Grognement. Le bruit le matin. C'était sans doute ce qu'il détestait le plus chez ce crétin de Kylan. Pas foutu de se préparer sans faire un bordel de tous les diables. C'était vraiment insupportable. Il se retourna rageusement dans son lit en pestant. Merde quoi ! Il aurait pu avoir un peu de respect ! Est-ce qu'il faisait du bruit lui à 5 heures du mat' quand il arrêtait d'écrire ? Non ! Et ça, ça s'appelle juste le respect, bordel de merde Kylan ! S'il n'avait pas été aussi attirant, et aussi peu regardant sur ses revenus, Israël aurait sans doute abandonné ce brun imbécile. Mais il restait, en pestant mentalement. Il essaya de retrouver le sommeil. Impossible. C'était comme tous les jours. Une fois réveillé, son esprit refusait de faire machine arrière.

« Putain de merde tu fais chier Kylan ! »cria-t-il en envoyant valser sa couette.

Il savait pourtant que son colocataire était parti depuis une heure, mais extérioriser sa frustration par la parole marchait plutôt bien. Il avait juste un peu trop forcé sur sa voix dès le matin, il toussa pendant cinq bonnes minutes. Il pesta à voix basse. La journée commençait définitivement mal. Il se traîna lamentablement jusqu'à la cuisine, fixant sa bouilloire électrique tel un demeuré. Il but son thé avec lenteur. Au moins, quand Kylan était du matin, il ne subissait pas de remarques sur ses rituels matinaux. C'était reposant. En fait, l'absence de Kylan était toujours reposante. Vivre avec lui, c'était un peu comme l'enfer sur terre, mais en terriblement attirant, et aussi absolument inatteignable. Bref. Il aimait ses absences mais ne pouvait qu'attendre son retour. Dramatique. Il avait l'impression d'être l'héroïne d'une de ses navets qui plaisaient aux femmes en mal d'amour. Il se demandait si ces lectrices auraient continué à acheter ses livres si elles avaient su que l'auteur était un pauvre pédé frustré, toxicomane, transmutant, et au bord de la dépression. Clairement que non. Heureusement qu'elles ne savaient pas. Il termina sa tasse. Il la déposa dans l'évier au côté de ce que Kylan n'avait pas lavé de la veille. Il eut un soupir habitué.

Il était onze heure quand il sortit de sa douche. Il aimait rester longtemps sous la douche. Sous l'eau froide paradoxalement. Rester en dessous jusqu'à claquer des dents tellement il fait froid. Heureusement que Kylan n'avait pas connaissance de cette habitude, sinon il l'aurait une fois de plus charrier. Remarque, il était plutôt habitué. Il répliquait plus pour la forme que par conviction. Venant de lui, cela ne faisait rien. Tant qu'il lui parlait, il était heureux. Et oui, c'était désespérant et complètement sentimentaliste. Merde, ses daubes étaient-elles en train d'influencer sa vie ? Ou l'inverse. Il retourna dans le salon. Il râla en voyant les fringues sales sur le canapé. Pourtant, il n'arriva pas à s'empêcher de les prendre contre lui, pour sentir légèrement l'odeur de cet homme dont il rêvait depuis tant d'années. C'était digne d'un grand dérangé ce comportement, mais il s'en foutait pas mal. Il était seul, il pouvait se le permettre. C'est à contre cœur qu'il jeta le t-shirt et le jean sur le lit de son coloc'. Encore une journée comme les autres. Il respira de longues minutes la fumée émanant de ses doigts. Un mélange de sa composition. Quelque chose qui lui vrillait assez le cerveau pour qu'il oublie Kylan un moment. Vaisselle. Nettoyage. Lessive. Il ne mangea que vers 19h, s'apercevant qu'il n'avait pas oublié que ce qu'il voulait.

Il se mit à son bureau aux alentours de 22h. Brandon et Marilyn lui avaient tellement manqué. Plus que dix pages, et le cahier des charges voulait que Brandon réalise pour Marilyn. Bordel, qu'est-ce qu'il pouvait bien lui trouver à cette gourde ? Franchement, il aurait définitivement du se taper son colocataire à la place. Ah oui, mais les personnages de ces livres là ne font jamais cela. Déprimant. Pour vivre confortablement, il devait écrire deux romans par mois. C'était long, répétitif et peu épanouissant, mais s'il avait su faire autre chose de sa vie, il ne serait sans doute pas en train de décrire la regard irrésistible d'une blonde insipide. Il se levait parfois pour se préparer une nouvelle théière, lassé des stupidités qu'il répandait. Il était dans la dernière ligne droite de cette merde littéraire quand Kylan rentra dans l'appartement, puis dans sa chambre sans autre forme de cérémonie. Habituel. Il ne put réprimer un sourire en entendant sa voix. Un frisson parcourut même son échine. Ne me parle pas de branlette avec une voix aussi charmante, imbécile. Il eut un soupir pour la forme. Il pivota lentement sur son siège.

« Bien sûr que si, je me branle en pensant à toi quand t'es pas là. Pour combler le vide que me laisse ton insupportable absence ! »répondit-il avec sarcasme.

Seulement, il savait que rien n'était vraiment faux dans cette phrase. Bon, il n'était pas un fervent pratiquant de l'onanisme , mais il était rare ces dernières années qu'une autre personne que Kylan occupe ses pensées. Mais il savait très bien que Kylan ne prendrait pas ses mots au sérieux. Il ne faisait jamais. C'était pire encore que le rejet, c'était de la pure ignorance. Il s'y était fait, on se fait à tout non ? Il savait aussi que Kylan le dérangeait rarement pour autre chose que pour de la drogue.

« Tu fais chier, Kylan, tu consommes comme quatre clients, comment tu veux que je suive ? Je suis pas un cartel de la drogue à moi tout seul ! Si je dépanne, ce sera ici, et par un autre biais que la fumette classique. Mais ça m'étonnerait que ça te dérange ? »répondit-il calmement, en croisant les bras, une de ses mains faisant se mouvoir ses doigts dans une danse hypnotique, créatrice d'une fumée que Kylan adorait.

On lui offrait de la défonce pure et gratuite, alors, oui, heureusement qu'il ne se plaignait pas. Il ne se rendait sans doute pas compte de la concentration que son don nécessitait, et surtout la fatigue qu'il entraînait quand il l'utilisait un peu trop longtemps. Heureusement, avec l'habitude et à force tâtonnement, il avait réussi à rendre plus dense sa fumée artificielle, la rendant plus puissante, plus prenante, plus rapide que les méthodes traditionnelles. Sans doute pour cela qu'il ne touchait presque plus à ce qu'il dealait. Il était devenu le dealer le plus parfait, ne risquant pas de ruiner son commerce : juste sa vie. C'était bien mieux ainsi.

« J'espère oui que tu vas pas te plaindre, espèce d'ingrat. Tu me déranges en plein boulot, certes, il est pas passionnant, mais je dois finir ce foutu roman de merde pour après demain... »rétorqua-t-il avec son air blasé habituel.

Il haussa un sourcil blasé à l'évocation des toilettes. Il était encore plus con quand il commençait à être défoncé. Comment pouvait-on être aussi stupide et sexuellement désirable en même temps ? Normalement, ce n'était clairement pas compatible. C'était un peu comme être une femme et intelligente, normalement, c'est incompatible. Et pourtant, ce connard y arrivait diablement bien. Et même la fumée qu'il humait, étant en première ligne des émanations n'arrivaient pas à lui faire oublier les idées peu catholiques qu'il avait en le voyant... En le voyant juste être lui. Ce sourire niais. Ces yeux perdus dans le vague de la défonce. Cette nonchalance divinement désirable. Merde Kylan, tu fais chier.

Il eut un ricanement en l'entendant parler de l'épouser. Arrête de dire des conneries comme ça, crétin. Tu sais pas le mal que tu me fais en disant cela. Alors s'il te plaît, ferme là. Juste arrête de parler et contente toi de profiter du peu que tu me laisses t'offrir, d'accord ? Il se leva pour s'approcher de Kylan. Il serait plus simple de l'aider à s'envoler s'il était proche de la source première de fumée, à savoir ses mains, et plus globalement son corps entier.

« Désolé, j'aime trop être un mec, je changerai pas de sexe pour toi. »dit-il d'une voix un soupçon amusé.

C'était peut-être la seule chose qu'il ne ferait pas pour cet idiot d'ailleurs. Sans doute parce qu'il était un peu trop misogyne. Sans doute aussi parce qu'il n'aurait jamais voulu subir ce que vit une femme au quotidien. Sans doute parce qu'il savait aussi que même en femme, Kylan ne l'aurait probablement pas aimé, baisé peut-être, mais aimé ? Certainement pas. Quand une fille passait à la maison, il était clair que Kylan ne l'aimait pas. Il n'avait sans doute jamais aimé aucune des filles qui était passé dans cet appartement depuis deux ans. Et c'est long deux ans pourtant. La fréquence était forte, les rapports bruyants, mais l'amour absent. Il ne fallait pas être extralucide pour le voir. Juste observateur.

Il eut un sourire amer à la proposition de son colocataire. Pourquoi toujours pour la drogue, hein ? Il eut un léger soupir. Il retira son tee-shirt, histoire de faire émaner plus de fumée une fois sous la couette, et pour ne pas mourir de chaud avec ce bœuf à côté de lui. Il s'installa en premier dans le lit, soulevant la couette, puis tapotant la place à côté de lui.

« Pourquoi faut-il que le seul mec que je mette dans mon lit n'y vienne que pour se défoncer ? Sans déconner, je mérite mieux que ça. »ironisa-t-il avec une amertume que trop réelle.

Il n'arrivait même pas à être dans le même état que lui. C'était de plus en plus difficile pour d'éprouver un quelconque extase par la drogue. Corps usé de trop d'outrages.

« C'est sûr que je n'imagine même pas... »rétorqua-t-il d'une voix à peine audible à la remarque de l'homme.

En fait, c'était un peu faux. Il imaginait beaucoup trop ce qu'il ratait, et c'était là tout le cœur du problème. Il était incapable de se détacher de l'image de Kylan. Celui-ci était loin de pouvoir deviné le nombre de fois où il s'était imaginé à la place d'une de ces filles qui gémissaient dans sa chambre. Trop de fois. En même temps, l'appartement n'était pas des mieux isolé, difficile de faire la sourde oreille en ces conditions. Au début, cela lui avait fait mal. Il avait envie d'égorger ces truies. Et puis, il s'est habitué. Il a préféré fantasmé plutôt que s'énerver. De toutes façons, il n'était jamais fichu de vivre sa vie en dehors de ses images mentales. Il n'était heureux que dans le fantasme. Alors imaginez comme c'était pratique quand le fantasme partage votre vie sans même le savoir. Il était définitivement un bel enfoiré, profiteur et manipulateur.

Il eut un léger haussement de sourcil en voyant Kylan se dévêtir. Merde, qu'est-ce qu'il était bien foutu. Comparé à lui, Israël n'était une allumette, un intellectuel filiforme dont le seul charisme tient à ses attitudes. Clairement, il ne rivalisait pas avec la perfection physique dont l'idiot pouvait faire preuve. Il eut un sourire à sa remarque.

« Je vis avec toi. Je subis tes entraînement qui remplisse le salon d'une odeur de sueur incomparablement insupportable. »lâcha-t-il d'un air faussement agacé.

En réalité, il aimait le voir suer. Il aimait l'odeur d'homme qu'il répandait dans l'appartement. Il aimait ses grimaces pendant ses exercices. Bref. Il était bien hypocrite en se plaignant. Il aurait été déçu que son colocataire arrête ce rituel qui lui permettait de mater son corps en plein effort presque tous les jours. Il savait très bien qu'il fallait plus qu'une remarque pour le faire abandonner ses rituels. Son corps semblait tellement important, que Kylan n'était pas prêt de le délaisser. Ça, ses coups d'un soir, sa drogue. Son colocataire avait une perception de la vie tellement simple qu'il arrivait à Israël d'être envieux de cette simplicité proche de la débilité. Si seulement il avait su se contenter de ce qu'il avait avec autant d'assiduité.

Il se poussa légèrement pour faire une place confortable à cet imbécile. Il rigola vaguement à sa blague. S'il avait été roux, nain, et obèse, il n'aurait sans doute pas vécu dans une situation aussi étrange. Ils n'auraient peut-être jamais été colocataires avec ces paramètres là. Il n'aurait sûrement jamais invité dans son lit quelqu'un de ce genre. Il avait beau être désespéré, il restait un putain d'exigeant. Sans doute pour cela qu'il avait cessé de chercher depuis des années quelqu'un à son goût. Autre qu'un putain de fantasme qu'il traînait depuis le lycée, bien sûr.

La fumée émana progressivement de chacun de ses pores. Avec cette technique, il ne faudrait pas longtemps pour enfumer un lieu si confiné. Il se tourna vers Kylan. Pour l'observer. Il ne savait faire que ça. Et puis ce crétin claironna une phrase de trop. La phrase de trop. Celle qui lui fit prendre conscience de sa pathétique situation. Il voulait aller au 7eme ciel, hein ? Très bien. C'était lui qui le demandait. Pas de raison de ne pas répondre à cela. Il s'approcha de lui. Il ne savait pas encore ce qu'il allait faire. Mais il allait le faire !

« D'accord. Contente-toi d'apprécier sans poser de questions alors. »murmura-t-il d'une voix un soupçon trop assurée, trop prédatrice, trop cassante.

Il saisit entre ses doigts le menton de Kylan, alors qu'il allait s'installer de façon équivoque sur ses hanches, il se pencha sur lui alors que de la fumée émanait de sa bouche. Il posa ses lèvres sur les siennes au prétexte de lui transmettre plus directement cette fumée encore plus concentrée en toxines. Seulement, pour ce n'était pas que cela. Il savait que ses mains caressaient le torse de Kylan avec beaucoup trop d'avidité. Il savait qu'il ne pourrait pas se contrôler après un tel contact. Il savait et pourtant, il continua..

Quand Israël avait commencé à toucher Kylan, il était persuadé qu'il allait être violemment repoussé. Il espérait finalement peut-être que ce connard lui foute une raclée, qu'il comprenne enfin que rien n'était possible entre eux et qu'il devait tourner cette page ouverte depuis beaucoup trop longtemps. Il avait sans doute fait cela par pur masochisme. Parce qu'il était persuadé de n'avoir rien à perdre, parce qu'il en avait assez de tromper un homme qui le prenait pour ami alors que lui-même aurait plutôt préféré qu'ils soient amants. Il espérait une réaction sans équivoque, un rejet total, complet, sans nuance. Le genre de réactions qu'avait Kylan de façon générale. Qu'il lui gueule qu'il n'était pas pédé, qu'il sorte de la chambre, qu'il lui demande de se trouver un autre appartement. Il n'attendait que cela. Pour réussir à avancer.

Mais il n'obtint rien de tout cela. Au contraire. Etait-il en train de rêver ce qui se passait ? Etait-il vraiment en train de l'embrasser si langoureusement ? Ce n'était pas possible. Il était encore en train de fantasmer sous les effets de ses vapeurs... Ce n'était pas... Désagréable. Loin de là même. Cela faisait des mois, non, même des années qu'il n'avait pas embrassé quelqu'un comme ça. Sa sexualité n'avait jamais été très épanoui, jamais vraiment cherché à l'épanouir non plus. Du coup, son corps trouvait cet instant exquis, improbable, et beaucoup trop sensuel. Il avait l'impression de perdre complètement le contrôle de lui même alors que, merde, ils n'en n'étaient qu'à s'embrasser. Qu'est-ce que ça allait être quand ils allaient... Merde mais ils n'allaient quand même pas coucher ensemble ? Il n'avait pas entendu deux ans alors que son connard de beau gosse de colocataire était en fait bisexuel ? Merde ! Il ne pouvait pas être passé à côté d'un truc aussi énorme, ça n'avait pas de sens ! Pourtant ce salopard embrassait divinement bien, ou alors, c'était parce que c'était lui que ça devenait divin. Et très franchement, Israël ne savait plus très bien ce qu'il faisait. Pourquoi n'avait-il jamais su quoi faire dans ce domaine ? Pourquoi était-il en train de réfléchir à ce qu'il était en train de faire plutôt que d'en profiter ? Parce qu'il n'était qu'un putain d’intellectuel tordu sans doute.

Il détacha finalement leurs lèvres. Pour respirer un instant correctement. Pour juguler son excitation. Pour comprendre aussi sans doute ce qu'il était en train de faire. Pourtant, il n'arriva pas à s'arrêter. Ni même à répondre à ses propres questions. La seule chose qu'il voulait, c'était lui. Quitte à abuser de sa faiblesse. Il était trop défoncé pour réaliser ce qu'ils faisaient. Sans doute était-ce pour cela qu'il répondait à ses caresses, à son baiser. C'était la seule possibilité. La seule réalité plausible. Il embrassa son cou, il huma son odeur, il lécha le lobe de son oreille, comme emporté par ses gestes, sans vraiment les contrôler. Son souffle s'était accéléré, sa respiration étant naturellement mauvaise, l'excitation lui rendait le souffle court. Ses mains allèrent déboutonner le jean sous ses hanches avec empressement, mais il se stoppa enfin, réalisant la bassesse de ses désirs, et surtout la façon dont il comptait les satisfaire. Il voulait vraiment abuser d'un mec défoncé à une drogue inconnue que lui seule produisait ? Sérieusement ? Non. Il tenta donc de se calmer. Fixant un peu ses idées.

« Kyl', qu'est-ce qu'on est en train de faire, bordel ? »murmura-t-il un peu paniqué, avant de l'embrasser à nouveau.

Discours paradoxal, complètement.

Quand Kylan le fit tomber sur le matelas, il se dit qu'il y avait vraiment un soucis. Il n'était pas dans son état normal pour ne voir que cela de choquant dans leur échange de l'instant. Il ne pouvait n'être gêné que par leurs postions respectives. Etait-il aussi défoncé que cela ? Israël ne pouvait pas se baser sur sa propre perception, il savait très bien qu'il n'était plus aussi sensible que les autres à toutes ces substances à force d'en absorber un peu plus à chaque fois. Il était dépendant, mais plus défoncé en permanence. Il était encore lucide en cet instant. Et au lieu de le trouver uniquement plaisant, il le trouvait aussi extrêmement dérangeant.

« T'as pas intérêt à te défiler maintenant que tu m'as mis dans cet état. »

Ce n'était pas vraiment la phrase qu'il attendait. Il était à la fois comblé, à la fois déçu. Il aurait voulu que cela se déroule autrement. Il aurait voulu que les choses ne soient pas aussi bestiales. Il aurait voulu autre chose qu'une simple baise. Pourtant, il ne put s'empêcher d'aimer cela. Il se surprit à crier, à en redemander d'une voix éraillée par le plaisir, il se surprit dans l'extase. Son corps parlait plus fort que ses sentiments en cet instant. Le plaisir des sens l'emportait sur le plaisir du cœur. C'était triste à constater, mais il aurait sans doute pu se contenter de cela. Sans doute parce qu'il aimait sincèrement celui qui le baisait simplement. Sans doute parce qu'il aimait sincèrement cet homme, il trouva l'acte divin. Sans doute parce qu'il aimait sincèrement cet homme, mais qu'il ne l'avouerait jamais.

L'homme tomba mollement à côté de lui, il se sentit étrangement vide. Ils n'auraient jamais dû faire cela. Maintenant que cela avait été fait une fois, cela deviendrait une torture que de ne pas le refaire. Il savait que rien ne serait plus totalement comme avant entre eux aussi. Il se demandait si Kylan était assez défoncé pour oublier quelque chose dans ce genre. Tout cela bien sûr en respirant bruyamment. Il n'avait jamais été fort en sport, et mine de rien, c'était quelque chose de plutôt athlétique. Peut-être pour cela qu'il n'était pas un fervent pratiquant. Il eut une légère quinte de toux, mais elle se régula en même temps que son souffle. Il osa à peine regarder Kylan à côté de lui. Ce n'était pas du tout comme cela qu'il s'était imaginé finir entre ses draps. Il passa une main sur son visage. Son souffle était encore troublé. Il faudrait du temps pour que tout revienne à la normale, il le savait.

« Finalement, j'ai pas eu besoin de changer de sexe pour voir ce que je manquai... » lâcha-t-il d'une voix un peu moqueuse, un peu cynique.

La fumée condensée sous la couette s'était éparpillée dans la pièce ne laissant qu'une désagréable odeur. Il n'aimait pas l'odeur que cela laissait dans sa chambre, mais il était trop fatigué, et même pas sûr de pouvoir marcher jusqu'à la fenêtre. Il eut un léger soupir. Tout lui paraissait en cet instant tellement bizarre et compliqué. C'était tellement plus simple de croire que rien n'était possible, et là, cet abruti venait de faire voler en éclat ses pseudo-certitudes.

« J'aurai dû te chauffer plus tôt... »ajouta-t-il avec un soupçon de regret dans sa voix.

La meilleure fumette de sa vie. Les mots firent l'effet d'une douche froide à Israël. Alors il n'avait rien éprouvé de plus ? Ce n'était que la conséquence d'une défonce un peu trop prononcée. Il aurait sans doute pleuré si son colocataire était sorti de la pièce. Mais il restait là, alors, il ravala sa tristesse en reniflant de légères effluves provenant de ses doigts. Le genre de truc qu'il ne ferait pas même goûter à Kylan tant il se doutait des ravages que ces fumées là provoquaient sur son organisme. Mais elle mirent en veille son cerveau, ses émotions, sa tristesse. Il regarda de longues minutes son amant d'un soir. Un regard vide, perdu, défoncé. Au fond, c'était la seule chose qu'il partageait : ce besoin de fuir la réalité à coup de drogue. Kyl' était juste moins atteint que lui. Il ne touchait qu'à une seule drogue, pas la plus violente, ni la plus dangereuse. Lui, c'était une autre histoire. Il n'y avait plus que les mélanges chimiques étranges qui lui lavaient encore le cerveau.

Oh bien sûr, lors de son hospitalisation, on avait tenté de lui faire faire une cure de désintoxication. Il avait tenu le temps de la cure. Juste pour pouvoir sortir. Il avait souffert le martyr du manque. Il avait vomi, il avait tremblé, il avait hurlé. Il s'était promis de ne jamais plus subir cela. Ne jamais plus être en manque. Il savait qu'il ne pouvait pas résister à l'appel de la drogue de toutes façons. Pas avec son don. Pas en vivant à Radcliff. Pas en écrivant des merdes absolues. Pas en vivant avec Kylan. Pas en couchant avec lui lorsqu'il est trop défoncé pour repousser ses avances. Merde, comment avait-il pu en arriver là ?

Il fixa l'homme des heures. Son cerveau avait beau être figé dans une fixité absolue, il n'arrivait pas à dormir. Il n'y arriverait probablement pas de la nuit. Pas avec quelqu'un à côté de lui. Il n'avait jamais réussi à apprécier une présence endormi dans son lit. Il avait le sommeil trop léger et agité pour cela. Il ne se sentait pas en paix avec quelqu'un qu'il pouvait réveiller par son comportement, et inversement. Même si le sommeil de Kylan semblait calme. Il finit par se lever sans faire de bruit. Il attrapa des affaires propres, il lui fallait une douche. Même si c'était une heure pas possible. Tant pis pour les voisins. Il sortit de la salle de bain une heure plus tard, l'esprit toujours aussi embrumé et perturbé. Il alla s'allonger sur le canapé. Un toux s'empara de lui. Voilà pourquoi il était incapable de dormir à côté de quelqu'un. Il s'assit pour ne plus avoir les poumons vrillés. Il finit par s'assoupir, s'écrasant dans une position improbable, à demi allongé, à demi assis. Il se réveilla quelques heures plus tard. Il regarda l'heure qu'affichait le décodeur : neuf heures. Hm. Il grogna. Se leva, se fit un thé. Il retourna dans sa chambre. Il avait presque oublié que Kylan était dans son lit. Il fut presque surpris de l'y découvrir. Il s'installa sur son fauteuil de bureau, l'air évasif. Il voulait travailler, mais il se contenta de fixer l'homme endormi, en buvant de temps à autre une gorgée de thé.

Il fut donc aux premières loge pour l'entendre jurer. Il devait enfin réaliser ce qui s'était passé. Israël n'avait pas encore eu le courage de nettoyer la preuve qui traînait au sol. Les bras appuyés sur les accoudoirs de son fauteuil, la tasse encore tiède entre ses mains, il était immobile, le visage figé dans la neutralité. Il n'avait pas fait le ménage dans le bordel de son esprit, mais il savait faire semblant.

« Effectivement, « merde » doit être le mot qui convient, Kylan. »lâcha-t-il d'une voix assez basse, calme, et faussement détachée. « J'ai toujours cru que tu n'étais pas un « putain de pédé ». »

Ce n'était pas un reproche. Un simple constat. Cela était tellement souvent arrivé dans leurs échanges verbaux que ses réactions de plus tôt étaient toujours aussi improbables dans l'esprit de l'écrivain. C'était digne d'un mauvais retournement de situation de roman bas de gamme. Après le pédé repenti, voici l'hétéro repenti. Quelle connerie.

Israël observa l'éveillé avec sérieux. La situation était définitivement difficile à gérer des deux côtés. Bon point ? Pas forcément. Il savait qu'elle n'était pas compliqué pour son colocataire pour les même raisons. Il savait que dans l'affaire, il n'y avait que lui qui avait des sentiments gênants dans l'affaire. S'il ne l'avait pas aimé, il aurait sans doute juste rigolé un bon coup de cette mésaventure pas déplaisante. Mais il ne pouvait pas. Parce que tout était toujours plus compliqué avec lui. Ne pouvait-il pas faire simple au moins une fois dans sa vie ? Tomber raide amoureux d'un mec tout aussi pédé que lui, sain d'esprit, et attentionné ? Ok, non, il ne pouvait pas, cela le ferait beaucoup trop chier. Il avait besoin de se torturer l'esprit. Mais là, ça allait trop loin pour lui dans le côté malsain de la chose. Fais chier.

Il eut une légère moue en entendant les excuses de Kylan. Il ne voulait pas entendre de putain d'excuses. Il s'excusait de quoi ? D'avoir accompli un fantasme qui le rongeait depuis deux ans ? Bordel. C'était trop bizarre. C'était plutôt à lui de s'excuser en révélant la vérité. Pourquoi il avait accepté cette colocation. Pourquoi il l'observait toujours faire ses exercices dans le salon. Pourquoi il pensait toujours à lui. Mais non, il resta silencieux, gardant son air détaché. Il avait tellement l'habitude de ce rôle qu'il était incapable d'en sortir. Être honnête ? Franchement, cela n'allait-il pas compliquer encore plus cette affaire ? Il eut un soupir imperceptible.

Il eut un rire quand Kylan se fit un soupçon plus acerbe. Répéter ça ? Bien sûr, à tout le monde. Histoire qu'ils sachent tous qu'il est un transmutant abusant de son pouvoir pour assouvir ses désirs déviants. Franchement, il réfléchissait des fois avant de parler ? Seulement son rire se stoppa net à sa question secondaire. Il détourna le regard, un soupçon gêné de devoir avouer que oui, c'était bon. Il préféra attendre toutes les questions avant de répondre. Histoire de se redonner une contenance, et de ne pas employer deux fois en moins d'une journée la même technique pour foutre ce pauvre benêt dans son lit. Il l'observa sans gêne se rhabiller. Quitte à avoir mauvaise conscience, autant en profiter jusqu'au bout, non ? Il eut un long et profond soupir. Il finit sa tasse et la déposa sur son bureau. L'odeur de fumée lui semblait encore omniprésente, preuve de sa coupable manipulation. Il se leva pour ouvrir la fenêtre en grand, s'adossant au rebord de celle-ci, fixant Kyl' par dessus la monture de ses lunettes.

« C'était juste plus concentré. Mais c'était comme de la marijuana. Juste... l'inhalation qui a du être plus efficace. »lâcha-t-il en hésitant sur le qualificatif à employer pour leur premier baiser.

Il passa une main dans ses cheveux, se massant furtivement la tempe. Tout cela allait lui coller un mal de crâne à n'en pas douter. Merde, comment avait-il pu laisser cela se produire ? Franchement, il ne comprenait même pas ce qui lui avait pris. Sauter comme ça sur son colocataire à cause d'une mauvaise blague. Nouveau soupir.

« Ne t'en fais pas, je vais éviter de crier sur tous les toits que j'ai couché avec mon colocataire, tout en me défonçant avec lui grâce à ma mutation. Très sincèrement, je suis pas spécialement fier de ce que j'ai fait. » Il fit une pause. « Mais bordel, pourquoi tu m'as demandé de t'envoyer au septième ciel aussi ? Tu sais que j'ai pas eu de mecs depuis... »Il se mordit la lèvre. Merde, depuis si longtemps que ça ? Il ne termina pas sa phrase. Il n'allait pas avouer à un Don Juan qu'il était son premier coup depuis sept ans. Même lui trouvait cette période d'abstinence proprement invraisemblable et malsaine. Etait-il détraqué au point de ne pas même avoir besoin d'une sexualité active ? Sa main retomba agacée le long de son corps. Merde.

« T'as pas été mauvais... »lâcha-t-il finalement pour répondre à la question sur ses performances.

Il attrapa son paquet de cigarettes dans sa poche, et en glissa une entre ses lèvres. Il avait beau pouvoir dégager la même fumée avec son don, il aimait encore le geste de fumer. Contre le stress, il aimait ce rituel. Et là, la situation était clairement anxiogène. Il expira la fumée doucement. Regardant toujours son adorable cauchemar.

« Et toi, tu as aimé au moins ? »demanda-t-il avec un certain espoir sans doute.