Une bouteille lancée à la mer, SOS qui échoue jusque-lui. Alec chassait en-dehors des plates-bandes imposées par Thaddeus Lancaster depuis longtemps désormais ; agissant selon ses propres lois, avec ses propres convictions. Ça devait cesser – c’était l’argument que faisait pulser sa conscience à travers chaque petit recoin de son esprit : il devait plier l’échine pour ne pas trop attirer l’attention sur lui, et ça, ça impliquait irrémédiablement de collaborer avec la pourriture de maire qui veillait sur la ville, et qui, tôt ou tard, aurait toutes les clés en main pour nuire à Calista. Calista qui avait eu l’idée stupide de se lancer dans une quête de vérité impossible à atteindre – l’employée adorée qui trahissait l’homme qui veillait sur elle, et tout s’effondrait. Dans les radios de la police, Alec avait saisi quelques mots au vol au sujet d’une chasse en cours, dans un coin de la ville – quelqu’un qui était encore assez stupide pour être dehors après les heures de couvre-feu : avec tous les événements qui rythmaient la vie de Radcliff, il y avait encore des gens pour faire ça ? C’est sans regret, qu’il abandonna les illusions, glissant hors de la voiture de police pour parcourir à pieds, au pas de course, les quelques pâtés de maison qui le séparaient de l’endroit où tout s’était déroulé. Des complications, un hunter qui se lance imprudemment à la suite d’un dégénéré, et se retrouve blessé dans le procédé. Au final, la seule chose bien qu’il avait réussi à accomplir, c’était de blesser la fuyarde elle aussi : il ne restait plus qu’à finir le travail. On le dévisageait volontiers, en le voyant débarquer avec son arc et ses flèches au beau milieu du terrain : Alec avait d’ores et déjà appris, depuis bien longtemps déjà, à ignorer les œillades furtives des incapables qui lui laissaient du boulot supplémentaire pour réparer leur connerie. C’est d’un pas furtif, qu’il s’engagea en direction du grand hangar lugubre, à la sortie de la ville où on avait perdu la transmutante : en entrouvrant la porte de celui-ci, il se glissa dans les ténèbres, tous ses sens en éveil, alors que les lumières faiblardes de Radcliff ne lui permettaient pas de voir où il allait à plus de trois mètres devant lui.

Un pas, deux pas ; quelques dizaines de pas, qui, malgré lui, résonnaient dans la grandeur de l’espace – dans son poitrail, son cœur battait à un rythme régulier, comme celui d’un chasseur aux dents aiguisé, guettant une proie qui lui était encore invisible. Qu’il bosse pour lui-même ou pour Lancaster, les réflexes étaient les mêmes, et l’acte en lui-même ne changeait pas : probablement que la Wolstenholme aurait aimé qu’il s’interroge, quant à savoir s’il ne tuerait pas une innocente ; cette pensée était pourtant loin, si loin de ses songes. L’arc bandé, la flèche prête à siffler dans les airs d’un simple geste du doigt, le Lynch laissait à ses yeux, ses oreilles, l’occasion de traquer la fugitive. Un bruit par-dessus son épaule l’alerta, poussant le chasseur dans une volte-face, à tendre encore plus la corde de son arme – la flèche partirait à toute allure, d’une précision mortelle. Dans la trajectoire de son geste, c’est pourtant le visage d’une gamine qui apparut, enclenchant une réaction en chaine qu’il aurait volontiers fuie. C’était donc ça, le boulot des chasseurs à Radcliff maintenant, traquer des gamines dans des endroits pareils ? Le juron qu’il aurait volontiers lâché à l’encontre de tous ceux qui l’avaient amené jusqu’ici, il le retint entre ses lèvres, ses yeux clairs analysant la situation à toute vitesse. « Qui es-tu ? » prononça-t-il presque malgré lui, d’une voix froide et pourtant empreinte d’une hésitation nerveuse. Il savait qui elle était, une certaine Riley quelque chose, il avait si peu écouté le topo qu’on avait voulu lui infliger à son arrivée ; ces crétins ne savaient même pas qu’elle était la mutation de cette fille, alors à quoi bon les écouter blablater ? Après tout, ils étaient incapables de coincer une gamine de quoi… quel âge ? La question bourdonnait en de grands bruits dans son esprit, cette conscience qui faisait de lui un bien piètre chasseur – face à un type d’âge mûr, ou qui que ce soit d’autre, il aurait déjà fini le boulot, dans le silence de sa flèche se fichant entre les deux yeux du dégénéré. Mais là, c’était plus compliqué. Et il détestait ça.

27 février - Riley ne savait plus exactement comme elle s'était retrouvée ici, dans ce hangar sans lumière, le bras ensanglanté, mais elle savait qu'elle venait de l'échapper belle. Elle ne savait pas pendant combien de temps elle avait fui cette personne inconnue qui l'avait traquée mais elle l'avait fait. A force de ruses et de rapidité, l'adolescente avait réussi à fausser compagnie au hunter (car ce devait bien être un hunter) qui l'avait prise en chasse. Poussant un long soupir, la jeune fille appuya un peu plus sa main contre son bras gauche ensanglanté; elle avait mal. Malheureusement, elle n'était pas ressortie indemne de cette altercation; la personne qui la traquait avait réussi à lui asséner un coup de lame dans le bras, et ça faisait un mal de chien. Jamais l'adolescente n'avait ressenti une pareille douleur; elle faisait de son mieux pour retenir les larmes qui menaçaient de couler à n'importe quel instant d'inattention. Elle devait rester discrète, comme elle le faisait toujours; le moindre son pourrait révéler sa présence, et elle ne savait pas si son agresseur (ou son agresseuse?) était toujours dans les parages. Elle préférait rester prudente (et en vie). Comment avaient-ils fait pour la trouver? Elle n'avait pas utilisé son pouvoir, et la personne était sortie de nulle part pour se mettre à la traquer comme une bête dans la rue. Serrant les dents, Riley dut se contorsionner pour parvenir à voir la blessure à son bras dans son entièreté; elle pâlit en voyant l'étant de lequel elle était. Bon sang. Et elle allait dire quoi à ses parents si elle arrivait à rentrer chez elle saine et sauve? La vérité? Ils paniqueraient complètement et finiraient par lui interdire de sortir de la maison; elle ne voulait pas ça. Finir comme une princesse enfermée dans un château par ses parents? Très peu pour elle.

La jeune fille ferma les yeux avec force, pour empêcher une nouvelle fois le flot de larmes de se mettre à couler. Si elle se mettait à pleurer ce serait fini pour elle, elle serait incapable de s'arrête. Et puis, elle avait peur; elle mourrait de trouille à vrai dire. Elle était pâle comme la mort, tremblotante comme une feuille en automne sur le point de tomber de sa branche, immobile comme une statue de sel. Son regard aurait pu sembler similaire à celui d'un animal effrayé; à la manière d'une proie sur le point d'être attrapée, elle regardait dans les moindres recoins, sursautait au moindre bruit, se recroquevillait sur elle-même quand elle sentait un danger approcher. Là, seule, dans le noir, elle était livrée à elle-même et ça lui foutait les jetons. Quand la porte du hangar s'ouvrit soudainement, elle sursauta et grimaça en augmentant la pression sur sa blessure. Sa main droite était recouverte de son propre sang, et elle se faisait violence pour ne pas tourner de l'oeil. « Qui es-tu ? » Riley toisa cette silhouette, tapie dans l'obscurité. L'arc pointé vers elle lui fit peur, mais elle se dit qu'avec un peu de chance si cette personne lui tirait dessus son pouvoir pourrait lui sauver la peau (encore une fois). Elle savait très bien à qui elle avait à faire, un autre chasseur de personnes comme elle; personne d'autre ne se pointerait comme ça avec un arc dans un hangar. Inutile de mentir, il savait très bien qui elle était sinon il n'aurait pas été là. Toujours tapie dans son coin, immobile, blanche comme un linge (enfin pas au sens propre du terme sachant qu'elle était noire de peau) la lycéenne répondit à son interlocuteur, d'une toute petite voix; « Riley. » Ses yeux noirs comme des billes se posèrent sur celui de l'homme en face d'elle, et elle se dit que sa dernière heure était arrivée. Elle allait mourir seule, dans le noir, abattue comme du gibier; c'était si triste.

C’était donc ça. Pour ça qu’on l’avait envoyé sur le terrain ; pour traquer une gamine qui semblait pouvoir se briser en mille morceaux sous l’un de ses regards. Une dégénérée de ce genre-là ; certains diraient innocente – certains comme Calista sans doute. Il lui revenait en mémoire quelques jours plus tôt, quand elle avait frappé à sa porte, et qu’elle n’avait fait que compliquer les choses. Radcliff rendait les choses compliquées ; ici-bas, la cause limpide de la chasse devenait un marais obscur. A cause de certains. A cause de Thaddeus Lancaster. Etait-il possible que le maire utilise la dévotion de certains à des fins uniquement meurtrières ? Ces calculs, ces questionnements pernicieux, ne cessaient de courir dans l’esprit du Lynch depuis des jours maintenant : leurs murmures, étaient devenus brouhaha au moment où son regard clair avait rencontré les yeux noirs de la fille face à lui. Quel âge pouvait-elle avoir ? Certainement pas plus de quinze ans, au premier regard. C’était comme si on lui posait la question : qu’aurait-il fait, si un jour, dans les années 1900, il avait croisé le chemin d’un jeune Hitler en devenir ? Etait-ce là le job qu’il voulait accomplir, planter une flèche entre les entrailles de quelqu’un qui ne faisait clairement pas le poids – et n’avait visiblement pas l’intention de le faire ? Plus il plongeait dans le regard de celle en face de lui, plus les secondes devenaient insoutenables, longues. Epuisantes. Un dégénéré restait un dégénéré, une menace au cœur palpitant parmi la foule de ceux qui n’avaient rien demandé – des gens comme ses parents, que cette fille tuerait tôt ou tard. Peut-être. Sans doute. Si seulement ; si seulement rien de tout ce en quoi il avait cru, n’avait été remis en question à chaque jour qui s’écoulait. Son choix serait fait.

Mais maintenant. Il ne sentait guère la tension dans chaque muscle de son corps, alors qu’il n’avait ni lâché la corde de son arc, ni détourné le regard. Dans la pénombre, il trouva d’une œillade, la blessure profonde qui marquait le bras de la transmutante devenue gibier. Que faire ? Il devait tirer. C’était toujours mieux. Que faire ? Trouverait-il une quelconque justification à cela ? Les Lecter avaient-ils trouvé une quelconque justification dans l’acte de foutre le feu et de laisser cramer une famille d’humains ? Dans un souffle tendant l’air, Alec abaissa finalement son arme, dégageant la flèche de son arc pour la remettre dans le carquois dans son dos ; il n’avait pourtant toujours pas cillé, ni détourné le regard de celui de la gamine en face de lui. Mais il chassait les dégénérés, pas les gamins. « Il y a un couvre-feu en place. C’était stupide d’être dehors à cette heure-ci. » il la dévisagea, sans avoir bougé de ses appuis ; pourtant, il savait déjà que certains autres chasseurs allaient lui coller au cul – lui venir en aide si tant est qu’il en ait besoin. Avec le message passé dans la radio, tous les chasseurs aux alentours savaient qu’il y avait de quoi gagner un peu de gloire, ici dans cet entrepôt. Et il ne savait que trop bien, qu’il faisait partie des cons pour ne pas avoir fait le job. « Je peux t’aider à sortir. Si t’essayes pas de me le faire regretter. » il choisissait ses mots bien plus qu’habituellement – à un type, un adulte criant son indépendance et sa nature de dégénéré, il lui aurait fait comprendre qu’utiliser son pouvoir lui valait un aller simple six pieds sous terre. C’n’était pas le moment, pourtant, de perdre du temps à jouer dans l’intimidation.

Riley avait l'impression de voir la scène d'un oeil extérieur, au ralenti. Le sang qui gouttait le long de son bras lui faisait sentir des fourmillements loin d'être agréable, et ce regard froid posé sur elle lui faisait terriblement peur. Elle n'avait pas honte de le reconnaître; elle était totalement terrorisée. Elle aurait tout donné pour ne pas s'être retrouvée dans cette situation; tout ça parce qu'elle n'avait pas respecté le couvre-feu. Cela lui apprendrait. Sa main couverte de sang trembla légèrement quand elle tenta de resserrer l'éteindre sur sa blessure, et elle serra les dents en même temps qu'un frisson de douleur lui parcourrait l'échine. Bon sang, elle était dans de beaux draps. Elle secoua brièvement la tête pour chasser une mèche rebelle de son champ de vision.. sans grand succès; même ses cheveux semblaient se retourner conte elle! Comme si cela allait changer quelque chose, la lycéenne fit deux pas en arrière jusqu'à sentir un mur derrière elle. Merde, coincée. Elle n'était pas la meilleure des stratèges, mais elle comptait sur l'adrénaline et son instinct de survie pour qu'ils lui soufflent de bonnes idées pour se sortir de là; sans grand succès. Ses pensées étaient aussi tétanisées qu'elle. La brune observa un long moment la personne qui se trouvait actuellement dans son champ de vision. Armée d'un arc et de flèches, la jeune fille savait d'ores et déjà à quel genre elle faisait face; un chasseur. Il semblait professionnel et avait l'air de savoir ce qu'il faisait; encore une mauvaise chose pour elle qui était très loin d'être capable de se défendre seule. Elle n'avait plus qu'à compter sur son pouvoir pour faire tout le boulot.. pour changer.

La flèche fut rangée et l'arc abaissé; la jeune fille se sentit à nouveau la capacité de respirer. Loin d'être détendue, elle fixa d'un air interrogatif son assaillant qui semblait hésitant. « Il y a un couvre-feu en place. C’était stupide d’être dehors à cette heure-ci. » Oui il n'avait pas tort.. mais depuis quand les hunters faisaient la morale aux transmutants? Ils ne se contentaient pas de les abattre sans un mot? Riley ne réagit pas, se contentant de le fixer, méfiante. Tous les deux, ils se dévisagèrent un long moment, bleu contre noir. La jeune fille se demandait la raison qui poussait son interlocuteur à se comporter ainsi; pourquoi ne l'avait-il déjà pas tuée? « Je peux t’aider à sortir. Si t’essayes pas de me le faire regretter. » Ses yeux s'écarquillèrent tandis qu'il terminait sa phrase. Attendez. Il lui proposait de l'aider? Alors que deux minutes plus tôt il pointait une flèche en direction de son coeur? Décidément, elle ne comprenait plus rien. « Pourquoi? » Elle plissa les yeux, haussa les sourcils, toujours aussi méfiante. Il ne fallait pas penser qu'elle serait prête à mettre sa vie entre les mains de cet inconnu... quoiqu'elle n'avait pas vraiment d'autre solution. Et si d'autres chasseurs étaient déjà en route pour mettre fin à ses jours? Elle n'avait pas d'autre choix, si ce n'était la mort. Après un court silence elle poussa un soupir, pressa un peu plus sa main contre son bras blessé (bon sang qu'est-ce qu'elle avait mal!) puis elle souffla; « Très bien. » Il fallait savoir saisir les occasions quand elles se présentaient... pourtant une voix négative au fond d'elle-même lui soufflait que ce n'était peut-être pas une aussi bonne idée. De toute façon, qu'avait-elle à perdre? Dans les deux cas elle risquait la mort, autant bien la risquer comme il se doit.

Y aurait-il une quelconque façon pour lui de justifier son acte ? Lynch n’y pensait pas encore – improviser au fur et à mesure, pondre des mensonges tous plus improbables les uns que les autres, à la tronche de ceux qui lui demanderaient des comptes, ça faisait partie de ce que devait constituer un bon chasseur. A Radcliff, ce serait les autres – et peut-être même le maire – qui lui demanderaient comme il avait pu laisser filer une gamine qui faisait la moitié de sa taille, et le tiers de sa largeur ; qu’importait, y’avait déjà eu des erreurs de commises avant qu’il ne se pointe dans l’histoire. Si la transmutante était blessée, ce n’était pourtant pas une chasse terminée : les autres, avant lui, s’étaient plantés au point de laisser une enfant s’enfuir. Presque la preuve criante du fait que les hunters s’attaquaient à n’importe qui, sans aucune distinction. Il n’y avait pourtant aucun doute, cette fille était une dégénérée – meurtrière pour autant ? Le doute s’était fait un chemin trop profond à l’esprit d’Alec, si occupé à douter sur sa propre nature, sur ceux en qui il avait toujours cru. Les Lecter avaient participé à des actes qui flirtaient dangereusement avec ce qu’il pourrait juger d’horrible ; était-ce le rôle des chasseurs, d’être à la botte d’un politique, ses décisions et ses ambitions, quitte à s’y perdre totalement ? Il n’voulait pas devenir ce genre de chasseur ; il avait tué pour sauver des vies, tué pour protéger les humains des timbrés comme celui qui avait anéanti sa famille à lui. Point barre, pas besoin de tricher : les transmutants étaient dangereux, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils soient aptes à l’accepter ou non. A la question de la gamine, il resta pourtant totalement muet, peu désireux de lui offrir la moindre réponse : ce n’était pas le moment que les chasseurs s’affichent comme totalement dispersés dans leurs opinions, dévorés par le doute et les questionnements. Et il n’était même pas capable de savoir s’il serait apte à offrir une justification digne de ce nom. Ce soir, la clémence d’Alec Lynch était tombée sur elle, et elle serait stupide de ne pas saisir cette chance au vol.

Déjà, des éclats de voix à l’extérieur de l’entrepôt interrompirent leur face à face silencieux, poussant Alec à agir ; agir encore une fois, sous le coup de l’impulsion, l’adrénaline pulsant à toute vitesse dans ses veines. « Suis-moi. » et si elle ne le faisait pas, elle serait livrée à elle-même face à des types qui n’hésiteraient pas à la tuer. Avec ce qui était arrivé à la fête foraine de Radcliff, ce qu’elle avait fait, il n’y avait pas de doute quant à l’issue de cette chasse. Tous la voulaient morte, et au diable cette histoire de vaccin – plus que jamais, la guerre aux dégénérés avait été lancée. A l’autre bout de l’entrepôt, il trouva une porte qu’il n’eut aucun mal à pousser, faisant signe à la fille de se faufiler – il la suivit, laissant derrière lui les bruits inquiétants faits par les autres. C’n’était pas un piège, tendu par une armée de mutants ; il le savait, ou du moins, il s’accrochait à cette volonté – qu’importait, personne ne soupçonnait sans doute l’existence de sa mutation à lui. Et aussi ardemment qu’il la détestait, cette saloperie lui avait sauvé la vie un bon nombre de fois déjà. A l’angle d’un couloir, il attrapa la gamine par l’épaule, l’entrainant dans une salle abandonnée, où restaient encore de vieux meubles métalliques oubliés depuis longtemps. Sans autre forme de procès, il l’entraina derrière l’un d’eux, s’accroupissant furtivement pour ne pas être vu, par qui que ce soit qui passerait alentours – s’il avait le choix, il préférait quand même se planquer, à avoir à attaquer ses alliés pour une question de principe. Ces mêmes principes qu’il ne connaissait plus ; l’évidence lui cria en plein visage au moment où il dévisagea à nouveau sa compagne d’infortune. Il ne savait pas, au fond, s’il avait assez de haine brûlant en lui pour détester quelqu’un d’aussi vulnérable qu’une gamine, face à une armée de chasseurs.

Si l'adolescente avait envie de tourner de l'oeil face à ce sang qui coulait, elle n'en montrait rien. Poussée par son instinct de survie qui l'avait aidée à s'en sortir jusqu'à maintenant, elle ne comptait pas se laisser avoir si près de s'en sortir. Sur ses gardes, prête à fuir au moindre moment, la jeune fille toisait avec méfiance son interlocuteur. Elle avait encore du mal à se dire qu'un hunter qui quelques secondes plus tôt était encore en train de pointer son arme sur elle allait maintenant l'aider à se sortir de ce foutoir -et vivante en plus. Il fallait croire que tous n'avaient pas le cran de tuer une gamine. Ou alors que certains d'entre eux avaient encore un cœur. Ou des principes. Whatever. Son bras blessé commençait à s'engourdir, et elle se demandait si on allait devoir le lui amputer? Balayant ses idées noires d'une gifle mentale, la lycéenne poussa un soupir silencieux. Des éclats de voix la sortirent soudainement de ses pensées, lui arrachant un violent sursaut. « Suis-moi. » oui c'était ce qu'elle comptait faire; il était son unique chance de sortir d'ici vivante et de pouvoir rentrer chez elle saine et sauve. Revoir ses parents adoptifs. Leur raconter ce qu'il s'était passé. Des fois, Riley s'en voulait de leur causer autant de soucis; dans toute leur vie ils n'avaient voulu qu'adopter une fille pour lui donner de l'amour, et cette dernière leur apportait problème sur problème sans même le vouloir. Peut-être qu'elle devrait accepter de se faire vacciner, cela lui ferait un problème de moins.. non elle ne pouvait pas faire ça. Ce pouvoir était son identité. Peut-être même qu'elle le tenait de sa famille biologique; elle ne pouvait pas dire adieu à son héritage.

La brune eut un instant d'hésitation avant de suivre l'homme, mais elle finit par le suivre sans rechigner. Parce qu'elle ne voulait pas mourir. Parce qu'elle voulait revoir ses parents ce soir. Parce qu'elle ne voulait pas mourir ici, seule, dans le noir. Serrant son bras ensanglanté contre elle, la jeune fille se glissa dans l'entrebâillement d'une porte que son ange gardien tenait afin qu'elle puisse passer. Le souffle court, elle tentait de maîtriser son rythme cardiaque; elle avait l'impression que même le bruit de son cœur battant dans sa poitrine pourrait les trahir. Riley se crispa quand il l'attrapa par l'épaule mais elle lui emboîta le pas et s'accroupit, comme lui, derrière les meubles métalliques. L'adolescente coupa sa respiration, le regard brillant d'une terreur sans nom. Elle pouvait les entendre ces voix étouffés, ces voix caverneuses qui résonnaient sinistrement entre ces quatre murs d'acier. Et elle avait peur. Oh oui, elle avait la trouille. La mort était en train de l'effleurer de très près, et elle espérait de tout son cœur qu'elle se ravise de venir la cueillir ce soir. Tous les muscles tendus, la manche de son pull gris tâche de son propre sang, la jeune Riley ne faisait pas un bruit. Même sa respiration était silencieuse. Pitié, qu'ils ne les trouvent pas. Raide comme un piquet, elle glissa un regard vers son compagnon sans rien dire. De toute façon, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pas pu parler; sa gorge était beaucoup trop nouée pour émettre le moindre son.

Etre l’ennemi de ses propres alliés ; ce n’était clairement pas ce qu’il affectionnait le plus. Planqué derrière un vulgaire meuble branlant, pesant chacune des respirations qui glissaient hors de ses poumons, Alec se demandait pourquoi il avait fait ce choix. Puis son regard se portait sur la gamine à côté de lui, et l’évidence le frappait de plein fouet : y’avait des dégénérés qui criaient le danger, transpiraient l’ignominie et s’apparentaient à de véritables menaces – la situation à Radcliff aujourd’hui en était la preuve. Mais il n’en était pas là ; il n’en était pas au point de retourner la ville de fond en comble pour en sortir tous les transmutants qui se planquaient, peu importait leur âge, leurs actes ou leurs origines, pour les fusiller sur la place publique. Beaucoup trop n’en avaient rien à foutre ; beaucoup trop ici, dans cet entrepôt, n’hésiteraient pas à tirer sur une gamine bien plus jeune et moins coriace qu’eux, sous prétexte que ce n’était que justice – ou vengeance, parce qu’elle avait blessé l’un d’eux. Il l’avait blessée aussi. L’œillade du chasseur naviguait souvent entre la brune, sa profonde entaille au bras, et le couloir à quelques pas de là : tant qu’ils ne seraient pas tranquilles, il ne pouvait rien faire pour vraiment aider la jeune fille. Mais rien ne lui disait qu’ils n’avaient pas laissé tout un sillon de sang derrière eux pour indiquer à leurs traqueurs où ils se trouvaient.

Dans le silence de leur cachette, Alec fit un geste, attirant l’attention de la fille : sans un mot, rien qu’avec des gestes, il lui indiqua de rester silencieuse, et de ne pas bouger. Puis il se hissa sur ses jambes, à moitié replié sur lui-même, chacun de ses sens concentrés sur l’extérieur. A pas lents et silencieux, il se rapprocha de la porte qu’ils n’avaient pas pris la peine de fermer derrière eux : la pénombre générale seule, lui servait de camouflage. La gorge – et chaque muscle de son corps, crispés et aux aguets, Alec écouta, écouta attentivement. Il saisit quelques murmures, des bruits de pas qui se rapprochaient ; bifurquaient à l’angle d’un couloir. Combien de gens étaient-ils capables d’envoyer après une gamine, au final ? Est-ce qu’il avait une quelconque chance de les neutraliser ? C’n’était pas son envie première – trahir son camp au profit d’une dégénérée, mais quoi faire, sinon ? Le silence finit par s’installer, se prolongeant indéfiniment : pour quelques secondes, qui s’étendirent un peu plus. Et encore. Avant qu’Alec ne daigne faire un signe à la gamine, lui indiquant silencieusement de venir le rejoindre. Auraient-ils la possibilité de faire demi-tour pour regagner la sortie ? Ce serait une erreur ; y’avait sans doute déjà des gens qui campaient devant la porte au cas où elle tentait de s’échapper. La seule possibilité qu’ils avaient, c’était de sortir par la force. Ou la ruse, d’une quelconque manière. Sans ouvrir la bouche toujours, Alec attrapa la brune par l’épaule, l’entrainant avec lui hors de la pièce. Quelques secondes de suspens, chacun de leur pas filant dans l’inconnu – allaient-ils se faire prendre ? Alec fit signe à la fille de se glisser par une autre porte ; il ne la suivit pourtant pas, restant dans le couloir – s’il se faisait prendre, il pouvait toujours prétendre ne pas l’avoir trouvée, et éloigner les autres. Mais il devait partir en repérage. Son arc dans son dos, il tira une de ses armes de sa ceinture, seul le cliquetis du cran de sécurité trahissant sa présence. Il devait trouver une autre sortie – une sortie que les hunters ne pouvaient pas garder.

Plus la situation durait, plus l'angoisse au fond de l'adolescente grandissait. Elle faisait tout pour garder son sang-froid, car elle savait que si elle se laissa submerger par sa peur elle se noierait pour de bon et les ferait couler tous les deux. Ou du moins juste elle, car son compagnon pourrait toujours prétendre qu'il avait fait semblant de gagner sa confiance pour ensuite la tuer plus tranquillement; ce qui, en soit, était peut-être réellement possible. Dans tous les cas, la jeune fille comptait au moins sur son don pour assurer ses arrières; elle ne savait pas si les hunters avaient de quoi traverser cette muraille infranchissable qu'était son pouvoir une fois manifesté. Riley devait tout de même le reconnaître, son pouvoir était bien pratique quand il ne se manifestait pas sans prévenir pour la plonger dans des situations très compromettantes. Elle le reconnaissait très volontiers puisque quelques jours plus tôt, il l'avait sauvé d'une mort certaine quand un pot de fleur avait failli lui tomber sur la tête. La jeune fille poussa un soupir silencieux avant de se redresser un peu, poussant une grimace de douleur. Plus les secondes passait, plus elle avait la désagréable impression que son heure arrivait.

Quand l'homme lui fit signe de ne pas bouger, elle hocha imperceptiblement la tête. Qu'il se rassure, elle ne comptait pas bouger. Elle n'était même pas sûre de pouvoir faire le moindre mouvement tant la peur s'était glissée dans ses veines comme si du plomb l'avait figée pour de bon. Ses yeux noirs luisants de crainte, elle tentait de déceler quoi que ce soit sur le visage de son compagnon; elle n'y vit qu'impassibilité et froideur. Tant mieux, elle préférait être incapable de deviner quoi que ce soit. Elle préférait que la mort tombe sur elle d'un coup plutôt que de la voir venir de loin. Riley ne réagit pas quand il la prit par l'épaule pour la faire avancer; elle commençait à s'y habituer, à ces brusqueries pressées de toute façon. Elle savait qu'ilé tait autant dans de beaux draps qu'elle ne l'était elle. Alors qu'il la faisait entrer dans une autre pièce, elle lui murmura en passant; « Si vous changez d'avis je ne vous en voudrais pas. » Après tout, il n'était pas obligé de l'aider. A vrai dire, elle aurait été moins surprise s'il l'avait livrée dès le début, ou s'il avait laissé siffler cette flèche en direction de son petit coeur.

Jetant un regard derrière elle, l'adolescente vit que lui restait dans le couloir. Au moins, il pourrait voir quoi que ce soit arriver. Seule, la jeune fille prit une grande inspiration et s'autorisa à trembler avant de reprendre le contrôle de son corps. Ce n'était pas le moment de sombrer. Son regard alla embrasser la pièce dans son entièreté; encore des meubles. Sur l'un d'entre eux, un chiffon traînait. L'adolescente s'en saisit et le secoua, puis elle le noua assez serré autour de son bras blessé; d'accord ce n'était pas très intelligent et ça risquait de s'infecter, mais au moins le sang ne coulerait plus et ne risquerait plus de la dévoiler. Puisqu'elle était bloquée dans cette pièce, elle tenta de trouver la moindre sortie. Peut-être une bouche d'aération? Riley serra les dents et se mit à chercher le plus silencieusement possible.

Après treize ans de formation, ce soir, Alec était l’arme qui se retournait contre ses créateurs. Ou presque ; ceux qui l’utilisaient, dirait-il volontiers. La cause de Radcliff était de moins en moins la sienne : tuer des dégénérés qui s’affichaient comme dangereux, c’était une évidence pour lui, un réflexe naturel qui coulait dans ses veines à la force de son cœur vaillant. Il n’était pourtant pas prêt à renoncer à ses principes, ses croyances les plus profondes pour se mettre à genoux devant la nouvelle politique du maire. C’était l’instinct qui remportait la bataille ce soir, tout ce sur quoi il s’était construit ces treize dernières années : la justice. La justice qui était largement oubliée désormais par ses collègues, ceux qui erraient, trop nombreux dans les couloirs d’un entrepôt, à la recherche d’une gamine. Les événements de la fête foraine avaient mis les nerfs de tout le monde à rude épreuve : au point d’en arriver à de tels extrêmes ? Au moment de dévisager l’adolescente en la laissant planquée derrière lui, le Lynch tenta d’apaiser ses doutes – ils étaient si peu nombreux, qu’ils ne constituaient qu’un infime murmure à ses oreilles. Il savait ce qu’il faisait ; l’assurance guidait chacun de ses gestes, chacun de ses pas à travers l’endroit. Il savait ce qu’il faisait : il n’allait pas s’enfuir en laissant une gamine en pâture à ses collègues énervés par tout ce qu’il se passait ces derniers temps – clairement, ils ne se contenteraient pas de la vacciner, aptes à trouver une excuse pour justifier le fait de lui coller une balle dans la tête, ou de faire d’elle un rat de laboratoire.

C’n’était pas l’envie de défendre une dégénérée par pitié, qui le faisait agir de la sorte. Ni l’aspect vulnérable de la proie – combien de ses ennemis avaient revêtu des apparences fragiles pour mieux contre-attaquer ? Thaddeus Lancaster avait pourtant commis des meurtres qui dépassaient la frontière de la chasse aux transmutants ; celui-ci en faisait partie, c’était du moins ce que hurlaient les entrailles du Lynch. Son arme serrée entre ses doigts, à pas de loup, le chasseur avançait, tous ses sens concentrés sur chaque petit bruit dans les couloirs – il devait au moins croire que la gamine avait assez d’instinct de survie pour rester où il l’avait laissée, plutôt que de vouloir se la jouer solo. Et une poignée de pas devant lui, un type sortit d’une des autres pièces, prêt à se retourner d’une seconde à l’autre pour reprendre ses recherches : ni une ni deux, Alec lui sauta à la gorge, glissant son avant-bras contre le cou de l’homme pour lui couper la respiration. Le bon mouvement, la bonne intensité, quelques secondes ; et le chasseur tomba flasque comme un mannequin de chiffon dans les bras d’Alec. Il le traina jusqu’à l’autre pièce, profitant de l’omniprésence de petits meubles et autres bureaux abandonnés pour le planquer derrière l’un d’eux – un de moins, mais combien d’autres ? Ça n’allait pas marcher comme ça – si ça se trouve, d’autres derrière lui débusqueraient la mutante sans qu’il ne puisse faire quoique ce soit ; quoiqu’il en coûte, ils allaient devoir rester groupés. Il rebroussa donc chemin, revenant devant la porte où il avait laissé la jeune métisse. Aussi discrètement que rapidement, il se glissa dans l’entrebâillement pour la retrouver. Sans ménagement, mais sans violence non plus, il l’attrapa pour la ramener face à lui, s’accroupissant à sa hauteur : la fille avait trouvé un moyen de calmer les saignements – il défit pourtant le bandage qu’elle avait improvisé. Serait-ce stupide de la soigner avec son sang à lui ? Il jaugea la situation, quelques secondes, le temps de déchirer un pan de son tee-shirt – il suffit qu’il referme sa veste à lui pour que les preuves disparaissent. Si on leur tombait dessus, le fait que la gamine ait sa plaie totalement refermée, créerait des suspicions. Peut-être bien assez de troubles pour que les chasseurs croient qu’ils n’étaient pas seuls, et que des dégénérés étaient venus à son secours. S’il ne le faisait pas, elle pouvait tourner de l’œil à tout moment ; car elle avait manifestement besoin de traitements qu’il ne pouvait pas lui donner en quelques secondes à peine, dans un endroit aussi dégueulasse. « On va devoir courir. Si tu t’sens pas de courir, dis-le maintenant. » souffla-t-il à l’adresse de la fille, fichant ses prunelles claires dans celles, si noires de son interlocutrice. Ils n’avaient pas le temps de prétendre, pas le temps de se poser des questions – ni le temps de faire dans la dentelle. Alec serra autant qu’il le put la plaie sanguinolente entre les pans de tee-shirt qu’il avait amassés : c’était un moyen de ralentir le saignement – un moyen pourtant, qui allait devoir être extrêmement temporaire. Une dizaine de minutes tout au plus ; largement de quoi sortir de cet endroit, il l’espérait.

Elle se sentait ridicule, avec sa blessure sanguinolente enroulée par un chiffon certainement plein de microbes; elle venait de faire quelque chose de complètement idiot. Mais bon, au vu des tournures que prenaient les choses, elle se disait que quitte à risquer la mort autant le faire complètement. Plongée dans la pénombre, se tenant occupée histoire de ne pas faire plus attention à la douleur de plus en plus aigüe lui traversant le bras de toutes parts, la jeune Riley cherchait vainement une sortie. Comme si elle allait trouvé quoi que ce soit lui permettant de sortir d'ici; les passages secrets ne tombaient pas du ciel comme ça, et les conduits d'aération non plus; malgré son gabarit de crevette elle n'aurait pas pu se glisser dans des conduits sans y rester coincée (et cette idée ne lui plaisait pas du tout).

La jeune fille fit volte-face en entendant des bruits de pas, et se détendit légèrement en voyant le hunter qui était supposé l'avoir tuée revenir. Elle ne se raidit pas quand il la tira sans ménagement, et se contenta de le suivre; elle commençait à s'habituer à cette pression brutale. Il était autant dans de sales draps qu'elle ne l'était. Il s'accroupit en face d'elle (lui donnant l'impression d'être encore plus petite qu'elle ne l'était déjà) puis il observa sa blessure, retirant le chiffon. Quand la plaie fut à l'air libre, la lycéenne eut une petite grimace s'étira sur son visage comme une goutte de sang tâche un vêtement; sa peau sombre tressaillit, et elle serra les dents par fierté. Riley ne dit rien tandis qu'il réfléchissait; elle tentait juste de contrôler ces tressaillement de douleurs à chaque fois qu'un petit picotement lui déchirait la chair; ces foutus hunters ne l'avaient pas ratée, ça c'était sûr. Sans prévenir, son compagnon d'infortune déchira son tee-shirt et le réduit à l'état de lambeaux; sans un mot il banda sa plaie, et la jeune fille se contenta de serrer les dents sans piper mot. Qu'aurait-elle eu à dire de toute façon? « On va devoir courir. Si tu t’sens pas de courir, dis-le maintenant. » Tandis qu'il serrait le bandage de fortune autour de son bras (arrachant de petits grognements à l'adolescente) cette dernière répondit d'une petite voix; « C'est bon. » Sa voix était tellement étranglée et inaudible qu'elle jugea bon de répéter une seconde fois, avec un peu plus d'assurance et de fermeté dans sa voix; « Ça ira. » Elle plongea son regard dans celui de son interlocuteur, bleu contre noir, contractant la mâchoire. Elle n'allait pas mourir ce soir. Elle ne voulait pas mourir ce soir. Riley était prête à courir pour sauver sa vie.

« Ça ira. » il la dévisagea, détaillant ses traits malgré la pénombre qui les avalait de part en part. Il allait falloir que ça aille, parce qu’ils n’avaient pas la possibilité de faire les choses différemment. Ils n’avaient pas l’choix, parce qu’il avait fallu que leurs chemins se croisent d’une quelconque manière, pile au moment de la vie du chasseur où tout était remis en question. Aurait-il pourtant, été capable de tuer une gamine aux allures sans défense, avant tout ça ? Peut-être bien, Alec avait flirté avec des démons qui avaient eu une prescience sur sa vie, plus intense que c’qu’il n’était prêt à reconnaître. Radcliff, son maire, ses nouveaux préceptes – la ville toute entière remettait bien des choses en questions ; l’irrémédiable marche de la vie qui se répétait en boucle, dans un espace restreint. A côtoyer les mêmes personnes, revoir les mêmes visages, observer les mêmes silhouettes mener la même vie. Radcliff et ses assurances qui se craquelaient en mille morceaux, à mesure qu’avec Calista, ils remontaient des preuves accablantes, des preuves meurtrières contre l’homme qu’ils avaient promis de servir.

Sans laisser le temps à ses pensées de le happer complètement, Alec se redressa sur ses jambes, aux aguets, celles-ci tendues comme prêtes à bondir sur la moindre ombre qui viendrait furtivement passer devant ses yeux. Aussi silencieux que possible, il dégagea une sortie pour eux deux, direction le couloir – hors de question pourtant de faire marche-arrière : et hors de question de risquer quoique ce soit. Quand bien même ce contact pouvait la répugner, les répugner tout autant l’un que l’autre, il attrapa la main de la jeune fille à ses côtés, signant un commun accord en l’échange de regard sans un mot. Ils allaient devoir courir vite, et s’il fallait qu’il la traine pour cela, qu’il en soit ainsi. Sa mission à lui était en vérité bien plus périlleuse que la sienne à elle : il allait falloir qu’il la sorte de là sans se faire voir, sans faire douter ceux qui étaient habituellement ses coéquipiers. Qu’il la sorte de là sans être rattrapé par le doute, les questionnements : qu’importait, s’il commettait une erreur ce soir, il le saurait bien assez tôt, et concentrerait toute son énergie pour réparer ses fautes. La gamine le savait-elle seulement ? S’en doutait-elle ? Si elle avait un quelconque instinct de survie, elle devait être incapable de l’observer avec une confiance pleine et irréfutable – ils n’appartenaient pas au même camp, et quand bien même chasse ne rimait pas avec meurtre de sang-froid d’une gosse bien trop jeune pour Alec, ça n’voulait pas dire pour autant qu’ils s’entendraient un jour. Ou qu’au moindre faux pas de sa part, un jour, prochainement, il éprouverait un quelconque remord. S’érigeait-il en dieu de la sorte ? A décider qui vivait et qui mourait ? Lynch n’laissa guère l’occasion à ce doute pernicieux de trouver un chemin jusqu’à lui : après avoir écouté le silence autour d’eux pour quelques poignées de secondes, il se lança enfin. A toute allure, à travers un premier couloir, sans lâcher la brune. Un deuxième couloir, au croisement – il n’savait clairement pas où il allait, tout c’qu’il savait, c’était que faire demi-tour était impossible, s’retourner n’était pas une option. Il n’y avait qu’aller de l’avant qui était viable, et ça, il connaissait bien.