D’entre ses lèvres, sortaient les souffles fumeux créés par le froid : l’hiver cette année lui semblait plus rude qu’à n’importe quelle autre époque de son existence – la solitude, apesanteur de chaque journée s’écoulant n’aidait sans doute en rien. Cesare encaissait, silencieux et bien plus enclin à régler les problèmes de sa sœur (presque jusqu’à l’obsession) plutôt que les siens. Qu’y avait-il à exprimer, de toute manière ? Tant de choses que les mots restaient définitivement bloqués au creux de sa gorge, le nez coupant son souffle et chassant toute sa fierté : la gloire des DeMaggio semblait l’avoir déserté à toute vitesse. Derrière le volant de sa voiture, le brun avait fixé l’horizon immobile, toisant la pénombre qu’il pouvait à peine discerner ; en ville, le couvre-feu était effectif depuis bien longtemps déjà, mais c’était le cadet de ses soucis. Que ferait-il si des chasseurs se pointaient pour lui prendre son don ? Les laisserait-il faire ou combattrait-il la chose ? Il oscillait entre une réponse et l’autre, frôlant outrageusement le danger, presque dans l’espoir de croiser des flics/hunters pour connaître la réponse, sur le vif. Son pouvoir faisait partie de lui : et plus il acceptait cela, plus la plupart de ses choix et actions reposait sur le don tout particulier qu’il avait. Il restait un DeMaggio, un chasseur capable d’exterminer des gens aux pouvoirs extraordinaires sans même faire usage du sien à lui. Ça ne changerait rien ; et pourtant, il pouvait presque croire que ce serait comme une part de son âme arrachée d’entre ses entrailles. Errer était une bonne chose. Chasser ou faire comme tel et improviser sur le moment : il jugeait à la gueule de la personne, les quelques dossiers qui défilaient sous ses yeux, les interminables instructions lointaines de ses parents, qui demeuraient cependant dans sa mémoire. Quelques papiers en main, Cesare sentait graviter dans son esprit le nom de Tania. Jones. Insurgency. Elle savait des trucs là-dessus, et avait été visiblement mêlée aux actions d’Uprising. Il n’en avait rien à foutre d’Uprising. Insurgency était ce qui l’intéressait, quand bien même il n’était ni enclin à rejoindre cette bande de tarés, ou à la détruire.

Isolde était parmi eux, Isolde et le bébé qui grandissait en elle – une responsabilité qui le rattrapait inlassablement. Aria ne savait pas, et ne saurait jamais : naître DeMaggio était une malédiction qu’il ne voulait imposer à personne. Si seulement. Un sentiment d’urgence le sort de sa torpeur : Tania n’était pas chez elle, ni à son travail – on disait même volontiers qu’elle ne s’était pas pointée, et que c’était curieux. Pirater les réseaux pour trouver la source de son téléphone portable n’avait pas été compliqué, et tout l’avait dirigé ici. A quelques centaines de mètres. Il abandonna la chaleur réconfortante de sa voiture, pour se plonger dans la nuit glaciale de Radcliff : une arme à la ceinture, une à la main, et deux poignards plus tard, il s’était mis en route. Silencieux et attentif, au travers des ténèbres, jusqu’à entrevoir la vieille ferme branlante qui recelait bien des horreurs. Une minute, quelques poignées de minutes à observer les lieux, évaluer, calculer – soigneusement penser ses actions. Un pas hors de l’obscurité lui suffit pour être interrompu par une arrivée inopinée : tout réflexe en éveil, prêt à bondir sur l’ennemi qui lui sauterait à la gorge, Cesare se retrouva à dévisager un total inconnu. Ce qui n’était ni source de réconfort, ni de méfiance nouvelle : son cœur demeurait maître de ses actions, battant vaillamment dans son poitrail, mais déjà autour de son arme, la prise de ses doigts s’était resserrée. Et la réponse du chasseur ne se fit pas attendre : le clic significatif du cran de sureté défait, le DeMaggio levant le bras pour viser le type à quelques pas. « Tu vas me dire qui t’es et ce que tu viens faire là. » les ordres étaient prononcés d’une voix discrète, et pourtant autoritaire : ce type en face de lui était-il la réelle menace ? Ou s’agissait-il du type à l’intérieur, qui avait amené cette Tania Jones jusqu’ici ? Une seconde s’écoula à nouveau, avant que l’index du brun ne passe sur la gâchette, un sourcil s’arquant : « Crois-moi cette balle manquera pas ton cerveau. » L’orgueil faisait partie de lui – aussi son pouvoir ; qu’importe ce que l’autre pouvait répondre avec comme attaque, Cesare avait parfaitement appris à atteindre sa cible là où il le voulait rien que par la force de son esprit.

Evaluer les possibilités, observer, ne pas relâcher son attention : à l’instant où l’autre sortait de nulle part pour pointer son arme dans son dos, Cesare avait senti toutes les instructions de son père revenir dans sa tête. Seize interminables années d’entrainement, qui se précipitaient à son esprit en une seconde à peine : de quoi chopper la migraine, et haïr plus profondément que jamais chaque membre de la famille DeMaggio. Leur héritage si précieux. C’est l’inconnu qui parla en premier, Cesare n’ayant pas encore baissé son arme au moment où l’intrus qu’il visait avait ouvert la bouche. Et il ne le ferait pas, quand bien même l’ordre semblait non discutable : contrairement au type, il lui suffisait d’une infime seconde pour échapper à cette balle, voire même faire voler l’arme à l’autre bout du décor, ou la détruire en mille morceaux. Les choix étaient divers, mais il n’avait pas encore agi, préférant encore et toujours les techniques enseignées par son père à celles qu’il avait pu acquérir en même temps que son don. L’infini réflexe, de toujours repousser ce qu’il était : peut-être bien que ce soir, cela lui sauverait la vie. Parce qu’après tout, quel transmutant kidnapperait une autre transmutante pour l’amener ici ? A moins qu’il ait une dent toute particulière contre les groupes extrémistes qui jouaient en ville – quoiqu’il en soit, il y avait proportionnellement plus de chance que son ennemi planqué dans son dos, était un chasseur.

Cesare profita des paroles de l’autre pour gagner une contenance, les calculs incessants à son esprit cessèrent, pour laisser place à une détermination froide, vibrant au fond de ses prunelles au moment où il dévisagea l’autre à quelques pas de là : il comptait vraiment appeler les flics ? C’était sans doute la pire idée que quiconque puisse avoir. Etait-il stupide ou juste un menteur ? C’était pourtant son occasion, et le DeMaggio la saisit au vol, lâchant un souffle synonyme de ricanement acerbe : « Tu veux vraiment que je lâche mon arme ? Parce que maintenant, c’est le seul truc qui empêche ce type- il désigna l’homme à quelques pas de là, qui venait de faire une démonstration flagrante de l’ennui qu’il pouvait causer d’avoir l’avantage sur nous deux. A moins que tu sois capable de viser deux personnes à la fois – sans compter qu’il peut toujours être un dégénéré. » le mot n’était plus synonyme d’autant de haine qu’autrefois, mais il était surprenant de voir à quel point l’amertume dans ces paroles pouvait revenir aussi vite. Il n’abaissa donc pas son bras, mais ne laissa aucun signe particulier d’agitation transparaître au moment d’ouvrir à nouveau la bouche. « Mon nom est Cesare. DeMaggio. » si ce type était un chasseur, il connaissait le nom, l’avait saisi quelque part (depuis le temps que sa famille agissait sur la ville de Radcliff et ses alentours) – restait à savoir si les parents DeMaggio avaient opté pour révéler la mutation de leurs progénitures ou s’ils préféraient garder cette honte pour eux. « J’suis venu pour m’occuper de l’un d’eux, je suis presque sûr que c’est toi qui la gardes quelque part dans cette ferme. » mentir était devenu une seconde nature chez lui – omettre la vérité, même aux personnes à qui il tenait, comme sa sœur, ou Isolde : combien de fois les avait-il regardé dans les yeux en choisissant de ne pas révéler la vérité ? Ce n’était, ici, après tout qu’un semi mensonge : il avait le dossier de ses parents, certes, mais personne ne l’avait envoyé ici, si ce n’est le libre arbitre avec lequel il luttait depuis trop longtemps. « J’ai son dossier dans le sac si tu as besoin d’une confirmation. » estampillé Thaddeus Lancaster, estampillé dossier officiel de chasseur : définitivement, avoir embarqué certains dossiers de ses parents s’avérait plus utile qu’il ne l’aurait cru.

Chasseur. La conclusion s’impose à Cesare tandis que l’autre semble réagir au nom DeMaggio : le pari était risqué, s’il s’était retrouvé face à un transmutant, il se serait sans doute pris une attaque de n’importe quel genre, car aucun des dégénérés ne pouvait apprécier le patronyme. Ce n’était pas le cas ici, et quand bien même l’autre restait piquant au possible, le chasseur se sentait avoir atteint quelque chose ; serait-ce un rapport de confiance ? Non, il n’irait pas jusque-là. Lui-même laissait inlassablement ses yeux sombres passer entre l’inconnu à quelques pas de là, et la pseudo-ombre qu’il pouvait voir en observait par-dessus son épaule. Les faits étaient, qu’une bonne séance d’informations des chasseurs l’aurait bien aidé en ces circonstances : il ne faisait qu’improviser à chaque seconde qui défilait, mais il avait presque le sentiment que c’était la même chose pour chacun de ses deux interlocuteurs. Après quelques secondes d’échange houleux, et presque pour apaiser les tensions d’une manière totalement factice, Cesare fit à nouveau cliqueter le cran de sécurité de son arme, pour la lâcher au sol, comme selon ce qu’on lui avait ordonné plus tôt. Les faits étaient là : qu’il l’accepte ou non, qu’ils le sachent ou non, il n’avait pas besoin de son arme à feu pour se battre – et même, le penser désarmé maintenant, était une cruelle erreur. Une stupide erreur. Ses épaules se relâchèrent, au moment où il sentit le canon de l’arme quitter les abords de son crâne, Cesare optant malgré tout pour garder les mains légèrement relevées, encore une fois, pour acheter encore quelques secondes de confiance à son vis-à-vis. Il le laissa même s’emparer du dossier avec une facilité déconcertante, quand bien même il aurait totalement pu lancer les hostilités avec un coup de coude bien placé, droit dans le nez du vieux pour lui péter le nez jusqu’au sang.

Les secondes s’allongèrent ainsi, le DeMaggio n’appréciant guère le fait de ne rien pouvoir faire : il osa cependant un mouvement pour observer la réaction du type qui avait pris le dossier – rien ne semblait attirer sa méfiance, et de toute manière, l’autre gars ouvrit la bouche à nouveau avant que quelque soupçon ne puisse être proprement formulé. Et si, pour une fraction de seconde, Cesare avait cru saisir la réaction épidermique du type face à lui à la formulation du mot dégénéré, les apparences semblaient de mise à nouveau – déjà, la curiosité du chasseur avait été piquée à vif. Il savait ce que ça faisait, de voir un transmutant tressauter à l’appellation du mot. Il savait ce que ça faisait, de devoir refouler ses pouvoirs. Dans le silence qui lui était imposé, il observa de la tête aux pieds l’autre, dans l’espoir d’y trouver quelque chose, un signe criant. Il n’y avait rien, si ce n’est la poudre de superficialité qu’il balançait partout autour de lui – se préoccupait-il vraiment de son téléphone en de telles circonstances, avec un flingue pointé sur lui ?!  « Ouais, ce serait vraiment dommage. » marmonna-t-il finalement, comme une petite provocation lancée au jeune à quelques pas de là : l’affection de certaines personnes pour leurs petits gadgets lui échappait complètement en temps normal, mais là, c’était pire encore ; quelle personne censée pensait à son téléphone à un moment pareil ? Il opta finalement pour porter son attention sur le plus vieux des deux – du moins, en apparences – l’alpaguant d’un geste du menton. « Tu sais pour qui elle travaille, la dégénérée que t’as amené ici. » et quand bien même il s’adressait à celui qui les avait en joue, son regard s’aventura dans la direction de l’autre. « Ils vont finir par débarquer si on règle pas le problème. Vite. A moins qu’on reste à papoter là et qu’elle utilise son affliction pour s’échapper. » les mots étaient rudes, appuyés avec provocation, l’expertise de décennies de lobotomie inculquées par son paternel. Car après tout, son objectif, c’était aucun de ces deux types, mais bel et bien la fille du dossier, Tania Jones.

Il eut à peine le temps d’évoquer la transmutante gardée prisonnière que tout se précipita. Voilà qu’un bruit, à quelques mètres de là, répondait à ses mots : Tania Jones venait-elle de purement et simplement reprendre ses esprits ? Si tel était le cas, les choses vraiment compliquées pouvaient commencer : toute personne ayant jeté un œil au dossier de la jeune femme le savait bien. Plongé dans un silence épais, le DeMaggio ne tint guère compte des mots de l’autre type, cherchant à concentrer son écoute sur tout ce qui se passait autour d’eux. La jeune femme s’était-elle échappée sans risquer quoique ce soit ? Il en doutait fortement – la captive avait dû entendre les paroles qu’ils avaient échangé tous les trois, et elle n’avait sans doute rien à perdre à les tuer. Son cœur n’eut le temps que d’émettre un battement, ultime battement avant que tout ne s’accélère à nouveau. Ses muscles se crispèrent, alors qu’une affreuse douleur venait transpercer son crâne, le forçant à plaquer ses mains sur ses tempes, comme s’il cherchait à chasser tous les bruits possibles et imaginables désormais. Sous sa peau, ses veines devinrent aussi brûlantes qu’une flamme bleue, chacun de ses muscles semblant se réduire en cendres sous l’action d’un poison invisible. Un cri passa sans doute ses lèvres, au moment où, entre ses paupières à demi closes, il put voir qu’il n’était pas la seule victime de l’effet invisible du pouvoir de la transmutante – tous les trois allaient crever là après s’être pris la tête comme des imbéciles. Probablement qu’ils avaient ce qu’ils méritaient, après tout. Allait-il crever comme ça, franchement ? Pour sauver une transmutante, après avoir passé vingt années de sa vie à les traquer ? Y’avait de l’ironie dans l’air, sans doute – mais alors que son cœur tambourinait de toutes ses forces contre ses côtes, il était totalement incapable d’y trouver une quelconque grâce. Il savait, pour avoir lu le dossier de A à Z, que Tania Jones était totalement capable de les empoisonner jusqu’à les tuer, et qu’elle laisserait leurs corps derrière sans que personne ne les trouve jamais. Pourtant, il eut tout juste l’occasion de distinguer une silhouette floue, s’accrocher à l’espoir de tomber dans les vapes pour échapper à la douleur - que tout cessa.

Le sang tambourinait encore à ses tempes, et chaque respiration qu’il prenait le consumait de l’intérieur : allait-il être capable de bouger ? La transmutante avait disparu, filant à toute allure dans les bois, malgré sa démarche titubante : probablement que c’était le produit que l’autre chasseur avait injecté à la jeune femme pour la mettre KO qui venait de leur sauver la vie – elle n’avait sans doute pas recouvré ses capacités au maximum de leur performance. Tant mieux. En tâtonnant dans l’herbe, Cesare trouva la crosse froide de son arme à feu, ses doigts s’enroulant autour comme dans un réflexe nerveux : curieusement, il était rattrapé par le désir de la tuer. Il n’en ferait rien, il le savait ; les deux éléments inconnus restaient les deux autres types à ses côtés. Mais alors qu’il luttait encore pour reprendre ses esprits, il en était de même pour les deux protagonistes – Tania, elle, s’éloignait sans doute à chaque seconde un peu plus. Il ne pouvait pas laisser l’autre type lui remettre la main dessus – quant au plus jeune, il ne savait pas quoi en penser – mais on n’est jamais trop prudent, n’est-ce pas ? Ses options s’étaient cruellement amenuisées : serait-il seulement capable d’utiliser son propre pouvoir ? La gorge sèche, le souffle court, chaque muscle douloureux, le DeMaggio trouva la force de se relever après ce qui lui sembla être une éternité. Que faire ? Que faire ? La question tambourina dans sa tête ; il ne révélerait pas son pouvoir, pour sûr. Mais il avait quelques centièmes de seconde – ou quelques secondes – d’avance sur les deux autres, il ne comptait pas les perdre à réfléchir aux meilleures solutions possibles ; alors sans attendre, sans se retourner, il vaqua un instant, pour prendre de la vitesse, et se lancer dans une course à la poursuite de la jeune femme. Par-dessus son épaule, il crut sentir une balle le frôler, signe peut-être que l’autre tentait de l’arrêter ; les masques étaient-ils tombés ? Ne pas se retourner, ne pas s’arrêter ; Cesare disparut dans les feuillages des arbres, à la suite de la transmutante ; ils se lançaient alors dans une chasse au trésor – au premier qui la trouvera, et qu’advienne que pourra.  

Les souvenirs de son existence de chasseur étaient encore bien vivaces, présents au bord de son esprit, marquant chacun de ses faits et gestes ; les pas hésitants, l’esprit encore embrumé, Cesare sentait parfois un tronc venir sur son chemin, ralentir sa marche – mais déjà son cerveau s’était remis en marche à toute allure, poussé par l’impulsion de la chasse, du réflexe pernicieux inculqué en lui depuis sa naissance. Vingt-cinq années, toutes aussi maudites les unes que les autres, qui revenaient bourdonner dans son cerveau à la vitesse de son sang : les transmutants, les chasseurs. Courir, simplement courir. Mais quelqu’un avait été plus rapide, plus chanceux que lui – c’était la voix de l’autre type, à quelques pas sur la gauche, qui résonnait à travers une clairière visible depuis l’obscurité. Qu’est-ce qu’il foutait ? La fille semblait essoufflée, encore épuisée par le traitement qui lui avait été imposé quelques instants plus tôt : lui non plus, n’était pas au maximum de sa force – presque tué par une nana qu’il tentait de sauver, l’ironie qu’il ne saisirait jamais. Après tous les cadavres qu’il avait amoncelés derrière lui, devrait-il finir comme ça ? Les DeMaggio avaient toujours été précautionneux, prêts à tuer parents, enfants, progénitures, futures branchilles menaçant de revenir les attaquer, pour ne jamais laisser de graine d’ennemis derrière eux. Changer de camp le poussait presque à l’imprudence ; changer, ou se chercher encore, Cesare tâtonnait dans d’épais ténèbres dont il ne voyait pas le bout, tout simplement. L’ironie était qu’il n’aurait aucun mal à buter le chasseur d’où il était, parce qu’il était un bon tireur, soigneusement entrainé depuis plus de dix ans par son père, et aussi parce qu’aucune de ses balles ne pouvait être évitée ou déviée. Tuer avait pourtant été si impérieux à ses réflexes autrefois, qu’aujourd’hui il s’essayait à autre chose ; sauver, d’une quelconque manière, les balles quittant rarement l’arme – la ruse prenant le pas sur le reste. Mais que lui restait-il, là, alors que Tania était fortement maintenue par l’ennemi, prête à être sacrifiée d’un instant à l’autre ?

Il avait presque oublié le quatrième protagoniste de cette soirée, le sang battant à chaque seconde un peu plus fort à ses tempes – celui-ci se rappela à lui d’une manière bien cruelle, une profonde entaille infligée au preneur d’otage, semant instinctivement le trouble dans l’air. Les doigts du DeMaggio se resserrèrent autour de son arme : pas ce soir, ce soir, il ne crèverait pas aux mains d’un dégénéré parce qu’il avait décidé de choisir une autre façon de faire. Les exclamations de surprise du chasseur furent vite remplacées par des cris d’angoisse de la jeune femme : elle aussi, venait de recevoir une entaille – et Cesare avait d’ores et déjà compris que le quatrième, tout aussi mutant qu’il était, n’avait pas remarqué sa présence à lui, camouflé dans les ténèbres de la forêt. Il avait encore du temps, quelques instants de répit pour trier ses options. Options qui s’amenuisèrent, lorsque les suffocations de la transmutante atteignirent ses oreilles ; il vit celle-ci faiblir sur ses jambes, uniquement maintenue par la prise du chasseur, qui lui-même cherchait frénétiquement alentours pour trouver l’origine des derniers événements. Un mouvement dans les bosquets, petite brise sur sa nuque, l’instinct pur et dur, permit à Cesare de détecter la présence du jeune homme qui avait été avec eux auparavant. L’imbécile, qui aurait pu apaiser tous les soupçons des chasseurs, avec ses histoires de téléphone et ses préoccupations d’humain. De la poudre aux yeux ; il l’avait su dès le début, et Cesare se maudissait déjà d’avoir laissé un dégénéré arriver de manière imprévu au milieu de son job, et tout foutre en l’air. Il ne l’avait toujours pas remarqué, par contre, trop concentré sur la jeune femme, qui avait à présent trouvé le sol, ses doigts triturant sa gorge comme si elle cherchait à se défaire d’une prise invisible. C’était comme s’il était dans un autre monde, absorbé par le corps frêle se mourant sur le sol : une distraction qui permit à Cesare de se glisser dans son dos, s’approchant sans grandes précautions au moment de venir ficher son poing dans la tronche du transmutant, le faisant automatiquement revenir à la réalité. Il n’eut le temps d’entendre que Tania, avaler une goulée d’air en toussant comme si elle allait cracher ses poumons par terre. Son attaquant était au sol, visiblement assommé par le coup qu’il s’était pris à la tempe : il aurait été si facile pour le DeMaggio de renouer avec ses démons d’autrefois, lever son arme pour ficher une balle entre les deux yeux du transmutant. Il n’en fit rien, se rappelant de sa pénitence, de tout le sang qu’il avait déjà sur les doigts. Il quitta donc le plus jeune, pour sortir rapidement des fourrés, profitant de la confusion pour prendre de cours son deuxième ennemi, le chasseur. L’arme qu’il avait utilisée pour menacer la transmutante, se désintégra dans sa main, chaque petite pièce de métal perdant sa consistance pour ne devenir que le morceau d’un puzzle minutieux. Il leva son arme entre eux deux, inversant les rôles à présent : le menacé d’il y a quelques minutes devenait le menaçant ; le menaçant, le gibier. En étaient-ils encore à jouer les idiots ? Cesare pesa le pour et le contre un instant, avant d’opter pour la vérité, stricte et pure vérité : « Si tu la touches encore une fois, c’est toi qui vas te prendre une balle dans le crâne, pigé ? » il ne cilla pas, flirtant avec l’envie de le faire, vraiment ; tuer les transmutants, tuer les chasseurs, il ne savait plus depuis longtemps qu’est-ce qui sauverait le monde. « L’autre est KO un peu plus loin. Tu peux toujours te contenter de le ramasser lui, et on part chacun de son côté ; ou on en finit rapidement. Tu partiras pas avec la fille, en tout cas. » était-il toujours assommé, l’autre type ? Cesare ne laissa guère le doute atteindre son esprit ou ses tripes, choisissant de se concentrer sur le chasseur, concret et bel et bien conscient, en face de lui, et ne surtout pas laisser l’hésitation le faire faiblir.