Journée enfin terminée. C'est pas trop tôt. T'aimes bosser à l'hôpital, certes. Mais quand tu dois t'occuper d'un SDF complètement soul qui semble te prendre pour une charmante demoiselle et qu'il te tâte un peu partout avant de menacer de rendre, c'est trop pour toi. Beaucoup trop. T'aimes être entouré de gens qui ont besoin de toi. Tu te sens utiles. T'as toujours apprécié te sentir utile, c'est la seule façon que t'avais de te sentir vivant, depuis que t'es gosse. Tu t'occupais bien de ta mère quand elle se sentait un peu trop seule. Tu lui faisais à manger, tu l'aidais à aller se coucher. T'as probablement perdu ton innocence et ton enfance durant cette période de ta vie et pourtant tu n'as jamais bronché. Pourquoi t'aurais un truc à dire? Cette vie est celle qu'on t'a imposé, pas le choix. Tu te poses la question bien souvent de comment aurait été ta vie si tu n'étais pas un simple humain. Si tu étais capable de beaucoup plus. T'as quasiment aucune force dans les bras, du moins pas autant que t'aimerais. T'es incapable de survivre à n'importe qu'elle blessure trop grave. Tu fais voler aucun objet. T'es juste un gosse un peu con. Peu importe. Tu survis bien comme ça.

Avant de partir de l'hôpital t'as mangé un bout avec cette infirmière. Elle a deux ou trois ans de plus que toi. Elle est gentille, douce. Et sexy. Terriblement sexy. Ca t'es encore difficile à croire qu'une fille qui peut se prétendre canon puisse te parler. Toi, le mec plutôt discret qui a pas énormément de carrure. Elle s'est rapprochée de toi, avec cette lascivité d'une lionne proche de sa proie. Tu as senti son souffle tiède contre ton visage et tu es resté là, figé, avec ton regard qui fait la navette entre ses lèvres et ses yeux aux iris transcendants. Elle t'a murmuré qu'elle " t'aimait bien ". A d'autres ! Elle a un mec, t'en es persuadé. Ce genre de filles, trop parfaite, trop... Beaucoup trop. Elles ont toujours quelqu'un qui les attend sagement et qui les assaillit d'amour. Peu importe. Ce n'est pas ton genre, pas plus que ça. Peut-être que si... Elle a un visage angélique. Elle a l'air si douce, si innocente. On croirait être face à une poupée de cire quand on la regarde. T'as l'impression que si tu t'approches trop, elle se brisera entre tes mains et tu te sentiras con à avoir rêver à un être inaccessible, imperceptible.

Tu fais même pas gaffe où t'es. T'es perdu dans tes pensées, à te battre avec toi même pour savoir si oui ou non tu mériterais, ne serait-ce que de poser tes lèvres sur les siennes. Purement, chastement. Qu'elle idiotie. Tu secoues ta tête et rentre dans le parc. La nuit est tombée. Les lampadaires de la rue éclairent par endroit le parcs déserté par les enfants aux cris déchirants. T'aimes pas forcément les enfants. Ils sont adorables, tout ça, mais qu'est ce qu'ils sont bruyants! Parfois, même pendant ta pause clope, quand t'es face à l'hôpital, tu les entends crier leur joie dans le parc. Qu'est qu'ils sont innocents. Pourquoi t'es plus innocent comme ça? Pourquoi tu peux pas te satisfaire de tout et de rien? Tu poses tes yeux sur un banc à peine éclairé. Tu vois une fille, de longs cheveux blonds. Tu t'approches d'elle lentement. " Eh? Ca va? T'sais, c'est pas vraiment l'heure de jouer à cache cache. On sait jamais qu'un SDF psychopathe se décide de se jeter sur toi " Tu t'mords la lèvre avant d'avancer suffisamment pour entrevoir son épaule en sang. Ton regard se porta sur son visage et tu pus lire la détresse sur le moindre de ses traits. Tu t'approchas vivement. " Putain ! Qu'est ce qu'il s'est passé? Ca va? Qu'elle question conne ! Bien sûr que ça va pas, t'as un trou dans le bras ! Viens, l'hôpital est pas loin, j'y bosse ! Dépêches toi ! Ca a pas l'air joli !" A vrai dire t'en sais rien, tu vois quedale. Mais généralement un trou dans un bras, aussi petit soit-il n'est pas bon. T'as jamais vu de blessé par balle... Pas encore. Tu lui tends la main, dans l'espoir qu'elle la saisisse pour que tu la soutiennes pour l'entraîner à l'hôpital.

T'as jamais été confronté à une personne ayant reçu une balle. Toi t'es plus du genre à soigner les SDF, les enfants malades, les gens qui ont mal au crane ou juste besoin de se faire recoudre. Toi qui vis dans une monde de bisounours, tu comprends pas vraiment l'amour des américains pour les armes à feu. Ce ne sont pas des jouets, ce sont des outils dangereux, qui peuvent blesser, tuer. C'est le but. Certes. Mais pourquoi? Où est l'époque où on avait juste besoin de ses mains pour se battre? Dans tous les cas tu serais incapable de frapper quelqu'un. Ou même de taper sur quelqu'un. Pourtant tu penses pas être faible au point de louper ta cible. T'en sais rien. Peut-être que si après tout. T'as jamais été vraiment violent. La violence n'engendre que la violence. Et tu sais que t'es fragile et qu'il serait aisé à n'importe qui de te mettre chaos. Comment perdre toute virilité.

« Je te jure que si tu t'approches j'explose ta main. »  Et voilà ta virilité qui s'évapore par le moindre pore de ta peau. Tu te mords la lèvre. Tu tentes d'aider quelqu'un, voilà que ça se retourne contre toi. T'hésites à te barrer alors que tu la vois pointer son flingue sur toi. S'était-elle tiré elle même dessus? Pourquoi ferait-elle ça? Question stupide. Voulait-elle se suicider? S'était-elle loupée? Dans tous les cas tu sentais sa détresse. Tu voyais bien qu'elle souffrait et tu pouvais pas la laisser là. Du coup, tu baisses ton bras et places tes mains sur tes hanches, l'air grave. « Je n'irais pas dans ton putain d'hôpital, alors tu vas tranquillement reprendre ton chemin. Ce n'est pas une question et encore moins une proposition. » Tu soupires alors que tu t'éloignes un peu, regardant autour de vous. Personne ne semblait s'affoler de la situation. Tu flippais pas mal, autant dire les choses comme elles sont. Une femme à l'air si ... Déterminé pouvait s'avérer dangereuse. Et tu tenais un minimum à ta vie. Tu lui laissais son flingue, t'en voulais pas. Tu voulais pas la blesser, pas plus qu'elle ne l'était déjà. Non, tu voulais l'aider avec toute l'innocence dont tu débordes.

Tu te déplaces légèrement, te mordant la lèvre. Etait-elle mutante? Pensait-elle que t'étais un chasseur? T'avais pas la gueule d'un chasseur. Ni même la prestance. Ou la confiance. Ou une arme, accessoirement. Le seul truc que t'avais sur toi, c'était ton téléphone. Tu pouvais appeler les flics, la faire arrêter et c'était un moyen comme un autre pour la forcer à aller à l'hôpital. Mais elle te tuerait probablement si elle t'entendait téléphoner. Dans tous les cas elle allait te tuer, vu que tu cherchais à l'aider. T'es attiré par les cas désespérés. Ils sont intrigants, fascinants. Excitants. " Donc vous préférez souffrir là? Vous savez, si vous me butez, vous allez probablement perdre votre bras. Ou j'sais pas. J'veux vous aider. Qui que vous soyez. Même si vous pointez une arme sur moi. J'compte pas vous faire de mal. " Tu tentais de prendre une voix douce. Tu savais qu'elle était insensible à la douceur, tu le voyais. Mais au pire, t'avais rien à perdre. Qu'elle te tire dessus. T'façon faut bien crever un jour. " Je peux vous recoudre, si vous voulez. Il faut juste trouver un moment d'enlever la balle et j'me vois mal le faire avec une clé, et j'ai rien de mieux. " Tu la regardais, déterminé à pas bouger et à l'aider. Peut-être allait-elle céder. Ou te buter. Ou ne rien faire.

Tu aimes les orages. Ils sont fascinants. Ils sont l'horreur, la colère. Ils sont la rage et l'enfer. Ils sont ténèbres et lumières. Un feu d'artifices naturel que la nature se surprend à aimer contempler. L'être humain est impuissant face à lui. Il ne peut le contrôler, comme il aime si bien le faire sur tout ce qui l'entoure. Il peut le prévoir, mais jamais il ne prévoira les dégâts qu'il engendrera. Ils sont majestueux, ils sont indomptables. C'est probablement ce que tu aimes le plus dans les "catastrophes" naturelles, comme ils les appellent. Elles font ce que bon leur semblent. Elles emportent, détruisent. Balayent les immondices du monde. Serait-ce, comme l'expliquerait la Bible, un moyen de se repentir? Un moyen de nettoyer le monde? C'est drôle comme tout peut être relié la vie. Les catastrophes naturelles, à l'échelle humaine, sont les mutants. Sont-ils le salut de nos âmes? Bonne question. Mais ils sont vils, cruels, parfois. Ils sont joie, peine, ou terreur. Ils sont indomptables tout comme l'être humain l'est. Qui aimerait être réduit en esclave?

Cette meuf, mutante ou humaine, était la preuve même qu'un être, doué de paroles, de sentiments, n'est pas facilement manipulable. On ne peut se mettre quelqu'un dans la poche avec de belles paroles. Encore faudrait-il que cela se fasse par quelqu'un qui maîtrise les mots et sait allègrement s’imprégner des sentiments pour pouvoir en jouer. Toi t'étais juste un foutu gosse qui avait pas sa langue dans sa poche. Peut-être devrais-tu réellement apprendre à parler. Parler, pas chanter, pas déconner. « La souffrance est humaine. Et puis, me faire du mal ? Je te déconseille d'essayer. » Tu l'entendis rire. Et ta virilité s'envola. Tu fronças les sourcils. Putain qu'elle était chiante à lancer des menaces. Evidemment, si ce n'étaient que des menaces en l'air, tu serais déjà proche d'elle et elle te ferait pas peur à s'point là. Mauviette. Poule mouillée. T'es nul. Ouais. Totalement. T'façon, tu ferais pas de mal à une mouche, même si celle-ci t'avait frappé.

« Je ne compte pas te tirer dessus, j'ai plus important à gérer » C'était déjà ça. Ta vie n'était pas complètement en danger. Ouf. Soulagement. Tu regardes autour de toi. Cette ville t'aurait pas manqué t'façon. Ta mère peut-être un peu. Ce qui est sur, c'est que le contraire aurait été faux. Elle s'en fou. Tu voyais bien qu'elle avait mal. Mais au point où t'en étais, t'avais juste à attendre qu'elle se décide à te faire un minimum confiance et qu'elle accepte que tu pénètres dans sa bulle personnelle. Précieuse la meuf. Ou folle. Peut-être les deux. Dans tous les cas, c'est plutôt intriguant. T'avais pas la gueule de quelqu'un qui lui voulait du mal, dans tous les cas. « Me recoudre ? Je vais probablement te vexer, mais tu n'as pas la tête d'un médecin. » Non et puis dans tout les cas tu voulais pas être docteur, tu veux tourner des films. « Enfin, imaginons que je retire la balle et que par la suite je te laisse me soigner alors que visiblement tu es un gamin... Tu pourrais le faire d'ici ? » T'hôches la tête vivement. Tu regardes autour de vous. Plus personne. L'hôpital semble endormit. Tu te mords la lèvre, fouilles tes poches. Toujours rien d'autre que ton téléphone. Tu poses tes yeux sur elle et fronces les sourcils. " Tu bouges pas ! " Et puis tu pars en courant, tu vas chercher ta mallette dans l'hôpital. On te remarque quasiment pas. Trop peu d'animation. T'as tenté d'être discret, t'as marché doucement. Non, t’as pas failli te casser la gueule en glissant en entrant. T'as pas oublié de saluer les gars dans la salle de repos, mais peu importe. T'es maladroit et tu flippes qu'elle se soit barré. Pourquoi flipper?! Elle pointait une arme sur toi et toi tu veux l'aider. Gros barge. Tu tentes de revenir vers elle, tu te dépêches, tu cours. Si bien que tu te pètes la gueule. Mais t'es un warrior, tu te relèves et tu poses tes affaires sur le banc une fois près d'elle. " J'suis peut-être pas docteur mais j'suis infirmier, alors t'as intérêt à me laisser faire. Fin. S'il te plait, quoi." T'ouvres la sacoche et laisses alors apparaître un kit de premier soin, ainsi qu'un chargeur de téléphone et un bouquin. Et des piles. Génial. Tu attrapes un désinfectant, une aiguille et du fil. " C'est partit " Mon kiki.

T'es un peu maladroit. Et le qualificatif " un peu" est parfois bien faible pour te décrire. Mais tu penses que tu t'améliores, tu fais des efforts. Ouais, c'est assez dur de se concentrer quand t'es ado et que tu penses à trois milles choses quand t'en fais qu'une seule. C'est dur de ne pas penser au bruit qui te titille les tympans, ou à la brise qui caresse ton visage. Ou au message que cette fille t'a laissé et auquel t'as pas répondu parce que tu te sentais trop con et que tu savais pas quoi lui dire. Là, dans l'immédiat, alors qu'tu cours, tu penses à cette fille. Tu la connais pas, elle t'aime pas, pourtant toi y a un truc qui t'intrigue chez elle. Ca va probablement te tuer d'vouloir en savoir plus mais on a qu'une vie comme on dit. Elle est mignonne. Elle est féroce. C'est un peu tout ton contraire. Toi t'es un type banal sans réelle force. Elle a l'air de posséder plus de muscles que toi. La honte. Si tes potes te voyaient, t'as l'air pathétique. On dirait un idiot heureux qui sait pas quoi faire, ni quoi dire, pour impressionner une fille. C'est un peu ça, tu veux l'impressionner. Tu sais juste pas vraiment comment. C'est pas vraiment le genre de filles avec qui t'as l'habitué de traîner. Tes potes elles sont plus.... Simples. C'est ça. C'te blonde là, elle est complexe. C'est un puzzle. Faut retrouver toutes les pièces pour la comprendre. Du coup, vu qu'tu cherches les pièces pour reconstruire l'oeuvre d'art, tu fais pas gaffe où tu marches et tu manques de te péter la gueule. Tu vois sur son visage. Un léger sourire. Une ombre de rire. Une once de réussite. Tu t'empêches pas d'cacher ta joie et tu souris.

Une fois face à elle, tu te mets au boulot. Tu remarques que la balle est plus là. Tu grimaces. Qu'est ce qu'elle a bien pu faire pour l'enlever? T'en sais rien. Tu cherches pas à savoir. Mieux vaut ne pas savoir. Peut-être a-t-elle le pouvoir de te la renvoyer de la où elle est, même si elle est fragilisée. Non, tu pouvais pas te permettre de lui demander. Seul problème. Le sang. Il y en avait beaucoup. A croire que la balle était bien placée. « Si j'avais voulu partir, je serais loin. Je ne compte pas résister. » Non elle avait pas dis ça. Son ton innocent ne pouvait pas mentir. Ou peut-être que si. Ou peut-être qu'elle se foutait de toi. Elle s'en foutait que tu sois là. Mais toujours est-il qu'elle avait dit que si elle souhaitait partir, elle serait déjà loin. Et un point pour toi. Le sang continue de couler. Tu commences à coudre. T'es distrait, mais tu fais attention, tu t'appliques. Tu l'entends souffler et tu grimaces. Tu lui as fais mal. Moins un point. Merde. Encore du sang. Putain qu'il fait chaud ! « La prochaine fois que tu croises quelqu'un de blessé. Évite de t'arrêter. » Tu te mis à rire légèrement. Tu ne répondis pas, trop concentré à recoudre la demoiselle. Tu te sentais comme Dr House ou comme un des docteurs de Grey's Anatomie. Un peu plus et t'avais d'la sueur qui glissait le long de ton front. Encore du sang. T'en as pleins les mains. « Simple conseil. » Tu relèves les yeux vers elle alors que tu couds le dernier point. Tu te recules lentement, tremblant. Tu regardes tes mains et tu fronces les sourcils. Tu prends du désinfectant et tu nettoies correctement la plaie. Tu t'essuies les mains sur ton t-shirt. Du sang. Encore et encore. Tu t'sens mal. Foutrement mal. " C'est finit, c'est bon. C'est propre et fermé... " Tu passes ta main sur ton front. Tu fermes les yeux. Et le noir. Le noir complet. Ta tête heurte le sol. Putain qu'ça fait mal l'inconscience. Tu ne vois que du sang, encore et encore du sang.

Tu ne sens rien. Le néant. Le flot continu du ballet nocturne des lumières de la ville défilent devant tes paupières clauses. Tu sens l'intensité lumineuse titiller tes pupilles pourtant tes paupières sont toujours clauses. Tu sens les mouvements de ton corps, se pliant, se tordant, se brisant sous ton poids. Tu sens la dureté des choses, la fraîcheur des textiles. Pourtant tu ne vois rien. Rien d'autre que le noir. Tu n'entends rien d'autre qu'un silence continu. Une note longuement appuyée, longuement silencieuse. Un piano étouffé. Tu tends l'oreille mais le son est couvert. Il est lointain, inexistant. Tu ne peux l'entendre. T'as l'impression qu'il faut que tu te rapproches de lui. Tu voudrais le palper. Tu voudrais qu'il te traverse, te subjugue. Pourtant tu n'entends rien. La surdité te dérange, t'agace. Tu n'es pas à l'aise. Tu te sens mal. Ton coeur bat toujours dans sa cage dorée et pourtant les barreaux se rapprochent, ils l'encerclent. Te voilà qui coule. Tu sens l'eau envahir tes poumons. Tu te sens lentement glisser vers les profondeurs. Où es-tu?

Le filet lumineux s'échappe des rideaux épais. Tu les devines épais parce que c'est la seule lumière qui s'intègre à la pièce. Tes yeux sont baignés dans cette lumière bien trop forte. Tu grimaces. Putain que ta tête te fait mal! Tu clignes des yeux. Tu ne vois que le plafond blanc. Tu ne vois que cette lumière aveuglante. Tu tentes de te relever et pourtant t'as un truc qui te maintiens là où t'es. Tu paniques. Ton regard balaye la pièce. Un salon. C'est pas chez toi. Surement pas. Putain, t'as fais quoi en rentrant? Tu te souviens pas. Tu t'souviens du bras de ton inconnu. Tu t'souviens du sang. Encore et encore du sang. T'as un haut l'coeur. Putain trop d'sang. T'entends le bruit d'une machine à café et l'odeur de celui-ci envahit soudainement la pièce. C'est presque rassurant, bien que tu sois encore captif de ce putain de canapé. C'était quoi ce délire? Tu tentes de te délivrer, impossible. Tu dois faire trop d'bruit, t'entends un " bonjour " furtif. Ton inconnue. Du moins tu penses. Tu penses reconnaître sa voix. Tu fronces les sourcils en te redressant tant bien que mal.  " C'est quoi ce délire de m'attacher?! " Ta voix est vacillante. Ta tête tourne. Putain tu vas vraiment vomir. Tu t'frottes l'oeil et tu bailles un bon coup. Tu sais pas ce que tu fous là. Tu sais pas comment t'as atterri  attaché à ce canapé. T'as mal partout.  " Putain j'me sens tellement mal... J'crois j'vais vomir... " Tu fermes à nouveau les yeux et tu t'étales sur le canapé, regardant autour de toi. La pièce est plutôt jolie en elle même. Ca a l'air plutôt agréable à vivre, dur à croire quand on sait que cette inconnue semble plus être une psychopathe qu'une fille dotée de bonté et de bon goût.  " Rassures moi, on a pas... Non. J'm'en souviendrais." Tu fais une moue peu convaincante. Non sérieux, tu t'sens mal.

L'impression d'une putain de gueule de bois. Chaque recoin ton cœur est endolori. T'as l'poignet accroché par un foulard rosé. Il est plutôt joli le foulard d'ailleurs. Tu te redresses au moment où l'inconnue frappadingue vient vers toi. T'as mal au crâne et tu vois la pièce danser sous tes yeux. Elle t'a peut-être fait boire à ton insu. Ou elle t'a drogué. Ou même les deux. Peut-être t'a-t-elle même violé ! Non ça va, t'es encore habillé. Tu soupires, rassurés. Elle a pas l'air vraiment bien cette fille. Pourtant y a cette impression, ce besoin de savoir. Elle a l'air de ces filles folles qui seraient capables de tabasser un mec juste parce qu'il ne lui file pas sa carte bleue. Fin t'en sais rien. Ouais, au final tu la connais même pas. Tu connais même pas son foutu prénom. C'est le minimum quand tu rencontres quelqu'un qui vient t'aider avec la balle que t'as dans le bras non? Tu devrais remédier à ça. Ouais, tu vas lui demander son prénom. Elle va probablement te mentir. T'as bien vu qu'elle te faisait pas confiance. Pourquoi tu serais attaché au canapé sinon? Quoi qu'un foulard c'est pas bien robuste. Mais le nœud est carrément bien serré. Chapeau l'artiste. Mais maintenant t'aimerais bien être libre. Libre comme l'air. T'aimerais bien rentrer chez toi. Sans vomir, de préférence.

Tu la vis poser le verre d'eau et le cachet qui t'étais destiné sur la table en face de toi. Tu fais pas gaffe à ce quelle te file. Elle te dit que c'est de l'aspirine, tu la crois. Tu peux pas faire pire, au point où t'en es. Elle pourrait te buter avec le flingue d'hier. Si elle l'a toujours. T'es un petit jouet dans ses mains après tout. C'est trop triste. T'es censé être un mec non? T'es censé avoir des couilles? Pas assez probablement. Du coup tu te détaches et tu t'étires pour prendre le cachet en priant pour que ton mal être passe. Quoi que, ta dépression d'adolescent en pleine puberté ne passera pas avec un cachet. Tu bois une gorgée d'eau, t'avales l'cachet blanc. Tu la regardes repartir, tu te masses le poignet. Elle avait quand même sacrément bien serrer la garce. T'avales difficilement ta salive quand elle te dit que t'aurais probablement les yeux bandés et que tu serais probablement dans l'coltar. T'es aussi chiant que ça? Bah non. Pas plus que ça normalement. Finalement elle te "rassure" en te disant que si t'étais attaché c'était pour ton bien, soit disant pour pas que tu flippes en voyant où t'étais. Non, tu t'en fous. Cette réaction était justifiée. Elle s'installa face à toi. Tu t'sentais mieux, pas attaché. T'es plus libre. Beaucoup plus. Elle t'expliqua la soirée. Non, tu n'avais probablement pas couché avec cette fille, mais tu t'étais évanouie. Comme une fille. Tu te mis à rire de ta stupidité et de ta fragilité. Ouais, la fatigue, le sang. Pas bon ménage. Elle te dévisagea et tu te sentis soudainement nu. Elle cherchait quoi? Elle te demanda ton prénom. Tiens, l'histoire des prénoms.

Tu croises les bras sur ta poitrine. " Tu penses pas que si j'ai réagi comme ça c'est que justement j'étais attaché? J'suis peut-être con, mais quand tu te réveilles, même dans un endroit que tu connais pas, si t'es pas attaché, t'as pas le reflex de flipper." Peut-être était-elle habituée à être attachée, ce n'était pas ton affaire. C'était plutôt drôle à imaginer. Enfin. Imaginer. C'était un bien grand mot. Elle aurait plutôt été du genre à buter la personne qui tente de l'attacher. Qu'elle louve sauvage ! Tu t'amuses à faire tourner l'eau dans le fond de ton verre. " Je m'appelle Marcel. J'ai 48 ans et j'ai un passé de pédophile." Tu souris en coin sans pour autant relever les yeux. Elle va finir par te tuer, réellement. Tant pis. T'auras bien vécu. " Sasha." Tu relèves les yeux vers elle. " Je suppose que tu vas chercher pour savoir où j'habite, savoir si j'vais revenir ici pour te buter ou j'sais pas quoi. Ou même informer quelqu'un que tu vis ici. Dis moi ton prénom, ça sera plus simple plutôt que de t'appeler " la blonde" ." Tu t'enfonces dans le canapé, sans la quitter du regard. " T'es quand même plus jolie en pleine journée que juste éclairée par la lumière d'une lampadaire avec du sang partout. Quoi que ça te donnait un côté aventurier. " Tu tentes de détendre l'atmosphère que tu sens tendue. Plus que tendue. Comme un string. Un string en dentelle, évidemment. Rien de vulgaire. Rien de sexuel. Grand dieu non.

« C'est mieux que de crever de froid dans la rue toute une nuit. » Elle avait pas tout à fait tord. Tu hochas la tête. Tu savais ce que c'était que de vivre dans la rue, de dormir sur un banc, sans n'avoir aucune couverture, aucun vêtement adéquat. Les bancs ne sont pas agréables et qui sait quel malade peut venir se coller à vous pendant la nuit pour avoir un peu de chaleur humaine. Tu avais vécu dans la rue, et c'était probablement pas marqué sur ta tronche. Tu voyais bien qu'elle te prenait pour quelqu'un que tu n'étais pas. Quelqu'un de faible. Tu l'étais, certes, tu n'allais probablement pas le nier. Tu n'as jamais été du genre gros dur, près à casser la gueule à tout le monde. La vue du sang te révulse quand t'es trop fatigué et tu encaisses plutôt mal les coups. Mais tu affrontes l'adversité, en silence. Tu prends les coups, sans t'en plaindre. Tu ne t'es jamais plains d'avoir été foutu à la rue. Sid t'avait accueillit chez lui quelques jours. T'avais créché dans ta voiture. T'avais vécu à la dure. Depuis toujours, si on réfléchit bien. Ta mère ne t'a jamais facilité les choses.

Tu la regardas poser sa tasse sur la table qui vous séparait. Elle était l'océan qui sépare deux bouts de côte. Qui serait assez idiot pour traverser un océan à la nage? Surement pas toi. Elle encore moins. Toi tu continuais à jouer avec ton verre d'eau. T'avais envie de rentrer chez toi, mais tu voulais d'abord en savoir plus sur elle. C'était important. Du moins, tu avais le sentiment que c'était important. Elle allait t'échapper, te filer entre les doigts. Elle allait disparaître avec la même fureur qu'elle était apparu dans ta vie. Comme un mirage qui s'efface au fur et à mesure que l'on s'éloigne de lui. Même dans l'immédiat, tu n'avais pas l'impression d'être réellement là. Probablement parce que t'avais pas passé la plus belle nuit du monde. « Si je voulais vérifier ton identité, j'aurais probablement fouillé tes affaires pour trouver ton badge ou même des papiers prouvant que tu travaillais à l’hôpital. Si je voulais te tuer, tu serais mort et en train de te dissoudre dans de l'acide au fond d'un entrepôt. Pour finir, cet endroit ? Il en existe de nombreux autres, je suis comme un fantôme. » Tu avalas ta salive. Ok. Bon, t'étais en vie. Ta main se glissa le long de ta jambe. Ouais, t'avais toujours tes jambes, c'est bien. T'as mal nulle part. Tu ne dois pas être défiguré. Du moins, tu l'espères. C'était rassurant de voir qu'elle s'y connaissait dans le domaine du meurtre. Très rassurant. Tu baisses les yeux. « On va dire que je vais prendre ça comme un compliment ? Alors, merci. Évite la blonde, je préfère Faith. » Tu ne pus t'empêcher de sourire, et tu relevais les yeux vers elle. Faith. C'était un joli prénom. Tu ne l'avais jamais entendu auparavant, alors ouais, ça devait probablement être un joli prénom. Tu sais pas trop ce qui est joli ou pas. Tu sais que ton nom est simple. Tu es simple, faut dire. « Des questions intelligentes à me poser ? Ce n'est pas un kidnapping, déjà. » Tu souris à nouveau. C'était déjà ça.

Tu bailles avant de poser le verre sur la table. " J'aime bien ton prénom. Et bizarrement je suis content que tu me l'aies dis. Et que tu m'aies pas tué, par la même occasion. Je suppose que je dois t'en être reconnaissant." Tu hochais la tête pour acquiescer à tes propres paroles. C'était sincère. Jamais tu n'aurais cru te retrouver un jour à devoir dire ça à quelqu'un, mais bon, la vie fait parfois des choix étranges. " Ta maison a l'air cool. Ton repère de super méchante, ou j'sais pas quoi. J'aime bien. Ton canapé est confortable, c'est déjà ça." Tu hausses les épaules avant de poser à nouveau tes yeux sur elle. " Je suppose que si je te demande ce que tu es, tu ne me répondras pas, que ce soit parce que tu n'en as pas envie ou parce que je devrais pas savoir..." Mais t'étais curieux, et même si tu devrais pas savoir, t'aimerais beaucoup. T'aimerais comprendre. Peut-être que personne n'avait réussi à la comprendre. Ce n'était pas un livre ouvert et malgré ton envie de déceler sa réelle identité, elle ne s'ouvrirait pas. Surtout pas à toi. " Pareil pour la raison de ta balle dans ton épaule..." Tu te mordis la lèvre. " Elle est où? Comment t'as pu l'enlever? J'me souviens pas l'avoir fait...." T'es beaucoup trop curieux. Tu poses trop de questions. Tes lèvres te brûlent, ta langue s'enflamme. Ta curiosité était piquée à vif avec cette fille et tu avais besoin de comprendre. Tu avais envie.