Teach me how to be alive again

Elsa & Marvin

Parfois, je me demande quelle aurait été ma relation avec le personnel soignant si je n’avais pas été à ce point habitué à obéir par le passé. Très certainement que je leur aurais gentiment dit d’aller se faire foutre avec leurs recommandations à la con. Très certainement, aussi, je ne serais pas là, dans le hall de l’hôpital, à tenter de me repérer et de me faire repérer par le personnel. Déjà que de base, je suis plus du genre petit et teigneux alors en fauteuil… je rejoins la confrérie des Liliputiens avec la carte VIP.

Mes mains font glisser les roues sur le sol, recouvertes de gants pour vélo depuis peu, lorsque les ampoules ont eu raison de ma patience. Un coup d’œil à ma montre, un coup d’œil dans mon dos, un coup d’œil,  nerveux, tout autour de moi. J’ai beau jouer la nonchalance, la perte brutale de mes capacités a du mal à passer et j’oscille entre le déni le plus complet et la paranoïa sévère. Calant mon portable entre mes cuisses, je me décide à louvoyer entre les gus qui ont comme par hasard tous décidés d’aller voir tonton Gustave et grande tante Marjolaine pile le jour de mon rendez-vous, s’accordant avec la précision d’un régiment chinois pour mieux me faire suer. Ma main claque sur le bord du bureau de l’accueil, pour me faire remarquer. Aussitôt je bois une tête apparaître : bon point pour toi, Sylvie, tu fais de toute évidence partie de cette élite de fonctionnaires qui a défaut d’aimer son job, essaye de le faire avec toute la bonne volonté du monde. Ce que tu dois te faire royalement chier tout de même, je compatis. « J’ai reçu ça de la part du docteur Gründer. Il paraît que je dois me présenter je sais plus où pour voir quelqu’un. Et non, c’est pas un psy.  » Même si le Gründer en question aurait préféré. Je suis du genre obéissant, mais je refuse d’être malade . Dans le couple Smedry, ce n’est franchement pas moi qui devrais consulter d’ailleurs. Un soupir. « Vous pouvez m’indiquer où c’est ? » Tu entends ça,  Gründer, tu ne peux plus m’accuser de ne mettre que de la mauvaise volonté maintenant.

Des explications, que j’enregistre sans m’en rendre compte, je récupère ma convocation pour rejoindre un couloir attenant au hall. On viendra me chercher. Mon haussement de sourcil est bien plus qu’éloquent : il est presque résigné. Je me glisse dans une pièce, arrache à une table le premier magazine venu, de la presse People voilà qui est passionnant , et je commence à feuilleter ce torchon en me demandant pour la énième fois depuis que le taxi est venu me chercher ce que je peux bien foutre là et par quel raisonnement stupide j’en suis venu à me pointer à un  rendez-vous visant à me faire rencontrer une autre personne  dans la même situation que moi, comme l’a si joliment formulé Gründer, qui me suit depuis mon rapatriement à Radcliff. Un personne dans la même situation que moi, je lui ai demandé si elle aussi était en instance de divorce. Il n’a même pas esquissé un sourire.

Incapable de m’intéresser plus d’une dizaine de minutes à la vie de mecs dont je ne connaissais même pas l’existence il y a quelques minutes, et je m’en portais pas plus mal, je laisse tomber et commence à chantonner pour moi-même en regardant le plafond pour faire passer le temps. Je n’ai pas commencé le deuxième couplet en maori que la porte grince et que je bondis sur mes pieds pour saluer la charmante blonde qui vient d’entrer… non, je plaisante,  je reste le cul vissé au fauteuil et je considère d’un œil noir l’arrivante. En revanche elle est vraiment blonde. Et charmante. A croire qu’en ce moment j’ai un problème avec les blondes. « Segelbacher, c’est ça ? C’est vous ma nouvelle nounou ? » Le magazine et ses stars en 2D font un vol plané jusqu’à la table basse. « Alors je ne sais pas trop ce que vous a dit Gründer mais je vais très bien, donc je propose qu’on ne perde pas de temps et qu’on retourne à nos occupations palpitantes de tracteurs hémiplégiques. Ça vous va ? » De toute manière si ça ne lui va pas et bien… dommage pour elle. Vraiment. Parce que même si je suis normalement plutôt bonne patte, depuis mon accident, je suis ouvertement hostile à tout le monde. C’est peut être pour ça que Gründer tient à parler de choc post-traumatique. Je vais bien, c’est ce que je réponds à chaque fois qu’il me demande de revenir sur les circonstances de ma paralysie, sur le crash et l’hospitalisation qui a suivi. Je vais bien, c’est ce que je brandis entre lui et moi lorsqu’il s’obstine à gratter la surface, m’exaspérant toujours un peu plus. Comparé à mes frères d’arme, je me porte comme un charme, j’ai envie de lui faire remarquer, donc bon, hein, qu’il me lâche avec ça, il sera gentil.