La première fois que Selwyn n’avait pas répondu à son appel, Merry avait paniqué. Toutes sortes d’idées lui étaient venues en tête, de la plus dramatique (Selwyn tué au fond d’une ruelle par des voyous quelconques parce qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment) à la plus plausible (Selwyn revenu à son idée de base et ne voulant plus lui parler, parce qu’elle n’état pas une amie fiable et qu’il s’en était finalement rendu compte). Elle lui avait laissé plusieurs messages angoissés sur son portable, sans aucun retour de sa part. Et quand elle avait entendu un hunter parler de lui, par le hasard des conversations, elle n’avait pas voulu le croire. C’était tout bonnement impossible. Elle n’arrivait pas à faire coller l’image du Selwyn qu’elle connaissait, son meilleur ami si doux et si normal, à celle que le hunter lui avait dépeint. Selwyn n’était pas ce tueur assoiffé de sang, ce … ce dégénéré monstrueux qui avait rendu un chasseur complètement fou. Non, impossible ! Meredith ne voulait pas le croire, elle refusait cette possibilité. Le chasseur avait pourtant été formel, Selwyn avait été reconnu et il n’y avait pas de doute sur son identité … Sans doute qu’il faisait même partie du groupe de rebelles qu’ils chassaient tous avec application. Merry avait été malade d’imaginer que Selwyn soit un mutant, mais elle devait en avoir le cœur net. Après tout, Crescentia, sa sœur, en était une elle aussi … C’était d’ailleurs vers elle que Merry s’était tournée pour avoir plus d’informations. Puisque Selwyn semblait s’être évaporé dans la nature, Merry devait le retrouver, et Cressy était la mieux placée pour lui donner une idée d’où il pouvait se cacher.

Meredith n’avait pas été tendre avec Cressy, mais elle préférait ne pas y repenser. Elle n’avait pas obtenu tout ce qu’elle souhaitait d’elle, en plus de ça, et elle était hautement frustrée. Mais elle allait le retrouver. C’est pour cette raison qu’elle se retrouvait en pleine nuit à hanter les rues de Radcliff, en quête de membres d’Uprising. Les rebelles étaient les seuls, avec les hunters, à oser encore sortir de nuit, et si elle tombait sur l’un d’entre eux, elle n’hésiterait pas à le faire parler pour qu’il révèle la localisation de ses planques. Pour l’instant, ses errances avaient été infructueuses. Elle aurait été plus efficace si elle avait pris un autre hunter avec elle, mais elle estimait que c’était une affaire personnelle, et elle ne voulait pas que qui que ce soit d’autre s’en mêle. D’autant que si elle retrouvait Selwyn, elle ne voulait pas qu’un hunter un peu trop zélé ne le tue … Elle s’occuperait de lui personnellement. Ce que ça impliquait, elle n’en savait encore rien, et ne voulait pas y penser. En attendant, la jeune femme marchait d’un pas vif, les mains plongées dans ses poches, le visage gelé par le vent glacé qui soufflait dans les rues. Elle n’était pas loin de se décourager et de rentrer chez elle pour se réchauffer avec un bon chocolat chaud, quand elle vit une silhouette bouger à quelques mètres d’elle. La ruelle n’était pas très bien éclairée, mais elle ne s’y trompa pas : il y avait quelqu’un. Elle attrapa son arme, qu’elle garda dans sa poche prête à faire feu, et se rapprocha en silence. Mais elle avait été repérée : la silhouette s’était tournée vers elle et la regardait … Merry s’apprêta à devoir lui courir après, mais non. La silhouette ne bougea pas. « Meredith ? » Le cœur de la jeune femme se serra en reconnaissant la voix, et elle accéléra le pas pour le rejoindre. « Sel’ ! » Lança-t-elle d’une voix soulagée. Quelle était la possibilité qu’elle tombe directement sur lui ? Elle savait qu’il devait se cacher dans ce quartier, mais jamais elle n’aurait pensé … « Mais qu'est ce que... qu'est ce que tu fais ici ? » Elle l’avait rejoint et elle pouvait voir son visage. Il n’avait pas du tout changé, il ne s’était pas transformé en monstre durant son absence. Mais la dégénérescence ne se voyait pas sur les traits du visage, malheureusement … « Je te cherchais ! Tu ne répondais plus à mes messages, qu’est-ce qui t’est arrivé ? J’ai cru … J’ai cru qu’il t’était arrivé malheur. » Elle avait lâché son arme, et ses mains étaient à présent sorties de ses poches. Elle espérait qu’il lui donne une explication, mais elle n’y croyait même plus. « J’ai entendu des choses horribles sur toi. » Souffla-t-elle, la mine défaite. Elle voulait juste qu’il lui explique. Elle était son amie, et elle ne comprenait pas.

Ces derniers jours avaient réellement été horribles pour Merry, qui avait été déchirée entre son amitié pour Selwyn et sa loyauté envers les hunters. Elle ne voulait abandonner aucun des deux, qui étaient les deux parts les plus importantes de son existence. Elle venait tout juste de retrouver Selwyn et de rebâtir avec lui les fondations encore fragiles de leur ancienne amitié, comment songer que cela puisse disparaître aussi rapidement ? Et les hunters … Sans eux, elle n’existait plus. Ils étaient le but de son existence, elle ne se levait le matin que parce qu’elle savait qu’elle avait un rôle important parmi eux. Elle devait en avoir le cœur net, même si cela la déchirait intérieurement : qui, des hunters ou de Selwyn, devrait-elle suivre ? Elle était soulagée d’avoir trouvé Selwyn si facilement, mais quelque chose lui disait que ce n’était peut-être pas une si bonne nouvelle. Le couvre-feu était largement dépassé, il n’avait pas le droit de se tenir ici. « Quel genre de choses ? » Merry regarda Selwyn avec peine. Il semblait estimer que son silence radio n’était pas si grave, et elle repensa amèrement qu’il lui renvoyait l’ascenseur pour toutes les fois où elle n’avait pas répondu à ses appels, quand elle était en France. Après tout, lui aussi venait de perdre un membre de sa famille … Son cœur se serra : elle comprenait parfaitement qu’il ait envie de s’isoler, et elle comprenait d’autant mieux ce qu’il avait ressentit quand elle avait fuit après la mort de sa sœur. Ce sentiment d’abandon … « Tu me connais Meredith. Depuis longtemps, tu sais qui je suis, je ne suis pas une personne d'horrible. Qu'ais je donc fait pour qu'on parle de moi ainsi ? » Sa question brisa tous ses espoirs. Si elle avait cru qu’il pouvait encore être innocent, il venait de lui confirmer le contraire. Parce que cela signifiait qu’il était au courant de tout ça, et donc que la rumeur n’était pas fausse … Si vraiment ça avait été une erreur, si vraiment le hunter s’était trompé, alors Selwyn n’aurait pas été au courant. Innocent comme il l’était – avant, il serait resté en dehors de ces histoires de rebelles et de mutants, et jamais il n’aurait eu vent de ce que les hunters disaient entre eux. « Est ce que tu les crois Meredith ? Ces gens ? »

Elle ouvrit légèrement la bouche comme pour répondre, mais le "non" se bloqua au fond de sa gorge, et elle sentit ses yeux la piquer. Elle dut combattre son envie de pleurer, et ravala tant bien que mal les larmes qui menaçaient de couler. « Je … Je n’ai pas voulu y croire. Et je ne veux toujours pas … » Elle ne pouvait pas y croire, alors qu’elle le regardait et qu’il était toujours le même. Il avait ce regard si doux qu’elle lui connaissait bien, et qui signifiait tout pour elle. C’était vrai, elle le connaissait depuis très longtemps, presque depuis toujours en réalité. Quand elle avait été assez grande pour cesser de qualifier de meilleurs amis tous les enfants avec qui elle jouait, quand elle avait commencé à comprendre que les choix de ses parents ne définissaient pas forcément les siens, elle avait considéré Selwyn comme son premier véritable ami. Et elle le connaissait si bien, même après trois ans d’absence ! Du moins, c’était ce dont elle avait été persuadée jusqu’à ce que les hunters parlent de lui dans des termes horrifiants pour la jeune femme. Et soudain, elle se demandait si elle le connaissait si bien … Elle ignorait ce qu’il avait fait, pendant trois ans. Elle ignorait le résultat de son dépistage. Elle ignorait son point de vue sur l’abomination mutante. « Traite-moi d’idiote, mais j’ai eu peur pour toi, et comme tu ne répondais pas, j’ai cru que c’était vrai. » Fit-elle avec un sourire plein d’innocence, pour s’excuser d’avoir prêté une oreille à d’aussi stupides rumeurs. Elle était son amie. Il pouvait lui faire confiance, elle le croirait avant de croire qui que ce soit d’autre. « J’ai entendu quelqu’un qui disait que … que tu avais tué un homme. »

Prêcher le faux pour obtenir le vrai, c’était une technique que Merry avait apprise chez les hunters. Elle qui était jusque là incapable de mentir à qui que ce soit avait appris à détourner la vérité pour arriver à ses fins. Ca restait une façon de faire compliquée, et elle n’y parvenait pas encore à tous les coups, mais elle devenait de plus en plus douée dans cette discipline. Pourtant, elle n’avait jamais rien trouvé d’aussi compliqué que de mentir directement à Selwyn. Elle ne lui avait jamais menti, et même si elle avait omis de lui parler de son entrée chez les hunters, c’était uniquement parce qu’elle s’était gardée d’évoquer le sujet avec lui. Le mensonge par omission, ce n’était presque pas un mensonge ! Mais là, elle était obligée. Pour savoir la vérité, pour connaître enfin celui qu’elle croyait être son ami, elle devait user des méthodes sournoises des hunters, même si ça devait lui arracher le cœur … « C'est des conneries. » La brusquerie de son ton fit sourciller Merry, tout comme l’air soudain paniqué qu’il afficha. Autant de confessions qu’il n’avait pas l’intention de lui livrer, mais qu’elle lisait si clairement en lui ... «  Je n'ai jamais tué personne enfin... Je ne ferais jamais ça. Je ne suis pas comme ça. » Elle hocha la tête avec application. « Je sais. » Elle ne voulait pas croire qu’il était devenu un tueur – d’ailleurs, personne ne lui avait jamais dit qu’il avait tué qui que ce soit, mais c’était tout comme. Il avait envoyé un hunter à l’hôpital dans un état critique … Et dieu qu’elle souhaitait que ce soit faux ! Il avait toujours été si doux, si prévenant, si gentil … Seulement voilà, plus elle le regardait, et moins elle croyait en son innocence, et ça la désespérait. « J'ai juste eu... une altercation disons, il y a quelque temps avec un homme. Mais rien de grave, d'accord ? » Meredith eut un frisson glacé, et elle hocha tristement la tête. Une altercation, c’était comme ça qu’il appelait ce qu’il avait fait à l’homme qu’il avait failli tuer ? « Mais que s’est-il passé ? C’est pour ça que tu … te caches ? » Elle savait, maintenant, elle savait ce qu’il était vraiment, mais elle ne parvenait pas à le dire à haute voix, et elle essaya de l’amener lui-même vers une confession. Qu’il le lui avoue enfin, et peut-être qu’ils pourraient s’expliquer calmement ! Elle ne lui voulait aucun mal, elle voulait juste comprendre. Mais elle avait peur qu’aucune explication ne puisse réparer ce qu’il avait fait.

Elle sursauta quand elle entendit une voix appeler Selwyn, et elle se raidit en voyant une silhouette s’approcher. Massive, menaçante, elle rappela à la jeune femme qu’ils n’étaient pas censés se trouver là … Et que seuls les rebelles osaient se montrer la nuit, en dehors des hunters. Et cet homme là n’était définitivement pas un hunter. Elle inspira profondément et replongea sa main dans la poche de son manteau pour se rapprocher de son arme … Juste au cas où. « On se demandait où tu étais passé, on se faisait du... qu'est ce que... Toi ? » Merry eut un mouvement de surprise quand l’homme la reconnu, et il lui fallut une seconde pour se remémorer où elle l’avait déjà vu. Lors d’une de ses premières chasses à Radcliff, quand elle avait du faire ses preuves avec les hunters locaux, elle était tombée sur lui. Il s’était échappé mais ils avaient tué plusieurs de ses camarades, et ils le recherchaient activement depuis. Elle ne pensait pas qu’il avait vu son visage, ce jour là, mais il fallait croire que si. Et qu’il se souvenait d’elle. La panique l’envahit brusquement : que faire, bon sang ? Cet homme allait tout gâcher. « On se connaît ? » Demanda-t-elle d’un ton mal assuré, en se rapprochant un peu de Selwyn. L’armoire à glace se rapprocha encore, et elle recula d’un pas, comme s’il la terrorisait réellement. Bon, dans un sens il la terrorisait vraiment, parce qu’il était mutant, dangereux, et plutôt agressif. « Je suis une amie de Selwyn, je m’inquiétais juste de … » Mais l’homme ne semblait pas enclin à écouter ses petites explications. En deux pas, il fut sur elle et lui attrapa le bras, qu’il secoua sans ménagement. « Non, je te reconnais, t’es la … » Merry ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Elle sortit sa main libre de sa poche et enfonça son taser dans la gorge de l’homme. Il poussa un cri étranglé quand la décharge le traversa, et il s’effondra au sol, le corps agité de spasmes nerveux. Tremblante, la jeune femme s’écarta d’un pas, puis retourna son regard vers Selwyn. Merde. Merde merde merde. Elle chercha désespérément un nouveau mensonge pour justifier son geste, mais son cerveau l’avait lâchée. « Je … J’ai cru qu’il … J’ai cru qu’il allait … » Ses balbutiements ne la menaient à rien, et elle ne pouvait que fixer Selwyn, le regard suppliant. Pitié, qu’il n’en déduise pas les mauvaises conclusions … Ou plutôt, qu’il n’en déduise pas les bonnes conclusions.

C’était une catastrophe. Elle venait de taser un rebelle mutant, sous les yeux de Selwyn ! Et elle n’était même pas capable de trouver une explication cohérente à son geste, pour se justifier. Elle avait agit trop rapidement, sans réfléchir, mais il fallait absolument qu’elle le fasse taire pour ne pas qu’il dévoile où ils s’étaient déjà rencontrés … Et ce qu’elle était vraiment. C’était la panique qui avait guidé son geste, mais elle le regrettait à présent en réalisant que cela ne l’avait pas aidée, pas du tout. Ou alors, il fallait juste qu’elle se trouve un bon mensonge pour la tirer de là … Mais son cerveau d’ordinaire brillant était en panne sèche. Elle n’avait jamais été bien douée pour mentir, encore moins à Selwyn, et encore moins quand elle était dans un état de panique comme celui-ci. Chez les hunters, on lui avait pourtant appris à résoudre des situations autrement plus compliquées que celle-ci, mais il fallait croire qu’avec la présence de son (ancien) meilleur ami, elle perdait ses moyens. Cette fois, elle était fichue. « Mais qu'est ce que tu as fait ! Meredith ! Non mais... Pourquoi ça ?! Il n'allait pas te manger ! » Selwyn semblait complètement perdu, et Merry ne pouvait pas vraiment le blâmer. La violence seule entre eux s’était résumée à écraser une araignée dans un coin de salle quand ils étaient encore ados, et encore, ils avaient mis dix minutes avant que l’un des deux ne prenne son courage à deux mains pour écraser l’affreuse bestiole … En dehors de ça, jamais ils n’avaient fait montre d’aucun geste violent ou brutal, ce n’était tout simplement pas dans leurs caractères. Mais elle venait de taser un inconnu, et lui … Lui, il était l’homme recherché par tous les hunters de la ville. « Tu as cru qu'il allait quoi bon sang ! Merde, merde, merde... Et d'ailleurs, vous vous connaissiez ? Non parce que lui il t'a reconnu directement ! » Elle ne voulait pas répondre à cette question, et elle secoua la tête avec vigueur.  « J’ai cru qu’il allait me frapper ! » S’écria-t-elle en désespoir de cause, mais elle n’était même pas convaincue de sa pitoyable défense. « Je ne l’ai jamais croisé de ma vie, tu as vu comme il m’a agrippée ?! » Elle ne voulait surtout pas reconnaître qu’elle le connaissait, et elle espérait qu’il la croirait.

Mais il ne la croyait pas. Elle pouvait le lire dans ses yeux, dans la façon dont il la regardait. Il avait changé de regard, et dans sa panique, il semblait changé. Sans doute de la même façon dont elle avait réalisé la vérité à son propos, il venait de comprendre qu’elle n’était plus la même. Qu’elle avait menti. Elle sentit son cœur se glacer avant même qu’il ne prenne la parole, preuve qu’elle le connaissait encore si bien … Il était son étranger à elle, celui qu’elle ne pouvait s’empêcher de déchiffrer encore. « Tu... tu fais partis de ces malades là... ? » Ses paroles la heurtèrent avec violence. Si elle n’avait jamais renié les hunters, elle refusait qu’il la considère ainsi. Le dégoût dans les yeux de Selwyn était sans équivoque, mais elle ne pouvait pas reculer. « Des malades ? Qui est-ce que tu appelles des malades ? » Riposta-t-elle immédiatement. « De quel droit est-ce que tu juges, alors que tu as torturé un homme jusqu’à ce qu’il en perde la raison ! » Elle avait crié cette dernière phrase, ce reproche qu’elle n’avait pas supporté d’entendre dans la bouche de ses collègues et qu’elle avait gardé lourdement sur son cœur jusqu’à ce soir. « Je suis au courant, Sel’ ! Tu m’as menti, alors que je suis venue te voir pour que tu m’expliques, je voulais te donner une chance ! Si moi je suis une malade, alors toi tu es quoi ? » Sa voix se brisa, et elle sentit les larmes lui monter aux yeux, puis dévaler sur son visage. « Un dégénéré ? »