i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
S'il y a bien une chose que Dawson déteste (à vrai il y en a beaucoup, mais passons) c'est les civils qui se décident à prendre la justice entre leurs mains. Alors qu'un groupe d'extrémistes décide d'aller attaquer tous ceux qui ne leur ressemblent pas, ça ne lui plaît pas du tout. S'il était en état de faire quelque chose, Dawson serait probablement tenté de dépister les membres de ce groupe et de les livrer aux autorités; mais malheureusement, entre sa prothèse et ses divers problèmes mentaux, il est bien conscient qu'il ne fait pas le poids.

   ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Oui, non, peut-être? Tout effraye Dawson en ce moment; c'est une des joies du trouble dont il est victime. Mais à ce qu'il sache, aucune de ses crises d'angoisse n'a été directement causée par un mutant, alors il ne les place pas plus haut dans ses préoccupations que les terroristes islamistes qui hantent ses cauchemars. Il y a déjà tant de menaces sur cette planète, une de plus ne fait pas vraiment de différence. Mais s'il découvre un mutant ayant des capacités dangereuses et l'intention de s'en servir, c'est une autre affaire.

   iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
   Probablement? Dawson a connu une jeune femme avec une capacité incroyable pour savoir ce qu'elle ne devrait pas, mais cela ne prouve pas vraiment qu'elle était mutante, seulement fouineuse ou extrêmement perspicace. S'il connait des mutants, ils n'ont visiblement pas daigné lui faire part de leur secret - lui-même s'est fait dépisté et n'a aucun gène mutant en lui, donc toute progéniture est sauve, pour l'instant. Et puis, il n'y a pas si longtemps, sa prothèse l'aurait rangé dans les 'mutants' ou 'cyborgs' tant redoutés, alors un vrai 'dégénéré' lui volerait son panache et ça, non merci.

   iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
   Cet homme est à quelques bannières prêt de ressembler à un certain Allemand des années 30. Et avec l'exécution récente de la jeune femme présumée mutante, ça ne fait que s'aggraver. Dawson est écoeuré par cet homme et ses fidèles, et encore plus outré par ce gouvernement qui ne fait rien. Non pas que l'arrivée de Sheldon et de ses mutants révoltés ne l'enchantent particulièrement, mais ceux-ci lui semblent armés de réels griefs, plutôt que de la haine tangible qui émane du nouveau dirigeant du comté à chaque apparition.

2009, Iraq.

« Don’t ask don’t tell, tu sais ce que ça veut dire, Dawson ? » « Que l’armée du plus grand pays du monde se croit encore dans le dix-neuvième siècle ? » « C’est pas le moment de faire le malin. » Face aux doux yeux verts de Ferrars, Dawson tentait tant bien de mal de garder son sang-froid. Il avait déconné, il en était bien conscient. Un verre de trop et il avait passé le seuil des blagues homoérotiques-homophobes habituelles de son régiment, et avait pratiquement avoué à Ferrars qu’il ne pouvait s’empêcher de penser à lui à chaque instant. Après avoir été gentiment mis au lit par ce dernier, il s’était réveillé le lendemain matin avec la tête emplie de regrets variés, et la conscience que le jeune lieutenant ne tarderait pas à lui demander des explications.  Presque dix minutes après le réveil du brun, l’autre avait déambulé dans leurs locaux avec le plus grand calme, pour ‘proposer’ à Dawson une balade dans les bâtiments isolés de la base. Ne vous excitez pas, ce n’était malheureusement pas une proposition indécente. Ferrars souhaitait simplement rappeler à Dawson que, aux yeux de l’armée, sa sexualité n’avait pas lieu d’être. Charmant. C’était comme si les manifestations et les critiques que foudroyaient en cet instant ladite armée sur leur terre natale n’existait pas dans leur petite base iraquienne. Avec un soupir, le lieutenant concerné pris un air contrit et s’excusa, prétendant même être conscient de la chance qu’il avait eu que Ferrars ne soit pas homophobe et ne le dénonce pas. Merci, oh grand merci d’être un humain avec un tant soit peu de conscience, Ferrars. Vraiment, ce minimum d’humanité lui allait droit au cœur. Rageant contre le fait que l’homme qui l’avait si longtemps attiré n’était qu’un imbécile parmi d’autres au sein de son régiment, Dawson retourna dans ses quartiers voir s’il avait le temps de finir son livre sur Nietzsche avant de partir en reconnaissance cet après-midi.

Si vous pensez que c’était là le début d’une tragique romance entre Viktor Alexander Dawson et le bel éphèbe Ferrars, vous ne connaissez pas le jeune américain-russe. Certes, Ferrars l’attirait depuis qu’il avait intégré le 5e régiment des Forces Spéciales – les fameux Bérets Verts – et s’il s’était montré avenant, Dawson serait probablement déjà en train d’entendre les cloches de la chapelle sonner (enfin, s’ils légalisaient un jour leurs unions, ce qui à l’époque paraissait plus que douteux). Mais dans le fond, ce que Dawson voulait ce n’était pas tant aimer Ferrars qu’être amoureux. Cet objet de ses affections s’étant révélé imparfait, le cœur d’artichaut cherchait déjà son prochain désir. Seule constante était Prince, le berger allemand qui l’accompagnait dans ses reconnaissances, toujours prêt à détecter une présence humaine inattendue et, surtout, hostile. Caressant affectueusement la tête de la bête, Dawson soupira. Sa mère l’avait prévenu qu’il n’avait pas intérêt à trop s’attacher aux soldats de son régiment, cachant au fond de son regard la crainte que son fils ne revienne pas, soit à cause d’un tir ennemi, soit ‘accidentellement’ touché par une balle de son propre camp, suite à la découverte de sa bisexualité. Mais Dawson n’avait pas voulu l’écouter, aussi têtu à vingt-deux ans qu’il l’était aujourd’hui à vingt-neuf, presque trente. Et il avait survécu, non ? Voilà qu’il arrivait à la fin de l’âge maximum autorisé pour faire partie des Forces Spéciales, et il s’en était plutôt bien tiré, vu son caractère constamment amouraché.

Il savait bien que son père aurait préféré ne pas voir son fils unique partir au front, mais l’appel avait été trop fort. Une enfance passée à écouter les histoires d’horreur de sa mère sur les attaques de groupes rebelles dans sa région natale, de la peur de mourir sans que son propre gouvernement ne lève les doigts ou, pire encore ne les confonde avec leurs assaillants avait été suffisant pour développer l’orgueil patriotique si typique aux américains. Lui, s’était-il dit, il ferait partie du camp des gentils, des bons. Il irait défendre la veuve et l’orphelin, les femmes et les hommes sans défense comme sa mère et ses sœurs l’avaient été, et il aiderait les pays émergents à installer des régimes aussi démocrates et justes que ceux de sa propre patrie. Le beau rêve. La naïveté et l’arrogance de ses idéaux, il l’avait rapidement perdue, mais pas le désir de bien faire, et d’aider son prochain. Ni non plus le fantasme de sauver une demoiselle ou un damoiseau en détresse avant de s’enfuir avec eux dans le crépuscule d’une contrée lointaine.

Au cas où vous ne l’aviez pas remarqué, Dawson aimait beaucoup le cinéma, particulièrement les films d’action et les comédies romantiques. C’était d’ailleurs probablement à l’un de ces scénarios qu’il rêvassait alors que Prince se hérissa soudain, et parti en courant vers un bâtiment, non sans s’approcher dangereusement d’un terrain qui avait récemment été marqué comme potentiellement miné. Dawson n’hésita pas : il s’élança à la poursuite de son camarade, et eu juste le temps de les jeter de côté alors qu’une explosion fracassa sa conscience et le fit sombrer.

2009, Houston.

« Vous êtes sérieux ? » « Absolument. » « Il a sauté sur le chien pour le sauver, au lieu de dégager ? » « Dawson a toujours eu un faible pour les animaux. » « Oui mais de là à se sacrifier pour sauver un clébard, il y a des limites… » « Clébard vous-mêmes. » La voix de Dawson dérapa sur la dernière syllabe. Putain qu’il avait mal. La lumière aveuglante qu’une infirmière plaquait sur ses yeux l’empêcha pendant quelques secondes de prendre connaissance de ses environs. Une chambre d’hôpital blanche et morne comme toutes les chambres d’hôpitaux, avec les mêmes tentatives pitoyables d’enjoliver l’atmosphère. Il se serait cru dans les hôpitaux de Badgad, sauf que la télé déblaterait Fox News ou CNN, il n’était pas sûr, et le colonel qui se tenait en uniforme complet à discuter avec deux femmes en blouses blanches n’avait pas l’air d’avoir mis les pieds sur un champ de bataille depuis longtemps. Cherchant à tâtons, Dawson trouva instinctivement le bouton qui servait à bouger son lit, et se redressa jusqu’à avoir une meilleure vue de ceux qui l’entouraient. Pas de doute, il était de retour aux US. Youpi ?

Il ne lui fallut que peu de temps pour comprendre que quelque chose clochait. Ceci dit, ce n’est pas dur de le deviner lorsque vous tentez de vous lever et que tout le monde se précipite sur vous à temps pour vous soutenir alors que la douleur manque de vous faire vous évanouir. Lorsqu’il revint de nouveau à lui, on lui annonça la nouvelle : l’explosion avait non seulement tué Prince sur le coup, malgré sa tentative de sauvetage apparemment « stupide », mais elle lui avait coûtée la majeure partie de sa jambe droite, qui n’était maintenant qu’un moignon couvert de bandages s’arrêtant à la mi-cuisse. Le choc brisa son stoïcisme et les larmes coulèrent sur son visage pendant plusieurs heures, sans qu’il ne sache s’il pleurait pour Prince, pour lui-même ou simplement par soulagement d’être finalement rentré chez lui, et ce de façon permanente. Quelques heures plus tard ses parents arrivèrent, et le firent transférer dans une clinique privée à vingt minutes de chez eux, où il passa la plus grande partie de ses trente ans. On dit que trente ans c’est l’âge où l’on devient finalement adulte ; pour Dawosn, ce fut l’année où il dut réapprendre tout. A marcher, à s’assoir, à porter des paquets, à dormir, à vivre. Il fut rapidement diagnostiqué d’un trouble de stress post-traumatique, avec insomnie, cauchemars, crises d’angoisse, flashbacks (qui heureusement s’atténuèrent remarquablement dans l’année qui suivit), ainsi que des tremblements irréguliers dans ses mains lorsqu’il se retrouvait confronté à un élément lui rappelant l’enfer qu’il avait vécu là-bas.

Pendant six mois, il ne pouvait voir un chien sans hurler, au grand dam du bâtard de sa mère, qu’il avait toujours adoré. Pour combler le vide émotionnel qu’il ressentait, il enchaîna les relations avec un rythme frénétique qui dépassait son papillonnage habituel. Plusieurs fois, sa mère le retrouva barricadé dans sa chambre, convaincu que le palier était miné et qu’il ne pouvait plus sortir de la maison. Puis, cela passa. Les flashbacks commencèrent à s’atténuer, on lui mit sa première prothèse permanente, une merveille électronique qui, connectée à un processeur qu’on avait enfoui dans sa jambe et rattaché à ses nerfs, lui permit de recommencer à vivre comme avant. L’avantage de venir d’une famille de docteurs, c’est qu’il y a des connections non-négligeables. Pour rire, ses anciens camarades de régiment lui offrirent une autre prothèse avec le drapeau américain peint dessus, « pour le quatre juillet ». Elle traîne dans un placard à balais chez ses parents aujourd’hui encore, intouchée.

Finalement, il se sentit prêt. Ses parents approchant tous deux de leurs soixante-dix ans, il lui parut égoïste de rester encore longtemps chez eux, à se laisser dorloter par deux êtres qui lui avaient déjà tant donné. C’est pour cette raison qu’un beau matin d’août, il quitta sa ville natale du Texas pour Radcliff, au Kentucky.

2014, Radcliff.

« C’est sympa comme nom, la Clinique du Prince – ça vient de quelque chose en particulier ? » Dawson adressa un sourire charmeur à la blonde qui venait récupérer son Siamois vacciné. « D’une connerie de jeunesse. » répondit-il, sans plus élaborer. Il n’aimait pas parler de ce qui lui était arrivé, d’autant plus que peu de gens comprenaient pourquoi il s’était jeté sans hésiter dans la direction d’une mine pour sauver un camarade canin, plutôt qu’un soldat. Souvent, lorsqu’on le forçait à expliquer l’origine de sa prothèse, il cachait cette partie de l’histoire, préférant laisser les gens croire à leur image de héros sans peur du danger à laquelle ils voulaient l’attacher. Les civils ont besoin de soldats, mais le plus il les côtoyait, le plus Dawson se rendait compte qu’ils avaient surtout besoin de l’idée du soldat, sans son héroïque patriotisme, et non de la réalité qu’il avait vécue. La jeune blonde partie, il remit son bureau en ordre, informa sa réceptionniste qu’il partait déjeuner, et s’en fut pendant quelques heures, tranquille.

A son retour, un homme l’attendait dans l’entrée ; à son poignet, la laisse d’une chienne couverte de crasse, au point que son poil sûrement blond en paraissait d’un brun noirâtre peu ragoûtant. « Alors Zeke, tu t’es fait une nouvelle amie ? » L’homme lui adressa un sourire mi-penaud mi-fier, et lui tendit la laisse de la vieille chienne, qui était visiblement très intéressée par le paquet de croquettes que venait de sortir le vétérinaire. Une fois l’animal rassasié et en confiance, Dawson se mit à l’extraire de son plâtre peu hygiénique, non sans porter Ezekiel volontaire pour l’aider. Il était le genre de vétérinaire qui encourageait ses clients à participer à ses traitements autant qu’il le pouvait, pour les aider à comprendre leurs animaux autant que pour permettre à ceux-ci de se sentir le plus à l’aise possible, mais avec l’autre homme c’était aussi une occasion de discuter. Depuis son arrivée à Radcliff il y avait de ça presque quatre ans, Dawson avait formé beaucoup de connexions, malgré son caractère plutôt timide, mais peu de chances l’avaient autant touché qu’Ezekiel. Avoir pour meilleur ami une autre victime de stress post-traumatique, quelqu’un qui comprendrait ses crises d’angoisse et qui avait été capable de l’aider à reprendre le sport après de longues heures d’échec, c’était une chance dont il ne risquait pas d’oublier la rareté. Et leur passion partagée pour les animaux en détresse ne faisait que les rapprocher davantage – à ce sujet, la chienne décida brusquement de se secouer, couvrant les deux hommes de mousse un peu trop grise pour être propre. Un instant surpris, Dawson explosa de rire devant la nouvelle moustache de son ami, ne s’arrêtant que pour lui tendre une serviette et empêcher la chienne hyper excitée de sauter hors de la baignoire pour les couvrir de léchouilles.

Il était heureux ici. Bon, pas parfaitement, mais qui pouvait réellement dire qu’il ne manquait rien à leur vie ? La seule ombre au tableau, mis à part ce putain de grand Amour qui n’arrivait pas, c’était Thaddeus Lancaster et la crise des mutants. La ville autrefois calme et harmonieuse qui l’avait si bien accueilli se transformait progressivement en champ de bataille et, cette fois, ce n’était pas un flashback. Dawson était bien conscient qu’il ne risquait techniquement rien : ni mutant, ni Hunter, il n’était qu’un civil parmi d’autres dans ce qui s’annonçait malheureusement comme le début d’une guerre civile. A cette idée, sa jambe le lança brutalement, et il dû s’assoir un instant, sous le regard concerné de sa réceptionniste, qui s’apprêtait à fermer la clinique. D’un geste il l’autorisa à partir ; quelques minutes plus tard il se leva lui-même et quitta sa clinique de vétérinaire, qu’il avait ouverte il y avait quelques ans après avoir finalement réussi à finir ses études, commencées avant son service militaire il y avait de cela si longtemps. Son père avait finalement pu se rassurer : son fils unique ne bénéficiait plus seulement d’un diplôme d’école secondaire, mais également d’un vrai diplôme universitaire, ainsi que d’une pension de vétéran et d’un emploi stable, le tout allant joliment supplémenter l’héritage qu’il comptait lui laisser. Viktor Alexander, à ses trente-cinq ans, était donc beaucoup de choses – un fils, un soldat, un vétéran, un étudiant, un vétérinaire, un amoureux, un ami – mais il ne serait jamais un flemmard, ou pire, une charge de la société. Le patriarche pouvait dormir en paix. Quant à Dawson lui-même, il était certain d’une chose : il n’avait pas survécu à deux guerres et perdu sa jambe pour se retrouver l’effet collatéral d’un troisième conflit.