujours un malin plaisir à lui énumérer ses innombrables défauts et à la taquiner sur telles ou telles choses, elle savait ce qu'elle représentait à ses yeux.
Mais c'était qu'un gamin Elios au fond. Il pouvait bien clamer qu'il pouvait gérer et prendre soin de lui même, c'était pas le cas. Et il le comprit à la mort de sa grand-mère, à laquelle il réagit très mal. Incapable d'y faire face, il se replia sur lui-même et cacha sa peine derrière un sourire de plomb, de cette manière, on ne lui poserait pas de questions …
Et personne ne le fit. Seul Evey sentit son désarroi, et fit encore plus attention à lui. Il avait dix sept ans à cette époque. Dix sept ans et incapable de faire face.
Dix sept ans, mais ce n'était encore qu'un enfant.

Elly ne savait pas comment gérer ce genre de situation, et n'avait pas la moindre idée de comment réagir. Alors, se replier et faire comme si tout allait bien lui semblait naïvement être la meilleure solution. Mais c'était jamais bon de refouler ses sentiments, peut-être le comprendra-t-il un jour ...

Il pédalait comme un fou sur sa bicyclette. Marchand de journaux n'était pas le métier dont il l'avait toujours rêvé, mais c'était toujours mieux que rien, et ça clouait au moins le bec de sa colocataire qui arrêterait de le harceler pour l'argent du loyer (et accessoirement l'argent qu'il demandait à Evey.) Et avec un peu de chance, s'il réussissait à économiser assez, il pourrait s'offrir une voiture, comme tous les jeunes de son âge, et peut-être que Lybie -sa colocataire- arrêterait de se moquer de son vélo certes, trop petit pour lui. Six mois qu'il avait déménagé, qu'il avait vu cette annonce de colocation et qu'il s'était dit « pourquoi pas ? » Le temps filait si vite, il avait l'impression que tout ça s'était passé hier. Cette décision prise sur un coup de tête lui avait fait du bien, comme il l'avait espéré. Il avait, pour la première fois depuis un moment, l'impression d’avancer dans sa vie, et avait presque réussi à se convaincre que c'était p'tetre pas un bon à rien en fin de compte.
Élève en échec toute sa scolarité (non pas par ignorance, mais surtout par flemme de bosser), ses professeurs le lui avaient sans cesses rabâchés, et avait finalement fini par y croire. Longtemps il a vécu au crochet de sa sœur et du reste de sa famille sans chercher ne serais-ce qu'a essayer de leur prouver le contraire. C'est Lybie qui, alors qu'il venait de s'installer avec elle, lui fit réaliser durement qu'il « était temps qu'il arrête de se rabaisser et qu'il fasse quelque chose de sa vie. ».
D'abord vexé, il refusa une bonne semaine de lui adresser la parole tel un enfant capricieux, mais finit par tenter sa chance pour lui prouver -et surtout prouver à lui même- qu'il en était capable.
Alors oui, sa vie n'est certes, pas aussi excitante qu'il aurait aimé qu'il soit, c'est tout de même mieux que rien. Et rien que l'impression d'en faire quelque chose le rend heureux.
Mais le bonheur est une chose fragile …