i. comment êtes-vous entré parmi les hunters?
Miles Brown y est entré car son père, Arthur, chassait les transmutants il y a de ça une vingtaine d'années. Un fardeau transmis de père en fils, si l'on peut dire. Au départ, Miles ne comprenait pas les raisons qui poussaient son géniteur à s'engouffrer dans cette lutte perpétuelle (durant laquelle il a d'ailleurs perdu la vie). Arthur Brown mourut des mains d'un dégénéré, ce qui alimenta considérablement la flamme encore faiblarde du jeune homme. Une seule idée l'obsédait : venger son père et les parents de sa petite amie.

ii. avez-vous déjà effectué votre devoir de chasseur ?
Brown effectue son devoir de chasseur depuis une vingtaine d'années – il n'a d'ordres à recevoir de personne, d'ailleurs, les Hunters ne sont qu'un bon moyen pour lui de tisser un réseau de relations, à l'instar d'une toile d'araignée. Tuer les dégénérés ne pose aucun problème à ses yeux : après tout, ces êtres sont des dangers, des bombes à retardement. Rien de plus, rien de moins. En assassinant ces choses, Brown est persuadé de faire son devoir de citoyen. Refuser de continuer signifierait pour lui de tromper la confiance que son père portait en lui.

iii. les mesures du traité de protection des mutants vous font-elles peur ?
Des idéalistes, des foutus hippies, il y en a toujours eu. Miles sait que ces mesures de protection sont facilement contournables – elles l'ont toujours été, n'est-ce pas ? - et il considère ces nouvelles mentions comme étant des atteintes à la liberté des gens. Des véritables humains, évidemment, pas des monstres. Alors non, et même si Miles est clairement blasé par tant de mesures, jamais il ne cessera d'exécuter sa terrible vengeance. Désinvolte, mais discret, il n'ira pas raconter ce qu'il pense aux gens lambda qu'il côtoie, certains de s'attirer leurs foudres et mettant en danger sa couverture.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
De cet homme, Miles n'en a cure – et cela se perçoit dans chacun de ses gestes, chacun de ses soupirs. La position de Lancaster face aux dégénérés ne peut être qu'un simple effet de publicité et rien ne sera susceptible de le faire changer d'avis – rien, hormis des faits. Des actions irrévocables. L'extermination totale et complète des dégénérés présents sur la surface de la tête – après tout, le comté ne doit pas la seule priorité de ce Lancaster qui, aux yeux de Brown, doit sûrement viser la Présidence des Etats-Unis. Cette certitude le fait sourire. On ne peut pas faire confiance aux politiciens.

Mort. Son père était mort. A genoux auprès de son corps, Miles essuya ses lèvres entrouvertes du revers de la main. Son respiration était sifflante, suffocante. Au haut de ses dix-sept ans, il ne savait pas de quelle manière empoigner la situation qui se présentait à lui – chaque battement de son cœur lui rappelait la perte brutale de son géniteur. Il se détourna rapidement de cette vision horrifique. Il n'avait jamais réellement éprouvé de haine à l'égard de ces mutants – pourtant il avait suivi sans broncher les arguments ahuris de son père, emboîtant son pas dans chacune de ses démarches. Il n'avait jamais tué ; de ses yeux encore enfantins, il avait pu toutefois observer son père exécuter bon nombre de ces bêtes. Avant de se faire lui-même assassiner par le mutant qu'il recherchait. Contractant ses mâchoires, il posa ses doigts sur le front de son père, les faisant glisser le long de ses paupières ouvertes afin de les refermer. Fini – tout était fini. Dans son regard ne brillait pas la moindre larme mais il fallait être bien sot pour ne pas remarquer son malaise grandissant. Pour la première fois, il était seul. Miles se redressa, debout sur ses jambes encore flageolantes. Il contourna le corps de son père, évita de regarder les cadavres des deux autres personnes, et se précipita à genoux auprès d'Elza. Il esquissa un sourire encore tremblant ; dernier homme debout sur le champ de bataille, pourtant il n'en tirait aucune gloire. Ce sentiment de culpabilité lancinant le faisait frissonner. « Les secours vont arriver » murmura-t-il alors, sa main tâchée de rouge posée sur le front de la jeune fille « tout va bien se passer, je te le promets. » En réalité, il n'en savait rien. Face à cet avenir incertain, face à cette solitude grandissante – que lui restait-il ? Il n'appartenait pas à cette ville, habitué de vivre au jour le jour en compagnie de son géniteur. Il n'avait rejoint le lycée que depuis quelques mois et, rapidement, il avait fait la connaissance d'Elza. Ils s'étaient liés mais ne s'étaient jamais rien promis – peut-être aurait-elle mieux faire de ne jamais croiser son chemin. Les grands yeux bleus de la jeune fille le toisèrent un moment, les paupières frémissantes et le souffle de plus en plus bas « Mes – mes parents ? Où.. où est mon père ? » Se mordant l'intérieur des joues, Miles ne souffla mot. Il se contenta de secouer la tête, essayant de faire passer dans ce geste tout ce qu'il voulait lui dire. Son père et sa belle-mère étaient morts. Arthur Brown avait également rendu l'âme. Les phalanges d'Elza s'agrippèrent alors à la main qui caressait inlassablement son visage pâle et tuméfié. « Tu – tu pars pas, tu...restes..tu restes...ici. » Miles esquissa un sourire tendre, meurtri par cette jeune fille qu'il ne connaissait pas énormément – mais qu'il aimait peut-être plus qu'il ne l'avait jamais avoué. Se penchant en avant, ses lèvres se posèrent sur le front d'Elza, en savourant brièvement la chaleur et le goût sucré de sa peau.


Miles hissa sa fille contre lui, arquant un sourcil désapprobateur lorsqu'elle enroula férocement ses bras autour de son cou. Il ne la repoussa pourtant pas, profitant de ce moment salvateur, se remémorant malgré lui tout ce qu'ils avaient traversé pour en arriver là. Elza et lui s'étaient mariés jeunes – très jeunes, d'après certains, et il ne pouvait certainement pas les contredire – et la jeune femme était rapidement tombée enceinte. Mais cette bénédiction se transforma en une malédiction lorsque la grossesse n'arriva pas à son terme. Elza perdit l'enfant qu'elle portait et, fort d'un caractère plutôt réservé, Miles essaya de la soutenir du mieux possible. Cette perte le touchait autant que sa femme mais il avait toujours mis un point d'honneur à ne jamais montrer publiquement ses émotions. Un soupir passa les lèvres de Miles lorsqu'il posa Rosalee sur le sol qui, aussitôt, fila comme une flèche vers sa mère. Blonde, aux yeux bleus – on pouvait facilement supposer qu'elle était leur fille biologique mais il n'en était rien. Croisant les bras sur son torse, Miles détourna un moment son regard azuré vers l'horizon, se perdant dans la contemplation qu'il se faisait de son passé. Rosalee était la fille d'un couple de mutants. Deux horreurs de la nature dont Elza et Miles avaient eu vite fait de se débarrasser – après leur carnage, ils avaient retrouvé un bébé, une petite fille enveloppée dans une couverture rose. Miles avait proposé de la prendre, de l'emmener avec eux – ces mots qui passèrent ses lèvres, jamais il ne les regretta. Jamais il ne pourrait regretter d'avoir subtilisé cette fillette, ou tué ses parents. Force était de constater que la culpabilité ne le cernait que très rarement. Souvent, il se plaisait à penser qu'il agissait pour le bien de l'humanité, sans savoir que seule sa vengeance (relative à la mort de son père) le faisait avancer sur le chemin sinueux de la vie. Il avait une famille ; une femme qu'il parvenait encore à aimer malgré ses gifles et leurs nombreuses disputes – il adorait son tempérament de feu qui la mettait en position de force la plupart du temps. Et leur fille. Une enfant envoyée par la Providence ? A ceci près qu'elle leur était apparue à la suite d'un assassinat. Ils formaient une famille, un trio exceptionnel. La famille Brown n'était sans doute plus la même sans Arthur, sans celui qui avait appris à Miles tout ce qu'il savait désormais, mais son fantôme restait à ses côtés. Al 'image d'un Hamlet visité par l'esprit de son père. Elza hissa la fillette sur sa hanche et, côte à côte,  ils marchèrent dans la rue éclairée par plusieurs réverbères. La lune était haute. Les passants bruyants. Cette nuit-là, l'atmosphère était suffocante, une nuit d'été que Miles ne parvint pas à oublier ; car ce fut à ce moment précis, où leur trio était emporté dans le tumulte de la nuit, que Brown se rendit compte qu'il comprenait désormais le combat de son père. Lui non plus ne laisserait jamais rien arriver à sa famille.


« Qu'est-ce que tu me caches, Elza ? » Tournant ostensiblement le dos à son mari, ce dernier put remarquer que tout son corps s'était raidi. Il claqua sa langue contre son palais, attendant une réponse de la part de sa vis-à-vis. Une réponse qui ne viendrait jamais, il le savait pertinemment – à croire qu'il ne posait cette question que pour la forme, ou pour évaluer le degré de confiance que son épouse lui accordait. Une pointe de déception, ternie par une colère continue, lui ternit le cœur et lui brouilla la vue. Il se leva de table et flanqua son assiette dans l'évier, tandis que Elza faisait la vaisselle. Rosalee était à l'étage dans sa chambre – elle avait cru bon de filer dès que le repas s'était achevé, sentant les raisins de la colère grossir dans le ventre de son père. Elle avait eu raison. Brusquement, Miles posa sa main sur le conduit, arrêtant l'eau courante d'un seul mouvement de main. Il pouvait observer le profil de sa femme et, s'il était toujours tenté de passer ses mains sur ses hanches lorsqu'il se trouvait à proximité d'elle, Miles se tenait étrangement immobile. Les mâchoires d'Elza était contractées, son regard furieusement dirigé vers le mur qui lui faisait face. Le prenait-elle pour un idiot ? Miles posa l'une de ses mains sur l'épaule d'Elza, forçant son interlocutrice à lui faire face ; il grinça des dents et embraya plus violemment que jamais « tu me prends pour un con ou quoi ? » Elza le repoussa, posant ses mains sur son torse et tendant ses bras afin de se débarrasser de son mari. Elle lui tourna de nouveau le dos, les mains agrippées au rebord de l'évier. D'une main, Miles envoya valser le plat à travers la pièce, incapable de contenir davantage sa rage. Son angoisse. Fulminant, il traversa la cuisine, gravit les escaliers. Dans le couloir à l'étage, il passa devant la chambre de sa fille dont la porte était fermée. La musique était explosive – elle avait dû la mettre dès qu'elle avait entendu son père élever la voix. Les murs étaient fins comme du papier. Levant le poing, il s'apprêta à frapper contre la plaque boisée mais se retint au dernier moment. Un soupir passa ses lèvres alors que ses bras tombèrent, ballants, le long de son corps contracté. Il passa son chemin, conscient qu'il n'avait rien de précis à dire à sa fille – de ne pas s’inquiéter ? Qu'ils n'allaient pas divorcer ? Elle le savait, ce n'était qu'une risque. Une passade. N'est-ce pas ?