Pourri-gâté, excentrique, excessif – rares étaient les traits de caractère qui l’avaient défini autrefois, qui pouvaient être encore utilisés aujourd’hui pour décrire Alec Lynch. Ici, maintenant, la seule idée commune à ces vies différentes restait le fait qu’il n’avait jamais – jamais – touché une manette de jeu vidéo de son existence. Il n’aurait pas eu la patience, pas l’goût à vivre les choses de manière totalement virtuelle : contrairement à certaines personnes qui devaient économiser des mois durant pour s’acheter une console, il avait largement eu les moyens de s’offrir tous les caprices possibles et imaginables qu’il avait eus : saut à l’élastique, saut en parachute, canyoning, cours de pilotage d’hélicoptère – définitivement, même avant ses vingt ans, le fils des Lynch avait déjà mené de connu de nombreuses expériences aussi diverses qu’inédites. Alors ouais, s’plonger dans un écran de télévision pour y jouer un personnage totalement pixelisé, ça n’l’avait jamais particulièrement attiré – pas même avec Felix, lors de leurs longues soirées entre potes. Bon Dieu, bien au contraire, eux ils s’étaient plu à apprécier le réel sous toutes ses formes. Les mots de Calista ne trouvaient irrémédiablement, que bien peu d’écho dans l’esprit du chasseur : perplexe, tendu comme à l’habituel sur le terrain, le vocabulaire des jeux vidéos lui passait totalement au-dessus de la tête – mieux valait pour lui qu’il se concentre sur le concret, et laisse à la Wolstenholme l’occasion de nager en plein rêve. Paradoxal, comme rêve, malgré tout : l’expérience aussi détestable était-elle, n’servait aussi qu’à prouver à quel point ils étaient différents, diamétralement opposés, Calista et lui. Là où brillait une conviction à peine feinte, une excitation dont la jeune femme n’avait sûrement qu’à peine conscience, seule la lassitude parvenait à se faire un chemin dans les tripes du Lynch – tout ce qu’il voyait, ressentait au plus profond de ses chairs, c’était le nombre incalculable d’épreuves qui allaient se foutre sur leur route. Maintenant ils savaient pourquoi et comment autant de chasseurs avaient disparu en croisant le chemin du transmutant : leurs camarades étaient-ils tous morts ici, dans cet endroit miteux, ce monde parallèle on ne peut plus réel ?

« C’est quoi ça, le virus T ? » lâcha-t-il à l’adresse de Calista, avant de réaliser que- « Non en fait, j’ai pas vraiment envie de savoir. On fait c’qu’on a à faire. » et le reste appartiendrait à l’histoire. L’histoire de Radcliff, du monde réel, du il-ne-savait-quoi auquel ils appartenaient réellement et où les zombies n’existaient pas – c’était définitivement pire que les transmutants, cette histoire. « Hum... D'accord mais je sais pas me battre alors c'est probablement mieux si je passe derrière. (…)  Va falloir que vous me protégiez. J'peux vous soigner, vous redonner de l'énergie s'il le faut, mais je ne peux pas m'auto-guérir. » en dévisageant la blonde transmutante, le premier réflexe du chasseur aurait été de lui faire comprendre qu’ils ne comptaient pas avoir besoin qu’elle les guérisse à nouveau, dans la mesure du possible ; avec cette même sympathie qui le définissait depuis le début de leur entrevue. Aussitôt les songes formulés à la frontière de son esprit, il les retint nerveusement, crispant les mâchoires : « Je passe devant. Calista, tu vas au milieu, tu couvres les côtés. Tu tires que si c'est nécessaire, si le bruit les attire, autant éviter au maximum. Et toi tu vas à la fin, essaye de suivre le rythme. » c’n’était qu’à peine un jugement, ou de la méfiance affichée – il connaissait la chasseuse qui l’accompagnait, mais il n’savait rien de la blonde guérisseuse qui s’était retrouvée là avec eux. Autant prévenir que guérir. Sans autre forme de procès, et le plus silencieusement possible, le Lynch se dirigea vers la porte qu’ils avaient verrouillé quelques instants plus tôt – qu’est-ce qu’ils pourraient bien trouver de l’autre côté ? La question demeura en suspens, le temps qu’il ouvre la porte – droit sur un couloir vide. Vide, froid et silencieux ; le sol jonché de ces cadavres putréfiés qu’ils avaient abandonné plus tôt derrière eux. Le souffle accroché à chaque minuscule bruit parvenant à ses oreilles, Alec trouva une de ses flèches dans son carquois, pour l’encocher – prêt à tirer au moindre signe ennemi ; définitivement, s’ils gardaient le contrôle, les zombies, ça n’pouvait pas être pire que des dégénérés capables de créer des univers aussi fous d’un claquement de doigts.

Les hunters pouvaient-ils vraiment se prétendre être des experts en analyse et compréhension des pouvoirs des transmutants ? A vrai dire, Alec n’s’était jamais excessivement penché sur la question, mais l’année et les expériences qu’il avait forgées par la force des choses, l’avaient poussé à comprendre certaines choses. C’était, bien évidemment, plus facile d’observer la facette monstrueuse des dégénérés plutôt que de s’plonger du côté de leur vie normale – on ne peut plus humaine et sans histoire. Lynch n’faisait pourtant pas partie des pires des pires ; lui, il n’sortait pas des sentiers battus pour aller attaquer des gamins qui découvraient tout juste la déficience de leurs gènes, il n’allait pas non plus annihiler toute une famille qui n’avait rien demandé sous prétexte d’effacer les preuves. Somme toute, peut-être bien que sur l’terrain, Alec faisait partie de ces rares qui analysaient la situation avant de se jeter droit dedans – pour beaucoup, c’était advienne que pourra et ceux-ci n’hésitaient pas à éliminer toute paire d’yeux potentiellement gênants. Une façon d’fonctionner qu’il n’pourrait jamais comprendre, jamais accepter ; c’était bien pour ça qu’il avait pris les armes, pour défendre des gens humains, sans histoire, inconscients de l’existence des transmutants, et qui se retrouvaient au milieu d’une guerre ouverte sans même le savoir. Des gens comme ses parents, qui un jour avaient commis le faux pas de fâcher un putain de dégénéré, celui-là même qui avait décidé, en réprimande, de les buter sans s’poser plus de question. Sûrement y avait-il des tarés partout, en fin d’compte. Des tarés qui n’hésitaient pas à mêler des humains aux histoires de mutants et de chasseurs. Ou des tarés qui ouvraient des portails sur des mondes parallèles remplis de zombies, comme ça, sans crier gare, juste pour le fun – c’était tellement plus amusant que de simplement les abattre.

Alors que Calista les avait faits s’arrêter, le chasseur soupira, plus à l’égard des circonstances que des deux jeunes femmes qui l’accompagnaient : oui, déjà la simple idée de s’faire balader par un putain de dégénéré à travers un univers qui n’existait que d’une certaine façon inexplicable, ça le lassait. Qu’il les affronte une bonne fois pour toutes, plutôt que d’se planquer derrière des otages blondes aux pouvoirs de guérison, ou en les piégeant dans un univers hostile qui aurait probablement raison d’eux ; et si ce n’était pas l’cas, il y avait toujours la faim, la soif, la fatigue – peu importait. Car même en admettant que le décor autour d’eux dans son entièreté ne soit qu’une illusion virtuelle tirée d’un jeu vidéo, c’n’était pas leur cas à eux – Alec en avait la preuve alors qu’il sentait la vive douleur électrique de la plaie à son front se répandre à travers tout son crâne. Au milieu de tout c’la, quand bien même il n’y connaissait rien en virtuel, jeux vidéos ou Hunger Games, il ne put s’empêcher de se mêler à la conversation – car en fin d’compte, d’eux trois, c’était lui l’expert en dégénérés. « C’est surtout différent selon l’exemple. J’veux dire, en soit balancer du feu avec ses mains c’est pas pareil que de guérir quelqu’un, ou de créer des univers parallèles. » somme toute, il y avait des transmutants qui avaient leurs pouvoirs qui consommaient constamment une partie de leurs êtres, de leurs âmes – comme celui qu’il possédait lui-même : au fond, qu’il le veuille ou non, sa mutation s’éveillait d’elle-même, et agissait de son propre chef. Irrémédiablement, c’était différent de quelqu’un qui avait la capacité d’influer sur sa dégénérescence et de la faire fonctionner au gré de ses envies. « Et même, admettons que c’type ait une quelconque limite – j’veux dire, y’a quand même des dizaines d’autres hunters qui se sont lancés après lui, et ils ont tous disparu. Ca veut dire quoi ? Que c’t’endroit va finir par se désintégrer et que ça va nous faire disparaître dans un genre de vide ? Si non, ça veut clairement dire que ce type n’a aucune limite, et j’sais pas laquelle des deux options est préférable. » qu’il marmonna pour terminer, pris dans ses pensées : mourir en dépérissant dans ce monde où seule Calista pourrait trouver un maigre plaisir à se trouver ? Ou devoir agir avec un chronomètre au-dessus de la tête avec l’idée que s’ils n’sortaient pas vite d’ici, ils finiraient disloqués en rien du tout ? « Il a pas seulement le pouvoir de nous envoyer dans un univers parallèle, il a aussi changé une certaine part de la réalité. » ajouta-t-il, uniquement à l’adresse de Calista, puisqu’elle était la seule à pouvoir le comprendre – la seule à savoir.

L’impatience, et l’impulsivité étaient définitivement des traits de caractère inhérent à un Alec qui se retrouvait dans une situation de laquelle il aurait voulu pouvoir se dépatouiller au plus vite : pour faire simple, tout ce dont il n’avait pas le contrôle, avait la capacité de l’énerver plus vite que n’importe quoi d’autre. Y’avait une certaine ironie, dans l’fait de décider de prendre les armes pour contrer les dégénérés, et s’retrouver si souvent soumis à leurs délires et leurs pouvoirs tous aussi plus fous les uns que les autres : c’était définitivement une nouveauté que ce truc, un mutant capable de créer des dimensions parallèles qui ressemblaient à des jeux-vidéos pour genre tordus. Et alors comme ça, la Wolstenholme avait peur de rejoindre le terrain, lorsqu’il était question de véritablement prendre les armes pour défendre Radcliff ? Quel paradoxe, quand on voyait la connaissance qu’elle avait pour les jeux-vidéos de c’genre, qui atteignaient vraiment un niveau de débilité trop élevé pour le Lynch. Alors évidemment, l’ordinateur qui n’marchait pas et le décor factice, ainsi que chacune des phrases de Calista- l’ensemble le fit soupirer, sa mauvaise volonté s’accompagnant d’un haussement de sourcils perplexe. Il s’en foutait éperdument de quelles références pop culture s’amassaient dans les recoins tordus de l’esprit tordu d’une enflure destinée à se retrouver six pieds sous terre : l’option d’avancer plutôt que de blablater sur l’imagination de ce cher George Rosenberg, lui sembla tout de suite plus préférable et tout en ayant gardé un silence têtu et nerveux pendant tout ce temps, Alec ne manqua pas d’ouvrir la route. Il avait sûrement déjà chassé pire que des abrutis de zombies, sans avoir à dépendre de sa mutation : après treize ans de chasse, et une liste de victimes terrassées longues comme le bras, c’n’était pas l’esprit dément d’un connard qui allait avoir raison de lui. Ni de Calista. Ni de la troisième protagoniste dont il n’s’était même pas donné la peine de retenir le nom- s’il le fallait. Tous les deux, tout chasseurs qu’ils étaient, ils avaient une dette envers la blonde ; et la demoiselle pouvait questionner l’honneur des hunters autant qu’elle voulait, elle pouvait au moins reconnaître n’pas être tombée sur les pires specimen qui soient.

« Attendez ! Y'a un ascenseur de l'autre côté de cette pièce. » en analysant du regard la zone désignée par la transmutante, Alec se retrouva à avoir beaucoup d’peine à retenir un soupir : c’était donc ça, les jeux-vidéos aujourd’hui ? Des pièges évidents, des ennemis stupides, et tout un décor en carton ?! Pourquoi est-c’qu’il avait fallu que ça leur tombe dessus ? Franchement, le Lynch aurait été bien plus satisfait d’se retrouver dans un univers dimensionnel avec des dinosaures ou des trucs qui faisaient sens – ou presque. « Après vous... » mais le sarcasme de la dégénérée ne fit clairement rire qu’elle, tandis que le jeune homme, lui, lui balançait un regard électrique, plein de tension et témoin de tout l’énervement qui courait dans ses veines de manière exponentielle depuis le début de cette soirée minable. Et ses prunelles en dirent plus long que n’importe quelle réplique cinglante – aussi, Alec se retint d’asséner en plus des mots de trop à la jeune femme, pour se tourner vers Calista. Il fallait qu’ils pensent logiquement, il fallait qu’ils se concentrent sur un plan pour sortir de là : qu’ils oublient les délires de jeu vidéo, les délires d’ordinateur et qu’ils avancent progressivement- au fond, s’il devait crever acculé par cinquante zombies au premier pas qu’il ferait dans cette pièce, elles deux en payeraient aussi de leurs vies, à moins d’pouvoir prétendre sortir de là à elles deux, avec une rouillée au combat, et l’autre incapable de se servir d’un poignard- c’qui n’était pourtant pas bien compliqué. « Okay- Calista… dans ton machin, ton jeu là-… les- zombies-… » il n’arrivait pas à croire qu’il tenait un tel langage : heureusement pour lui, il chuchotait, et dès qu’il aurait balancé le cadavre de Rosenberg par une des baies vitrées de son précieux immeuble, il pourrait oublier toute cette histoire. « Dis-moi tout, c’est quoi leurs faiblesses, qu’est-c’qui les attire ou- ou… tout c’qui te vient en tête. » d’une œillade, il avait inspecté les recoins silencieux et vides des couloirs où ils se trouvaient, le bout de ses doigts passant avec nervosité sur son front, tentant d’effacer les lignes tendues de celui-ci, alors que le sang commençait à pulser, pulser avec force là où il avait toujours sa blessure à lui, qui saignait toujours abondement, quand bien même il était facile de l’ignorer.