STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN
i fall asleep in my own tears, i cry for the world, for everyone.
Je suis née le jour de Noël. Enfin, plus précisément, je suis née dans la nuit du 24 au 25 décembre, entre 23h et 2h du matin. Je pense que si j'avais pu choisir un autre moment, ça aurait facilité la vie de tout le monde. Effectif réduit à l'hôpital, nuit noire, froid intense... J'ai même tiré ma mère de son sommeil alors qu'elle avait enfin réussi à le trouver, après plusieurs jours difficiles. Pour une entrée dans le monde fracassante, on peut dire que c'était réussi.
Mes parents, faisaient partie de la classe moyenne suédoise. Papa travaillait au siège de l'ambassade en tant que secrétaire et maman était professeur d'anglais. Par voie de fait, nous vivions à Stockholm toute l'année mais nous passions nos vacances en famille, à Karlstad, mon lieu de naissance.
Je n'ai pas beaucoup de souvenir des premières années de ma vie. En fait, je n'en ai pas du tout. Je me suis construite des images, à partir des photos et des anecdotes que ma mère me racontait.
Apparemment, j'ai commencé à marcher très tôt et à 16 mois, je savais faire mes premières phrases complexes. Je n'étais pas un enfant très turbulent mais il fallait constamment me trouver des jeux et des occupations de plus en plus complexes, sans quoi je m'ennuyais. Vers mes deux ans, mes parents ont été sauvés de ce calvaire constant par une boîte de crayola et un paquet de feuilles blanches. Je pouvais rester occupée pendant des heures, tant que j'avais de quoi gribouiller.
Rapidement, mes parents ont repris le travail et je suis allée au jardin d'enfants. Je crois que c'est à ce moment là que les professeurs ont commencé à se douter que quelque chose ne tournait pas tout à fait rond chez moi. D'après les rapports que j'ai lus, je n'arrivais pas à m'entendre avec mes camarades, que je trouvais "trop bêtes". Personne n'arrivait à m'amuser parce que les jeux étaient "trop simple" et je manifestais beaucoup d'incompréhension quand je voyais que les autres ne comprenaient pas les exercices aussi vite que moi.
Je devais avoir autour de 5 ou 6 ans quand mes parents m'ont emmenée voir une psychologue. Je me rappelle vaguement de son bureau, que j'avais trouvé très grand et sombre. Ce dont je me rappelle beaucoup mieux, c'est de la quantité de jeux qu'elle m'a mis sous le nez, tout en me posant des questions. Je m'en suis donnée à coeur joie pendant la séance, sans vraiment comprendre de quoi il retournait.
Le soir même, le verdict était tombé pour mes parents. J'avais 149 de QI et j'étais classée, de ce fait, dans les potentiels intellectuels exceptionnels.
Pour mes parents, ça avait été une surprise et une fierté, d'une certaine façon. Mais pour moi, c'était un fardeau. Mon esprit surdéveloppé s'est toujours accompagné d'une grande difficulté à me socialiser. A l'école, les professeurs me prenaient en exemple, suscitant la jalousie de mes petits camarades. Je n'arrivais pas à les comprendre, je n'arrivais pas à leur parler sans les rabaisser, involontairement. J'ai passé beaucoup de récréations seule avec des livres ou des crayons de couleur. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi les autres me rejetaient, me brimaient. Petit à petit, alors que je gagnais des années et que j'entrais progressivement dans l'adolescence, je suis devenue hautaine et cassante. Je sais que de nombreuses personnes me reprochaient un orgueil démesuré. Mais lorsque l'on grandit seule, sans amis, vulnérable, l'arrogance finit par devenir l'unique moyen de défense à disposition.
À mon entrée au collège, j'avais réussi à me constituer un petit groupe d'amies. C'était difficile, j'avais deux ans de moins que les autres à cause de mes sauts de classe. Nous étions toutes un peu perchées, à notre manière. Je me rappelle de chacune d'entre elle. Charlotte, qui était petite et colérique mais la première à faire des bêtises pour nous faire rire. Il y avait aussi Swann, une grande discrète qui faisait beaucoup de poésie et il y avait Marysa, qui avait redoublé mais qui nous chapotait presque comme une maman. Qu'est-ce qu'on avait pu s'amuser ensemble. Nous passions nos récréations assises dans un coin à lire des bandes dessinées en silence ou à jouer à des jeux d'enfants. Les autres nous méprisaient pour notre décalage. C'était comme si nous avions décidé d'évoluer avec 3 ans de retard par rapport aux autres. Les filles parlaient déjà de garçons, portaient des vêtements plus serrés, plus raffinés, alors que nous jouions à chat perché, en short et tshirt larges de gosses. C'était peut-être anormal, mais cela nous rendait heureuses.
Quand j'ai eu 12 ans, mes parents m'ont annoncé que je faisais ma dernière année d'école en Suède. Papa était muté au Consulat à Philadelphie et ma mère avait trouvé un emploi en tant que professeur (de suédois cette fois) sur place. J'ai vécu ce déménagement comme la dernière des injustices. J'avais enfin trouvé ma place, des amies qui m'acceptaient pour ce que j'étais et il fallait que je les quitte. Nous nous étions promis de rester en contact mais je savais, tout au fond de mon coeur d'adolescente, que le décalage horaire et l'éloignement géographique auraient raison de notre amitié. L'année suivante, nous ne nous donnions déjà plus de nouvelles. Elles devaient avoir de la peine à me contacter et je ne les aidait pas, réfugiée dans mon idée qu'elles me remplaceraient facilement. Peut-être qu'en fin de compte, nous aurions pu rester amies si je n'avais moi-même pas décidé de fuir.
Ma scolarité aux États-Unis s'est montrée beaucoup plus compliquée qu'en Suède. Je me suis rendu compte que là bas, nous étions choyés en tant qu'élèves, et que les professeurs veillaient à ce que nos interactions sociales soient encadrées et que la violence soit limitée. Les brimades que j'avais subies n'étaient rien en comparaison de celles qui m'attendaient dans mon nouveau lycée. Boulettes de papier mâché, petits mots assassins, tags et griffures sur mon casier... Même les professeurs semblaient agacés de ma faculté à tout comprendre rapidement. Ils ne se gênaient pas, alors, pour me poser des questions si complexes pour mon niveau qu'il était alors impossible pour moi d'avoir la réponse. Dans ces moments là, j'étais paniquée, en colère contre moi-même pour ne pas avoir pu résoudre le problème donné, humiliée par la classe dans son ensemble.
Au début, je tenais tête aux autres, je ne me gênais pas pour dire ce que je ressentais. Puis, petit à petit, je suis devenue discrète, docile. J'ai appris à me fondre dans le moule, à tenter de ne pas me faire remarquer. Parfois, j'ai même volontairement inscrit de mauvaises réponses sur mes évaluations pour ne pas être la première de la classe.
Il n'y avait qu'en Art Plastiques que je me sentais bien. D'ailleurs, les quelques amis que j'ai pu me faire au lycée faisaient partie du club de dessin. Les autres relations que j'avais pu lier s'étaient faites avec des gens rejetés par la majorité, comme moi. En fait, nous étions ensemble, pas tant parce que nous nous aimions mais parce que personne d'autre ne voulait de nous.
Petit à petit, j'ai réussi à venir au bout de ma scolarité secondaire. Entre temps, j'ai connu quelques mois de bonheur avec Adrian, un garçon sourd qui venait aux cours d'art. C'est lui qui m'a appris la langue des signes. Nous aurions pu rester longtemps ensemble, mais il a fini par se rendre compte qu'il ne se voyait pas continuer sa vie amoureuse dans les bras d'une fille. J'ai été très triste mais je ne lui en ai jamais voulu. Je me demande ce qu'il est devenu, aujourd'hui...
Au cours de ma dernière année de lycée, j'ai dû choisir une université alors que je n'avais que 16 ans. Le choix était difficile, je voulais faire tellement de choses dans ma vie ! Ma mère disait que j'aurais dû avoir 9 vies, comme un chat, pour pouvoir satisfaire ne serait-ce que le tiers de mes ambitions. J'aurais aimé aller en école d'Art, mais mes parents refusèrent. Il fallait que j'aie un "vrai" métier et que je fasse de "vraies" études. Par semi dépit, je suis allée étudier la chimie, un autre domaine qui m'intriguait. La passion était moins présente mais je réussissait toujours bien. Mes professeurs pensaient que j'allais devenir thésarde mais c'était sans compter sur un nouvel événement qui allait bouleverser ma vie.
Maman est tombée malade. On lui a diagnostiqué une leucémie à un stade avancé, il n'y avait que peu d'espoir pour elle. Comme elle avait cessé de travailler, papa mettait des bouchées doubles à l'ambassade pour pouvoir nourrir notre famille et lui donner les meilleurs soins possibles. Ça a commencé pendant ma deuxième année de fac, alors que j'avais 18 ans. Les médecins ne lui donnaient pas six mois, mais elle s'est accrochée, des années durant. Son état n'empirait pas, mais il n'y avait pas d'amélioration. Papa fatiguait avec le travail et mes études me prenaient trop de temps. A chaque fois que je revenais de ma chambre étudiante, je trouvais la maison dans un état pitoyable. Je réfléchissait de plus en plus à abandonner mon cursus pour commencer à travailler et être plus disponible pour ma famille mais ma mère m'a toujours poussée à profiter de mon avance pour que je sois la plus qualifiée possible. J'ai choisi de continuer, pour qu'elle soit fière de moi. Mais la savoir dans un tel état perturbait mon apprentissage. Mes résultats commençaient à chuter et je suis entrée dans une phase de dépression pendant ma troisième année d'université.
J'aurais pu tout abandonner à ce moment là, mais la psychologue que je consultait m'a littéralement donné des ailes. J'ai pu rattraper mon retard et valider mon diplôme, certes avec une note plus que moyenne, mais je n'avais pas à redoubler.
J'ai pu continuer encore deux ans. Au cours de ma vingt-et-unième année, je validais mon master en chimie appliquée. J'aurais pu continuer sur un doctorat mais un simple texto a suffi à me faire stopper ma scolarité.
"Papa est parti."
A la lecture de ce message, j'ai senti un monde s'écrouler autour de moi. Fatigué de gérer son travail et une femme gravement malade, mon géniteur avait préféré abandonner complètement le navire. Pendant tout l'été, c'est moi qui ait dû gérer les papiers administratifs relatifs au divorce, tout en cherchant un emploi. Heureusement, ma mère avait parfois suffisamment de force pour m'aider et elle avait une amie avocate qui a gentiment accepté de nous conseiller dans la marche à suivre. J'ai réussi, et j'en retire beaucoup de fierté, à forcer mon père à verser une rente bien plus conséquente que ce qu'il avait convenu. Malgré tout, ce n'était pas suffisant pour permettre à la fois de soigner maman et de poursuivre mes études.
Rapidement, je suis arrivée à trouver un premier emploi dans un laboratoire qui fabriquait des cosmétiques. Je faisais de mon mieux pour avoir des horaires pratiques qui me permettaient d'être souvent à la maison pour aider ma mère. J'avais peu d'heures par jour, mais je n'avais qu'un jour de repos toutes les deux semaines.
Nous avons réussi à vivoter comme ça pendant encore deux ans.
C'était le 26 décembre 2015. Nous venions de fêter Noël et mon vingt-troisième anniversaire. Maman souriait et elle pouvait même se lever et marcher seule, ce qui n'était pas arrivé depuis des mois. J'avais dû partir travailler de bonne heure mais je lui avais laissé de la dinde dans le micro ondes et des cookies sur la table du salon. Elle m'avait envoyé plusieurs textos pour me dire qu'elle allait bien et qu'elle m'aimait. Sur le chemin du retour, j'avais acheté un gâteau à la carotte, son préféré. L'odeur de la crème au beurre embaumait ma voiture et me rappelait des souvenirs qui remontaient à mon enfance.
En fredonnant, j'ai passé la porte de la maison et j'ai appelé ma mère. Le silence m'a répondu mais je n'ai pas fait plus attention que cela. J'ai pensé qu'elle faisait une sieste dans sa chambre. Avec entrain, j'ai coupé une part de gâteau et j'ai fait un thé à la cannelle. J'avais tout disposé sur un plateau et je suis montée discrètement afin de la réveiller avec les bonnes odeurs du goûter.
Comme je m'y attendais, elle était dans sa chambre.
Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'elle n'était pas allongée sur le lit, mais pendue à l'une des poutres du plafond.
J'ai mis longtemps à comprendre son geste. J'ai passé des mois à réaliser à quel point, malgré mes efforts, elle se voyait comme un fardeau pour moi. je n'avais pas vu que la maladie la fatiguait tellement qu'elle avait préféré chercher la mort plutôt que d'attendre son arrivée.
J'ai passé presque toute l'année qui a suivi en dépression. J'avais quitté mon boulot, je ne mangeais plus. Je quittais à peine mon lit pour aller aux toilettes. Je ne brossais même plus mes longs cheveux blonds.
Je suis restée là, à me laisser dépérir. Je n'ouvrais plus ma boîte aux lettres, je n'utilisais plus d'électricité, je ne payais plus les factures. Je mangeais si peu que les quelques économies que j'avais m'ont permis de me nourrir pendant plusieurs mois. Plusieurs fois, j'ai songé à mourir. Moi, que la mort angoissait tellement, je voulais quitter ce monde. Mon père a essayé de me contacter, plusieurs fois. Je ne lui ai jamais répondu.
Puis, un matin, je me suis relevée et j'ai attrapé un carnet et des crayons. J'ai recommencé à dessiner, frénétiquement. Petit à petit, je me levais de plus en plus tôt pour créer. Puis, j'ai commencé à faire du ménage, à mettre de l'ordre dans mes comptes. J'ai payé mes factures grâce aux mois cumulés de rente que je n'avais pas touché. J'ai envoyé des CV. Je suis allée chez le coiffeur, pour couper ma masse blonde bien trop emmêlée.
J'ai recommencé à vivre. Frénétiquement. Le dessin m'avait sauvée.
Quelques mois après ce premier coup de crayon, j'ai reçu une offre d'emploi pour une entreprise pharmaceutique à Radcliffe. Le poste était bien en dessous de mes compétences mais la paye était bonne et les horaires suffisamment confortables pour que je puisse me consacrer à mon art.
En moins de deux semaines, j'avais mis la maison en vente, trouvé un appartement et déménagé dans le Kentucky. Une nouvelle vie me tendait enfin les bras.