Au dessus du lavabo, la jeune femme s’acharnait à frotter ses doigts pour en retirer le sang qui semblait s’y être incrusté. Il coulait, rougissant l’eau sur son passage. Fallait que sa parte de ses mains, puisque que ça ne partirait jamais de ses vêtements. Elles étaient bonnes à foutre au feu les fringues qu’elle portait sur le dos. Tout ce sang, ça semblait tellement injuste, mauvais, pas normal. Pourtant, c’était l’accomplissement de nombreuses heures d’entrainement qui l’avait menée jusque là. C’était qu’elle en avait passé du temps à s’entrainer avec son père, avec ses frères et sa sœur. C’était un héritage de famille, une mission à laquelle les Lecter étaient dévoués. Une mission qui était juste. C’était ce qu’elle avait toujours pensé, c’était encore ce qu’elle pensait aujourd’hui, du haut de ses dix-huit ans alors qu’elle venait de tuer son premier transmutant. Ça avait presque l’air d’être d’un rite de passage, fallait bien que ça serve un jour tout cet entrainement. Mais avec le sang sur les doigts, ça semblait tellement surréaliste. Elle continuait de frotter ses mains sous l’eau trop chaude qui rougissait ses doigts alors qu’une couche de buée commençait à recouvrir le miroir en face d’elle. Elle était née Lecter et ça voulait bien dire ce que ça voulait dire. C’était un nom sanguinaire, déjà baigné dans le sang par la littérature, c’était un nom qui allait si bien à sa famille. Ils étaient des assassins et pourtant ça semblait tellement normal. Parce que c’était le monde qui allait mal, rongé par une maladie affreuse dont il fallait bien le débarrasser à la manière forte. Les transmutants étaient des erreurs de la nature, des monstres qu’il fallait abattre avant qu’il ne soit trop tard. Trisha, elle avait retenu la leçon depuis le temps. Y avait encore la voix de ses parents dans un coin de sa tête, lui répétant toujours les mêmes choses : les transmutants étaient un problème dont les Lecter s’étaient chargés de débarrasser le monde. C’était pour la bonne cause. Ce sang sur ses mains, c’était un transmutant de moins, un meurtrier de moins et probablement quelques humains de sauver. Fallait bien que quelqu’un agisse avant qu’il ne soit trop tard. Et puis le monde qu’elle voulait léguer à ses enfants, c’était pas un monde dans lequel des créatures pareilles avaient leur place. Y avait des gens à protéger aujourd’hui comme dans les générations futures et c’était ce que les Lecter s’efforçaient de faire ; protéger les autres. Un soupire passa le seuil de ses lèvres alors que d’un geste rapide, elle passa sa main contre le miroir. Fallait qu’elle se reprenne. Elle n’imaginait pas Beatrix avoir flanché de la sorte après avoir tué son premier transmutant. Felix et Desmond non plus. Elle était la cadette de la famille, elle avait toujours eu l’impression d’être plus fragile que les autres, une pauvre petite créature qu’il fallait protéger. Mais non, c’était hors de question ça. Elle fixait son propre reflet dans le miroir, essayant vainement d’effacer ses traits d’anges pour avoir l’air plus forte. Mais c’était peut-être peine perdue. Quelques coups cognés contre la porte la firent sursauter. Elle se dépêcha de couper le robinet qu’elle laissait couler depuis trop longtemps. « Tout va bien Trish ? » C’était la voix de Beatrix. Elle soupira. Ça n’allait pas, c’était certain. Mais elle n’avait pas envie de le montrer. Elle voulait être aussi forte que ses aînés. « Oui, oui. Ça va. » Fallait qu’elle parte, qu’elle aille vaquer à ses occupations et qu’elle la laisse tranquille. C’était tout ce qu’elle voulait pour le moment. « T’as l’intention de sortir de la salle de bain un jour ? » Ça faisait combien de temps qu’elle était là-dedans ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Elle soupira encore. « Oui … Je suis dans le bain, j’arrive, bientôt. » La voix hésitante, elle s’était cherché une excuse. Ça avait marché, elle entendait les pas s’éloigner de la porte. Ouf. Maintenant, elle n’avait plus qu’à rendre son excuse un peu crédible, alors, elle se débarrassa de ses vêtements tâchés par le sang, les abandonnant par terre pour entrer dans la douche, se débarrasser des autres traces de sang qu’elle pouvait avoir sur elle.

« Je t’aime. » Un sourire sur les lèvres, elle s’approcha pour embrasser le jeune homme du bout des lèvres, avant de s’éloigner, sac sur l’épaule pour partir en direction de l’université. La vie semblait être devenue simple comme tout depuis quelques temps. Le patriarche Lecter avait beau croupir en prison, ça n’empêchait pas Trisha de continuer sa vie. Pire sans doute, elle avait trahi tous les principes qu’il avait cherché à lui inculper pendant toute sa jeunesse. Elle était née chasseuse, c’était dans ses veines et pourtant à présent, elle était loin, si loin de tout ce qu’elle avait pu connaitre plus jeune. Elle aimait cette vie qu’elle était en train de se construire pas à pas. Elle était heureuse. Heureusement sans doute que son père n’était pas dans les parages, elle n’osait même pas imaginer ce qu’il pourrait penser s’il savait que sa fille entretenait une relation avec un transmutant. Il n’en savait rien et c’était très bien comme ça. Ça semblait loin aujourd’hui, l’époque où elle chassait en famille. C’était qu’elle avait eu besoin d’envisager autre chose dans sa vie. Une vie plus simple, avec une relation stable, des études dans lesquelles elle se plaisait et qu’elle réussissait plutôt bien. Aucune nécessité de sortir le soir pour aller tuer des transmutants. Elle se sentait libre. C’était peut-être la première fois de sa vie qu’elle ressentait ça. Parce qu’avant, il avait fallu qu’elle agisse comme on voulait qu’elle agisse. Et puis elle s’était toujours mit la pression, fallait qu’elle soit à la hauteur. Fallait qu’elle soit comme Beatrix, comme Felix, comme Desmond. Comme son père. Mais maintenant, y avait plus personne pour la juger. Plus personne pour lui dire ce qu’il fallait qu’elle fasse ou ce qu’il ne fallait surtout pas faire. Plus personne pour lui indiquer qui est-ce qu’elle avait le droit d’aimer et au contraire qui est-ce qu’elle se devait de détester. Elle était libre et la liberté avait un gout des plus appréciables. Ce genre de gout dont on ne pouvait plus se passer dès qu’on avait profité de la première bouchée. Elle se plaisait à croire que plus jamais personne ne pourrait prendre des décisions à sa place et elle avait tout le soutien de son petit ami. C’était lui qui lui avait montré la vie sous un angle différent, lui qui lui avait prouvé que les transmutants n’étaient pas que des monstres et qu’on pouvait choisir de vivre comme on l’entendait dès qu’on se donnait la peine de couper les liens. Elle lui devait tout. Elle l’aimait de tout son cœur et elle était peut-être jeune et naïve, mais elle était persuadée qu’elle pourrait terminer sa vie avec lui. C’était ce qu’elle voulait. Juste eux deux contre le reste du monde, ça semblait vraiment bien.

« S’il te plait Trisha. » Elle fronça les sourcils. Elle ne le connaissait pas, comment est-ce qu’il pouvait connaitre son prénom ? Ce n’était qu’un transmutant, un monstre. Fallait qu’il meurt. Depuis que son père était sorti de prison, Trisha s’était remise à suivre ses traces. Du jour au lendemain, ça lui avait semblé évidant, quand bien même elle avait fuit le milieu pendant deux ans. Elle ne savait même plus pourquoi elle avait arrêté. Pour les études sans doute. Parce que c’était important et qu’elle ne voulait pas être juste une hunter. Elle avait des rêves personnels qu’elle n’avait jamais eu l’intention de laisser tomber. Mais elle avait obtenu son diplôme, alors, sans doute qu’il était grand temps qu’elle s’y remette et puisque son père était de retour dans sa vie, c’était l’occasion. La brune eu une seconde d’hésitation. Parce que cet homme en face d’elle, il la connaissait et y avait une partie d’elle qui voulait savoir pourquoi. Mais y avait aussi toute une partie d’elle qui s’en fichait complètement, qui voulait juste en finir avec cet imbécile. Alors, elle avait hésité, mais au bout du compte, elle avait appuyé sur la gâchette. Une balle en pleine tête et on en parlait plus. Mais, il y avait eu une douleur dans sa tête à elle, elle avait lâché son arme. Merde, qu’est-ce qui était en train de lui arriver ? Elle était tombée à genoux, luttant contre cette douleur au fond de son crane et, les yeux fermés, il y avait des images qui s’imposaient à elle. Des souvenirs qui semblaient sortir de nulle part et bout à bout, ça commençait à avoir du sens. Elle le connaissait cet homme. Elle l’avait aimé, elle avait tout laissé tomber pour lui, elle aurait volontiers tourné le dos à sa famille s’il le lui avait demandé. Mais elle l’avait oublié et elle savait très bien pourquoi. Parce que c’était son don, celui de retirer des souvenirs aux gens, d’en insérer des nouveaux, changer la réalité dans la vie d’une personne. Un monstre. Comment est-ce qu’elle avait pu se faire avoir comme ça ? Qu’est-ce qu’elle pouvait être stupide des fois. Y avait tellement d’image qui lui revenaient et son cœur qui se brisait au fur et à mesure qu’elle découvrait ce passé oublié. Elle sentait les larmes couler le long de ses joues. C’était vraiment un monstre pour s’être joué d’elle comme ça. Elle découvrait tout, y compris sa bande d’amis, eux aussi ils étaient des monstres. Elle s’en voulait tellement de s’être retrouvée embarquée là dedans. D’un geste rapide, elle essuya ses larmes à l’aide de la manche de son pull. C’était terminé maintenant. On ne la prendrait plus à jouer les imbéciles avec les transmutants. Elle tuerait chaque transmutant qui croiserait son chemin. C’était ce qu’on attendait d’elle, c’était ce que voulait son nom de famille. Elle était une Lecter et elle avait bien l’intention d’être à la hauteur de cette famille à laquelle elle appartenait. C’était terminé les caprices de gamine maintenant. C’était une grande fille, une chasseuse digne de ce nom et elle le prouverait.

« Tu vas me suivre longtemps ? » Pourquoi elle se donnait la peine de poser la question alors qu’elle connaissait très bien la réponse ? Il n’allait pas la lâcher d’une semelle parce que son père le lui avait demandé, tout ça en échange d’un gros chèque. Alors combien est-ce qu’elle valait sa vie ? Elle serait bien curieuse de savoir, peut-être qu’elle devrait poser la question à son père la prochaine fois qu’elle le verrait. Combien est-ce qu’il dépensait pour s’assurer de la sécurité de sa cadette ? Elle n’avait pas besoin de ça. Le gorille qui la collait, il pouvait aussi disparaitre, ce serait cool. Elle savait se défendre toute seule. Ça n’avait pas été facile tous les jours ces derniers temps, mais on l’avait manipulée, on s’était jouée d’elle, ça irait mieux à présent. « Aussi longtemps qu’il le faudra. » Elle soupira. Sérieusement, la situation le faisait chier lui autant qu’elle, alors pourquoi est-ce qu’il fallait que ça continue comme ça. Au pire, elle, elle pouvait lui proposer un autre chèque pour qu’il lui foute la paix. Malheureusement, elle n’avait pas la même facilité que son père à aligner les zéros pour que dalle. Parce que oui, clairement, il le gaspillait son fric là. Elle n’avait pas besoin d’un garde du corps. Bon dieu, cette histoire, ça allait donner raison à Felix, lui qui la voyait comme une gamine qui avait besoin qu’on la protège, là il allait être content. Y avait un type qui la suivait partout pour assurer sa protection. « Et si je dois aller pisser, tu vas aussi me suivre ? » Il en serait capable, sait-on jamais si elle se faisait attaquée par un balais à chiotte. « J’te suivrai partout où faudra que jte suive. » Elle soupira. Si encore il avait été à peu près sympa ou marrant ça aurait pu être intéressant, mais il était juste super chiant et elle allait se coltiner encore longtemps apparemment. « Et dire que le fait que je sois en vie ou morte ne t’intéresse même pas. Tu veux juste le fric hein ? » Encore une question inutile, elle connaissait déjà la réponse là aussi. Elle savait bien que sa vie, c’était le cadet de ses soucis. Il était comme tous les autres types qui s’étaient approché d’elle, il n’en avait rien à faire d’elle. « Yep. » Au moins lui, il avait l’honnêteté de l’admettre. C’était déjà ça. Elle soupira à nouveau avant de lever les yeux au ciel. Cette situation était loin de lui convenir et pourtant fallait croire que ça allait durer comme ça encore longtemps. « Et si je rencontre un gars et que jle ramène dans ma chambre ? Si tu restes c’est carrément du voyeurisme. » Fallait bien envisager toutes les possibilités, c’est qu’elle estimait avoir quand même le droit à un minimum d’intimité et il avait carrément intérêt de la respecter, sinon elle finirait par se suicider, comme ça elle serait morte et il aurait foiré sa mission pourrie. « J’ai pas l’intention de rester nan, mais p’t’être que tu devrais faire gaffe aux types que tu ramènes chez toi, parait que tes fréquentations sont pas terribles. » Elle allait lui coller son poing dans la figure là. Il se prenait pour quoi d’abord ? On aurait presque dit son père là. « Va te faire foutre. » Elle lui adressa un sourire tout ce qu’il y avait de plus ironique avant de claquer la porte de son bureau devant son nez. Qu’il reste dehors, c’était bon, elle n’avait pas besoin de lui ici, elle n’allait pas se faire attaquer par sa plante verte.