Merry était contente d’avoir trouvé Slade pour partager ses chasses. Depuis qu’elle avait appris que Zeke n’était pas le hunter qu’elle s’était imaginé, elle n’avait pas trouvé de partenaire avec qui elle appréciait vraiment de chasser. Tous les hunters qu’elle avait rencontrés en ville étaient bien différents d’elle, et même si elle faisait d’énormes efforts pour leur ressembler et pour entrer dans leur moule bien calibré, elle était soulagée de pouvoir passer du temps avec quelqu’un qu’elle connaissait et qui ne la jugerait pas sur des standards trop élevés. En fait, elle n’aurait jamais cru que Slade puisse être un hunter, mais la surprise avait été réciproque, et c’était sans doute ça qui les rassemblait le plus. Elle mettait les chasseurs sur une sorte de piédestal depuis la toute première fois qu’elle les avait côtoyés, en France. Ils étaient pour elle un idéal qu’elle rêvait d’atteindre, une sorte de force plus puissante qu’elle ne le serait jamais, un bouclier contre le mal qu’il fallait élever sans faillir. Ils représentaient des idéaux plus que des actes, et elle admirait surtout le principe des hunters plutôt que les individus en eux-mêmes. Mais cette admiration creusait un fossé entre elle et eux, qu’elle semblait incapable de franchir. Elle trouvait constamment de nouveaux défauts à se reprocher, et jamais elle ne se sentait à leur hauteur. C’était différent avec Slade. Ils n’avaient pas effectué beaucoup de chasses ensemble, et à vrai dire elle ne savait pas comment il s’y prenait, elle ignorait ses techniques, ses points forts et ses points faibles, mais ça ne l’inquiétait pas. Elle s’en fichait bien, tout ce qui comptait c’était qu’elle le connaisse, lui. Ils avaient été proches pendant de longues années, bien qu’il n’ait jamais eu le rôle de confident qu’elle avait toujours réservé à Selwyn. Mais Selwyn, c’était du passé. Elle s’obligeait à ne pas trop penser à lui, malgré toutes les fois où elle avait le cœur qui se serrait quand son visage revenait flotter dans sa mémoire. Il était un souvenir plein de regrets, de diverses sortes, et elle ne devait pas trop s’y pencher. Sa mutation, puis sa mort, avaient été des épreuves qui la torturaient encore trop souvent. Alors, avoir retrouvé Slade était un véritable bonheur. Lui, elle savait qu’il n’était pas mutant, et il partageait son allégeance aux hunters, bien que ce soit pour d’autres raisons. C’était un ami d’enfance au même titre que Selwyn, et elle pouvait apprécier sa présence sans se sentir mal, contrairement aux dernières fois où elle avait vu le jeune Spiegelman.

Aujourd’hui, ils marchaient dans la forêt pour aller débusquer un mutant pyromane. Il faisait nuit, et les bois étaient sombres. Merry préférait généralement avoir ses missions de nuit en ville, ou au moins dans les lieux plus dégagés que la forêt. Ici, il n’y avait pas la moindre lumière, et il était difficile de se déplacer aussi discrètement que leurs obligations l’exigeaient. Elle n’était pas très à l’aise, Merry. Aux aguets, elle était certaine qu’on pouvait les entendre à des lieues à la ronde, alors qu’elle savait pertinemment qu’il n’y avait absolument rien, à des lieues à ronde. Même la cahutte de celui qu’ils traquaient se trouvait bien plus loin, il leur faudrait encore marcher longtemps avant que le mutant ne puisse les entendre. Malgré tout, elle se sentait nerveuse, et sa raison ne parvenait pas à la convaincre qu’elle était ridicule à s’inquiéter pour rien. Elle fut donc soulagée quand Slade prit la parole, rompant le silence qu’elle se faisait un devoir de respecter. C’était une vieille habitude prise avec les hunters qui l’avaient entraînée, et rappelée ensuite avec violence par Ezekiel : les chasses se faisaient en silence. Le fait qu’elle soit avec Slade, et pas avec un chasseur à impressionner, ne parvenait pas à supprimer cette sacro-sainte règle de l’esprit de Merry. Mais quand il éleva la voix, d’autant plus pour poser une question particulièrement décalée, Merry se souvint qu’avec lui, elle pouvait au moins laisser tomber la discipline de silence qu’elle s’imposait. Il n’était pas du genre à s’embarrasser des règles trop étriquées, il suivait sa propre voie et faisait comme bon lui semblait. Elle haussa les épaules, tout en sachant qu’il ne verrait sans doute pas son geste. « Ouais … Mais il faudrait plus que deux petits hunters perdus en forêt pour l’attraper, celui-là. » Personne ne semblait l’avoir vu pour de vrai, mais tout le monde y allait de ses rumeurs, et toutes s’accordaient à dire que le monstre était gigantesque et assoiffé de sang. Si Merry voulait bien traquer des mutants contre qui elle avait des armes, et une formation adéquate, il n’en était pas de même pour cette bête sauvage. Et seule, il n’était pas question qu’elle se lance là-dedans. « Personne ne semble se décider à monter un groupe pour le traquer pour de bon. Mais s’il y a une battue pour le retrouver, je vais me proposer pour en être ! Tu viendras avec moi ? Ca nous changera des petites missions comme celle-là. » Ajouta-t-elle d’un ton légèrement méprisant. « Et comme t’as dit ... Joe le clodo, merci bien. C’est même pas une vraie menace, on va s’occuper de lui vite fait et on sera de retour avant minuit. » Soupira-t-elle. Encore une habitude qui s’était trop ancrée en elle pour qu’elle s’en rende compte, mais il était inutile qu’elle joue aux gros bras avec Slade. Elle n’avait pas besoin de l’impressionner, pourtant elle se conduisait comme avec tous les autres, comme une insensible blasée par les tueries. Mais la vérité était qu’elle désirait désespérément devenir cette tueuse puissante et efficace qu’elle prétendait être devant tous les autres … Soudain, il y eu un craquement de branche à côté d’elle et elle sursauta. Elle fit un écart sur le côté et se heurta à Slade. Elle posa sa main sur son bras pour retrouver son équilibre et loua le ciel qu’il fasse nuit, finalement : elle sentait ses joues la brûler et elle devait être cramoisie. Elle se sentait honteuse d’avoir si bien révélé sa nervosité. « Désolée. J’ai cru … Peu importe. » Ce n’était rien, en plus. Un petit animal qui était passé, peut-être, mais rien qui nécessitait qu’elle fasse un écart comme ça. Quelle idiote !

Ce problème de monstre, c’était quand même quelque chose. Merry trouvait que les hunters ne s’inquiétaient pas assez de savoir ce que c’était, et surtout de la retrouver pour l’arrêter. Il y avait déjà eu des victimes, et beaucoup de dégâts. Pour des gens qui se posaient en défenseurs des humains, elle trouvait qu’ils étaient quand même un peu trop négligents à ce sujet. Mais Merry n’avait jamais été quelqu’un qui élevait sa voix dans la foule pour proposer des solutions, elle préférait rester dans l’ombre et ne se manifester que quand on demandait des volontaires. Elle avait toujours préféré suivre le groupe, elle n’était pas un leader mais une suiveuse. Elle n’en ressentait aucune honte particulière, elle était comme ça et c’était. Même si, certaines fois, elle aurait préféré avoir le caractère de s’affirmer devant les autres … Et surtout qu’on la regarde différemment. Elle ne voulait plus être la petite nouvelle à qui on ne confiait que des petites missions. Dernièrement elle avait réussi à se faire sa place, on ne la regardait plus comme l’étrangère ou comme l’incapable, mais elle était encore loin d’obtenir la reconnaissance que certains hunters récoltaient sans efforts. « Tu devrais peut-être proposer l’idée à d’autres hunters. » Merry haussa les épaules. « Ouais, bien sûr. Parce qu’ils m’écouteraient, moi. Les Callahan, les Wolstenholme et les autres, ils n’ont pas que ça à faire que de prendre mon avis. » C’était eux qui pouvaient prendre les grandes décisions de ce genre depuis que Lancaster avait été destitué, mais ils avaient d’autre chats à fouetter. Et Meredith n’était pas sûre de vouloir leur parler, de toute façon. Elle choisissait avec soin les hunters qu’elle côtoyait, trop intimidée pour oser aborder ceux qui lui semblaient inaccessibles. « Evidemment que je viendrais avec toi. » Cette affirmation fit plaisir à Merry, et elle sourit à Slade dans le noir, bien qu’il ne puisse pas la voir. Il n’avait pas hésité pour accepter, même s’il ne semblait pas plus emballé que ça par l’idée d’une battue pour retrouver la bête. Elle était contente qu’ils puissent compter l’un sur l’autre sans jamais se poser de questions, c’était devenu plutôt naturel entre eux et c’était réconfortant. Ils avaient renoué rapidement avec leur ancienne amitié, retrouvant leurs habitudes ensemble sans aucun problème, et Merry se sentait à l’aise avec lui. S’il fallait choisir un hunter pour n’importe quoi, elle savait maintenant que ce serait toujours lui qui passerait en premier. Zeke avait perdu cette place, et peut-être que cela valait mieux. Elle devait arrêter de le voir comme un vrai hunter, alors que Slade, lui, en était un pour de bon. Peut-être pas impliqué corps et âme comme les autres, mais il avait ses motivations et elles étaient suffisantes. Il ne flanchait pas quand il fallait agir, au moins. « Ouais, faut croire qu’on vaut pas mieux que Joe le clodo. » Cette phrase sembla bien trop défaitiste à Merry, qui poussa une exclamation indignée. « Ca va pas non ?! On vaut bien mieux que ça ! Il faut juste le leur prouver, et ils finiront par nous filer de vraies missions. Conclusion, il faut qu’on dérouille Joe en vitesse. » A une époque, elle aurait été atterrée de tenir un tel langage. Elle avait eu une certaine éthique, et elle ne dérouillait pas les mutants, elle éliminait ceux qui représentaient de vrais dangers. Mais depuis que Lysander Hyde était passé par là, lui faisant miroiter le retour à la vie de sa sœur avant de la décevoir cruellement … Elle n’avait plus tant d’états d’âme. Elle était en colère contre le genre mutant dans son intégralité, et s’il fallait coller une trempe à un pauvre gars qui se planquait en forêt, elle le ferait avec plaisir.

Mais sa tentative pour avoir l’air d’être une dure à cuire se solda en parfait échec quand elle sursauta à cause d’une branchée cassée, et elle flanqua un coup de poing dans l’épaule de Slade quand il osa en rire. « Est-ce que tu viens d’avoir peur d’une branche ? » Elle était bien plus en colère contre sa réaction stupide que contre lui, et elle se mit à rire avec lui. « C’est vrai qu’faut s’méfier, je crois que c’est la pleine lune ce soir, doit y avoir plein de loups-garous dans le coin. » Par réflexe, elle se dévissa le cou pour essayer de dénicher la lune à travers les branches et les feuillages, mais elle ne vit rien d’autre que l’obscurité. Ils ne pouvaient même pas voir une seule étoile, au milieu de cette maudite forêt. « Ahaha, n’importe quoi ! C’est même pas la pleine lune. » Mais ce n’était pas la question, les loups-garous n’existaient pas de toute façon. Les bêtes sauvages et les monstres mutants par contre … Elle frissonna et avança un peu plus vite à travers les broussailles. « A ton avis, les loups-garous ont besoin de voir la lune pour changer ? Genre s’il y a beaucoup de nuages, ils ne se transforment pas ? » Cette question lui venait de nulle part, mais elle était sûre que Slade aurait un point de vue là-dessus. Il était bien plus calé qu’elle sur tous ces trucs. Sa culture à elle sur les loups-garous s’arrêtait à ce qu’elle avait lu dans Harry Potter quand elle était au lycée, ce n’était pas très brillant. Mais elle préférait qu’ils parlent de ça plutôt que des vrais dangers potentiels qui peuplaient les bois. Mais au bout d’un moment, alors qu’ils continuaient d’avancer, Merry ralentit, sourcils froncés. « Slade, attends ! Tu sens ça ? » Murmura-t-elle en lui posant une main sur le bras pour qu’il s’arrête. Ce qui n’avait été qu’une très légère odeur lui parvint alors plus clairement : elle sentait de la fumée. Elle glissa sa main dans sa poche pour en sortir son pistolet – juste au cas où – et elle avança prudemment vers la source de fumée. Ils débouchèrent rapidement dans une sorte de petite clairière, et Merry s’avança prudemment. Au centre, il y avait un vestige de feu de camp qui fumait encore, ainsi que quelques rondins placés autour. Les braises avaient été éteintes à la va-vite, visiblement. La jeune femme sentit son rythme cardiaque augmenter, et elle sonda les ténèbres autour d’eux, mais il n’y avait plus trace de vie. « Il a du nous entendre. On ne doit plus être si loin de sa demeure, finalement. » Elle parlait à voix basse, mais elle savait que ça ne servait sans doute plus à rien. S’il les avait entendus, il devait se cacher, et ils ne pourraient pas le retrouver … A moins qu’il ne décide de les attaquer.

Slade et Meredith n’auraient jamais du atterrir chez les hunters. Même à les voir aujourd’hui, on pouvait difficilement croire qu’ils faisaient partie des chasseurs de mutants. Ils auraient du continuer leur petite vie sans embrouilles, à enchaîner études puis boulot, sans jamais se soucier de la prochaine personne à tuer. Parce que ce n’était pas eux, ça. Ils n’étaient pas ces personnes qui se demandaient qui il faudrait tuer lors de la prochaine mission. Merry s’illusionnait à croire qu’elle était devenue une vraie chasseuse, tout en sachant qu’elle aurait préféré en rester loin si la vie avait pu en décider autrement. Elle se disait que ce n’étaient pas ses choix qui l’avaient menée ici, mais une suite d’évènements qui ne lui avaient pas laissé d’autre option. Elle voulait devenir médecin, sauver des vies et se sentir utile à la société, elle n’avait jamais projeté de devenir une chasseuse s’octroyant le droit de vie ou de mort sur son prochain. Mais c’était une vie qu’elle avait abandonné derrière elle, qui la faisait toujours souffrir quand elle s’y penchait, mais qu’elle essayait d’oublier. Les regrets ne servaient à rien, et ils ne faisaient que la ralentir, la rendre moins efficace. Et c’était la même chose pour Slade. Il n’était pas destiné à devenir comme ça. Lui aussi aurait préféré rester un anonyme aux mains propres, plutôt qu’un tueur à qui on désignait des proies qu’il s’empressait d’aller tuer. Ils n’avaient pas besoin de le dire à haute voix pour que ce soit parfaitement clair entre eux, et c’était sans doute la raison pour laquelle ils faisaient une si bonne paire. Mais quelles que soient les raisons de leur présence ici, ils étaient motivés, et c’était tout ce qui comptait. S’il fallait tuer, ils tueraient. Ils avaient assez prouvé leur valeur par le passé … Mais ça ne suffisait jamais. « Ils devraient peut-être. C’est pas parce qu’on est pas né Wolstenholme ou Callahan qu’on est cons comme des manches à balais. » Merry haussa les épaules. « Ca c’est clair … » Elle n’avait pas envie d’être une Wolstenholme ou une Callahan, et elle ne voulait pas non plus qu’on la pousse sur le devant des hunters pour prendre la parole devant tout le monde. Si son idée pouvait arriver jusqu’en haut de la hiérarchie hunter, elle n’avait même pas envie qu’on dise qu’elle venait d’elle. Mais qu’on reconnaisse leur valeur, à eux qui n’étaient que des hunters lambda dont personne ne connaissait le prénom, voilà qui serait quand même plus sympa. « Okay, okay. Allons prouver notre valeur alors. » L’empressement à répondre de Slade tira un sourire à Meredith, il avait bien du saisir à quel point ça l’agaçait, de toujours rester au bas de l’échelle. Ce n’était pas avec Joe le Clodo qu’ils feraient leurs preuves, mais pour l’instant c’était tout ce qu’ils pouvaient faire, alors autant le faire correctement.

Mais tant qu’ils n’étaient pas en vue de leur cible, on ne pouvait pas dire qu’ils savaient garder leur sérieux bien longtemps. Le naturel ne tardait jamais à ressortir quand ils étaient tous les deux, et c’est comme ça qu’ils se retrouvèrent à discuter de loups-garous. En pleine mission pour aller tuer un pauvre type en forêt … Mais Merry trouvait ça bien plus agréable que le silence renfrogné des autres hunters. « Qu’est-ce t’en sais que c’est pas la pleine lune ? » Elle lui flanqua un coup de coude dans le noir pour le punir de son peu de foi, tout en se mettant à rire. « Parce que je sais, c’est tout ! Peut-être que je suis un loup-garou moi-même, qu’est-ce que t’en sais toi aussi ? » Elle poussa un petit grognement, plus proche du chiot que du loup enragé, puis déclara d’un ton enjoué : « Non, j’arrive pas à me transformer, c’est pas la pleine lune ! » Comme si cela prouvait sa certitude une bonne fois pour toutes. Mais elle n’y connaissait rien, en loup-garou, et elle était certaine que Slade en savait plus qu’elle. Il était bien plus geek qu’elle après tout ! « Je pense pas. Sinon ce serait facile, tu t’enfermes dans une pièce dans fenêtre, genre les chiottes tu vois, et hop pas de transformation. » Cette fois, Merry éclata franchement de rire avant de se plaquer les mains sur la bouche en réalisant tout le bruit qu’elle faisait. Mais quelle imbécile ! Il fallait qu’elle se souvienne de leur véritable but ici, ils n’étaient pas là pour une balade de santé … « Ouais, c’est pas con. Les films d’horreur seraient vachement moins effrayants s’il suffisait d’enfermer le loup-garou aux toilettes. On n’y pense pas assez … » Elle racontait vraiment n’importe quoi ! Mais au moins, elle avait parlé à voix basse au lieu de s’exclamer tout haut. Pourtant, ce ne fut pas suffisant : ils avaient déjà du alerter Joe, parce qu’ils tombèrent sur un feu de camp éteint à la va-vite. « Peut-être bien ouais, où alors, y a des gamins qui viennent de faire un feu de camp pour cramer des marshmallows. » A cette heure de la nuit, aussi éloigné de la route, Merry en doutait fortement. Et avec la bête qui rodait dans les environs de Radcliff, les parents auraient été complètement irresponsables de laisser leurs gamins dans les bois ! Non, il s’agissait sans aucun doute de Joe – aka le mutant dont ils ne connaissaient pas le véritable nom. « Regarde ça. Probablement la maison de Joe. » Merry leva les yeux et aperçu la lumière que lui désignait Slade. Elle inspira profondément et serra plus fort son arme dans sa main. « On devrait faire vite, s’il nous a entendu, je suis prêt à parier qu’il réunit ses affaires pour se faire la malle, définitivement. » La jeune femme fronça les sourcils et hocha la tête. Elle ne voulait pas laisser échapper cette proie, pas question ! « Ouais. Tu passes d’un côté de la maison, et moi de l’autre ? Il faut qu’on puisse l’attraper si jamais il sort. » Elle se dirigea d’un pas souple vers la petite bâtisse, qui ne méritait pas vraiment le nom de maison. Elle était entièrement faite de bois, et ne devait pas compter plus d’une pièce, ce qui facilitait grandement les choses pour les deux chasseurs. Leur proie n’aurait beaucoup de choix de pour s’échapper. La lumière tremblotante qui filtrait à travers une fenêtre obstruée par des planches s’éteignit finalement, et Merry passa à droite de ce qui semblait être la porte d’entrée, tandis que Slade partait de l’autre côté. Elle fut prise d’un élan de doute quand elle réalisa qu’elle ne savait pas comment identifier clairement le mutant sans le confondre avec un humain normal, et quand la porte s’ouvrit doucement, à quelques mètres d’elle, elle hésita. Dans la pénombre, une silhouette se détacha, s’avança, et lui fit face. Merry aurait presque pu dire à Slade qu’elle avait raison, que la lune n’était pas pleine, parce qu’il y avait une percée entre les arbres juste au-dessus de leur tête et que la lune y était enfin visible, éclairant faiblement la scène de son demi quartier. Juste assez pour qu’elle distingue les traits de l’homme. Juste assez pour qu’elle se dise, pendant une fraction de seconde, qu’il était terriblement banal et que seule la peur donnait quelque chose de plus à ce visage qu’elle n’aurait jamais remarqué dans une foule. Elle croisa son regard et elle mit trop longtemps à réagir, obnubilée par cette ancienne règle qu’elle s’était imposée et qui lui interdisait d’attaquer quelqu’un sans avoir la preuve de sa dangerosité. L’homme profita alors de cette infime hésitation, et une lueur vive éclaira soudain la scène, surgissant de ses mains ouvertes dans une flamme gigantesque qu’il lança sur elle.

Ils avaient plaisanté à propos des loups-garous, comme s’ils étaient en train de faire une petite balade digestive dans la forêt. Oublieux de ce qu’ils venaient vraiment faire ici, ils s’étaient retrouvés comme ils le faisaient toujours, parfaitement détendus ensemble, à raconter des bêtises plus grosses qu’eux. Ils étaient bien plus proches des gosses qui riaient de blagues débiles que des hunters sérieux prêts à tuer de sang-froid. Ca avait toujours été comme ça, quand ils se retrouvaient ils mettaient de côté leurs responsabilités, et ça leur faisait du bien de rire un peu. Mais ça ne durait jamais. Ils étaient venus pour tuer, et l’approche de la maison du mutant leur rendit leur sérieux. Ils allaient tuer. Comme les bons hunters qu’ils étaient malgré leurs plaisanteries, afin de prouver à tous les Callahan, Wolstenholme et autres qu’ils n’avaient pas besoin de leur nom pour être hunters eux aussi. Ils avaient leurs raisons, toutes aussi légitimes que les leurs. Mais Merry ne tuait pas sans vérifier que sa proie était bien un mutant, c’était un principe auquel elle tenait depuis sa toute première chasse, en France. Elle ne voulait pas devenir une tueuse acharnée, même si ces derniers mois elle avait complètement changé de technique de chasse. Elle voulait tuer, elle voulait se prouver qu’elle était une bonne hunter et elle voulait éradiquer les raclures mutantes de Radcliff. Mais pas les humains. Pas les innocents. Et ce fut cette pensée qui faillit la tuer, car l’homme en face d’elle savait qu’elle était hunter quand elle hésitait encore à le déterminer mutant. Il fit apparaître ses flammes de ses mains, prouvant par là qu’il était bien le dégénéré qu’ils chassaient, et Merry se jeta sur le côté pour éviter le jet brûlant qu’il lança sur elle. Elle sentit un souffle ardent la frôler tandis qu’elle tombait au sol, les murs prenant feu presque immédiatement autour d’elle. Elle entendit retentir des coups de feu sans voir ni Slade ni le mutant, et quelque part elle fut rassurée que son ami ait pris le relais. Elle n’eut aucun doute qu’il s’était occupé du mutant, même si elle n’avait pas vraiment de moyen de s’en assurer, et que ce n’était plus sa préoccupation principale. Parce qu’elle était entourée par les flammes et qu’elle ne voyait plus rien d’autre … Et que sa veste était en train de brûler. Elle le réalisa soudain en sentant une chaleur intense sur son bras. Paniquée, elle donna de grands coups sur sa manche pour éteindre les flammes qui embrasaient le tissu, et elle réussi à l’éteindre quand la morsure brûlante atteignit sa peau. Le feu avait largement entamé son manteau, créant un trou béant jusqu’à travers son pull, et elle crispa la main sur son bras en sentant la brûlure. Elle préféra ne pas regarder, ne pas s’attarder là-dessus. Elle devait d’abord sortir d’ici.

Poussée par le feu, elle était entrée dans la pièce, ce qui lui sembla être une très mauvaise idée en voyant tout s’embraser autour d’elle, et elle entendit Slade l’appeler de l’autre côté. « Slade ! Je suis là ! » Elle n’était pas sûre qu’il l’ait entendu à travers le vrombissement des flammes, et elle n’avait pas du tout envie qu’il vienne la rejoindre la dedans, tout compte fait. Il fallait qu’il reste en dehors, en sécurité. Et elle, il fallait qu’elle sorte de là, très vite. Elle tourna sur elle-même pour chercher une issue, réprimant des quintes de toux sous l’effet d’une fumée de plus en plus épaisse. Il ne fallait surtout pas qu’elle panique … Mais elle en avait très envie ! Tout semblait bouché par les flammes, et elle eut soudain la vision – très désagréable – de ce qui se passait toujours dans les films à ce moment : généralement les poutres enflammées commençaient à tomber du plafond sur les héros. Elle n’avait pas du tout envie que ça lui arrive ! Elle leva un regard angoissé vers le plafond, puis pris une grande inspiration qui la fit tousser de plus belle, et elle se lança à travers la porte ouverte, ses bras ramenés autour de son visage pour le protéger des flammes. Le cœur battant à tout rompre, elle sentit une vive chaleur l’entourer avant qu’elle ne ressorte de l’autre côté, et qu’un peu d’air frais l’accueille. Elle regarda autour d’elle, abasourdie d’avoir pu sortir aussi facilement, mais elle ne vit que des flammes, encore. Tout était en train de prendre feu, elle n’était pas sortie d’affaire. « Slade ! » Cria-t-elle encore. Devant elle, la forêt sombre l’appelait, comme un rempart contre les flammes et leur chaleur écrasante. Mais tant qu’elle ne savait pas où était Slade, il était hors de question de s’en aller. Prenant son courage à deux mains, elle essaya de faire le tour de la maison tout en criant le nom de son ami. Est-ce qu’il était à l’intérieur ? Bon sang, elle espérait qu’il n’était pas entré pour la chercher ! Pas une seconde elle n’envisagea qu’il soit parti sans elle, elle savait qu’il n’aurait jamais fait ça. « Slade ! » Devant elle, une silhouette. Elle eut peur pendant un instant que ce fut le mutant, que les coups de feu ne l’aient pas tué et qu’il ait survécu pour s’en prendre à son ami … Mais elle reconnu rapidement le jeune Bennett, et elle couru vers lui, soulagée.

Merry se jeta avec reconnaissance dans les bras de Slade. Soulagée qu’ils soient tous deux en vie, soulagée que ce soit terminé, soulagée qu’ils puissent repartir sans se retourner. Le feu était toujours en train de gagner du terrain autour d’eux, mais pour l’heure elle s’en fichait complètement, et ils seraient bien vite assez loin pour être en sécurité. Les flammes s’arrêteraient d’elles-mêmes, bloquées par la forêt humide, et tout ceci serait vite oublié. Mais ce qui avait commencé comme une mission de bas étage, une bagatelle pour les hunters de renom de Radcliff, s’était changé en un quasi-fiasco où ils avaient bien failli perdre la vie … Comme quoi, il ne fallait jamais prendre pour acquis quoi que ce soit, même les mutants les plus insignifiants. Ils étaient tous des monstres capables de se défendre, capables de faire des choses horribles qui dépassaient l’entendement. Cet homme là n’aurait jamais du pouvoir faire apparaître du feu de ses doigts, c’était une aberration. Il était dangereux, mais il avait été mis hors d’état de nuire. Un de moins à rôder autour de la ville … C’était toujours ça, même s’il en restait encore des centaines dont ils ne connaissaient même pas l’identité. Tous, ils pouvaient réduire la ville en cendres de leur manière bien particulière, comme le mutant qu’ils venaient d’abattre l’avait fait avec sa petite cabane au fond des bois. Demain, il ne resterait aucune trace de sa petite vie ici. Ce feu allait tout effacer, et c’était très bien comme ça. Même le cadavre allait disparaître, dévoré par les flammes qu’il avait lui-même engendré. C’était une fin qui lui allait bien, et qui laisserait les deux chasseurs s’en sortir impunément. Pas de corps, pas de crime. Les hunters devant de plus en plus répondre de leurs actes à Radcliff et dans tout le pays, mieux valait rester discrets. Un feu de cette taille n’était pas forcément le plus discret qui soit, mais tant pis. Ce ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

« Ça va ? » Merry hocha la tête, serrant toujours Slade dans ses bras. Elle avait des brûlures sur les bras, mais elles restaient superficielles. A part ça, elle allait très bien, puisqu’ils en avaient terminé avec le mutant. « Oui, ne t’inquiète pas. Et toi ? » Elle se recula légèrement et regarda Slade de haut en bas. « Il ne t’a pas blessé ? » Le mutant avait l’air de vouloir vendre chèrement sa peau, et  Merry voulait s’assurer qu’il n’en avait pas profité pour griller un morceau de Slade au barbecue. Mais celui-ci avait l’air entier et en pleine forme, pour autant qu’il puisse l’être dans ces conditions. « On devrait partir. » A nouveau, la jeune chasseuse hocha la tête. Elle n’avait aucune envie de s’attarder ici, maintenant qu’ils avaient terminé le boulot. La fatigue et la lassitude allaient bientôt lui tomber dessus et elle préférait être chez elle à ce moment là plutôt qu’en pleine forêt, dans le froid et l’obscurité. « En plus t’avais raison. On a réglé ça avant minuit. Je pense que ça s’arrose. » Cette fois, Merry haussa les sourcils et un léger sourire vint prendre place sur ses lèvres. Par réflexe, elle regarda sa montre, tout en sachant parfaitement qu’il n’était pas minuit : tout s’était passé en très peu de temps. Mais elle avait oublié ses fanfaronnades sur la facilité de la mission et le fait que ce serait expédié en un tour de main. C’était ridicule, de plaisanter ainsi et de se vanter à propos de la mise à mort de quelqu’un, et elle avait beaucoup trop tendance à le faire. Mais elle savait qu’elle le referait encore, et elle ne cherchait même pas à se corriger. Inconsciemment, elle se protégeait ainsi des errances de sa confiance en elle. Il y avait trop de fois où elle doutait d’elle-même, et il n’y avait qu’ainsi, en se donnant des airs de hunter assurée, qu’elle parvenait à aller de l’avant. Il n’était pas question d’abandonner, pas question de se laisser aller à cette faiblesse. Elle était plus forte que ça. « Bien sûr qu’on a réglé ça avant minuit. On n’allait quand même pas perdre du temps avec ce pauvre type, non ? » Ironisa Merry sur un ton un peu forcé, reprenant sans difficultés son masque de hunter pleine de confiance. « C’est moi qui invite. » C’était une proposition des plus alléchantes, même s’ils n’auraient jamais du avoir ce genre de réflexion à quelques mètres à peine du cadavre d’un mutant en train de brûler. Mais Merry laissa de côté la pensée désagréable de cet homme, et elle offrit un grand sourire à Slade. « Avec plaisir ! » Elle le prit par le bras et tourna résolument le dos au brasier qui continuait de crépiter, pour reprendre à travers les bois le chemin qu’ils avaient parcouru à peine une demi-heure plus tôt. Ils marchèrent en silence quelques instants, la lueur du feu derrière eux disparaissant peu à peu, engloutie par le branchage sombre des arbres autour d’eux. Merry était plongée dans le souvenir de l’homme, de son visage et de la façon dont il avait essayé de la tuer – pour ne pas mourir en premier. Il avait échoué, elle était vivante, grâce à Slade. « La prochaine fois que tu auras une mission de ce genre, tu m’appelleras encore, hein ? Je trouve qu’on forme une bonne équipe. » Lança-t-elle finalement. « La prochaine fois, c’est moi qui te sauverais la mise. » Ajouta-t-elle avec un sourire. Elle ne le laisserait jamais tomber, quoi qu’il arrive. Elle était trop heureuse de l’avoir à ses côtés : il la comprenait, et il était bien le seul.