Aujourd’hui est un grand jour. Les hunters, le couteau entre les dents et le fusil à la main, partent en chasse. Chacun pour soi, et Dieu pour tous. Jehro reste un peu à part, comme toujours. Il est concentré sur sa mission, décidé à la remplir au plus vite. Il n’en plus du discours sans fin de leur chef de file, des rires gras de ses frères d’armes. Il veut du sang, de la sueur et des larmes. Jehro est comme un gladiateur prêt à entrer dans l’arène, et les bavardages de ses compagnons repoussent le moment où il entrera en jeu. Ils s’auto congratulent déjà de leurs succès à venir. Jehro, lui, observe sans cesse le dossier qu’il tient entre les mains, et ne pense plus qu’à ça.

Enfin, les consignes sont données, et chacun monte à bord des pickups à destination du centre-ville. La traque commencera là. Mais pas pour Jehro. Il enfourche sa moto, déjà au fait de sa destination. Il ne suit pas les autres, et emprunte une route annexe, direction le lycée de Radcliff. C’est là que l’attend sa proie. A cette heure, le lycée est presque vide. Les professeurs sont les seuls à peupler l’établissement, corrigeant quelques dernières fiches, renvoyant chez eux les étudiants qu’ils ont gardé en retenue. Jehro descend de voiture, attrape son attirail de chasse, et rentre directement dans le bâtiment. Il n’est pas venu ici depuis plus de dix ans. Il a obtenu son diplôme de fin d’année en prison, n’ayant jamais l’occasion de finir le lycée comme tout le monde. Tout ça à cause de ces transmutants, ces pourritures, ces immondices. Passer dans ces couloirs ne fait qu’attiser ses souvenirs, et sa rage encore davantage.

Jehro ne met pas longtemps avant de trouver la salle qu’il cherche. Il voit à son bureau le mutant qu’il traque. Celui qu’il pensait ne jamais revoir. Il l’a vu mourir, l’a tué de ses propres mains. Aussi la surprise avait été grande quand son dossier avait atterri dans ses mains. Mais cette fois, il ne le ratera pas. L’autre est visiblement immortel. Mais Jehro ne manque pas d’imagination pour vérifier si c’est bien vrai. Il avait visionné toutes les saisons d’Highlander, étant gosse, et savait qu’en général, en s’acharnant bien comme il faut, l’immortel finissait par y laisser sa tête.

Sans plus attendre, il enfonce la porte, sort une matraque et en décoche un coup sur le visage de Jorah en guise d’introduction. Il veut laisser sa victime sonnée, hagard, histoire d’avoir un adversaire incapable de riposter tout de suite. Pour être sûr de son coup, il porte un nouveau choc dans les côtes. Un sourire presque malsain se dessine sur son visage, tandis qu’il se tient en garde, prêt à parer Jorah si ce dernier à encore la lucidité de répondre. « Comme on se retrouve, Jorah. J’espère que tu te souviens de moi ? » Jorah n’avait pas survécu à leur dernière rencontre. Du moins pas totalement. Mais cette fois, Jehro est bien décidé à le tuer une bonne fois pour toute. Définitivement.

Le sourire de Jehro s’efface aussitôt que Jorah prend la parole. Il se donne le droit d’être sarcastique, mais refuse qu’on se foute de lui en retour. Un petit con dans toute sa splendeur, qui déteste être contrarié. Il pose son pied sur l’épaule du transmutant et le repousse en arrière sans ménagement. Il veut garder le dessus, montrer qu’en dépit des provocations lancées par l’ancêtre, c’est toujours lui qui a la situation sous contrôle. Une guerre d’égo, ni plus ni moins. « Alors on va faire en sorte que ça soit la dernière chose que tu vois, s’il te plait tellement ! » Jehro ne compte pas lui laisser le temps de la ramener une nouvelle fois. Il reprend aussitôt. « Allez viens, on part en balade. » Il l’attrape par les cheveux et l’entraine sans ménagement dans le couloir. Il emprunte la première sortie de secours qui passe et se retrouve dehors, à la limite de la forêt. Non loin de là, le cagibi du concierge. Dès qu’il la voit, une idée jaillie. Une idée tordue, malsaine, digne de la haine qu’il éprouve pour ce transmutant en particulier. Celui-là, Jehro ne peut pas se l’encadrer. C’est physique, comme le prouvent les coups à répétition qu’il n’a cessé de lui porter depuis tout à l’heure.

« On va jouer, toi et moi. Attrape une pelle, et avance par là. » Du menton, il désigne la forêt toute proche. Il garde ses distances, juste quelques pas, au cas où Jorah aurait l’idée de lui décocher un bon coup de pelle et de prendre la fuite. Mieux vaut prévenir que guérir. Jehro, lui, n’a pas la capacité de soigner de ses blessures, et s’il se montre vulnérable, il sait que Jorah n’hésitera pas à se jeter sur lui pour sauver sa propre peau. Jehro attrape un tazer coincé à sa ceinture. Entre le flingue glissé contre sa cheville et les couteaux planqués ça et là, le hunter passe pour une armurerie sur pattes. Mais quand les transmutants peuvent s’appuyer sur leurs dons pour s’en sortir, les hunters, eux, ne peuvent compter que sur leurs armes. Alors autant prévoir large. « Et magne toi un peu, il y a un feu d’artifices en ville, ce soir, j’aimerais bien ne pas rater la fin. » Encore et toujours cette lueur malsaine dans le regard. Pour une raison qu’il ignore, Jorah fait ressortir le pire chez Jehro. Un autre immortel n’aurait pas eu à craindre de lui. Mais les provocations permanentes du centenaire ont eu raison de sa patience.