Des couloirs blancs, encore et encore, qui paraissaient sans fin. Des couloirs blancs qu’elle traversait en courant, la gorge en feu, la vue brouillée, le cœur prêt à exploser. Et dans sa tête, une seule phrase qui tournait en boucle, la voix de Joren lui annonçant que Sigrid était à l’hôpital, qu’il fallait qu’elle vienne, tout de suite. Maiken était venue, tout de suite. Elle avait abandonné tout ce qu’elle faisait, elle avait laissé en plan la réunion qui était pourtant prévue depuis des semaines et qui était déterminante pour le laboratoire. Sans se retourner, elle était sortie, comme une furie, portant encore sa blouse. Il y avait très peu de distance entre le laboratoire et l’hôpital en lui-même, les deux bâtiments étaient presque collés, mais il lui sembla que des milliers de kilomètres les séparaient. Et pendant tout ce temps, elle imagina le pire, une fois, deux fois, quinze fois, cent fois. Comme toutes les mamans, elle avait souvent angoissé en laissant sa fille aux bons soins d’étrangers, nounous et autres baby-sitters, à chaque fois pour la retrouver le soir en se disant qu’elle avait été bête, que ces personnes étaient compétentes et qu’il n’arriverait rien à sa fille chérie. Un accident était toujours possible, bien sûr, et elle ne pouvait pas l’empêcher, même si elle restait collée à Sigrid à longueur de journée … Mais là, c’était différent. Là, c’était Joren. C’était son père. Et elle avait tant hésité à le laisser seule avec Sigrid, elle s’était tellement torturée à l’idée qu’il passe du temps avec elle alors qu’il la détestait à peine trois ans plus tôt … Il avait fait amende honorable, il s’était bien racheté auprès d’elle, et il avait été convaincant. Alors elle avait accepté qu’il revoie Sigrid. Il avait tellement envie de renouer avec elle … Et Sigrid avait l’air contente de le voir, elle aussi. Les quelques fois où Maiken l’avait autorisé à venir, il avait été adorable, exactement comme dans ses souvenirs. Alors elle l’avait laissé seul avec elle. Et maintenant … « Joren !! Qu’est-ce qui s’est passé ?? » Elle était arrivée au bout du couloir, juste devant cette porte close où l’attendait son ex-mari. Une porte close, un panneau qui indiquait clairement qu’elle ne pouvait pas aller plus loin. Derrière, les soins intensifs, elle le savait, elle connaissait cet hôpital presque aussi bien que son laboratoire. « Il faut que je la voie, qu’est-ce que … Est-ce qu’elle … » L’angoisse serrait sa gorge, l’empêchait de terminer ses phrases. Elle passa devant lui sans le regarder, posa ses mains sur la porte close, et commença à la pousser. Elle devait y aller.

Maiken voulait voir sa fille. Et pour ça, elle était prête à faire n’importe quoi, même entrer dans une salle d’opération s’il le fallait. Parce qu’elle devait savoir comment elle allait, un point c’est tout. Il y avait trop de choses horribles qui tournaient dans sa tête pour qu’elle accepte d’attendre une seconde de plus sans savoir, sans être rassurée, sans voir le visage souriant de sa petite puce … Elle refusait catégoriquement d’accepter le pire, et en même temps, son cœur était déjà serré comme si au fond, elle savait qu’elle ne pouvait pas empêcher ce qui s’était déjà passé. Le problème, c’était qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé. Joren n’avait absolument rien dit là-dessus quand il l’avait appelé, la laissant dans un flou terrifiant qu’il fallait maintenant effacer. Et elle allait l’effacer en entrant et en retrouvant sa fille … Seulement cette porte devant elle était fermée, et Joren la rattrapa pour l’en écarter avant qu’elle ne se mette pour de bon à tambouriner dessus pour que quelqu’un vienne la lui ouvrir. Elle le regarda à peine tandis qu’il l’arrachait à sa porte pour la faire asseoir sur une chaise, mais elle s’accrocha à son bras l’espace d’une seconde, comme s’il s’agissait d’une bouée en pleine mer, son seul refuge au milieu des embruns … Et puis il s’écarta et elle le lâcha, à nouveau seule, à nouveau perdue. Elle posa ses yeux sur lui quand il prit la parole, se détachant difficilement de la porte close. Désolé ? Ce simple petit mot lui fit mal, lui donna envie de pleurer. Ca lui tordait les entrailles, ça la rongeait de l’intérieur. C’était sa faute. « Qu’est-ce que tu … Qu’il s’est passé ? » Non, c’était injuste de l’accuser directement sans savoir. Ce n’était pas sa faute tant qu’elle ne savait pas, il n’était pas le responsable de tous ses maux, même si elle l’en avait blâmé pendant longtemps. Elle s’était promis de faire un effort avec lui et de ne plus le diaboliser comme avant. Il aimait Sigrid. Elle le savait. Mais il n’avait pas eu à s’occuper d’un enfant depuis des années, quelle idiote elle avait été de le laisser seul avec leur fille ! Il ne savait pas qu’il suffisait d’un instant pour que tout dégénère … Même si elle le lui avait répété avant de partir, comme la mère poule qu’elle était. Elle se leva d’un bond et s’approcha de Joren, l’attrapa par le devant de sa chemise et s’y agrippa. « Qu’est-ce qu’elle a ? Dis-moi ce qu’elle a, Joren ! Pourquoi … » Elle jeta un regard éperdu à la porte des soins intensifs, puis relâcha Joren et se prit la tête entre les mains alors qu’un frisson glacé lui remontait l’échine. Pourquoi les soins intensifs, bon sang ??? Pourquoi pas juste les urgences, un pansement ou même un plâtre ? Mais formuler tout ça à voix haute, c’était donner vie à ses pires craintes, c’était accepter que Sigrid puisse être dans un état critique, et il n’en était pas question. « Dis-moi ce qu’elle a … » Souffla-t-elle, suppliante, tandis que les larmes montaient à ses yeux, menaçant de rompre le barrage de ses cils pour inonder ses joues. Dis-moi qu’elle va bien, je t’en supplie. Dis-moi que tu n’as rien fait, que ce n’est pas de ta faute. Que tu as fait de ton mieux mais que tu ne pouvais pas l’éviter, mais que tout ira bien, que tu me le promets. Pitié, Joren.

« Le … vaccin ? » Balbutia-t-elle sans comprendre. C’était pourtant ce qu’il avait dit. Le vaccin. Mais Maiken ne réalisa pas immédiatement ce que cela signifiait. Il aurait dit « c’est la voiture des voisins » que cela aurait eu le même effet, parce qu’elle s’attendait à une explication plus rationnelle que ça, quelque chose de normal venant d’un père qui gardait sa fille. Un accident bête, bon sang ! Pas un vaccin. Un vaccin, ça n’avait rien à faire dans cette conversation. « Tu … tu … tu as vacciné Sigrid ? » Elle commençait à comprendre. Il ne parlait pas du vaccin contre la rougeole ou d’une connerie de ce genre. Il y avait un seul vaccin qu’il pouvait avoir injecté à leur fille. Leur fille mutante, qu’il n’avait jamais cessé de détester, finalement. Maiken prit une inspiration laborieuse et porta la main à sa poitrine. Elle avait du mal à respirer, elle ne savait plus comment faire pour que l’oxygène vienne emplir ses poumons. Ca faisait un mal terrible, là-dedans, elle était déchirée de l’intérieur. « Mais tu disais … Tu disais que tu l’aimais ! » Ca, elle s’en souvenait bien. Avec sa gueule d’ange et ses yeux suppliants, il lui avait assuré qu’il l’aimait et qu’il n’était revenu que pour elle, pour rattraper le temps perdu, parce qu’il s’était rendu compte qu’il l’aimait. Qu’il l’aimait !! Elle tourna à nouveau les yeux vers la porte close, derrière laquelle Sigrid était en train d’être soignée. Mais dans quel état, mon dieu ? Le vaccin, cette arme que les hunters avaient tellement privilégiée ces derniers mois. Elle le savait, c’était un concentré de poison, qui supprimait effectivement l’expression du gène responsable de la mutation, mais qui causait des ravages chez des adultes en pleine santé. Alors chez une enfant ? Une toute petite enfant, qui n’était même pas encore allée à l’école, qui ne savait ni lire, ni écrire ? « Comment t’as pu faire ça, Joren ? » Elle ne criait pas. Elle le fixait avec de grands yeux stupéfaits, atterrés, et sa voix restait coincée au fond de sa poitrine, là où les morceaux de son cœur gisaient. Là où elle avait mis l’estime pour son ex-mari, qu’elle avait crue perdue à jamais lors de leur divorce mais qui pourtant était réapparue quand il était venu la voir et prendre un café avec elle, il y a quelques mois. Elle avait commencé à le revoir comme un être humain normal, plus comme un monstre. Elle avait recommencé à l’apprécier. Et il avait attendu son moment avant de porter le coup fatal, cet enfoiré. « C’était ça que tu voulais faire depuis le début ? T’es revenu juste pour ça, pour la vacciner et t’assurer que l’héritière des Holgersen ne porterait pas cette tare que tu détestes ? C’est ça ?? » Les Holgersen et leur lubie de la pureté du sang. Prêts à n’importe quoi pour atteindre leurs objectifs, et s’ils étaient capable de torturer et tuer des mutants pour sortir des substances soi-disant miraculeuses, pourquoi auraient-ils reculé devant la vaccination d’une enfant ?

Il était désolé. Encore une fois. Maiken secoua violemment la tête à cette petite phrase, comme si elle refusait tout simplement d’accepter de l’entendre. Il ne pouvait pas dire qu’il était désolé, pas alors qu’ils se tenaient devant les portes des soins intensifs, par sa faute. Il n’était pas désolé, parce qu’il le savait, forcément, il devait savoir ce que son geste impliquerait, mais il l’avait fait quand même. Comment avait-il pu en venir à la conclusion qu’il devait quand même la vacciner ? C’était illogique, impensable. Après tout ce qu’il avait dit pour se faire pardonner … Mais il avait menti, tout simplement. Comme il mentait encore aujourd’hui, il lui mentait en pleine face, sans sourciller, répétant qu’il l’aimait et que c’était la justification de son geste. Maiken sentit tous ses muscles se tendre, mus par une vague de colère gigantesque. Quel culot ! « Qui c’est que tu essayes de convaincre ? Moi, ou juste ta conscience ? Tu ne l’aimes pas. Ca fait des années que tu ne ressens plus rien pour elle ! » Mais peut-être que dans sa tête, il avait une explication qui tenait la route, un truc bien tordu qui ressemblait à de l’amour et qui justifiait parfaitement qu’il fasse du mal à sa petite fille. Mais elle, elle ne croirait plus jamais à ce qu’il avait à dire. Elle se détestait d’avoir cru en ses mensonges, d’avoir cédé aussi facilement quand il demandait à revoir Sigrid. Elle se détestait d’avoir eu la faiblesse de le considérer encore comme le père de sa fille, et de reconnaître qu’il avait le droit de la voir. Il avait perdu le droit de la voir quand il avait posé la première fois son regard dégoûté sur elle, des années plus tôt, et jamais il n’aurait du le retrouver aujourd’hui. Elle s’était aveuglée par ce qui semblait être de bons sentiments … Il s’était perfectionné dans le mensonge, l’enfoiré. Mais c’était terminé, elle le jurait sur tout ce qu’elle avait, sur la vie de Sigrid dont elle ne savait encore rien … Elle jurait que plus jamais elle ne croirait ce qui sortirait de la bouche de Joren, ses excuses, ses justifications, ses bons sentiments.

Sa bouche se tordit en une grimace de dégoût quand il évoqua la chute des Holgersen. Elle n’avait pas été ravie d’apprendre qu’ils étaient poursuivis en justice, même si, objectivement, il y avait eu des choses terribles dans leur laboratoire et qu’il était normal que la justice s’en mêle. Mais elle ne voulait pas que Joren et Lykke soient inquiétés. Quelle conne. Elle s’était inquiétée pour Joren, elle avait cru son blabla quand il avait juré qu’il n’y était pour rien. « Vous récoltez enfin ce que vous méritez. Finalement, t’étais au courant de ce qui se passait dans ton labo, non ? Tu venais regarder quand ils torturaient des mutants ? » Lâcha-t-elle, la voix vibrante de colère. Ca lui était insupportable, de l’imaginer impliqué dans ces horreurs. Une part d’elle refusait encore en bloc qu’il puisse être aussi mauvais, alors qu’elle avait cru si bien le connaître pendant des années, et qu’elle avait été persuadée qu’il avait un cœur généreux et aimant. Mais elle avait la preuve sous les yeux, pourquoi donc restait-il en elle la moindre once d’indulgence pour lui ? Il avait vacciné Sigrid. C’était tout ce qu’elle devait retenir. « Pour la guérir ? » Répéta-t-elle, hébétée, quand il lui donna son argument ultime. Elle eut un rire qui s’étrangla dans sa gorge quand une angoisse brutale lui enserra la poitrine alors qu’elle repensait à Sigrid. « Elle allait parfaitement bien !! Regarde où tu l’as envoyée, maintenant !! Putain, Joren ! Est-ce que t’es bouché au point de ne jamais écouter ce qui se dit autour de toi, où est-ce que tu préférais encore tuer ta fille plutôt que d’accepter que le vaccin de tes propres labos puisse avoir un défaut ?? » Il devait forcément savoir que le NH25 était dangereux, forcément. Lui plus que tous les autres … Mais il l’avait fait quand même, sans se poser de questions.

Maiken n’avait aucune envie de discuter avec Joren, elle avait plutôt envie de ne plus jamais le revoir, de rompre tous les ponts une bonne fois pour toutes … Et de préparer un nouveau dossier pour le tribunal, parce qu’il ne s’en sortirait pas comme ça. S’il fallait aller témoigner, elle irait, sans aucun problème. Il allait tomber, elle se le jurait. Il avait déjà des ennuis à cause de ses laboratoires, mais ce ne serait rien comparé à ce qu’elle allait lui coller sur le dos. Néanmoins, malgré sa haine grandissante pour cet homme qu’elle avait tant aimé, elle préférait encore qu’il reste là pour qu’elle puisse déverser sa colère sur lui, plutôt que de se retrouver seule. Elle ne pouvait pas rester seule ici, face à cette porte. Si elle téléphonait à Felix, elle savait qu’il serait là rapidement, mais elle resterait seule encore trop longtemps. Au moins Joren lui donnait quelque chose auquel penser, elle focalisait autant d’attention que possible sur lui pour s’empêcher de penser à Sigrid. Elle ne savait toujours rien sur elle, sur son état, et elle savait que si elle y songeait un peu trop, elle allait s’effondrer. Elle devait attendre qu’un médecin arrive, et tant que ce n’était pas fait, elle avait besoin que Joren soit là. Même si c’était insupportable de lui faire face, et de recevoir ses reproches en plein visage. Comme si c’était elle la fautive ! « Non, c’est vrai, j’ai jamais essayé. J’ai jamais passé de nuits à pleurer parce que t’étais plus là. J’ai jamais espéré que tu reviennes parce que tu aurais ouvert les yeux sur Sigrid. Je me suis jamais demandé ce qui avait pu mal tourner au point que tu regardes ta fille comme un monstre, et que tu bousilles tout ce qu’on avait. » Lâcha-t-elle d’un ton las. L’injustice de son accusation la sidérait. Elle ne l’avait pas jeté dehors de gaieté de cœur, et elle avait mis des années avant de s’en remettre. S’il était vraiment aveugle au point de croire qu’elle n’avait jamais essayé de le comprendre … Et bien, ce n’était qu’un point noir de plus, pourquoi continuait-elle d’en ressentir de la déception ? Il n’était plus l’homme qu’elle avait aimé, et elle se demandait même s’il avait jamais été l’homme qu’elle s’était imaginé.

Il le lui confirma en acceptant les horreurs qu’elle lui avait balancées au visage, mais il le fit avec un tel dégagement qu’elle comprit qu’il ne faisait qu’entrer dans son jeu, sans doute pour se ficher d’elle ou pour la mettre un peu plus en rogne. « T’es vraiment pitoyable. » Fit-elle avec une moue dégoûtée. Qu’il ait ou non été au courant des horreurs dans son labo, elle n’en savait rien, mais la conversation ne rimait plus à rien de toute façon. Il savait qu’elle ne croirait plus un mot de ce qu’il dirait et il n’avait pas l’intention de se défendre. Mais cette lâcheté hérissa Maiken un peu plus. D’autant qu’il lui avoua connaître les effets négatifs du vaccin, et répéta une nouvelle fois ce qu’elle avait toujours su : il n’avait jamais supporté l’idée que sa fille soit mutante. « Et après c’est moi qui n’ai jamais essayé de comprendre. » Ricana-t-elle, méprisante. « Alors que t’es capable de mettre la vie de ta fille en danger juste parce que … » Elle secoua la tête et regarda la porte close. Prononcer ces mots la mettait au supplice, elle voulait voir Sigrid, elle voulait savoir comment elle allait ! Mais elle fit un énorme effort pour reposer ses yeux sur Joren. « Parce que quoi ? De quel droit est-ce que tu décides s’il vaut mieux qu’elle … meure, plutôt que de vivre en étant un peu différente ? » Elle porta sa main à sa poitrine, là où son cœur avait tant de mal à battre à chaque fois qu’elle songeait à sa fille.

Maiken était frustrée. En colère, désespérée, mais plus la conversation avançait – ou plutôt, n’avançait pas – et plus elle se sentait frustrée. Elle avait déversé sa colère sur Joren et il n’avait rien fait d’autre que l’accepter avec impassibilité, sans donner aucune explication rationnelle à son geste. C’est ce qu’elle avait souhaité, dans le fond : obtenir une révélation qui aurait tout expliqué, qui lui aurait permis de vivre avec le geste horrible de son ex-mari, voire même de lui pardonner. Mais non. Même alors qu’elle l’insultait, il ne niait pas, il ne se défendait pas, il en rajoutait même en se fichant d’elle, et Maiken se sentait sur le point de craquer. S’il restait là, elle risquait bien d’exploser … Elle avait envie de le réduire en charpie, tout en sachant que la violence physique ne lui rendrait pas Sigrid. Mais cela la défoulerait, au moins … C’était trop tentant, et elle serra les poings, serra les dents, pour s’empêcher de sauter à la gorge de Joren. Elle n’était pas violente, mais quelques mois chez Uprising lui avaient quand même donné certains réflexes qui changeaient de la femme qu’elle avait pu être avant. Elle ne ferait jamais le poids contre lui, bien sûr, mais lui coller son poing dans la figure aurait été tellement libérateur … Elle se contint avec difficulté, mais elle tiqua quand il balaya sa question par une réponse des plus perturbantes. L’évidence qu’elle avait refusé de voir jusqu’à maintenant s’imposa à nouveau dans son esprit. « Tu es un hunter. » Ce n’était pas une question, plutôt une constatation. Une constatation qu’elle aurait pu avoir depuis longtemps, mais qu’elle s’était bornée à ignorer, s’aveuglant avec le souvenir de l’homme qu’elle avait aimé. Elle eut un haut le cœur en réalisant tout ce que cela impliquait, le dégoût qu’il lui inspirait augmentant encore d’un cran, ce qu’elle avait cru impossible. Elle le fixa avec horreur en l’imaginant revêtir le costume hunter qu’elle avait prêté à tous les monstres sanguinaires qui peuplaient cette ville. Lui qu’elle avait tant aimé, avec qui elle avait voulu faire sa vie … En véritable tueur sans pitié ? Elle secoua la tête, une nouvelle vague de colère la transperçant. Elle aurait voulu demander depuis quand, s’il l’était déjà avant qu’ils ne se marient, avant qu’ils n’aient Sigrid, s’il lui avait menti pendant si longtemps ou si c’était plus récent … Mais elle ne demanda rien. Elle ne voulait pas savoir, et elle ne voulait plus qu’il lui parle. Elle ne voulait plus l’entendre, plus le voir. Elle s’était dit que l’avoir avec elle était une bonne chose, mais elle avait changé d’avis. Elle voulait qu’il disparaisse le plus vite possible. Tant pis, elle ferait face à la solitude, mais elle préférait finalement ça à l’image que Joren lui renvoyait. Elle savait qu’elle allait s’effondrer de toute façon, et qu’il soit là ou pas, ça ne changerait plus rien. « Dégage, Joren. Va-t-en loin d’ici et surtout ne reviens jamais. » Elle le jurait sur tout ce qu’elle avait, si Sigrid s’en sortait et que Joren s’avisait de s’approcher d’elles à nouveau, elle lui collerait une balle dans la tête, quoi que cela lui coûte.