J’observe mes doigts, entourant ce manche de guitare, incertaine. Cela fait une éternité que des notes ne se sont pas échappés de cet instrument et pourtant, je continue de le trimballer avec moi. Peut être est-ce mon unique réel bien, même si je ne suis plus capable de l’utiliser. Sous mes yeux, les cicatrices me rappellent pourquoi et je les ferme, pour ne plus voir cette main qui me fait horreur…

Arizona State Prison Complex – Perryville, Arizona 2009

Il fait sombre… C’est toujours sombre entre ces murs. La lumière est là pourtant, artificielle. Elle fait mal aux yeux mais la noirceur est toujours là. Jamais je n’aurais du arriver ici. C’est une erreur. De ma part, certes, mais une erreur tout de même. Cette prison, ces murs, de 4 mètres par 4 mètres et ces bruits, incessants… Les gardiens ne me protègeront pas, ils ne protègent pas les détenues… Du moins, il ne me protège pas moi. Une sorte d’accord implicite entre eux… Simplement parce que j’ai refusé les avances de leur… gourou pour faire simple. Jamais je n’ai autant maudit mon corps que dernièrement. « Sandburry… Il paraît que Kenstwood t’a pris en grappe. Il paraît qu’elle kiffe couper les doigts des filles qui l’aiment pas… Tu sais pour se… enfin tu vois quoi ! » Un gémissement, de peur, s’élève dans ma cellule. Je n’ai pu le contrôler et bien sûr, toutes les femmes alentour l’ont entendu… Elles ricanent et un tremblement inconscient s’empare de tous mes membres. Ce n’est pas le froid qui me fait réagir comme ça, non, c’est la peur…

Inconsciemment, mes doigts se sont resserrés autour du manche, avant de finalement s’écarter, sous la douleur. En vérité, je ne sais même pas si j’ai réellement mal ou si je reste bloquée mais le fait est là… Ma main gauche est presque inutile et m’handicape dans ma vie de tous les jours. Il me reste l’autre, bien sûr, mais je ne peux jouer d’une main… Avec un long soupir, je me relève et dépose la guitare sur le canapé. Looping gémit, comme à chaque fois que j’essaye de jouer. A croire qu’il ressent ma tristesse et mon manque, mais c’est probablement le fait de mon imagination. Ce bougre d’idiot doit vouloir aller se promener, rien de plus. « Oui on va aller courir mon beau. Donne moi 5 minutes… »

Tucson, Arizona, 2005

« Ce coup est trop gros pour toi Ash… T’es pas une braqueuse de banque. C’est pas ton trip, ni ton genre… » Je me mords la lèvre. Cette fois, réellement nerveuse, je ne peux m’en empêcher. Il a raison. Bien sûr que ce n’est pas mon genre. Je me contente très bien de mes petits larcins. Après tout, ce n’est pas mon unique travail et je gagne assez d’argent pour ne pas cambrioler une banque mais… Ce frisson, que j’ai ressenti une fois, à deux doigts de l’arrestation, je veux le sentir encore une fois et quelque chose en moi, me dis que la seule et unique façon de le faire, serait ce gros coup… « Tout ira bien Lyle ! Tu verras, on va s’amuser. » Il grogne, pour la forme bien sûr, mais au fond, la demoiselle sait qu’elle a gagné. Son frère ne peut rien lui refuser après tout.

Mon souffle se fait court soudain et ma course ne peut continuer. Ces pensées parasites m’envahissent et je me sens mal soudain. Je tombe à la renverse et mon crâne heurte le sol violemment. Non ! Pas les urgences. Si je vais à l’hôpital, je retourne en prison… Au prix d’un effort qui me semble inhumain, je parviens finalement à me relever, sous les gémissements incessants de Looping. Cette boule de poil me perturbe souvent, je sais qu’il est plus humain qu’il en a l’air… Le retour chez moi me semble long, difficile et brumeux, mais lorsque je me réveille, quelques heures plus tard, c’est bien dans mon lit que je me trouve et c’est bel et bien la sonnerie stridente de mon portable qui se fait entendre… « Allo ? Désolée… Oui je sais. Je me sens pas bien… Je peux avoir un jour de congé ? Merci… » Non… Je ne me sens pas bien du tout !

Arizona State Prison Complex, Salle de visite – Perryville, Arizona 2005

« L’enterrement il… comment ça c’est passé ? » Ma tête tourne, comme tous les jours depuis mon arrestation. Cette balle était pour moi après tout et ce stupide… « Réponds moi Ma… Je sais que tu m’en veux mais j’ai le droit de savoir. » « Le droit ! Le droit ? Tu n’as aucun droit ma pauvre fille. Quel besoin tu avais de l’emmener avec toi dans tes conneries hein ? 15 ans de prison ? C’est encore trop peu ! Tu sais ce que j’espère… Que les détenus là dedans… Soit sans pitié avec toi ! Tu ne mérites rien de mieux ! » Je tremble. Tout mon corps me semble être un gigantesque tremblement de Terre et c’est encore rien par rapport à mon cœur. Les larmes coulent sur mon visage, sans que je puisse en retenir une goutte et je me mords la lèvre… Elle, se lève, sans même un regard pour moi et je sais… Au fond de moi je sais… Jamais plus je ne la verrai…

Arizona State Prison Complex, Porte extérieure – Perryville, Arizona juin 2014

Liberté conditionnelle pour bonne conduite. La blague… Évidemment, j’ai été sage depuis l’accident. Je ne sortais de ma cellule que lorsque j’y étais obligée pour ne plus les voir. Elles ont instillé une peur d’elle en moi qui ne s’estompe que maintenant. Un pas de plus et je suis dehors. Les autre sont toujours à l’intérieur je suis… tranquille maintenant…

Radcliff, Kentucky, novembre 2014

Cette ville est tranquille. Personne ne viendra m'embêter ici. Personne ne me retrouvera. Ils ont déjà tellement à faire avec les combats intérieurs qu'ils ne vont pas se préoccuper de moi. Par contre... Je me préoccupe d'eux. Ces histoires sont... malsaines...