C'était fermé. Bien sûr que c'était fermé, il était sept heures du matin. On ne pouvait pas vraiment prétendre déranger des pharmaciens à sept heures du matin simplement parce qu'il n'arrivait pas à dormir. Devant la grille fermée et les lumières éteintes, Liam prit conscience qu'il ne vivait parfois pas dans le même monde que le commun des mortels et qu'il lui arrivait d'oublier des choses aussi simples que les horaires décentes pour se présenter devant un magasin. Il avait tellement mal au crâne et ses insomnies étaient si fréquentes qu'il perdait pied et qu'il n'arrivait pas à renouer avec la réalité, avec la vie réelle. Il se pencha, posant sa tête douloureuse contre la fraîcheur de la grille en métal. Il soupira de soulagement pendant une fraction de secondes, le contact si agréable était bref, fugace et il savait qu'il ne durerait qu'un instant, un infime instant. Il aurait pourtant voulu que sa douleur disparaisse définitivement mais non, il était encore en proie à de violentes nausées et divers effets secondaires qu'il mettait sur le compte de la dernière expérience dont il avait été victime. Un souvenir qui le fit frémir et il se redressa immédiatement, en prenant conscience que la vie s'éveillait autour de lui et que les plus matinaux commençaient à se balader dans les rues, avec leurs chiens ou leurs sacoches pour les plus travailleurs. L'endroit restait encore paisible, bien loin de l'agitation d'un milieu de journée mais beaucoup d'habitants se levaient tôt, probablement après une excellente nuit de sommeil. Une chose qu'il ne connaissait plus, qu'il n'avait pas eu l'occasion de s'offrir depuis presque un an, depuis qu'il était sorti du centre. Le souvenir amer lui donna le tournis et à nouveau, il secoua la tête pour chasser les images qui menaçaient d'envahir son esprit et lui faire perdre à nouveau la tête. Il ne parvenait pas à tourner la page, il n'oubliait pas, il se laissait sans cesse submerger par ses images qui le suivaient partout où il allait. Il avait mal à cœur, à la tête, il était épuisé et il savait qu'il avait une sale tête. Ses traits étaient creusés, ses yeux étaient cernés, ses cheveux en bataille, il les portait longs depuis quelques semaines. Il était vêtu de façon très légère et pourtant, à cette heure, les températures étaient très basses. Mais il ne ressentait pas le froid, pas plus que la douleur. Il avait toujours trop de choses en tête pour qu'il se rende compte qu'il frissonnait ou qu'il tremblait. Là, tout de suite, il avait besoin de quelque chose pour ses maux de tête mais la pharmacie était fermée. Alors, il ne lui restait plus qu'à attendre, attendre et espérer que le temps passe vite. Il avait passé la plus grande partie de sa vie à attendre derrière une porte qu'on vienne le chercher pour avoir la chance d'entrevoir sa sœur quelques instants au travers d'une vitre teintée. Il a passé son temps à attendre pour pouvoir la sentir près de lui à nouveau. Et il avait passé une grande partie de ces dernières années à attendre de la revoir à nouveau. En regardant autour de lui, comme à chaque fois qu'il se retrouvait dans l'agitation d'une population en mouvement, Liam se sentit mal à l'aise et s'écarta de la grille en fer contre laquelle il était appuyé. Il tourna sur lui-même pour ensuite diriger son regard vers la boulangerie, le seul commerce déjà ouvert parmi les nombreux qui trônaient dans les ruelles du centre ville. Un bon café ne lui ferait aucun mal, il était devenu accroc à la caféine depuis son retour à la vie normale. Mais aussi et surtout à l'alcool, ce qui devenait dangereux pour lui. Installé à l'intérieur du café, bien au chaud, Liam n'arrivait pas à boire, il rêvassait. Il ne cessait de penser, de réfléchir, de chercher surtout. Il cherchait des solutions, il ne pouvait pas croire qu'après un an de recherches, il n'avait toujours pas mis la main sur le centre. Il errait dans Radcliff comme un sombre idiot simplement parce qu'il avait fait promettre à Tessa qu'ils s'y retrouveraient. Il y était idiot, il aurait dû poursuivre sa route, aller ailleurs plutôt que dans cette ville où il attendait toujours un miracle. Au fond de lui, il savait que sa sœur était envie, ou du moins avait-il envie de le croire mais dans le vaste pays qu'étaient les Etats-Unis, autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Il avait perdu sa sœur mais n'arrivait pas à en faire le deuil, il voulait encore y croire et s'empêchait d'aller de l'avant. Pourtant, après un an, le temps était peut-être venu pour lui de changer d'endroit, de cesser de vivre dans le passé et accepter la perte de sa jumelle. Une décision qui lui brisait le cœur mais il s'empêchait de vivre depuis un an, il ne pouvait pas continuer comme ça indéfiniment. Il finirait par devenir fou. Il avait besoin de faire quelque chose et il décida qu'il était temps pour lui d'arrêter d'attendre qu'elle apparaisse au coin d'une ruelle et qu'elle se jette dans ses bras ! Il venait de prendre une décision, le nez plongé dans son café si matinal, il ne se rendit même pas compte que l'horloge avait tourné et qu'il pouvait enfin se rendre où il en avait eu l'intention en sortant du canapé miteux qui lui servait de lit. Se relevant péniblement et sans se rendre compte qu'il n'avait pas touché une goutte de son café, Liam ressortit de l'endroit sans un regard pour personne.

Il se retrouva dans la rue où l’agitation se faisait plus oppressante, plus gênante. Il n'était pas à l'aise, suivant les jours, il ne supportait pas d'être acculé ainsi dans la foule. Il prit sur lui pour fendre l’amas de personnes réunies pour faire du shopping ou simplement pour aller au travail et il marcha d'un pas pressé vers son objectif premier. Quand soudain, une étrange bourrasque de vent le fit frissonner et un étrange pressentiment l'envahit. Il regarda autour de lui et vit un visage, un visage qu'il croyait reconnaître. Un visage qu'il avait déjà vu, des années auparavant. Il se fit une place parmi les passants, ne quittant pas la jeune femme des yeux. C'était elle, il en était sûr. « Tess, Tessa ! » Il l'appela mais elle ne se retourna pas. Il avait les yeux rougis par le froid, il avait le sentiment que son cœur allait exploser et au moment de lui attraper le bras, il eut l'impression qu'il avait cessé de battre un instant.  Tessa ! » « Lâchez-moi ! » Liam crut un instant qu'on venait de lui jeter un seau d'eau sur la tête. Ce n'était pas elle, il était complètement idiot ! La bourrasque de vent, le pressentiment n'avait rien avoir avec sa sœur, c'était simplement l'hiver qui était comme ça. Son cœur se fit plus lourd et le conforta dans sa décision tandis qu'il lâchait l'inconnue pour la laisser partir sans même penser à s'excuser. Il se retourna sans prêter attention à la direction qu'il prenait et sentit qu'on lui rentrait dedans, ou qu'il rentrait dans quelqu'un. Il se retourna rapidement pour s'excuser avant de voir que la personne qu'il venait de heurter avait laissé tomber un papier. Il le ramassa rapidement et rattrapa la jeune femme. « Excusez-moi, vous avez laissé tomber... » La jeune demoiselle venait de se retourner, le coupant dans son élan. Il fronça les sourcils avant de secouer la tête. Il était encore en proie à une hallucination. Et pourtant, le contact de sa main contre la sienne, il n'arrivait pas à croire qu'il se trompait encore en si peu de temps. Jamais il n'avait pris quelqu'un d'autre pour sa sœur et voilà que cela lui arrivait deux fois en l'espace de quelques secondes. Il n'y croyait pas, tout cela venait de son esprit. Il la relâcha, comme si son contact l'avait brûlé. « Excusez-moi, vous ressemblez... » Non, il n'avait pas le droit de le lui dire, c'était sa sœur, elle ne ressemblait à aucune autre femme. « Tessa... » Ce n'était pas une question, c'était un murmure à peine audible dans l'agitation et pourtant, il avait l'impression qu'il avait hurlé de désespoir. Il n'entendait plus la foule autour d'eux, ni tous les bruits de l'extérieur. Il ne voyait que cette jeune femme, qui semblait avoir son âge et qui ressemblait  tellement à la jeune femme quand il l'avait vu pour la dernière fois, plus de deux ans auparavant. Son cœur battait à tout rompre, il avait envie de la prendre dans ses bras mais il restait figé comme un abruti. Il avait de moins en moins de doute, il était sûr que c'était elle et pourtant, il n'y croyait pas une seule seconde. Son pouls était filant, sa respiration courte. Elle était là et il était si proche d'elle. « Tessa c'est moi. » Il n'avait pas besoin d'ajouter qui il prétendait être, elle le devinerait. Du moins, il l'espérait tellement.

Il faisait vraiment trop froid dans cette chambre d’hôtel. Tessa serra la mince couverture autour de son cou pour empêcher le moindre courant d’air de pénétrer dans le lit, mais elle avait répété ce geste toute la nuit et ça n’avait rien changé. Elle était frigorifiée, son corps était tétanisé à force de trembler, elle ne demandait qu’une chose : pouvoir dormir … Mais ça semblait être une mission impossible dans cette chambre minable. Tessa n’avait pas les moyens de se payer un hôtel plus confortable, et elle dormait dans cette chambre depuis qu’elle était arrivée à Radcliff. Mais le sommeil, qui n’était plus son compagnon depuis longtemps déjà, semblait l’avoir bel et bien abandonnée au milieu des courants d’air glacials. Elle passait ses journée dehors à battre le pavé, ou à chercher des endroits qui veuillent bien l’embaucher malgré son manque flagrant d’expérience et de capacités, et quand elle rentrait enfin, le soir venu, il n’y avait rien pour la réchauffer. Elle se couvrit la tête de sa couverture, souhaitant une énième fois n’avoir jamais quitté le Centre. Au moins, là-bas, elle avait un lit qui l’attendait chaque soir dans une pièce chauffée, avec un repas complet trois fois par jour … Ca n’avait jamais été le paradis, ça avait même été ce qui s’éloignait le plus d’un éventuel paradis, mais c’était tout ce dont elle se souvenait, et elle n’avait rien d’autre à appeler son foyer. Elle n’arrivait plus à se souvenir de sa vie avant, chez ses parents … Elle colla ses poings contre ses paupières closes, appuyant fermement jusqu’à ce que des taches de lumières viennent danser devant ses yeux. Il ne fallait pas qu’elle pense à ça. Réaliser qu’elle n’avait plus aucun souvenir de ses parents, ça lui faisait mal, bien trop mal. Elle ne ressentait plus rien pour eux, mais elle aurait voulu pouvoir se remémorer leur maison, sa chambre, ses jeux … Et son frère. Elle appuya encore un peu plus fort sur ses yeux en poussant un petit gémissement. Elle ne se souvenait pas du visage de son frère. Elle se souvenait encore un peu de sa voix, qui passait à travers la minuscule ouverture entre leurs chambres, quand ils se parlaient encore, tous les soirs … Mais c’était il y a si longtemps que même ça, ça commençait à s’effacer. Elle ne savait plus quand est-ce qu’il avait cessé de lui parler, elle ne savait plus quand est-ce qu’on lui avait annoncé qu’il n’était plus là. La seule chose dont elle se souvenait, c’était du sentiment de réconfort qu’elle tirait de sa voix à travers le mur. Elle se souvenait des plaisanteries qu’il arrivait toujours à faire pour la faire rire, des livres qu’il lui lisait, des promesses qu’ils se faisaient … Mais elle devait arrêter de regretter le Centre et ces moments bénis où elle avait encore son frère à côté d’elle, toujours là quelle que soit l’heure ou la circonstance. Les choses avaient changé. Ils ne pouvaient pas revenir en arrière, et il fallait qu’elle se répète que ce n’était pas de sa faute si tout avait déraillé. Elle n’avait pas choisi de faire disparaître Liam, si ça n’avait tenu qu’à elle ils seraient encore là-bas, chacun dans leur chambre séparée mais toujours ensemble ! Il valait mieux avoir un pied en enfer avec son frère, qu’être dans ce monde qu’on lui avait tant vanté, mais sans lui …

Elle sortit du lit en grelottant, se glissant sans tarder dans ses vêtements glacés. Elle attrapa la coupure de journal qu’elle avait découpée la veille, qui comprenait plusieurs offres d’emplois qui lui avaient paru à son niveau, et la fourra dans la poche de sa veste avant de sortir de l’hôtel. Le vent froid la cueillit comme si elle ne l’avait jamais quitté, et elle jeta un regard morose au ciel gris. Le soleil ne s’était pas levé depuis très longtemps, et il ne risquait pas de faire profiter de sa chaleur avant de longues heures. Tant pis … Elle fourra ses poings dans ses poches et se dirigea vers le centre ville sans grand entrain. Elle avait le ventre creux, et il fallait qu’elle se trouve quelque chose à manger – chaud de préférence – mais il ne lui restait plus grand-chose de l’argent qu’elle avait volé avant d’arriver à Radcliff. Elle n’osait pas recommencer ses larcins, ici. Elle ne savait pas combien de temps elle resterait encore, combien de temps elle continuerait à tourner comme une âme en peine sans savoir où aller, mais il valait mieux qu’elle ne se fasse pas remarquer par la justice locale. Quelle que soit la durée de son séjour, elle préférait qu’il se passe dans les meilleures conditions possibles. Ce ne serait pas exceptionnel, mais il fallait bien qu’elle apprenne à vivre dans ce monde étranger, d’une façon ou d’une autre ! Une fois dans la rue, elle se dirigea vers une petite épicerie qu’elle avait pris l’habitude de fréquenter, quand un homme lui rentra dedans au beau milieu du trottoir. Les yeux baissés sur le bitume, elle murmura une vague excuse avant de reprendre son chemin sans même s’arrêter, mais il la rattrapa et lui prit la main. Cette fois, elle n’eut d’autre choix que de relever les yeux pour croiser son regard, au moins pour savoir ce qu’il voulait. « Excusez-moi, vous avez laissé tomber... » Sa coupure de journal ! Elle avait du tomber de sa poche quand il l’avait bousculée. Elle tendit son autre main, puisqu’il ne voulait pas lâcher la première, afin qu’il lui rende sa possession, mais il ne bougeait plus, et la regardait avec un air qui la mis mal à l’aise. Il la lâcha finalement et elle s’empressa de remettre sa main dans sa poche, comme si elle craignait qu’il ne la touche à nouveau. Elle n’était pas habituée aux contacts avec des étrangers et celui-ci était plus bizarre que tous les autres. « Excusez-moi, vous ressemblez... » Tessa pâlit à ces quelques mots, son cœur se mettant à battre la chamade dans sa poitrine sous l’effet d’une peur soudaine. « Tessa... » Cette fois elle recula d’un pas, franchement effrayée. Comment connaissait-il son nom ? Elle n’avait aucune idée de qui il était. Etait-ce un autre de ces chasseurs de prime qui voulaient la ramener au Centre ? Ou un hunter qui avait appris qui elle était ? Elle regarda fébrilement autour d’elle, comme pour chercher de l’aide, mais elle ne connaissait personne ici, qui pourrait bien vouloir l’aider ? « Tessa c'est moi. » Elle fixa à nouveau ses yeux sur lui en entendant cette petite phrase, son cœur bondissant soudain dans sa poitrine avec espoir. Moi ? Qui moi ? Un seul nom tournait dans sa tête mais elle s’interdit de le prononcer. Ce n’était pas Liam. C’était impossible. Il la regardait avec un air presque suppliant, comme s’il s’attendait vraiment à ce qu’elle le reconnaisse, mais elle avait beau faire un effort, son visage ne lui disait rien. Et elle ne pouvait pas compter sur sa voix non plus pour le reconnaître … « Je suis désolée, je … Je ne vous connais pas. » Balbutia-t-elle. Ce n’était pas Liam. Elle l’aurait su, si c’était lui. Pendant des années, elle avait su dire exactement quand il se trouvait auprès d’elle et quand il ne l’était pas, c’était comme ça qu’ils avaient fonctionné. Elle ne pouvait pas avoir oublié ça également, n’est-ce pas ? Elle avait peut-être oublié sa voix, son visage, mais pas cette sensation … « Vous faites erreur, allez-vous-en. Je ne vous connais pas. Allez-vous-en. » Répéta-t-elle d’une voix plus dure. Qui que ce soit, il n’avait pas le droit de la faire douter ainsi. Il la mettait au supplice, elle n’en réalisait que davantage qu’elle ne savait plus rien sur son frère jumeau, sa moitié. Elle s’était peut-être trop persuadée qu’il était mort, elle avait déjà fait une croix sur son souvenir … Mais c’était impossible, elle n’avait pas fait ça. « Allez-vous-en ! » Cria-t-elle une dernière fois en le poussant violemment et en s’élançant loin de lui. Des larmes commençaient à lui piquer les yeux, et elle ne voulait vraiment pas pleurer devant cet étranger. Il connaissait peut-être son nom, mais il n’était personne. Personne.

« Je suis désolée, je … Je ne vous connais pas. » S'il avait pu s'attendre à cette réaction, Liam se serait protégé, il n'aurait pas eu l'impression que le ciel lui tombait sur la tête à l'instant même et que le sol s'effondrait sous ses pieds au même moment. Il avait le sentiment, le désagréable sentiment que quelqu'un venait de plonger la main dans sa poitrine pour lui arracher le cœur et l'écraser devant ses yeux, comme la promesse qu'il ne serait plus capable d'aimer qui que ce soit. Les mots lui firent si mal qu'il en retint sa respiration et qu'il recula d'un pas, comme s'il pouvait s'éloigner de cette douleur oppressante. Elle ne le reconnaissait pas. Et pourquoi l'aurait-elle fait ? Dix ans sans se voir, il n'avait été là que pour lui parler, pour lui raconter des histoires. Elle ne l'avait pas vu, pas entendu depuis deux ans et il voulait qu'elle le reconnaisse ? Bon sang, bien sûr qu'il en mourait d'envie et il ne pouvait pas la regarder alors qu'elle l'observait comme s'il était un étranger prêt à se jeter sur elle pour lui faire du mal. Elle était aussi détruite que lui par sa captivité, elle était dans la méfiance, elle ne faisait pas confiance et elle ne voulait pas croire qu'il pourrait se trouver près d'elle. Elle devait  croire mort puisque c'était ce qu'il était censé être. Bien mort. Si le mutant qui partageait son couloir et la porte de sa chambre n'avait pas monté un plan pour les libérer tous les deux, il ne serait plus là pour accoster sa sœur dans la rue. Il serait mort et enterré et il n'aurait plus jamais revu son visage. Son visage qu'il ne pouvait pas oublier. Elle n'avait pas beaucoup changé en deux ans, elle avait encore un peu minci probablement, elle avait vieilli, elle était usée par sa vie de captive et cela se lisait sur chacun de ses traits. Elle était fatiguée et elle n'était pas libre depuis longtemps, ce qui culpabilisait davantage quand il pensait que cela faisait presque un an que lui était sorti de l'enfer. Et le fait de constater qu'il n'avait pas meilleure mine qu'elle lui rappela qu'il s'était empêché de vivre durant ces derniers mois pour la trouver. Elle s'était souvenue, elle s'était souvenue de Radcliff. Ils avaient tous les deux tenus parole, ils s'étaient retrouvés mais elle ne voulait pas y croire, elle n'était pas capable de le reconnaître et cela lui déchirait les entrailles. « Vous faites erreur, allez-vous-en. Je ne vous connais pas. Allez-vous-en. » Pourtant lui, il était sûr que c'était elle, il ne pouvait pas se tromper, il avait juste besoin de lui prouver, il devait le lui prouver, il ne pouvait pas la laisser partir loin de lui encore une fois, il se battrait cette fois pour qu'on ne lui enlève pas la chance d'être un tout petit peu heureux avec elle. Simplement avec elle, qu'ils puissent mener une vie normale, simple, tous les deux et rien que tous les deux. Il se fichait bien du reste du monde, son oxygène, c'était sa jumelle et il respirait déjà mieux depuis quelques minutes. La preuve que c'était bien elle, à ses côtés. Mais il savait ce qui la faisait douter. Le magnétisme de leurs pouvoirs. Les deux partis d'un même gêne. Ils avaient besoin l'un de l'autre pour survivre et il savait que c'était ce qui permettait à Tessa de le voir à travers la vitre même si elle ne pouvait pas réellement l'apercevoir à cause de la teinte. Il savait que c'était ce qui faisait qu'elle savait toujours quand il était près d'elle, ils en avaient souvent parlés. Quand ils étaient ensemble, il y avait cette sensation, douce et apaisante qui rassurait leurs parties mutantes. Cette partie qui ne faisait aujourd'hui plus partie de lui. Et il avait l'impression qu'on lui enfonçait un nouveau couteau en plein cœur. Il ne supportait pas l'idée de ne plus être lié à Tessa de cette manière. Il était déchiré à l'idée qu'il n'avait plus son pouvoir pour l'aider, pour qu'elle continue à prendre confiance et maîtrise de son don. Il regrettait tellement d'avoir été vacciné et il détestait d'autant plus ceux qui l'avaient fait. Il souffrait de ne plus offrir de réconfort à sa sœur.

Une sœur qui s'éloignait de seconde en seconde. « Allez-vous-en ! » Elle le poussa et s'éloigna. Non ! Il ne pouvait pas la laisser faire, dans la rue, en plein milieu de la foule, il avait envie de hurler, de la retenir mais il savait que la toucher ne serait pas la bonne solution, pas tant qu'elle le prendrait pour un parfait inconnu, légèrement atteint qui plus est. Mais c'était elle, il le savait à la manière dont elle avait réagit quand il avait prononcé son prénom, à la couleur de ses yeux si semblable aux siens, au ton de sa voix, à son caractère enflammé et surtout, au foulard qu'elle portait. Parce qu'il savait ce que cela cachait. Il porta une main à son cou, là où la marque du centre était inscrite, comme une brûlure au fer rouge. Une marque qu'il ne pouvait cacher avec ses cheveux, une marque qu'il portait mais ne camouflait pas comme elle le faisait. « Tessa ! » Il se fichait qu'on le regarde, qu'on le réprimande pour troubler l'ordre public. Il fallait qu'il lui rappelle qu'il connaissait son nom et que ça ne pouvait pas être une coïncidence. Une coïncidence ! Bien sûr, ça ne pouvait pas être une coïncidence puisqu'ils se l'étaient promis. « On s'était promis Tessa ! » De se retrouver ici, elle le lui avait promis. Il se mit à avancer, pour ne pas se laisser distancer par la jeune femme. Il passerait peut-être pour un fou à la recherche de l'amour qui vient d'avoir un coup de foudre pour une inconnue mais il s'en fichait. Tant qu'elle ne criait pas au secours, il ne faisait rien de mal. Il ne voulait pas lui faire peur, simplement de la retrouver. Son cœur battait la chamade, il n'avait pas six milles chances de lui prouver qui il était. Elle pourrait ne plus vouloir rester dans cette ville, s'évaporer du jour au lendemain, s'en aller et il pourrait ne plus jamais la revoir. Il ne l'accepterait jamais. Il n'y survivrait pas. Il gagnait du terrain sur elle mais il ne pouvait pas simplement lui attraper la main et l'obliger à l'écouter, elle hurlerait pour qu'on vienne l'aider. Alors il s'arrêta, il stoppa net et il cherche à attirer son attention ailleurs. « Réunis à Radcliff ! » C'était absurde, il n'allait pas faire ça. On leur avait montré, quand ils étaient jeunes et qu'ils ne commençaient pas encore les combats, un film, un dessin animé dont Liam s'était inspiré plus tard pour parler à Tessa de Radcliff, leur point de ralliement. Et même pour en faire une chanson. Une chanson qu'il lui chantait le soir, pour qu'elle trouve le sommeil. Une chanson dont il avait inventé l'air et les paroles. Il avait toujours bien chanté, il se souvenait vaguement d'avoir joué de la guitare étant gamin. Il avait la voix légèrement enrouée, un sujet de moqueries quand il était gosse mais quand il poussait la chansonnette, sa voir lui servait, et il se débrouillait plutôt pas mal. Ce n'était pas ce qui rendit les choses plus faciles quand il se mit à fredonner, doucement d'abord puis de plus en plus fort, l'air qu'il avait autrefois inventé pour calmer les insomnies de sa jumelle. Il ne chantait pas, il n'en avait pas besoin, il se souvenait à peine des paroles mais l'air restait gravé dans son esprit. C'était lui qui l'avait créé, personne d'autre ne pouvait être au courant et le connaître, le fredonner aussi bien que lui. Parce que sa voix avait peut-être changé, il était toujours le même quand il chantait. Il se mit à prier, tout en montant le son de sa voix pour qu'elle l'entende, il lui restait une dernière chance de la convaincre et c'était celle-là, il pourrait lui raconter mille anecdotes sur eux, rien ne pourrait lui parler plus que ce qu'il faisait à l'instant présent et il le savait. Il attendait qu'elle se retourne, son cœur menaçant de quitter sa poitrine pour se répandre sur le sol. Il avait besoin qu'elle le regarde dans les yeux, qu'elle le reconnaisse. Une larme roula sur sa joue. C'était sa sœur, si proche et si loin de lui à la fois, un constat qui lui faisait mal. Il n'y avait plus rien autour de lui, rien d'autre que sa chevelure châtain, rien d'autre qu'elle, la moitié de sa propre personne. Il avait besoin d'elle et il s'en rendait compte à l'instant même où il la retrouvait. Il prenait conscience du vide de sa vie ces derniers mois et de l'absence de lumière. Tout à coup, le soleil semblait sortir la tête des nuages, l'air semblait plus pur, l'atmosphère plus légère, il se sentait bien apaisé. Et il voulait qu'elle ressente ça avec lui. Libres, tous les deux.

Non, décidemment Tessa ne savait pas qui était cet homme. Elle l’avait scruté, elle avait détaillé son visage, elle avait fait de son mieux, mais elle ignorait parfaitement qui il était. Aucun détail n’avait fait chavirer son cœur ou remuer son estomac, et c’était ça qu’elle recherchait. Le déclic qui ferait du doute une certitude … Mais rien, rien ne s’était déclenché. Il valait mieux que ce soit ainsi. C’est pour ça qu’elle voulait partir, s’éloigner, ne plus le revoir. Si elle ne le reconnaissait pas, il pouvait rester un parfait inconnu. Et elle devrait faire en sorte de l’oublier. « Tessa ! » Mais c’était sans compter, bien sûr, avec la ténacité de l’homme. Elle rentra le cou dans les épaules, courba la tête, les yeux fixés sur le bitume. Elle voulait le distancer mais il ne se laissait pas faire, et elle aurait voulu lui hurler d’arrêter de prononcer son prénom. Il n’avait pas le droit ! Personne ne l’appelait ainsi, personne ! Qui étaient ceux qui connaissaient réellement son prénom ? Uniquement sa famille et les maîtres, mais les uns n’existaient plus et les autres étaient sans doute à sa recherche. Et pour ces derniers, elle resterait Abberline, un nom de famille uniquement. Personne ne l’avait appelée Tessa depuis bien longtemps, elle avait perdu l’habitude qu’on la hèle ainsi. C’était une injure à ses oreilles, un pouvoir sur elle qu’il n’avait pas le droit de posséder. « On s'était promis Tessa ! » La jeune femme  eut un hoquet de stupeur mais elle continua sur sa lancée sans se retourner, le cœur serré. La promesse … Personne n’était au courant de cette promesse. Sauf, à nouveau, les maîtres qui étaient omniscients au Centre et qui avaient très bien pu écouter toutes leurs conversations chuchotées entre deux murs. « Réunis à Radcliff ! » Un nouveau cri de l’homme derrière son dos, un nouveau coup de poignard pour Tessa qui sentit les larmes dévaler ses joues, inexorablement. Réunis à Radcliff. Combien de fois s’étaient-ils promis de se retrouver ici, s’ils venaient à être séparés ? Tessa avait oublié énormément de choses ces dernières années, son identité avait été effacée sous la souffrance et la terreur de son isolement forcé, mais elle s’était souvenue de leur promesse en sortant enfin à la lumière. Radcliff. Elle ne savait plus comment Liam en était venu à parler de cette ville qu’elle n’avait jamais vue de sa vie, mais elle s’était accrochée à cet infime détail du temps où il était encore à ses côtés, et elle s’était précipitée ici … Plusieurs fois, depuis qu’elle était arrivée en ville, elle s’était demandé si ce n’était pas un faux souvenir de plus, une illusion créée par son esprit embrumé pour lui donner quelque chose auquel se raccrocher. Elle s’était aussi demandé si ce n’étaient pas les maîtres, tout simplement, qui avaient insufflé cette idée dans son esprit pour mieux pouvoir la retrouver. Le doute la rongeait chaque jour supplémentaire où elle parcourait les rues de Radcliff, et chaque jour elle se disait que le lendemain, elle s’en irait. Mais elle n’avait pas réussi à s’y résoudre, pas encore, parce qu’au fond c’était le seul espoir qu’elle ait encore et elle ne pouvait pas y renoncer … Mais l’espoir de quoi ? Elle ne savait plus à quoi ressemblait son frère, et quand un inconnu disait la reconnaître, elle fuyait. Elle ferait mieux de partir, pour de bon …

Elle voulait partir, cette fois elle en était certaine. Loin de cet homme, loin de Radcliff, loin de tout. Mais elle s’arrêta brusquement et se tourna d’un bond, sans réfléchir, quand elle entendit soudain une mélodie familière. Elle n’avait pas fait le lien avec l’inconnu et cherchait d’où cela provenait – et ce que cela lui rappelait. Elle ne se souvenait plus de cette mélodie, et en même temps, elle lui semblait terriblement familière … Elle fut surprise de voir que c’était l’homme qui chantait, tout en la regardant. Et il pleurait, lui aussi. Elle avait envie de se rapprocher, de se blottir dans ses bras, sans comprendre ce désir si soudain. Mais la mélodie lui faisait l’effet d’une scène accueillante, un feu de bois dans une grande cheminée avec un chocolat chaud et une tarte aux pommes, ou juste une couverture toute douce passée sur ses épaules, ou une main familière posée sur sa joue avec un sourire amical, ou … Ou tant d’autres images qui venaient sans qu’elle n’ait le souvenir d’avoir déjà vécu aucune de ces scènes idylliques, qui lui fendaient le cœur tout en la rendant étrangement heureuse. Il n’y avait que Liam pour causer en elle de tels émois, n’est-ce pas ? Il n’y avait aucune autre explication. Elle ne se rappelait pas de cette mélodie mais les sentiments qu’elle causait ne pouvaient provenir que du souvenir de son frère jumeau, et de nulle part ailleurs. Elle se força à regarder à nouveau son visage, à le détailler autant qu’elle le pouvait, et elle se rapprocha un peu de lui, hésitante. Elle était perturbée par le fait que rien en lui ne fasse revenir la moindre réminiscence du passé, mais elle devait garder en tête qu’elle ne l’avait pas vu depuis trop longtemps et qu’elle ne devait pas faire confiance à sa vue. Ses yeux l’avaient oublié. Mais son cœur ? Ses pouvoirs ? Elle aurait du se souvenir de lui de cette façon. Elle en avait toujours été capable. « C’est quoi, cette chanson ? » Demanda-t-elle finalement, incapable de se retenir plus longtemps. Elle brûlait de curiosité, elle était comme une enfant qui voulait comprendre. « Tu ne peux pas être mon frère. Il est mort il y a longtemps. » Elle avait oublié ce qu’on lui avait dit : quand est-ce qu’il était mort ? Un an, deux ans plus tôt ? Beaucoup de temps s’était écoulé, mais elle avait vécu ces années de séparation dans un brouillard douloureux et ses repères déjà bien mis à mal s’étaient totalement effacés. « Et j’étais capable de le reconnaître … Mais toi … Tu es différent … Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Pourquoi est-ce que je … Je devrais pouvoir dire que c’est toi, mais je n’y arrive pas. » Elle se rapprocha encore n peu jusqu’à ce qu’à peine un pas les sépare et elle le dévisagea sans aucune retenue. Elle alla même jusqu’à poser une main délicate sur sa joue, comme pour en éprouver l’existence. Mais bien sûr qu’il existait, il l’avait touchée, tout à l’heure. Pourtant, ce contact ne lui avait rien fait, et ne lui faisait toujours rien. Elle avait presque envie de faire feu de ses pouvoirs, ici, au milieu de cette rue, juste pour avoir la confirmation de ce qu’elle redoutait. Ce n’était pas Liam. Quand elle touchait Liam, elle ressentait des choses extraordinaires, un contrôle sur son don, une assurance en ses capacités, une sérénité sans pareille … Rien de tout ça ne faisait surface en ce moment, et elle retira sa main à regrets. « Ce n’est pas toi. » Soupira-t-elle. Elle n’était même plus en colère contre lui, juste résignée.

L'angoisse menaçait de le submerger à tout moment, à chaque pas que sa jumelle faisait loin de lui, il avait l'impression que la boule qu'il avait au fond de la gorge remontait, comme si elle voulait déverser le flot de larmes qu'il avait en stock et qu'il avait gardé pour elle et rien que pour elle. Sa moitié, la deuxième partie de son être. Quand ils étaient arrivés au centre, quand on les avait séparé, quand on l'avait mené ailleurs pour le tuer, quand on l'avait privé de cette part de lui, Liam était toujours au plus mal. Il n'était pas heureux s'il ne la voyait, s'il ne sentait pas sa présence autour de lui, s'il ne pouvait pas entendre le son de sa voix. Les quelques minutes au cours desquelles il pouvait l'apercevoir à travers la vitre de l'arène dans laquelle on la plongeait si souvent étaient devenues son oxygène, sa façon à lui de respirer à nouveau durant quelques instants précieux, de ces instants qu'il ne parvenait pas à oublier. Tous étaient gravés en lui. Mais il savait pertinemment que si lui avait eu la chance de la voir, elle n'avait certainement pas eu le même traitement de faveur et elle ne l'avait pas vu depuis si longtemps. Même s'ils se parlaient, pouvaient se toucher furtivement à travers l'infime ouverture qui séparait leurs deux chambres, elle n'avait jamais eu l'occasion de le voir depuis le jour où ils s'étaient séparés. Et la voir à nouveau lui donnait l'espoir d'un avenir meilleur, moins sombre que celui qu'il envisageait sans elle. Et pourtant, voilà qu'elle s'échappait à nouveau, elle lui filait entre les doigts et il ne savait plus quoi faire pour la retenir, pour la convaincre qu'il disait vrai, qu'il était bien celui qu'il prétendait être et que ce n'était pas juste un piège ou une manière de la torturer. Il avait tellement envie de la rattraper, de la serrer contre lui et ne plus jamais la lâcher mais il ne voulait pas lui faire peur et provoquer un scandale. Il choisit la manière la plus simple, évoquer un souvenir que seuls eux deux connaissaient. Qu'ils partageaient, comme l'être unique qu'ils représentaient à ses yeux. Et il eu d'abord l'impression que ses paroles n'eurent aucun effet, elle ne s'arrêta pas et il eut envie de tomber à genoux, la supplier de revenir, de ne pas le quitter à nouveau, il avait trop souffert de son absence, il ne pouvait plus vivre sans elle en la sachant libre et quelque part dans ce monde, à sa recherche. Sauf si elle le croyait mort. Et il joua sa dernière carte, la dernière de toutes celles qu'il pourrait jouer. Si celle-là ne marchait, il ne pourrait pas la retenir davantage. Elle était trop méfiante, et elle avait raison, après ce qu'ils avaient subi, pourquoi accorder leur confiance ? Ils n'en avaient pas besoin, ils s'appartenaient, tous les deux. Cette chanson, celle qu'il fredonnait à mesure que les larmes roulaient sur ses joues sans qu'il ne puisse les retenir, c'était la leur et elle n'avait pas le droit de le nier, elle n'avait pas pu l'oublier. Il la vit faire volte-face et son cœur explosa dans sa poitrine tant le soulagement coula en lui comme un remède efficace à un venin meurtrier. Il se sentait plus léger, rien que parce qu'elle venait à nouveau de croiser son regard et il accentua légèrement les paroles, mêlant ses pleurs à de légers sourires, comme pour l'encourager. Elle devait venir, il voulait tant la toucher et la voir de plus près. Elle s'approcha et son cœur s'emballa. Il y arrivait, elle venait à lui et elle finirait par le reconnaître, il le savait. « C’est quoi, cette chanson ? » Il eut un sourire, soulagé d'entendre sa voix à nouveau. Il la regardait comme si elle était la chose la plus précieuse qu'il avait dans sa vie, et c'était bien loin de ce qu'il ressentait. Tout était décuplé en lui, il retrouvait enfin une partie de son âme, il renouait avec sa vie et ils allaient pouvoir avancer, ensemble. « Je ne me souviens pas bien des paroles, je te la chantais le soir, pour t'aider à t'endormir. » Il espérait tant, elle s'approchait davantage et il avait l'impression de retrouver finalement sa sœur. Il répondait d'une voix calme, étrangement apaisé quand son cœur battait la chamade et qu'il tremblait légèrement sous l'effet de ses émotions. Il n'y avait qu'elle pour le faire réagir de la sorte. Sa jumelle.

« Tu ne peux pas être mon frère. Il est mort il y a longtemps. » Son sourire vacilla sur ses lèvres. Elle avait encore des doutes, beaucoup de doutes, elle le croyait mort, on lui avait dit qu'il était mort, comment pourrait-elle croire qu'il était là, bien vivant devant elle quand elle n'avait plus espéré le revoir à nouveau. « Et j’étais capable de le reconnaître … Mais toi … Tu es différent … Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Pourquoi est-ce que je … Je devrais pouvoir dire que c’est toi, mais je n’y arrive pas. » Son sourire s'effaça complètement. Non, elle n'avait plus cette capacité et c'était ce qui la retenait. Il voulait tant lui expliquer mais les mots restaient coincés dans sa gorge quand il s'aperçut qu'un pas seulement les séparait et qu'elle le dévisageait comme si elle cherchait des réponses sur les traits de son visage. Il la laissait faire, prendre son temps et ne bougea même pas lorsqu'elle posa la main sur sa joue. Ses yeux se fermèrent un bref instant, ce contact lui avait tant manqué et le chamboulait tellement qu'il n'en crut pas ses oreilles lorsqu'elle prit de nouveau la parole. « Ce n’est pas toi. » Elle retira sa main et il ouvrit brusquement les yeux, paniqué à l'idée qu'elle ne s'échappe à nouveau en courant pour le fuir. Mais elle n'avait pas bougé et il savait qu'à présent, il devait lui expliquer, avant qu'elle ne s'enfuit. Il avait l'impression qu'elle venait de lui jeter un seau d'eau glacé sur la tête tant il était déçu et abattu qu'elle ne le reconnaisse par aucun autre moyen que son pouvoir. Mais il la comprenait, du moins, il essayait. Il déglutit pour faire passer l'effroyable impression de vouloir pleurer à nouveau toutes les larmes de son corps. Il lui attrapa la main, avec moins de brusquerie que la fois précédente et la posa tout de suite sur son propre cœur. « Attends, il y a une explication. Je sais que je suis différent sur un point, le seul qui t'empêche de me reconnaître. Mais je l'ai perdu, j'ai perdu la capacité de t'aider, je me sens vide de ne pas pouvoir apaisé cette partie en toi mais je n'ai rien pu y faire. Ils m'ont vacciné. » Si elle était sortie depuis suffisamment longtemps, elle devait avoir entendu parler des vaccins et des effets à long terme. Son regard se fit plus sombre, plus triste, il se détestait à présent, tout en prenant conscience que si elle venait à perdre le contrôle de son pouvoir, il ne pourrait pas lui venir en aide. « N'écoutes pas ton pouvoir, écoutes ton cœur. » Tout en maintenant la main de sa jumelle sur son propre cœur pour qu'elle le sente battre à vive allure. « C'est moi Tess', je te jure que c'est moi. » Bon sang, il ne savait plus quoi faire, quoi dire pour qu'elle le reconnaisse, qu'elle avoue enfin avoir retrouvé son frère, qu'elle cesse d'avoir peur. Il la regardait dans les yeux, la suppliant du regard de le croire, de se laisser aller. Elle l'avait retrouvé, il était bien là, elle pouvait lui faire confiance, il ne lui avait jamais menti, caché la vérité, il avait toujours été honnête avec elle, même quand les choses allaient mal, il ne voulait aucun secret entre eux. « Tu sais tout au fond de toi que je ne suis pas mort, tu le savais, sinon, que ferais-tu ici ? Dans cette ville où on s'est promis de se retrouver ? Tu savait que j'étais en vie, tu n'étais simplement pas prête à espérer, à y croire. Je peux comprendre, je t'ai longtemps cherché sans vouloir l'espérer. Mais c'est bien moi. » C'était tout ce qu'il pouvait dire, il ne savait pas si cela la convaincrait, il ne savait pas réellement si c'était réellement ce qu'il devait dire. Depuis bien longtemps, il avait perdu l'habitude de parler, de rassurer, il s'était muré dans le silence, il avait cherché sans demander de l'aide, il était seul depuis sa fuite du centre et il ne cherchait pas la compagnie. Il n'y avait qu'elle pour le rendre si bavard et si hâté de s'expliquer. Il n'y avait qu'elle dans sa vie pour l'instant et il n'avait pas l'intention de la perdre. Il allait falloir qu'elle le croit, il ne lâcherait pas l'affaire, quitte à la suivre de partout, à l'assommer de toutes les anecdotes possibles pour qu'elle se souvienne comme lui de tous ces détails. Il fallait qu'elle se souvienne et il venait d'en faire sa mission sacrée. Il n'avait pas l'intention de lâcher l'affaire.