Aspen ne détache pas tout de suite son regard des deux bêtes bouts de papier sur lesquels est incrusté leur reflet en instantané, tâchant de son mieux pour mémoriser le moindre détail avant de les rendre à son petit ami. Elle sourit quand il l’embrasse sur la joue, detournant un peu la tête pour que ses lèvres arrivent à la commissure des siennes, alors qu’elle relève un peu le menton pour se donner un air bravache. Puisqu’il insiste tant, elle peut peut être lui donne un peu raison pour une fois :

- C’est vrai que je suis canon. Mais à force de me voir tous les jours, j’ai tendance à considérer ça comme la normalité. Ça doit pas être facile pour les autres filles d’être juste mignonnes, et encore, seulement après leur demi heure dans la salle de bain.

Elle faisait la maline, mais Noeh savait bien, lui, qu’elle en pensait pas un mot. Elle aussi se sentait parfois comme le vilain petit canard, à s’inquiéter du moindre bouton d’acné ou de son manque de poitrine flagrant par rapport à la plupart des adolescentes de son âge. Rajoutez à ça sa petite taille, et elle en devenait l’adolescente la plus banale du monde, à la différence qu’elle refusait catégoriquement de laisser qui que ce soit le soupçonner, ne serait ce qu’une demi seconde. Sauf Noeh, des fois, mais qui avait le bon gout de trouver les mots pour la rassurer dès qu’elle commençait un peu à flancher. Et ça, mine de rien, c’était important. Elle resta callée contre son petit ami un long moment, profitant du moment alors qu’il restait silencieux après lui avoir soufflé qu’il était conscient que la situation lui pesait. Ça devait lui peser, lui aussi, elle le sentait dans la pression qu’il exerçait un peu plus contre ses épaules minuscules dans ses grands bras. Elle vint frotter son nez contre le sien alors qu’il l’embrassait sur le front – un geste un peu paternaliste qu’elle ne pouvait bien tolérer que parce que c’était lui, et que bon, c’était un peu mignon quand même-, avant que ses lèvres ne s’étirent dans un sourire éclatant et carnassier :

- Qu’Ils essayent seulement, et ils auront de mes nouvelles tu vas voir, je crois qu’aucun d’entre eux n’est assez fou ou courageux pour prendre le risque.

Pas besoin de préciser de qui ils parlaient, ils savaient tous les deux : si elle pouvait éventuellement appréhender la réaction de sa meilleure amie, étonnement, elle ne s’en faisait pas trop pour Lorcan. Il piquerait surement une crise, mais ils finiraient pas se hurler dessus, s’envoyer des noms d’oiseaux à la figure, il bouderait quelques jours, et puis il se ferait à l’idée. Contrairement à Noeh, elle faisait confiance à son jumeau pour comprendre que si ils officialisaient ça, c’était que c’était du sérieux, et pas juste une façon de l’emmerder. Dommage que le Callahan ne soit pas du même avis.

- Vendu, mais fais pas le con, les ramène pas au lycée, t’es capable de les faire tomber de ton casier ou de te les faire confisquer en cours parce que t’as le nez dessus, je te connais. Et puis plus tard on les aura au dessus de la cheminée, parce qu’on aura une cheminée. Et un chat, aussi, mais surtout une cheminée. Comme ça les gens pourront s’extasier sur notre magnificence adolescente à chaque noël, ce sera trop cool.

C’était tout à fait précipité de parler de ça maintenant, mais honnêtement, l’idée ne le paraissait pas si farfelue, et encore moins déplaisante. Elle gloussa en sentant le visage de Noeh chatouiller son oreille, puis sa machoire,  alors qu’elle enfonçait ses mains dans les poches arrières de son pantalon pour le serrer contre elle et lui rendre la pareille, joueuse. Elle l’était pour moins que ça avec le Callahan de toute façon, jusqu’à en devenir totalement déraisonnable.

- Blablabla que de mots, que de promesses, le jour où faudra vider ma penderie pour tour ranger dans Notre futur dressing, tu feras moins le malin. J’ai plus de chaussures que tu n’as de vêtements dans ta penderie dans sa totalité, souviens toi en.

Elle le laissa s’éloigner quelques secondes seulement en grimaçant, puis vérifia le pli de sa jupe pour venir s’installer contre lui, sur ses genoux, comme ils ont l’habitude de le faire si souvent quand ils ne sont que tous les deux. Par réflexe, ses doigts trouvèrent naturellement le chemin de la nuque du jeune homme, qu’elle se mit à gratouiller doucement, enfonçant délicatement ses ongles dans son cuir chevelu. Comment pourrait elle un jour se lasser de tout ça ? ça lui paraissait proprement impossible. Elle lui rendit son sourire, son cœur accélérant un peu en entendant Noeh lui faire des promesses de sa jolie voix si grave pour un garçon de son âge :

- D’accord, si tu le dis, je te fais confiance. Et pour ta gouverne, j’ai déjà validé suffisamment d’unités de cours pour avoir mon diplôme sans même passer l’examen. Toi en revanche…

Elle agrippa un peu plus sa nuque pour rapprocher son visage du sien, le fixant de cet air fripon qui lui était entièrement destiné :

- J’crois que t’es bon pour des cours de soutien particulier. Et tu peux être Certain que je te lacherai pas avant d’être sure que tu auras la moyenne en sciences. Et tu sais à quel point je peux être intransigeante si je veux.

Et généreuse, aussi, si se montrait suffisamment attentif et docile pendant leurs révisions. Mais ça, c’était une autre histoire encore …

Noeh est près, tout près, trop près d’ailleurs pour que le cerveau d’Aspen puisse fonctionner correctement. On dit des hormones des adolescents, mais celles de l’adolescente partaient elles aussi totalement en vrille quand le toucher de Noeh se faisait plus aventureux sur sa peau. Elle avait envie de l’embrasser, là, maintenant, tout de suite, et d’oublier toute convenance, dans ce bête placard de stockage, ce qui n’était pas du tout de son standing d’ordinaire. Sauf que voilà, le standing, elle s’en fichait un peu quand elle sentait les doigts de Noeh couler dans son dos. C’était agaçant d’être troublée pour si peu, mais elle n’y pouvait rien, Noeh savait y faire, que cela soit intentionnel ou non de sa part. Elle enfonça un peu plus ses doigts dans les cheveux un peu décoiffés de Noeh alors qu’il la taquine encore, toujours, à voix basse comme si on pouvait les entendre. A moins que ce soit pour qu’elle se rapproche un peu plus de lui pour entendre ses bêtises.

- Je devrais demander à changer de classe alors, histoire que tu restes concentré un maximum ?

C’était impossible bien sur, mais la grimace de Noeh valait largement le coup d’exagérer un petit peu. Et puis, contrairement à lui, elle arrivait à se concentrer en cours, et la présence du jeune homme était un plaisir dont elle n’avait pas envie de se priver. Bien sur elle n’avait pas le droit de l’approcher, ni de le regarder avec trop d’insistance, mais sa présence seule suffisait, au moins le temps des cours, à contenter la jeune femme. Elle continua de caresser la chevelure douce du jeune homme, pressant un peu plus son buste contre celui du jeune homme :

- Ça mon chou, c’est parce que tu as beaucoup trop d’imagination je suis sure, tu dois encore t’imaginer des trucs tordus et tu décroches totalement …

Tordus, peut être pas, osés… Elle ne doutait pas que dans les rêvasseries de Noeh, elle était rarement sagement assise sur sa chaise à faire des exercices de maths. En même temps, dans ses propres rêvasseries, elle ne révisait pas non plus. Elle roula des yeux devant l’air désinvolte du jeune homme, décidée à ce qu’il la prenne un peu plus au sérieux.

- Si tu peux pas faire de miracle, je peux essayer moi, non ? Il suffit juste de te trouver une …

De sa main libre, elle s’était saisie de celle de Noeh qui n’était pas dans son dos pour la glisser sur sa cuisse, découverte par sa robe légèrement retroussée, un sourire équivoque sur les lèvres.

- … Bonne motivation ? Tu en dis quoi ? Un exercice réussi, un bisou ! et un chapitre terminé, un gros calin ! et une fois une matière totalement révisée …

Elle n’avait pas besoin de finir sa phrase, leur regard respectif dégoulinait tellement de luxure qu’elle savait que le message était passé. Mélanger sexe et révisions, elle était à peu près sure que cela motiverait suffisamment le Callahan pour l’asseoir devant un bouquin de maths au moins une petite heure par jour, quitte à ce qu’elle donne de sa personne. Le plus dur serait probablement de se remettre à réviser une fois leurs vêtements aux quatre coins de la chambre, mais bon, ils n’y étaient pas encore, alors pas besoin de se poser la question pour le moment. Les deux amants terribles allaient sceller leur pacte de révision d’un baiser langoureux quand le téléphone portable d’Aspen se mit à vibrer, lui faisant faire un bond de deux mètres sur les genoux de Noeh, manquant de tomber à la renverse. Le cœur battant, elle ouvrit son sac d’un geste fébrile, avant de soupirer d’un air déçu : c’était Lorcan qui lui avait envoyé un message, court, mais qui sonnait la fin de leur soirée en amoureux : « mission accomplie, on arrive ». Zut et re Zut. Aspen plissa le nez, mais décida de quand même offrir un dernier baiser profond à son Callahan avant de se redresser, lissant sa robe pour lui redonner une longueur respectable, tendant les mains vers le lycéen pour l’aider à se redresser :

- La récré est finie, faut qu’on les rejoigne … J’crois qu’on va avoir le droit au récit détaillé de leurs exploits, alors tu me feras le plaisir de pas avoir l’air blasé, hein ? Qui sait, on arrivera peut être a se trouver un autre moment pour se dire bonsoir avant de prendre la voiture…

Elle embrassa la main de Noeh avant de la lâcher, vérifiant dans l’encadrement de la porte que la voie était libre : ils allaient devoir rejoindre la salle de danse comme si de rien n’était, et reprendre leur soirée le plus naturellement possible, malgré les photos dans la poche de Noeh, malgré les mots doux et les peaux qui s’attirent irrémédiablement : c’était leur façon de faire, après tout ….