Malgré les larmes, Aspen parvint à sourire, et cela réchauffa le cœur de Lorcan. Il la préférait de beaucoup comme ça ! Ca lui donnait l’impression qu’elle était pour de bon de retour chez les vivants, et qu’elle n’était plus une sorte de fantôme à peine consistant … Mais si elle souriait, les choses reprenaient leur place habituelle dans le monde. Et quand elle plaisanta après que Calista les ait traités de bébés, Lorcan se mit franchement à rire. Voilà, il la retrouvait pour de bon ! Si elle avait assez d’énergie pour trouver une répartie comme ça, il pouvait être rassuré, elle allait déjà un peu mieux. Calista les avait toujours maternés depuis la mort de leur mère, surtout dans les coups durs. Et aucun des deux ne s’en serait plaint pour de vrai, même s’il leur était déjà arrivé de râler, pour la forme. Mais Calista était réellement devenue une figure maternelle pour eux, c’était sans doute un peu triste à dire car elle était beaucoup plus que ça et elle ne méritait pas de devoir endosser ce rôle peu gratifiant. Mais Lorcan l’aimait comme ça, protectrice et affectueuse. Et debout sur ses deux jambes ! Ses deux sœurs avaient quand même un ange gardien qui devait veiller sur elles, parce qu’elles n’étaient vraiment pas passées loin de la catastrophe, autant l’une que l’autre. A quoi pensaient-elles, vraiment ? Elles n’avaient pas le droit de le laisser seul ! Il n’avait pas l’intention d’être le dernier Wolstenholme – parce qu’il ne comptait pas son père, évidemment. Mais elles étaient toujours là, et il était heureux avec elles.

Lorcan eut un sourire moqueur quand elle lui tira la langue, mais se renfrogna quand Calista en profita pour évoquer tous les surfeurs sexys qu’elle avait du rencontrer en Californie. Elles étaient vraiment obligées de parler de ça maintenant ? Okay, c’était lui qui avait lancé le sujet, mais il n’avait pas voulu que ça tourne vraiment autour des mecs que sa jumelle avait fréquentés … Mais finalement, sa réponse le fit ricaner. « Ca sert à rien d’être sexy si c’est pour déprimer en bouffant des graines. Dès que tu seras sortie, je te ferais oublier la bouffe de tes surfeurs dépressifs, et la bouffe de l’hosto. T’auras droit à de la vraie viande, du vrai sucre, et de vraies fraises. Alors dépêche de te retaper. » Les surfeurs de Californie n’avaient soudain plus rien à envier, du point de vue de Lorcan, s’ils ne savaient pas profiter de la nourriture. Et Aspen était assez gourmande pour qu’il imagine très bien à quel point les plaisirs de la table avaient du lui manquer pendant ses vacances. Il allait la gaver de plats bien meilleurs, dès qu’elle serait sortie. Il lui adressa un sourire quand elle porta sa main à ses lèvres pour l’embrasser : elle semblait retrouver un peu plus d’énergie à chaque minute qui passait, ça faisait vraiment plaisir à voir. Elle devenait également plus loquace, même si Lorcan avait envie de l’étouffer dans ses coussins quand elle parlait de la mort avec autant de désinvolture. Ses doigts se crispèrent sur les siens, et il s’assombrit. Il ne trouvait pas ça drôle, pas du tout. Elle ne se rendait pas compte qu’elle avait vraiment failli y passer, peut-être, mais lui avait eu trop de temps pour y penser. « Dis pas ça. » Siffla-t-il d’un ton sec, entre ses dents serrées. Il préférait qu’elle n’ait pas de fleurs, mais qu’elle soit en pleine santé. Pourtant, il fit un effort pour se détendre un peu et effacer sa mauvaise humeur, ce qui ne fut pas très concluant. Elle était comme ça, Aspen, il ne pourrait pas la changer. « T’as eu plein d’admirateurs. Evite de t’habituer, quand même. » Bon, décidemment, il n’arriverait pas à se dérider sur ce sujet, ça le tendait encore trop. De toute façon, il n’avait pas vu les gens qui avaient déposé des fleurs, et lui-même n’en avait pas apporté : ça lui faisait trop penser au cimetière, alors non merci. « Tu as été empoisonnée. » Répondit-il quand elle demanda ce qu’elle avait eu. « Ils ne connaissent pas les détails mais visiblement quelqu’un a essayé de te poignarder avec une lame empoisonnée, à moins que tu sois tombée sur un mutant capable de produire du poison. » Ce n’était pas impossible non plus.  Ca, les médecins n’en avaient pas parlé, mais Calista et Lorcan n’étaient pas nés de la dernière pluie. « Tes muscles se sont tétanisés les uns après les autres, et tu as failli y rester. » Lâcha-t-il finalement d’une voix égale, mais les yeux fixés sur le drap, comme s’il lui était trop difficile de la regarder en exprimant une telle atrocité. Il serra ses mains un peu plus fort dans les siennes, juste pour s’assurer encore une fois qu’elle était bien vivante.

Lorcan aurait pu parier que sa proposition de gaver Aspen pour la remettre sur pied ne resterait pas sans réponse du côté de Calista, et il eut un petit rire quand elle émit le souhait d’être invitée aussi. C’était devenu une sorte de jeu entre eux deux, elle lui rappelait constamment qu’elle comptait sur lui pour la nourrir, et il faisait semblant de râler à ce propos à chaque fois qu’elle le remettait sur le tapis. Mais il était ravi et ils le savaient tous les deux. Il adorait faire la cuisine pour ses sœurs, et les repas tous les trois lui manquaient terriblement. Ca faisait une éternité qu’ils ne s’étaient pas retrouvés pour manger tranquillement, sans qu’une catastrophe ne leur tombe sur la tête ! La vie toute simple qu’ils avaient il y a quelques années s’était envolée, comme si en entrant dans l’âge adulte ils avaient accumulé la malchance. Mais quand on naissait dans une famille de hunters, c’était sans doute à prévoir : leur enfance avait été plus ou moins épargnée, mais il ne fallait pas espérer qu’il en soit de même à partir du moment où ils prenaient place dans le schéma familial. Et les ennuis ne venaient pas toujours de l’extérieur, malheureusement. Mais pour l’instant, ils pouvaient encore plaisanter sans arrière-pensée sur les repas futurs. « Vous battez pas, je vous engraisserai toutes les deux si ça peut vous faire plaisir. Adieu, surfeurs sexy et abdos en folie ! » Il n’allait pas se priver s’il ne fallait que ça pour qu’elles soient heureuses. Lorcan avait simplement hâte qu’Aspen soit suffisamment remise pour se lever et sortir de cet hôpital, pour qu’ils puissent essayer d’avoir à nouveau une vie normale tous les trois. Après Calista qui avait été clouée dans son fauteuil roulant, c’était Aspen dans ce lit, et Lorcan se demandait s’ils arriveraient enfin à sortir de leur cercle infernal un jour ou l’autre. Mais ils faisaient des plans pour les meilleurs jours, c’était déjà ça …

Et il aurait préféré qu’ils ne parlent que de bouffe jusqu’à ce que l’heure des visites soit terminée et qu’Aspen tombe endormie comme une masse, mais ça aurait été trop demander. Son humeur était déjà bien redescendue quand il avait du expliquer à sa jumelle ce qui lui était arrivé, le fait d’en parler rendant les choses beaucoup trop réelles. Mais quand Calista posa la question fatidique, il se renfrogna davantage. Il ne voulait pas qu’ils parlent de ça, et il ne voulait surtout pas forcer Aspen à se remémorer les évènements. Il avait envie de la protéger, de la laisser reprendre des forces en toute tranquillité, et pour ça il aurait bien interdit à quiconque d’évoquer ce qui lui était arrivé. Même si cela signifiait qu’il devait rester lui-même dans le flou, en ignorant qui avait osé toucher à sa jumelle. Elle était trop fatiguée pour raconter tout ça ! Mais constamment, ils en revenaient au pire. A la chasse, aux hunters et aux mutants, sans arrêt. Et il savait qu’il devrait se pencher sur la question à un moment, surtout si c’était un mutant qui avait fait ça à Aspen … Mais pas maintenant. N’importe quand, juste pas maintenant. C’était trop tard, cependant, et il sentit Aspen lui serrer un peu plus fort la main. Il couvrit ses doigts entre les siens, lui faisant la promesse silencieuse que plus jamais il ne laisserait quiconque la toucher à nouveau. Il s’attendait au pire, à un mutant à la dégénérescence assez monstrueuse pour pouvoir l’empoisonner … Mais il écarquilla les yeux en entendant le nom de Rhaena surgir dans son explication. Rhaena ? Sa colocataire ? Lorcan serra la main d’Aspen un peu plus fermement entre les siennes en la sentant trembler, mais il avait du mal à aligner les données. Il n’imaginait pas Rhaena en mutante. La dernière fois qu’il l’avait vue … Il frissonna en se souvenant de leur flirt, et puis du baiser qu’ils avaient échangé. Ca avait été sans conséquences, juste un jeu pour se chauffer sans qu’il n’ait vraiment pensé à plus mais … « Putain, quelle salope. » Cracha-t-il d’un ton rageur. Ce jeu, justement, prenait un tout autre sens avec les explications d’Aspen, et il était dégoûté en imaginant ce que la jeune femme avait eu en tête quand elle l’avait dragué sans retenue. Il se força pourtant à se concentrer sur les faits, et non plus sur le passé. « Mais qu’est-ce qu’elle attendait de toi, en te prenant comme colocataire ? Elle a du avoir des centaines d’occasions de te trancher la gorge, quand tu dormais, sans avoir à attendre que tu ne la démasques. » Il ne comprenait pas bien l’intérêt que Rhaena avait eu à attendre aussi longtemps. « D’autant qu’elle a manqué son coup et qu’elle va avoir la moitié des hunters de la ville au cul, maintenant. » Il échangea un regard avec Calista : lui n’avait jamais été chasseur, et elle n’en faisait plus partie, mais ils avaient encore bien assez de contacts pour arranger ça, et il était certain qu’elle songeait déjà à ceux qu’elle allait mettre sur le coup. Sans doute même que son copain serait le premier sur les rangs. Et puis, il suffirait que leur père soit au courant pour que la mise à mort de Rhaena ne soit plus qu’une question de temps.

Lorcan n’en revenait pas que Rhaena soit une tueuse de hunters, et encore moins qu’elle ait essayé d’assassiner Aspen. Il n’y parvenait tout simplement pas, et pourtant, il ne pouvait pas le nier. Aspen ne s’en était sortie que de justesse, alors qu’elle était une combattante féroce qui ne s’avouait jamais vaincue, prête à utiliser toutes les armes en sa possession s’il le fallait pour gagner un duel. Le nombre de fois où elle l’avait mordu, quand ils étaient plus jeunes, parce qu’il l’avait coincée et qu’elle n’avait aucune autre façon de s’en sortir ! Il avait du mal à l’imaginer à la merci d’une fille comme Rhaena. Il avait du mal à l’imaginer à la merci de qui que ce soit, en fait, et l’idée qu’elle ait en plus failli mourir faisait naître au fond de son dos des frissons glacés. Mais avec les explications de Calista et Aspen, il comprenait mieux les motivations de la Dryden. En réalité, c’était d’une simplicité enfantine, digne de n’importe quel hunter un peu tordu. Elle avait simplement retourné la technique contre eux, pour les décimer sans qu’aucun soupçon ne lui retombe dessus. « Ouais … Aucun mutant un minimum sensé ne voudrait habiter avec toi. » Lança-t-il avec un demi-sourire moqueur à l’intention de sa jumelle. « Et en parlant de ça, si tu veux pas retourner chez toi, tu pourras venir squatter mon appart’ quand tu seras sortie. » Ou retourner chez leur père, mais Lorcan préférait de loin qu’elle vienne s’installer chez lui. Il n’y avait pas été très souvent depuis son altercation avec Alistair, dormant bien plus souvent chez Salomé que chez lui, mais la présence d’Aspen ne pouvait qu’être une bonne chose, et il voulait pouvoir veiller sur elle, au moins les premiers temps. Il devrait passer moins de temps chez Sam, c’est sûr … Mais elle comprendrait. Et ce serait temporaire.  

Lorcan se redressa quand Aspen essaya de bouger, il essaya de la soutenir mais elle retomba sur ses oreillers avec un gémissement de douleur qui fendit le cœur du jeune mutant. Il se sentait désemparé de ne pas pouvoir ni l’aider, ni la soulager. Cela raviva également sa colère envers Rhaena, et il crispa les poings. « Ouais, et bah je pense pas qu’on aille leur demander leur avis de toute façon. » Lança-t-il d’un ton sec. Tous les mutants extrémistes de Radcliff pouvaient bien s’allier pour cacher la Dryden, cela ne ferait pas frémir Lorcan. « On a des hunters extrémistes nous aussi. Et on a Calista, elle fait pas mal peur quand elle veut. Fuyez, pauvres fous ! » Cette fois, ce fut sa sœur aînée qu’il regarda en débitant sa bêtise, certain qu’elle comprendrait sa référence – la seule, sans doute, qu’il pouvait citer correctement dans une des bibles inconditionnelles de Calista. Il ne faisait bien évidemment pas référence aux capacités au combat de la jeune femme, ils l’avaient compris, mais à tout ce qu’elle savait exécuter si magistralement avec un ordinateur et une connexion internet.