Meredith était triste. Elle était triste parce que toute la journée, les petits vieux dont elle s’occupait lui avaient demandé si elle voulait des bonbons pour Halloween, et à chaque fois elle avait du leur rappeler que ce n’était plus de son âge. Elle était triste à cause d’un gamin qui était passé en trombe devant elle, déguisé en petit vampire, et qu’elle l’avait trouvé trop mignon. Elle était triste parce qu’il y avait eu du brouillard toute la journée et qu’elle détestait ça. Elle était triste pour tout un tas de petites raisons un peu idiotes, qui n’avaient aucune importance, mais qui soudain, aujourd’hui, avaient eu de l’importance. Et toutes ces petites choses les unes à côté des autres avaient fini par lui miner le moral. Alors quand elle était sortie de la maison de la dernière personne dont elle s’occupait, une femme qui avait presque perdu la vue mais qui était toujours d’une gentillesse sans borne – encore une raison d’être triste ! – Merry s’était secouée. Pour ce soir d’Halloween, elle ne voulait pas déprimer chez elle, surtout pas pour des raisons aussi futiles qui ne manqueraient pas de rappeler des raisons bien plus légitimes de déprimer. Elle ne voulait pas finir sa soirée à pleurer en mangeant une crème glacée devant une comédie romantique, c’était vraiment trop pathétique. Elle n’avait pas réfléchi, elle était entrée dans une boutique de déguisements et elle avait acheté un des derniers costumes encore disponibles, ainsi qu’une palette de maquillage de fête, et elle était rentrée chez elle, déjà plus euphorique. Elle se souvenait d’un flyer qu’elle avait reçu, l’invitant à une gigantesque fête en bordure de la ville, et elle venait de décider d’y aller. Elle se prépara chez elle, enfilant son costume de zombie et s’amusant à se maquiller en s’inspirant de vidéos piochées sur youtube, et elle quitta son appartement pour la maison de Mrs Greene, l’humeur déjà remontée en flèche. Une fois sur place, elle se dirigea droit vers une table couverte de boissons, et se servit un verre d’un liquide non identifié, mais dont le fort taux d’alcool convint parfaitement à la jeune femme. Après avoir descendu son premier verre, elle se mit à déambuler dans la maison. Elle ne connaissait personne, et tout le monde semblait être venu en groupe, mais ça lui importait peu. Elle finirait bien par trouver des gens avec qui passer la soirée ! Voire même la nuit … Elle n’était vraiment pas pressée de retourner chez elle.

Elle traversa plusieurs salles aux décors effrayants, remplissant son verre chaque fois qu’elle le pouvait, ricanant doucement en voyant les toiles d’araignées factices et les lumières qui clignotaient de façon lugubre. Et puis soudain, elle poussa une petite exclamation de surprise en découvrant l’étendue bleue d’une piscine couverte derrière une nouvelle porte. Ca, c’était la classe ! Cette maison avait vraiment tout, jusqu’à la piscine intérieure ! Et Merry adorait les piscines … Elle s’avança dans la pièce et vit quelqu’un s’approcher d’elle. Son visage s’éclaira quand elle reconnu Slade, et elle lui fit un grand sourire derrière son maquillage terreux de zombie. « Slade ! » Elle était toute contente de le voir, la soirée serait bien plus drôle avec lui, mais elle fut déçue qu’il ne soit pas déguisé. Il fallait quand même avouer qu'elle avait complètement oublié de lui demander s'il voulait venir ... Mais lui aussi. « Et toi, tu m’as pas dit non plus que tu serais là ! Pourquoi t’es venu si t’es même pas déguisé ? » Elle s’approcha encore de lui, sans se douter un instant de ce qu’il avait derrière la tête, et elle poussa un grand cri quand il la prit dans ses bras pour la balancer dans la piscine. Elle fut incapable de se rattraper et tomba en éclaboussant tout autour d’elle. Elle ressortit la tête et continua de pousser des cris, avant de se passer les mains sur le visage : elles réapparurent toutes tachées du maquillage qu’elle avait préparé avec tant d’application. « Noooooon Slade ! T’as ruiné tout mon maquillage ! Et mon superbe costume ! » Elle prit appui sur le bord de la piscine et se hissa au-dehors, avant de foncer sur le jeune hunter, l’empoigner par la taille et le pousser dans la piscine, où elle sombra en même temps que lui. « Banzaïïï !!!! Pour m’avoir mise à l’eau et pour pas m’avoir prévenue que tu venais toi non plus ! » S’écria-t-elle en ressortant la tête de l’eau. C’est à ce moment que les lumières s’éteignirent pour de bon, les laissant pendant plusieurs secondes dans le noir le plus complet, avant qu’elles ne se remettent à clignoter faiblement. Merry regarda les ampoules au-dessus de leur tête en fronçant les sourcils, puis s’en détourna pour éclabousser Slade. « Bon alors, il est où ton déguisement de loup-garou ? »

Ce qui s’annonçait juste comme une soirée à boire comme un trou avec des étrangers avec qui elle se lierait juste pour quelques heures, bien aidée par l’alcool, commençait à prendre une autre forme. Avec l’apparition de Slade, la soirée ressemblerait sans doute bien plus à toutes celles qu’ils avaient faites ensemble quand ils étaient encore au lycée. Des beuveries aussi, certes, mais c’était toujours plus drôle avec une tête connue. Et ça commençait bien … Déjà dans l’eau, alors qu’ils venaient à peine de se dire bonjour ! Ca rappelait à Merry des bons souvenirs, quand ils étaient encore jeunes, insouciants, la tête pleine de leurs petits problèmes sans importance. Qui sortait avec qui, où aurait lieu la prochaine fête, quelle note à l’interro de maths ? C’était bien loin, tout ça, il y avait eu beaucoup de drames depuis et ils avaient été profondément changés par ces épreuves. Mais ce soir, ils retrouvaient la légèreté de leurs 16 ans, il n’y avait rien qui viendrait les empêcher de s’éclater et d’oublier leur vie trop sombre de jeunes hunters. « Et tu l’as abandonné où, Calvin ? » Fit Merry en regardant autour d’elle, mais la piscine était vide, si ce n’est eux deux qui pataugeaient comme des chiens mouillés, avec leurs vêtements trempés. Le frère de Slade devait être en train de profiter de la fête dans une autre salle, et Merry se sentit sincèrement heureuse qu’il retrouve une vie à peu près normale après son traumatisme. Elle préféra ne pas poser plus de questions à son sujet ; puisqu’ils étaient là pour s’amuser, elle ne voulait pas plomber l’ambiance en amenant un sujet trop lourd.

Elle leva les yeux au ciel quand il fit semblant d’être désolé pour son maquillage, puis quand il reconnu qu’il aurait pu penser au loup-garou, leur sujet de prédilection pendant leur dernière chasse ensemble. Mais il n’avait vraiment pas réfléchi en venant ici ! C’est vrai que loup-garou, ce n’était pas le truc le plus facile à faire quand on n’avait pas le temps … Mais au moins deux touffes de poils en guise de sourcils et des fausses dents, ça aurait pu faire l’affaire non ? S’il l’avait appelée, il n’en serait pas là, elle se serait occupée de lui ! « Ouais, les cerveaux c’est mon péché mignon. En salade, ça donne bonne mine et ça rend plus intelligent ! Et puis surtout, c’était le dernier truc dispo au magasin … Je me suis décidée cet après-midi en sortant du boulot, j’avais pas prévu de venir non plus, à la base. » En une brasse, elle se rapprocha de lui, se passa la main sur le visage et le barbouilla avec les coulures grises, marrons et vertes qui avaient été auparavant une superbe mise en beauté zombie. Elle lui dessina même un semblant de moustache au-dessus de la bouche, puis elle posa ses mains sur ses épaules et le contempla en riant, assez fière du résultat. « Tiens, voilà ! Puisque t’es pas fichu de trouver un pauvre déguisement pour Halloween, on va être assortis. Les deux clodos qui se sont pas lavés depuis deux ans, c’est classe non ? » A nouveau, les lumières s’éteignirent, pendant plus longtemps cette fois. Ils étaient au milieu de la piscine, dans le noir, et Merry songea qu’ils devraient sortir pour aller signaler qu’ils étaient là et qu’il fallait remettre la lumière. Peut-être que personne n’était censé venir ici, mais dans ce cas il ne fallait pas laisser la porte déverrouillée … Elle resserra machinalement son étreinte autour des épaules de Slade. Ce n’était pas qu’elle avait peur du noir, ni même de se noyer, mais elle n’aimait pas être dans l’eau sans rien y voir, c’est tout. Mais avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit, elle sentit quelque chose lui frôler la cheville, et elle s’écarta vivement en éclaboussant autour d’elle. « Arrête ça, Slade ! » Dans le noir, ce jeu ne la faisait pas rire du tout et elle espéra qu’il le comprendrait, mais elle sentit à nouveau un frôlement sur sa cheville, puis contre son mollet, et elle poussa un cri nerveux. « Arrête ! C’est pas drôle !! » La lumière revint à ce moment là, tremblotante et plus faible que jamais, les éclairant d’une lueur incertaine, et Merry écarquilla les yeux. Slade était à quelques mètres d’elle, il ne pouvait pas la toucher. Par contre, l’ombre gigantesque qu’elle voyait sous elle, et qui se rapprochait … « Qu’est-ce que c’est que ça ? Y’a un truc dans l’eau !! » Elle commençait à paniquer, et quand la chose lui attrapa la cheville, elle se mit à hurler et à se débattre. Elle ne songea même pas à se rapprocher du bord pour sortir de l’eau, déjà persuadée qu’elle allait être entraînée au fond par la bête.

Merry avait toujours aimé nager, dans les eaux sûres et bien délimitées des piscines. Dans ces conditions, elle pouvait barboter toute la journée, faire des longueurs, plonger sans aucun problème. Mais quand il s’agissait d’étendues naturelles, que ce soit un étang ou l’océan, elle était d’un coup bien moins assurée. Elle restait sagement près du bord, là où elle était certaine d’avoir pied. Si elle se faisait entraîner plus loin, elle nageait vite pour rejoindre le bord, et tout rentrait dans l’ordre. Elle détestait tout ce qui se rapportait aux fonds des eaux : algues, crabes, poissons … requins … Elle était épouvantée quand elle regardait des vidéos de personnes nageant à côté de baleines, elle ne comprenait vraiment pas ce qu’ils pouvaient en retirer. Bref, l’eau en dehors des piscines bien nettes et bien chlorées, ça ne l’intéressait pas – et en cherchant bien, elle pouvait même reconnaître que ça lui faisait peur. Elle n’avait donc aucun problème à faire trempette avec Slade dans ce bassin couvert, au milieu de la maison de Mrs Greene, puisqu’aucune bestiole, aucune plante gluante, aucun courant ne pouvait les déranger. Ils s’amusaient en toute sécurité, elle le peinturlurait avec son maquillage dégoulinant, ils cherchaient ce que leur tout nouveau costume pouvait représenter, ils s’éclaboussaient … Ils faisaient les gamins, comme ils n’avaient plus vraiment l’habitude ni l’occasion de le faire depuis qu’ils étaient devenu des hunters. Et Slade s’amusait à lui faire peur en imitant une bestiole qui lui touchait les pieds, elle avait bien compris son petit manège … Sauf que ce n’était pas lui. Il se trouvait trop loin d’elle, et il y avait vraiment quelque chose dans l’eau. La piscine paraissait soudain beaucoup plus profonde, et quand Merry fut tirée sous l’eau par la créature, elle n’eut pas le temps de prendre sa respiration. Elle était en train de hurler et sa bouche se rempli d’eau chlorée alors qu’elle était attirée vers le fond, et elle n’eut même pas le bon sens de se débattre, tétanisée par la terreur de se retrouver noyée. Ses poumons la brûlaient déjà, et elle voyait les tentacules noirs de la chose qui l’entouraient, qui se serraient contre elle, elle sentait leur contact froid et gluant … Mais elle sentit qu’on lui attrapait le poignet, qu’on la tirait vers la surface, et la créature la lâcha sans opposer de résistance. Merry émergea en aspirant une grande goulée d’air, merveilleuse sensation de délivrance qui la fit tousser et recracher toute l’eau qui s’était infiltrée dans ses poumons. Slade la tira jusqu’au bord et elle se débattit à moitié pour qu’il aille plus vite, pour qu’ils sortent de cette eau infestée de monstres géants qui n’attendaient qu’un moment d’inattention pour les envoyer à nouveau vers le fond. Quand il la hissa hors de l’eau, elle s’agrippa à lui et recula du mieux qu’elle put pour se mettre à l’abri, recroquevillant ses jambes sur son torse, les yeux fixés vers l’eau. Sous le choc d’avoir failli finir noyée, elle resta accrochée à Slade, les épaules secouées de sanglots nerveux. « Elle m’attend ! La bête, elle m’attend, elle voulait me … me … ! Regarde, regarde ! » Elle pointa fébrilement les eaux de la piscine où elle voyait encore la gigantesque masse noire du monstre marin qui tournait patiemment en attendant de pouvoir saisir à nouveau sa proie. « Comment … Comment ils peuvent avoir un truc pareil dans … dans leur piscine ? »

Slade avait tiré Merry hors de l’eau, loin des tentacules gigantesques du monstre, en sûreté. Pourtant Merry ne parvenait pas à se calmer, ni même à regarder ailleurs que vers la piscine où, elle l’aurait juré, elle voyait encore tourner lentement le monstre. La panique faisait tambouriner son cœur dans sa poitrine et tous ses membres étaient secoués par des tremblements irrépressibles. Elle inspirait par à-coups, les poumons compressés dans un étau qui ne voulait pas se relâcher, pas même alors que Slade lui assurait qu’elle était sauvée. Elle voulait le croire, mais comment est-ce qu’elle le pouvait, alors qu’à quelques mètres d’eux il y avait cette chose qui les attendait encore ? Sa peur redoubla quand il la lâcha pour retourner vers la piscine, et elle voulu crier un avertissement terrorisé, mais le seul son qui franchi sa gorge fut un borborygme inarticulé. Elle serra ses jambes contre sa poitrine, autant pour se réchauffer que pour se rassurer, et secoua violemment la tête quand Slade affirma que ça n’existait pas. « Si ça n’existe pas, c’était quoi ce truc ? » Fit-elle avec force, d’une voix éraillée par la peur et les quintes de toux. Mais alors qu’elle reposait ses yeux sur la piscine, elle vit qu’il n’y avait plus rien. L’eau était bleue, limpide. En une seconde d’inattention, le gigantesque monstre avait disparu. « C’est … Mais … J’ai pas rêvé ! Y’avait vraiment un truc qui m’a attirée au fond ! Il a du … Utiliser les conduits d’eau, ou je sais pas quoi, mais c’était là ! Tu l’a vu toi aussi, non ? » C’était incroyable qu’il ait pu disparaître aussi vite, et ça mettait Merry très mal à l’aise. Elle était bien d’accord avec Slade, il valait mieux partir, et vite. Elle prit sa main et s’appuya sur lui pour se relever, les jambes encore flageolantes.

C’est à ce moment là qu’un bruit incongru se fit entendre. Merry mit quelques secondes avant de le reconnaître, et elle fronça les sourcils. Une tronçonneuse, ici ? Ca n’avait aucun sens. Qui donc pouvait bien couper du bois à une heure pareille, dans une maison pleine de gens venus faire la fête ? Mais peu habituée aux films d’horreurs et aux jeux vidéos que Slade affectionnait, Merry ne vit pas là une menace quelconque, elle en conclut simplement qu’il devait y avoir un garage ou un atelier à côté de la piscine, et que le propriétaire voulait faire des travaux. A cette heure-ci, c’était bizarre, mais après le monstre marin, la jeune femme ne s’étonnait plus de rien. Seulement, à ses côtés Slade s’était raidi, comme s’il pressentait quelque chose qu’elle ne voyait pas. « C’est rien, Mr Greene doit avoir un établi pas loin. » Mais elle attrapa le bras de Slade et le tira en arrière. « Viens, on s’en va, je veux pas rester ici. » Mais alors qu’elle prononçait ces mots, une porte de l’autre côté de la pièce s’ouvrit, et le bruit de tronçonneuse devint presque assourdissant. Quelques secondes plus tard, la silhouette d’un homme se découpa à travers la porte, un homme qui portait une tronçonneuse en marche. « Mais ça va pas la tête ? Qu’est-ce qu’il vient faire ici ? » Merry s’avança de quelques pas pour mieux voir, évitant soigneusement de s’approcher de la piscine. « Monsieur ? Ne rentrez pas ici ! » Cria-t-elle à travers le boucan de l’engin rugissant.

Spoiler:

Il n’y avait rien qui tournait rond dans cette soirée, décidemment. Ce qui aurait du être un bon moment à s’éclater pour fêter Halloween était en train de virer au cauchemar pur et dur, avec toutes ces apparitions dignes de films d’horreur ! Pourtant ils avaient quand même bien mérité une soirée tranquille, sans qu’il n’y ait de taré à chasser, sans qu’ils ne parlent de meurtre ou de massacre … Mais même là, ils étaient poursuivis, à croire qu’ils étaient maudits. Merry n’était pas loin d’y croire, parce que c’était vraiment trop bizarre ces choses qui se multipliaient sous leurs yeux alors que ça n’avait strictement aucun sens. Slade pouvait bien parler de basilic et faire référence à Harry Potter, mais elle ne voyait rien de drôle là-dedans. Ils n’étaient pas dans un film ou dans un livre, bon sang ! Elle avait vraiment failli se faire noyer par un monstre qui avait tout bonnement disparu de la piscine en une fraction de secondes. Et maintenant, il y avait un gars avec une tronçonneuse qui se ramenait vers eux, comme si c’était parfaitement normal … Et avec Slade qui paniquait, Merry n’était pas loin de se laisser gagner par la peur elle aussi. Mais comment est-ce qu’elle était censée savoir qu’on ne parlait pas avec un type avec une tronçonneuse ? C’était juste un gars normal qui faisait du bricolage à des heures pas vraiment normales … et qui venait ensuite avec sa tronçonneuse allumée jusqu’à la piscine. D’accord, c’était carrément étrange, mais ils étaient hunters tous les deux et ils avaient déjà vu bien pire que ça. Des gens qui crachaient du feu, qui pouvaient passer à travers les murs, qui changeaient l’eau en acide ou qui faisaient pousser des pics sur leur corps, ça, ça faisait flipper ! Mais elle ne pouvait pas avoir peur d’un homme armé d’une tronçonneuse. Et pourtant … Elle commençait bien à avoir peur. Alors quand Slade la prit par le bras, elle se mit à courir avec lui sans se poser plus de questions, juste pour mettre le plus de distance possible entre la tronçonneuse et eux. Ce bruit strident lui vrillait les nerfs et plus elle l’entendait, plus son imagination carburait à lui faire imaginer des trucs toujours plus horribles. Comme l’homme leur bouchait la sortie vers le reste de la maison, ils ouvrirent la seule porte encore disponible, et ils déboulèrent dans une douche, bien assez grande pour toute une équipe de natation. Slade ferma derrière eux, mais Merry avait maintenant la désagréable sensation d’être prise au piège. « Tu crois ça ? » Demanda-t-elle d’un ton sceptique, pas du tout rassurée. « Il a forcément du nous voir entrer là-dedans … » Elle se mordilla le coin du pouce, ses yeux scannant la pièce pour chercher une issue, ou à la rigueur une arme pour se défendre si l’homme débarquait dans la pièce. Le bruit se rapprochait toujours, ne leur laissant plus vraiment d’espoir sur le fait que l’homme les ait perdus de vue. « Si ça se trouve c’est juste une animation. Tu sais, pour faire flipper les gens. Pour le monstre dans l’eau je sais pas, mais le coup de la tronçonneuse c’est peut-être juste … » Elle n’eut pas le temps de terminer sa merveilleuse explication, qui tenait presque la route et dont elle avait désespérément besoin qu’elle soit vraie. Parce que dans un effroyable bruit de bois déchiqueté, ils virent apparaître la lame de la tronçonneuse à travers la porte. Merry se mit à hurler, sa théorie tombant à l’eau en même temps que l’homme continuait de déchiqueter le bois qui les séparait de sa folie furieuse. Si ça avait été un comédien, il ne s’en serait pas pris à la porte … Paniquée, Merry attrapa la seule chose qui pouvait encore éventuellement les sauver : un tuyau d’eau qui devait servir à nettoyer les bords de la piscine. Elle ouvrit la vanne en grand et dirigea le jet vers l’homme, à travers la porte déchiquetée. Pris par surprise, il lâcha la tronçonneuse et recula de quelques pas, leur laissant juste le temps de fuir.

Merry aussi détestait les types cinglés avec des tronçonneuses, même si visiblement elle en rencontrait moins souvent que Slade. En tout cas elle se serait bien passée de la rencontre avec celui-ci, qui voulait les découper en morceaux dans la piscine intérieure d’une baraque luxueuse pour Halloween. Le parfait scénario de film d’horreur ! Exactement le genre qui l’aurait fait ricaner si elle l’avait regardé (chez Slade, avec du pop-corn et des chamallows), parce que c’était vraiment débile comme histoire et que franchement, ça n’arrivait jamais dans la vraie vie. C’était le principe des films d’horreur : ça n’arrivait jamais et c’était pour ça que ça les faisait rire, même si Merry se serrait toujours un peu vers Slade histoire de se rassurer – sans jamais oser l’avouer. Bon, il devait bien savoir qu’elle avait peur de ces trucs là, mais elle savait que c’était du chiqué alors dès que la lumière se rallumait, elle oubliait et elle passait à autre chose. Ca ne la marquait jamais plus que ça, sans doute parce qu’elle n’en regardait pas beaucoup. C’était pas son truc. C’était plutôt le truc de Slade … Lui, qui se moquait un peu d’elle quand ils regardaient des films chez lui, c’était lui qui avait le plus peur des deux devant ce type à la tronçonneuse. Mais malgré tout, ils réussirent à s’échapper, et après quelques pas pour fuir loin du taré, le silence revint dans la grande pièce. Interloquée, Merry se retourna : bien évidemment, l’homme avec sa tronçonneuse avait disparu. Mais le pire, c’était que la porte qu’il venait de défoncer était redevenue intacte, comme s’il ne s’était rien passé. La jeune femme écarquilla les yeux, stupéfaite. « Mais … Mais … C’est pas possible ! » Elle revint sur ses pas, bien consciente que c’était la dernière chose à faire, mais son esprit scientifique refusait d’accepter ce qu’elle avait sous les yeux. Ils venaient de voir ce gars défoncer la porte à coup de tronçonneuse ! Mais il n’en restait plus une seule trace … Elle passa ses doigts sur la porte, l’ouvrit et la referma, et secoua la tête. Elle ne pouvait pas croire ce qu’elle voyait. « C’est dingue … » Balbutia-t-elle. Elle se tourna vers Slade : d’un coup, elle avait très envie de sortir de cette maison de fous. Un sentiment désagréable lui tordait les entrailles et lui comprimait la poitrine : elle avait peur, et elle ne savait même pas de quoi précisément. « Il se passe un truc ici, un truc pas net … On a du avaler un hallucinogène, ou alors c’est quelque chose qu’il y a dans l’air, mais … On n’aurait pas du voir la même chose … » Elle avait besoin de trouver une explication rationnelle, concrète et plausible. Mais elle ne voyait pas et ça l’énervait. Et ça l’effrayait. Elle avait beau avoir été élevée dans un foyer où la religion avait une place très forte, elle n’en restait pas moins quelqu’un de très terre-à-terre : elle ne croyait pas aux miracles ni aux punitions divines, mais à la science avant tout. Et la panique l’empêchait de recourir aux explications de la science. « Viens, on s’en va … Ca ira peut-être mieux dehors, mais je veux pas qu’on reste ici. » Elle attrapa la main de Slade sans attendre sa réponse et se dirigea vers la porte qui menait à la maison. Ils traversèrent des pièces où des gens s’amusaient tranquillement, mais il y avait des hurlements qui retentissaient aussi autour d’eux, sans source visible. Ces cris firent hérisser les poils de Merry, qui accéléra encore le pas. Elle n’avait qu’une hâte : se retrouver dehors. Mais quand ils arrivèrent enfin dehors, elle poussa un cri. Le froid mordant venait de lui rappeler qu’ils étaient trempés. « La vaaaache ! Il fait trop froid !! »

Merry n’avait pas songé un seul instant qu’un mutant puisse être à l’origine de leurs hallucinations. Elle s’était d’abord tournée vers une explication plus crédible à ses yeux, parce que malgré tout ce qu’elle avait vu, tout ce qu’elle avait subi, elle croyait d’abord aux phénomènes scientifiques. Les mutants avaient des pouvoirs qui défiaient la science … Même en tant que hunter, elle avait quelquefois du mal à croire en ce qu’ils étaient capables de faire – et c’était ça qui lui donnait la rage de les éliminer. Parce qu’ils défiaient les lois de la nature et qu’ils n’en devenaient que plus dangereux. Finalement, qu’ils aient été les victimes du pouvoir tordu d’un quelconque dégénéré, c’était possible. Logique, même. Mais ça ne faisait que renforcer le malaise de Meredith. Qui que ce fut, il avait réussi à trouver immédiatement la chose qui la terrifiait en faisant apparaître ce monstre marin. Mais il avait bien failli la noyer, ça ce n’était pas une illusion. Et puis le type avec sa tronçonneuse qui avait voulu les massacrer : est-ce qu’il en aurait été capable ? Qu’est-ce que ce serait, la prochaine fois ? Tout en filant vers l’extérieur de la maison, elle imagina ce qui lui faisait peur : la mort de ses proches, les transmutants aux pouvoirs incontrôlables, Selwyn qui reviendrait régler ses comptes avec elle … Tout ça, elle le voyait souvent dans ses cauchemars. La piscine avec le monstre, ça n’était qu’un amuse-bouche, le mutant pouvait faire bien pire ! Le froid la saisit quand ils arrivèrent dehors et elle poussa un cri. Au moins, ça avait l’avantage de la détourner de ses morbides pensées ! Elle suivi Slade sans rechigner quand il la tira vers sa voiture et elle s’y engouffra sans demander son reste. A l’intérieur, il faisait aussi glacial que dehors, et le contact des sièges sur ses vêtements mouillés fut terrible. Elle serra ses bras contre sa poitrine, mais elle commençait à être transpercée par des tremblements de plus en plus violents. « Ouais, bonne id-idée. Une douche chaude, super. » Elle tremblait tellement qu’elle avait du mal à aligner ses mots, ses dents s’étaient mises à claquer convulsivement. Elle rêvait d’une douche brûlante, soudain. Elle n’habitait pas loin, elle était venue à pieds et elle serait rentrée de la même façon si elle n’avait pas été trempée jusqu’aux os. Puisque c’était Slade qui l’avait mise dans cet état, il pouvait bien la ramener ! Mais sa voiture mettait un temps fou à chauffer, et elle se frictionna les bras comme elle put. « Tu … Tu crois vrai-vraiment qu’un-qu’un-qu’un mutant est derrière ces-ces visions qu’on a eues ? » Demanda-t-elle soudain entre deux claquements de dents. Elle n’aimait vraiment pas ça, mais c’était l’explication la plus plausible. « Il-il aurait p-p-peut-être fallu qu’on fasse quelque chose. » Elle ne savait pas quoi, surtout contre un mutant avec un pouvoir aussi effrayant, mais elle se sentait coupable de s’être littéralement enfuie de cette manière.

En quelques minutes, ils arrivèrent devant chez elle, juste quand la voiture commençait enfin à chauffer. Merry resta assise sans avoir le courage de ressortir de l’habitacle tout juste tiède. « Merci de m’avoir ramenée. Même si c’était ton devoir, après m’avoir poussée dans l’eau. » Elle regarda par la vitre, vers son appartement, plus haut. « Ma douche m’appelle … Haaa … Ca va être bien. Très très bien. » Mais elle n’ouvrit toujours pas la portière et se tourna vers Slade. « Tu veux monter ? Tu dois être gelé aussi. Tu pourras te sécher avant de partir, je voudrais pas avoir ta mort sur la conscience. » Il habitait loin, du moins assez pour attraper une pneumonie avec ses vêtements trempés … Et puis, elle ne voulait pas rester seule avec le souvenir de la soirée. Ni avec en tête toutes les choses bien pires qu’elle aurait pu voir s’ils ne s’en étaient pas sortis.