Charlie regardait de sa fenêtre un homme ensanglanté courir dans les rues vides de Radcliff. Il trébuchait à chacun de ses pas, il ne cessait de regarder derrière lui comme s’il tentait péniblement de se cacher de son agresseur. Elle le regardait de là où elle était, sans oser descendre pour l’aider à rentrer chez lui. Depuis le dépistage, des individus sortent la nuit et assassinent des gens de sang-froid. Le couvre-feu a été mis en place pour protéger les habitants de la ville de ces attaques. Malgré son altruisme, Charlie s’aimait assez pour ne pas se mettre en danger. Elle voulait vraiment l’aider, de tout son cœur mais elle n’osait pas. Elle n’était pas suffisamment courageuse pour faire un tel geste. A la place, elle était placée derrière sa fenêtre et elle regardait le spectacle qui s’offrait à elle. L’homme disparut derrière des rues et des bâtiments qui sortaient de son champ de vision puis juste derrière lui, elle vit un enfant –c’était ce qu’il était pour elle–. Il devait avoir pas plus de dix-sept ans et pourtant, c’était une arme qui portait à la main. Il suivait exactement le même chemin que le blessé, se repérant grâce au sang qu’il avait semé derrière lui. Puis lui aussi disparut derrière ces mêmes rues et bâtiments. Elle n’entendit qu’un coup de feu. Un pan! qui résonna jusqu’à ses oreilles. Charlie attrapa sa veste et sortit de chez elle. C’était la première fois qu’elle brisait le couvre-feu, la première fois qu’elle défiait la loi. Les mains dans les poches, le froid agressait sa peau mais elle continuait de marcher dans la pénombre. Elle suivit alors le sang au sol elle aussi. A la fin de la trace, c’était un homme agonisant au sol qui luttait pour s’accrocher à la vie. « Oh mon Dieu ! » Elle accourra aussitôt à ses côtés, elle prit sa tête dans ses mains et elle le regarda recracher du sang. Le gamin était parti et il avait mal tiré ou il avait volontairement choisi de laisser sa cible dans une lente douleur. « Hey, hey ! Regarde-moi, t’as pas à mourir seul ! » Sa vision disparaissait derrière un amas de larmes qui lui brouillèrent la vue. Elle cligna plusieurs fois les yeux et les larmes tombaient sur la victime. Elle ne connaissait pas son nom, ce n’était qu’un inconnu qu’elle refusait de laisser mourir seul en plein de la rue, abattu par un gamin de dix-sept ans, probablement un de ces hunters.

Charlie entendit le dernier soupir sortir de la bouche de l’homme qu’elle tenait dans ses bras. Elle reposa sa tête au sol puis elle sortit son téléphone de la poche pour appeler la police. Elle aurait peut-être dû le faire plus tôt mais elle savait que c’était inutile et qu’il était déjà mourant. Elle laissa un message paniqué puis elle quitta cette rue, le laissant seul. La police se chargera de reconnaître son corps, elle ne voulait pas avoir à faire de déposition ou quoique ce soit. Elle quittait cette rue dans l’espoir de rentrer chez elle sans problème. « Je peux savoir ce que vous faites à l’extérieur après le couvre-feu. » Elle entendit cette voix sortir de nulle part. Elle soupira un instant, c’était précisément pour ça qu’elle ne sortait jamais après le couvre-feu. Elle se retourna lentement, regardant son interlocuteur. « Je..Je.. » Elle était incapable de dire qu’elle venait de regarder un homme mourir dans ses bras et qu’elle l’avait abandonné à son tour tout seul.  « Si une patrouille vous trouvait ici, vous seriez dans de graves ennuis. » Elle fit quelques pas et prit un air désespéré sur son visage. « Je rentrais juste chez moi. S’il vous plait, n’appelez pas la police… » Elle la suppliait presque du regard, c’en était pathétique de sa part. Charlie avait déjà appelé et il ne tarderait pas à arriver, elle voulait juste partir loin de tout ça avant leur arrivée. Elle n’a jamais voulu être mêlée à ça, elle était juste trop sensible et un peu trop humaine parfois. La rouquine espérait que la jeune femme ne la retienne pas d’avantage afin qu’elle puisse s’en aller tranquillement et oublier cette soirée difficile. « Je ne veux pas d’ennuis. Ni avec vous, ni avec personne. Ne dîtes rien, s’il vous plaît. »

Tâchée de sang, Charlie s’efforçait de rester dans l’ombre. Elle ne savait pas à qui elle avait affaire mais la voix féminine de son interlocutrice ne lui inspirait pas confiance. C’était un ton beaucoup trop formel et autoritaire, c’était sans doute une fonctionnaire de l’état. Elle voulait juste rentrer chez elle mais on la retenait. Ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle sentait ses larmes monter aux yeux, elle craquait. Pourquoi ne pouvait-on pas la laisser tranquille juste une seconde ? Elle regardait autour d’elle avec un air de panique, comme si elle cherchait de l’aide dans les visages familiers qui pourraient passer par là, mais il n’y avait personne. Personne n’allait venir pour elle. Elle pouvait essayer de courir, de s’enfuir juste pour éviter l’embarras de répondre à des questions auxquelles elle ne connaissait pas les réponses mais les échappatoires proposées menaient toutes à des culs de sac. « La police ? Qu’est-ce qui se passe ? » Elle pleurait doucement toujours en la regardant, la suppliant du regard de la laisser partir sans poser plus de questions. Un transmutant venait de mourir dans ses bras, on pourrait la mener en procès et la mettre derrière les barreaux pour violation du Traîté mais ce n’était pas elle la meurtrière ici. Elle était juste la fille malchanceuse qui trouvait les cadavres. « Je ne veux pas créer d’ennui, je veux vous aider. » Elle fronça les sourcils en essayant d’arrêter ses larmes, le regard plongé vers le sol, elle reniflait légèrement. « Si vous voulez vraiment m’aider, partez et faites comme si vous n’avez rien vu. » La conseillait-elle sans la regarder. « Si vous me dites ce qui se passe je pourrais vous aider. » Quelle impasse, la jeune femme ne semblait pas comprendre. C’était mieux pour elle d’ignorer ce qui se passait. Parfois l’ignorance est la seule chose qui ne peut pas nous faire de mal. Charlie inspira fortement en détournant le regard et s’avança dans la lumière que la lune reflétait. Il y avait assez d’éclairage pour voir le sang qu’elle avait sur elle dû à la blessure de la victime qui avait coulé sur elle lorsqu’elle l’a pris dans ses bras. « Je viens de voir quelqu’un mourir juste devant mes yeux... » Annonça-t-elle avec un visage plus terrifié que jamais. « Il est mort dans mes bras et…et le tueur s’est envolé. » Elle sentait des sanglots passer à travers sa gorge, elle étouffait de l’intérieur. Dire à une inconnue qu’elle avait vu quelqu’un mourir, c’était tout sauf quelque chose d’innocent. Elle espérait encore qu’elle n’appellerait pas la police après cette révélation mais Charlie était si naïve.