What happens in the dark

Lilian & Ciaran

Ciaran O'Doherty n'était pas vraiment ce que l'on pouvait appeler un type bien. Il mentait, buvait, n'avais pas dû se confesser depuis l'âge de douze ans, lorsque sa grand mère l'avait poussé à s'y rendre après avoir renversé un seau de peinture sur la tête de sa petite sœur, et surtout, Ciaran était capricieux et aimait son petit confort personnel. Il détestait lorsque les choses ne suivaient pas le cours qu'il leur avait imposées, exécrait la contrariété et envoyait balader tous ceux qui tentaient de démolir son petit monde illogique et pourtant bien huilé. En général, il valait d'ailleurs mieux ne pas se mettre le psychiatre à dos, sans quoi il se changeait en une véritable harpie enragée.

Ce soir-là, Ciaran s'était rendu au pot de départ d'un collègue dont il ne connaissait ni le nom, ni la spécialité, mais dont il avait particulièrement aimé le champagne et les petits fours maison cuisiné par son épouse. Tout bien réfléchi, l'épouse aussi lui avait bien plu. Alors il avait bu, rit aux blagues insipides de celui qui quittait l'ennui du Kentucky pour tenter sa chance en Floride, discuté avec des gens dont il ignorait tout, puis il était rentré chez lui. Tard. Légèrement éméché. Il n'avait même pas pris le temps de regarder son courrier ou un épisode de sa série préférée, il s'était immédiatement mis en pyjama pour se coucher. Il n'aspirait qu'à ça, une bonne nuit de sommeil, de quiétude, de tranquillité, loin de toute l'agitation humaine qui animait Radcliff dans la journée. Il allait en fait, de beaux rêves, parti comme il était !

Il se sentit sombrer dans un sommeil de plomb... Qui fut interrompu une vingtaine de minutes plus tard par la sonnerie de son téléphone, qu'il avait oublié de désactiver pour la nuit. L'envie d'envoyer balader le cellulaire à l'autre bout de la pièce fut plus que tentante, et il tâtonna à côté de lui en grognant, à la recherche du dit téléphone. Un coup d'oeil au numéro et il sut qu'il ne pouvait pas faire la sourde oreille. Personne ne raccrochait au nez d'un agent des forces de l'ordre, même en pleine nuit.

« Docteur O'Doherty ? On a un homicide sur les bras et un témoin, on a b'soin de vous dans le quartier sud de la ville... »
« Bonsoir, inspecteur, je vais bien merci et vous ? »
« … Ça n'a rien de drôle, docteur... On vous attend dans dix minutes, magnez-vous... »

Et pas un mot de plus. Pas un merci, un « désolé du dérangement », rien. Quel ingrat. Il ne l'aimait pas, ce flic, de toute manière ! Trop sûr de lui, montrant à qui voulait la voir la jolie insigne qu'il faisait briller à chacune de ses poses pour mieux fixer dans la plaque métallique le reflet d'un homme triste et sans vie qu'elle lui renvoyait. Soupirant, Ciaran comprit qu'il n'était plus temps de dormir mais qu'il lui fallait renfiler son costume et ressortir en pleine nuit dans les rues désertes et froides de la ville. Et dire qu'il commençait à avoir mal au crâne à cause de tout ce champagne ingurgité...

En descendant de son immeuble, le psychiatre s'arrêta dans son café préféré, lequel servait jusqu'à plus de deux heures du matin, fort heureusement. Lorsqu'il arriva sur les lieux du crime, Ciaran sirotait tranquillement son moka caramel saturé en sirop de vanille et avait tout l'air d'un badaud débarquant sans trop savoir ce qu'il faisait là. Avec une curiosité presque déplacée, il s'approcha de l'endroit où était étendu le corps d'une femme couverte de sang, mais s'en détourna rapidement lorsque son meilleur ennemi le flic le tira un peu plus loin pour le présenter à la demoiselle qui avait, semble-t-il assisté à toute la scène. Instinctivement, Ciaran sonda les sentiments qui l'animaient, s'étonnant d'en voir autant fourmiller dans son esprit. Une hyperémotive, comme l'était Gene avant sa vaccination ? Une fois que le policier les eut laissé, le psychiatre s'assit à côté de la jeune femme et se tourna doucement vers elle.

« Je m'appelle Ciaran, je suis psychiatre... N'ayez pas peur, je veux simplement vous rassurer et vous aider. Vous avez assisté à la scène, paraît-il ? Vous voulez bien me raconter tout ça ? Prenez votre temps, nous avons toute la nuit s'il le faut. »

Un discours éculé, maintes et maintes fois répété, qu'il avait l'impression de redire tant de fois par mois qu'il aurait aussi bien pu l'enregistrer sous forme de répondeur vocal. Pour inciter la demoiselle à lui parler, il lui envoya doucement une onde de confiance, comme il le faisait avec chaque témoin d'un meurtre et chaque patient qui passait dans son cabinet. Seulement, il ne s'était encore jamais trouvé en présence d'une personne maîtrisant à peu de choses près la même mutation que la sienne...© Grey WIND.

What happens in the dark

Lilian & Ciaran

La nervosité, Ciaran était habitué à la ressentir chez les témoins de meurtres. Il savait identifier celle des gens traumatisés, mais aussi celle, beaucoup plus vicieuse, des sur excités, ceux qui se plaisaient à avoir assisté à un assassinat. Seulement, il n'avait pas l'habitude de voir tant de... Paramètres différents interférer avec la nervosité de la jeune femme qu'il devait interroger. Il sentait en elle tout un tas de sentiments différents, comme si elle avait été porteuse des sentiments de plusieurs personnalités en une. Allons bon... Une schizophrène, maintenant ? L'Irlandais était à mille lieues de se douter qu'en réalité, lui et la jeune femme n'étaient si différents l'un de l'autre. Elle ressentait les émotions des gens, lui pouvait jouer avec à sa guise. Pourtant, ça ne lui aurait pas fait de ressentir pour une fois dans sa vie un véritable sentiment. Mais pour l'heure, Ciaran ne voyait en elle que la victime collatérale d'un meurtre, celle qui allait passer les prochaine nuits à fixer le plafond de peur de voir à nouveau le visage de l'assassin dans ses cauchemars... Il les connaissait par cœur, les réactions des traumatisés, il en voyait défiler tous les jours dans son cabinet ! Si Ciaran était blasé à force ? Un peu, il fallait bien l'admettre.

Mais trêve de pensées saugrenues, il était supposé écouter, pas juger, et c'était déjà un gros effort de sa part. Alors il écouta, patiemment, en silence, posant sur la demoiselle un regard qui se voulait compatissant tout en lui insufflant doucement confiance et calme à l'aide de sa mutation. Elle s'appelait donc Lilian, fort bien et semblait s'être délibérément mise en danger, dans cette histoire. Il se contentait de hocher la tête par moments, s'abstenant de noter quoi que ce soit pour ne pas perturber la jeune femme, et attendit la fin de son récit pour réagir.

« Essayez de vous calmer un peu, d'accord ? Vous semblez nerveuse et c'est tout à fait normal, mais il faut vous calmer. Vous dites que vous avez entendu quelqu'un courir prêt de vous, mais les faits se sont-ils produits là où vous vous trouviez ou avez-vous poursuivi la victime ? »

En d'autres termes, était-elle le témoin involontaire d'un meurtre, ou pouvait-on la soupçonner de complicité ? Pour l'heure, Ciaran s'en tenait encore au schéma habituel, et ce presque machinalement, sans trop se poser de questions. Pourtant, il continuait de sentir un trop plein de sentiments contradictoires chez la jeune femme, ce qui ne cessait de l'étonner. C'était tout de même amusant de voir un véritable aimant à émotions et un genre de pierre huileuse sur laquelle tous les sentiments semblaient couleur. Le noir et le blanc, le feu et la glace... Deux opposés parfaits.

« Vous souvenez-vous de quoi que ce soit d'autre ? Une odeur ? Une voix ? Un vêtement ? Tenez... Fermez les yeux et essayez de faire abstraction de tout ce qui nous entoure. Il n'y a plus de policiers, rien que vous, la femme que vous avez suivie et son agresseur... Essayez de vous souvenir de quoi que ce soit le concernant. Le plus petit détail peut suffire à nous éclairer quant à son identité. »

Et surtout ses desseins... Pourquoi avoir tué cette femme ? Qu'avait-elle fait ? Qui était-elle ? Une altercation entre un mutant et un chasseur ? Une liaison qui aurait mal tournée ? Une règlement de compte ?
© Grey WIND.