-pietra & ivory-

Yesterday's a million miles away

Assise dans son canapé à tenter de lire un livre dont elle était à relire pour la quatrième fois la même ligne, Ivory tentait de tromper l’ennui. Elle était encore et toujours en congé maladie et pour cause, ses insomnies ne s’arrangeaient pas, pas plus que les cauchemars. Sa colocataire avait commencé à investir les lieux et elle se sentait moins seul, moins en danger aussi. Ça ne devait pas être vraiment génial de vivre avec une insomniaque pas toujours de bon poil mais, Emma avait l’air de plutôt bien le vivre et même de comprendre. Elle lui donnait même des trucs pour essayer de l’aider à dormir sans passer par les somnifères. Ça se passait nettement mieux qu’elle l’avait cru. Pour le moment, Emme n’était pas là, elle ne savait plus trop si elle était à la bibliothèque ou à l’hôpital mais, en tout cas, c’était plaisant comme façon de vivre, moins oppressant.
Elle finit par abandonner sa lecture et refermer le livre en soupirant, impossible d’arriver à avancer dans ce fichu bouquin. Elle ferma les yeux et se laissa aller un moment, avec de la chance, elle arriverait à s’endormir et faire au moins cinq petites heures de sommeil. Ce serait le pied. C’est d’ailleurs ce qu’elle parvint à faire pendant quelques heures. Pas de cauchemars, pas de réveil en sursaut. C’est son téléphone qui la tira de là et elle eut bien du mal à ouvrir les yeux pour lire le message et surtout pour assimiler ce qu’il disait. La remise en contexte était compliquée quand on était décalée sans cesse dans son rythme de sommeil. Pietra comptait venir la voir ce soir chez elle. Quelle heure était-il déjà, est-ce que ça voulait dire qu’elle l’hébergeait ? Ce serait une bonne chose de le savoir. Autant de questions auxquelles elle ne put répondre tout de suite puisque déjà, ça sonnait en bas de l’immeuble.
D’un mouvement mal coordonné, Ivory se retrouva en bas du canapé, sans classe et en râlant. Ça commençait bien c’t’affaire. Elle se releva et appuya sur l’interphone pour entendre la douce voix de son amie lui demandant d’ouvrir la porte. En toute franchise, elle hésita un moment. Pas vraiment bien réveillée, elle avait du mal à savoir si elle arriverait à survivre à Pietra ce soit. Elle l’adorait, on ne faisait pas meilleur biatch sur terre mais, était-elle en état ? Elle soupira et écrasa le bouton sans douceur.

- « Grimpe. »

Elle alla ouvrir la porte et repoussa un carton qui traînait dans le passage. Il ne restait plus qu’à Pietra à faire comme d’habitude. En attendant, elle alla se servir un grand café, tant pis pour son renoncement, elle ne garderait jamais les yeux ouverts sans ça. Après tout, ça faisait un moment qu’elles n’avaient pas discuté et encore plus longtemps qu’elles ne s’étaient pas vues. Elle n’en voulait pas à son amie alors qu’elle savait qu’elle se cachait des hunters et avait quelques problèmes. Ivo n’avait jamais vraiment voulu savoir de quoi il était question, pas prête du tout à s’occuper d’une cause ou d’une autre alors qu’elle ne savait pas trop où allait sa vie, encore moins maintenant avec Charlie, Seth qui avait pété les plombs et tout le reste. Ivory était juste larguée et avec son sommeil fluctuant, la concentration et la réflexion n’étaient pas ses points forts. Ajouté à tout ça qu’elle avait peur de son père et de l’autre taré de hunter du musée, c’était le pompom.
Tout en soupirant, elle attrapa une tasse de café alors que derrière elle, on ouvrait la porte. Se retournant avec un mug de la taille d’une chope, elle regarda Pietra en tentant un sourire pas très glorieux. Il y avait eu mieux. Merde. Elle ne lui avait pas dit. Il n’y avait qu’Emma et Bob qui était au courant pour sa vaccination. Elle allait en entendre parler de ça.

- « Café ? Bière ? Rhum ? Vodka ? Eau avec des glaçons ? »

Une blague débile qui ne faisait rire qu’elle. Elle détestait les glaçons dans de l’alcool et en ce moment, elle ne buvait même rien du tout. En revanche, elle fumait plus d’herbe que la municipalité ne tondait de gazon. C’était à peu près la seule chose qui l’aidait à dormir.

-pietra & ivory-

Yesterday's a million miles away

On ne pouvait pas dire que c’était le meilleur moment pour Ivory d’accueillir son amie mais, elle n’allait pas la laisser à la porte, certaines choses ne se faisaient pas et puis, elle n’aurait pas fait ça à Pietra. Elle avait beau ne pas être en état, ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vue et elle n’allait donc pas se priver d’une occasion de la voir, même si elle avait des valises, sous des valises, sous des valises, sous les yeux. La laissant donc monter à son aise, elle s’occupa de son café et encore du café, au cas où. Son sommeil était chaotique en temps normal mais là, ça frôlait le ridicule et l’absurde. Elle essayait d’être posée, pas trop irritable mais, on était très très loin du compte par rapport à son attitude habituelle. Elle laissa Pietra s’occuper de la porte alors qu’elle haussait les épaules à son interrogation. Elle qui n’avait pas de quoi faire un Irish coffee, de qui se fichait donc son amie ? Bien sûr que si.

- « Tu connais l’appart, tu sais où est le bar, fais-toi plaisir ma grande. J’l’aurais bien fait mais, rien que la vapeur d’alcool risque de me foutre dedans. » Elle pencha la tête sur le côté. « Pas qu’il y a ait des heures pour boire d’habitude mais là, pour moi, ça vaut mieux pas, j’t’assure. Mais profite, fais comme chez toi. »

La notion de chez elle, pas chez elle, c’était très relatif et Pietra connaissait l’appartement comme sa poche, tout comme Seth d’ailleurs. S’ils voulaient piller le frigo ou se servir à boire, ils avaient franchement pas besoin de demander. Bon, faudrait juste qu’ils apprennent à se faire à Emma. Cela dit, plus discrète tu meurs, elle l’entendait rarement. Son café en main, elle se ratatina dans son canapé et mis le son de son jeu en pause. Les borborygmes des zombies, ça allait bien quand y avait personne pour s’en plaindre. De ça aussi Pietra avait l’habitude mais quand même, en plus, elle avait l’air de vouloir parler, dire quelque chose, n’importe quoi. D’un geste, elle repoussa le cendrier sur la table. Il n’y avait pas beaucoup de tabac dans ses clopes magiques mais, assez pour être incommodée par l’odeur du tabac froid. Dire qu’elle s’était remise à fumer très légèrement juste histoire de tuer le temps... sacrée connerie qu’elle arrêterait le plus tôt possible dès qu’elle pourrait roupiller en paix pendant au moins vingt-quatre heures de suite.

- « Tu crois est encore à un cliché près ? Sérieusement ? En plus, c’est pareil pour moi, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Ou plutôt non... J’ai une bonne et deux mauvaises nouvelles. Mais je t’en prie, toi d’abord. Commence par la mauvaise. Une tuile de plus ou de moins tu sais, au point où j’en suis, ça fera pas grande différence. »

Elle n’avait fait que traverser un foutu long fleuve très loin d’être tranquille depuis quelques petites semaines alors elle n’en avait strictement rien à faire d’apprendre une tuile de plus. Elle allait quand même bientôt laisser l’appart à Emma à l’occasion. Ce qui ne voulait pas dire pour autant que Marius avait la voie libre pour faire n’importe quoi. L’appart, c’était une zone neutre, personne ne s’enverrait en l’air ici et s’il osait se pointer et qu’elle l’apprenait, elle le traînerait dehors jusqu’en bas des escaliers et le tout sur le cul.
Pour se donner un peu de courage, elle avala une longue rasade de café et sortit ce qui lui restait d’herbe. Elle tomberait bientôt à sec, c’était bien sa veine ça... En attendant, elle en aurait bien besoin très bientôt. Curieusement, elle était à peu près sûre de ça.

- « Seth a encore agressé des potes, tirés sur des gens, découpés des hunters, déclencher l’apocalypse ? »

À priori, si ça n’était pas permanent, il devait déjà être remis ou bientôt s’en remettre. Il n’y avait plus qu’à espérer que ce soit provisoire parce que dans le cas contraire, elle ne savait pas du tout comment elle ferait sans lui. C’était un peu idiot mais, cet abruti était son meilleur ami, elle le voyait comme un frère. Il avait toujours été là pour elle et elle pour lui si tant est qu’il se laisse faire.

-pietra & ivory-

Yesterday's a million miles away

Entre elles deux, les clichés étaient monnaies courantes et c’était encore pire quand elles en jouaient. Pietra et Ivory étaient même des clichés à leur façon et très franchement, elles s’en moquaient pas mal. D’ailleurs, cette foutue ville était un cliché dans son essence même, elles n’étaient vraiment plus à ça près. Quoi que, le cliché était tellement répandu en ville que, précisément, il ne l’était plus tant que ça. Un vrai casse-tête philosophique pour lequel elle n’avait pas assez de neurones disponibles. Une famille de croyants siphonnés et psychorigides, tu parles d’un truc rare dans le coin. Une mutante avec un père hunter ? Elle était prête à parier qu’il y en avait une demi-douzaine au moins en ville dans cette situation. À Radcliff, on retournait un caillou, y avait trois hunters dessous. Ce patelin devait avoir le taux de criminalité et de disparitions le plus élevé des États-Unis ou au moins du Kentucky, ça frisait le ridicule. De fait, rien d’étonnant à ce qu’Ivo ait une pleine brouette de drames à lui déballer et que Pietra en ait sûrement autant. À demander si y avait une semaine qui pouvait se passer tranquillement sans des morts, des blessés, des vaccinations ou des explosions. Cette ville couvait une guerre civile dégueulasse et une haine de la différence particulièrement féroce. Que le dirigeant ait changé n’y changeait précisément pas grand-chose pour le moment même si les rats étaient beaucoup plus discrets et très emmerdés.

Rassurer... Ivory aurait adoré pouvoir faire ça mais en ce moment, c’était limite, très limite. Il allait falloir qu’elle déballe son sac parce que franchement, ça commençait à peser lourd, aussi lourd qu’elle quand elle pouvait se changer en brique. Elle haussa les épaules en baillant avec son mug de café à la main.

- « Désolé, j’suis désagréable quand j’suis fatiguée. »

Fatiguée, quelle euphémisme pour totalement naze... Pourvu que ça se termine bientôt parce qu’elle était plus très loin de disjoncter pour de bon. Le manque de sommeil, ça commençait à bien faire et les hallucinations auditives qui allaient parfois avec aussi.

- « Bordel, qu’est-ce qu’il a fait encore ? »

Là, elle voulait bien un verre, le problème, c’était qu’elle n’était vraiment pas sûre qu’il passe bien ce verre. Oh et puis après tout... Elle se saisit de la bouteille, d’un verre qui traînait, vida l’eau qu’il contenait dans une plante et se servit un whisky. Tant pis. Café en main, whisky dans l’autre, elle avait un problème de main. Aussi, elle finit son café vitesse grand v histoire de rétablir l’équilibre pour profiter du joint qu’elle venait de rouler.

- « Génial, tire ma grande, je t’assure que j’suis plus à une merde près. »

Si on voulait. Ivo ne pouvait pas franchement deviner que son meilleur ami avait tué son père. Mais, effectivement, avoir retrouvé Seth, c’était une bonne nouvelle, une très bonne même. Elle hocha la tête, comprenant très bien où elle voulait en venir. Oui, elle avait vu de quoi Seth était capable et elle n’aurait pas aimé se trouver dans sa tête pendant sa vaccination. Il fallait que ce soit provisoire. Il le fallait !
Voyant que c’était difficile pour son amie, elle se leva et alla la rejoindre sur son bout de canap’, collant son épaule à la sienne. Elle adorait les câlins mais, force était de constater qu’en ce moment, c’était pas trop ça niveau câlins, contacts et tout le toutim.

- « Ouais, je sais, on peut vraiment le croire que quand on le voit. Franchement, j’étais un peu trop choquée pour m’étendre sur le problème. Y a plus qu’à espérer que ce soit provisoire ce bordel. »

Elle tira sur sa clope magique et but une gorgée de whisky, il y avait au moins un danger public de moins dans les rues pour le moment. Ivory n’imaginait pas à quel point les hommes de Seth devait se sentir mieux. Ça devait être la roulette russe pour eux cette histoire. Elle bouscula gentiment Pietra de l’épaule avec un mince sourire.

- « T’as fait ce qu’il fallait, j’ai pas hésité à cogner aussi fort que je pouvais sur le moment. T’avais pas le choix et toi, t’es pas pare-balles... Y a plus qu’à espérer que les choses rentrent dans l’ordre pour lui. Si c’est provisoire, il est solide, il s’en remettra. » Elle bailla à nouveau et ne prit même pas la peine d’être polie en mettant sa main devant sa bouche. « Désolé, c’pas la fête niveau sommeil. Mais c’est pas tout je suppose vu que ça, j’ai comme l’impression que c’était la bonne nouvelle avec une tuile conditionnelle. Manque la mauvaise donc... il a fait quoi avant que tu le choppes ? »

-pietra & ivory-

Yesterday's a million miles away

Ivoy avait vu la folie dans les yeux de Seth, elle l’avait vue à l’œuvre, elle l’avait vécue et elle avait eut du mal à y croire. Rien d’étonnant à ce que Pietra n’ait pas vraiment pris l’avertissement au pied de la lettre. Personne ne pouvait imaginer ce à quoi Seth ressemblait dans cet état, à moins de lui avoir fait face. Elle était loin d’imaginer que leur ami commun avait eu le temps de croiser Bob et de tuer Shaun. En vérité, elle n’imaginait rien du tout ces temps-ci, déjà bien occupée par la réalité, ses quelques hallucinations dues au manque de sommeil et ses cauchemars. Elle avait des sujets de peinture pour les cinq prochaines années, au bas mot. Comme elle venait de le dire, il ne restait plus qu’à attendre, voir si ce qui se passait dans le crâne de Seth se dissipait tout comme elle attendait que les siens arrivent à leur terme. Vivre comme ça, elle ne le pourrait pas, l’inattention quasiment constante dont elle faisait preuve maintenant finirait par la tuer si le vaccin était permanent, ce qu’il n’était pas, fort heureusement, c’était tout ce qu’elle avait réussi à apprendre de la part de Charlie. Pietra avait fait ce qu’il fallait pour sauver sa peau et arrêter Seth, il n’aurait pas hésité à tenter de la blesser elle aussi pour peu qu’elle l’ait contrarié. Maintenant, il ne leur restait plus qu’à attendre que ça passe. Elle laissa son amie lui piquer son joint et le récupéra ensuite. Elle n’avait aucune raison de ne pas l’en faire profiter. Elle partageait toujours le contenu de son frigo, de son bar et de sa fumette, y avait pas de raisons.
Patiente, Ivory attendit que la mauvaise nouvelle tombe et elle fronça les sourcils. Qui Seth avait-il dont tué pour que Pietra s’inquiète à ce point de sa réaction. Certes, elle était un peu guimauve, trop compatissante par moment mais, elle se fichait pas mal d’apprendre la mort d’un inconnu. C’était dommage, ça lui retournait l’estomac mais, elle ne se morfondait pas, alors qui ? Qui était mort ? Elle fut d’autant plus intriguée quand elle la vit fouiller dans son sac pour en ressortir un portefeuille. L’objet ne lui disait rien mais quand elle l’ouvrit et qu’elle avisa le permis de conduire, elle resta muette et interdite un moment, cherchant quelque chose à ressentir, quelque chose à quoi elle pouvait se raccrocher. Pour sa plus grande honte, elle avait éprouvé un soulagement instantané, pas de peine, pas de tristesse, du soulagement. Le pincement au cœur qu’elle ressentait pour le moment, c’était de la culpabilité à cause de ça et rien d’autre. Jamais elle n’avait été aussi froide et indifférente. Elle commençait à peine à jauger les dégâts qu’avait pu causer son père sur elle avec cette annonce. Pinçant les lèvres, elle posa le portefeuille sur la table et inspira à fond. Tout ce qu’elle ressentait, c’était du soulagement et de la colère. Non pas parce que son père était mort mais parce que ça pèserait indéniablement sur la conscience de Seth quand il redeviendrait lui-même, s’il le redevenait.

- « Moi pas... Mon père était un chasseur, me considérait comme une erreur et ne veillait sur moi qu’à cause d’une culpabilité mal placée dans l’espoir que j’entende raison un jour et que je me débarrasse de cette petite chose non-avouable que j’ai en plus. Il était fier de m’avoir forgé tout en patientant que quelqu’un me tue à sa place. J’étais un problème pour lui, rien de plus. Ce qui me désolé, c’est que Seth soit obligé de vivre avec ça. »

Jamais elle n’avait réellement parlé de sa famille si ce n’était qu’il était très clair qu’elle ne voulait pas en entendre parler parce qu’ils avaient été beaucoup trop loin. Seul Seth connaissait véritablement quelques détails qu’elle se serait bien passée de lui confier tant il avait été chamboulé par ce qu’elle lui avait révélé. Alors oui, elle était navrée pour Seth, pour ce qu’il avait fait mais pas pour les raisons qu’on croyait.

- « Est-ce que... » Elle hésita, bien consciente qu’elle allait passer pour quelqu’un d’horrible en demandant ça. « Est-ce que Seth risque quelque chose ? J’ai aucune envie qu’on remonte jusqu’à lui, il en a assez vu, il mérite pas ça, surtout s’il s’en sort. » Elle soupira et regarda Pietra. « Tu dois me trouver horrible... »

Elle aurait voulu être touchée normalement, comme elle l’avait été en apprenant d’autres mauvaises nouvelles qui n’avait pas été des morts mais, elle ne l’était pas et la façon dont la jugeait ses proches, en revanche, lui importait. Tout ce qu’elle espérait, c’est que Pietra ne la juge pas trop durement.

yesterday's a million years away

Ivory Weston & Pietra Nelson-Byrd

Pietra n’en savait pas assez sur la relation entre les deux Weston pour prédire comment Ivory réagirait à la nouvelle. Elle ne lui avait jamais parue très proche de son père, n’en parlant que peu et ce de façon assez… distante. De ce fait, elle ne s’imaginait pas facilement une relation fusionnelle, dont la destruction par Seth causerait un éboulement dans la vie de son amie. Mais elle avait peut-être entièrement tort, et ne souhaitait pas confondre réserve avec indifférence : elle-même avait été très proche de sa grand-mère et pourtant n’en parlait qu’à peine, souffrant trop de l’idée que celle-ci la croit sans doute morte depuis deux ans. Peut-être l’autre brune préférait-elle également se taire sur une relation perdue qui lui rappelait trop de bonheurs désormais balayés par les évènements des dernières années. Pietra préférait ne pas se prononcer sur le sujet, et attendait patiemment, observant avec attention le visage d’Ivory. Car même si elle et son père n’avaient pas été l’exemple type de l’amour filial, sa mort n’en serait pas moins un choc – et surtout une mort causée par l’un de leurs plus proches amis. Seth avait-il seulement reconnu le sieur Weston ? Avait-il été porté par un élan de haine spécifique, ou s’était-il simplement agi d’un acte de folie supplémentaire, comme celui qui l’avait poussé à attaquer sa colocataire et partenaire de crime ? C’était des questions sans réponses qui tournaient vainement dans son esprit, et qu’elle aurait voulu faire taire avant d’apporter la nouvelle à Ivory. Cette dernière le poserait sûrement elle-même, et Pietra aurait voulu de tout cœur avoir des réponses à lui donner, ne pas la laisser dans le doute et l’incertitude qui la taraudaient depuis ce soir-là. Seulement la seule personne qui pourrait expliquer ce qui s’était passé, c’était Seth, Seth qui en cet instant délirait sûrement dans sa chambre du manoir Porter, sans la moindre conscience des dégâts qu’il avait causé.

La mutante observa son amie reposer le portefeuille sur la table sans trahir la moindre émotion intense. Elle avait l’air presque indifférente, et cela laissa Pietra perplexe. Heureusement, Ivory ouvrit rapidement la bouche pour s’expliquer : « Moi pas... Mon père était un chasseur, me considérait comme une erreur et ne veillait sur moi qu’à cause d’une culpabilité mal placée dans l’espoir que j’entende raison un jour et que je me débarrasse de cette petite chose non-avouable que j’ai en plus. » Les yeux verts de la jeune femme s’agrandirent d’horreur, et si Shaun Weston avait été devant elle à cet instant, il y aurait eues de bonnes chances qu’elle mette fin à ses jours elle-même. Elle ne pouvait même pas s’imaginer quelle avait été l’enfance de son amie, élevée par un homme alternant la haine pour les mutants et une culpabilité qu’il poussait sur elle dans l’espoir de la ‘corriger’, comme si cela pourrait mitiger sa propre inhumanité. Elle comprenait soudain pourquoi Ivory lui avait toujours si peu parlé de sa famille, et ne lui en voulait absolument pas : quoi de plus compréhensible, que de vouloir mettre de si mauvais souvenirs sous clé et ne plus avoir à y repenser ? Si l’idée même qu’un père puisse faire le minimum pour sa fille tout en attendant clairement sa mort aux mains d’un autre – trop lâche pour le faire lui-même, trop mauvais pour cacher son désir – la rendait furieuse, les émotions de la fille en question devaient être trop intenses et trop complexes pour qu’elle veuille les ressentir à chaque fois qu’on l’interrogeait sur sa famille. Instinctivement, la mutante passa son bras autour des épaules de son hôte, resserrant légèrement son étreinte quand cette dernière exprima sa compassion pour Seth. « Est-ce que... Est-ce que Seth risque quelque chose ? J’ai aucune envie qu’on remonte jusqu’à lui, il en a assez vu, il mérite pas ça, surtout s’il s’en sort. »

Ivory laissa s’échapper un soupir qui fendit le cœur de Pietra. « Tu dois me trouver horrible... » murmura-t-elle, révélant combien ce jugement, c’était elle qui le portait sur elle-même. « Oh, Ivy… » souffla la mutante, faisant basculer son amie contre elle pour l’enserrer pleinement de ses bras. Elle la relâcha au bout de quelques instants, consciente que la jeune femme était douée d’absorption de la matière, pas d’absorption de l’air sans ses poumons. Ses mains se glissèrent autour du visage d’Ivory, la forçant à se retrouver nez à nez avec son propre regard brillant. « Bien sûr que non, ma chérie. Jamais. Et surtout pas après ce que tu viens de me dire de ton père. » Elle tenta un sourire rassurant et retira ses mains avant de reprendre une gorgée de sa boisson. Reposant le verre, elle fit de son mieux pour rassurer la mutante quant au risque qu’encourait Seth. « Je les ai trouvés dans une petite ruelle, sans caméra de surveillance et sans témoins. Si un… collègue de travail n’avait pas reconnu Seth au moment où il s’engouffrait dans le passage, je n’aurai jamais pu les trouver, alors je doute que quelqu’un ait vu quoi que ce soit. » Bien sûr c’était toujours possible, mais dans les circonstances, Seth avait eu énormément de chance que son dernier meurtre ait eu lieu dans un endroit si peu public. « J’ai enterré ton père à la sortie de la ville, près de la rivière. Personne ne trouvera son corps… Mais je voulais que tu saches où il soit, même si te rendre sur sa tombe est trop dangereux. Si tu y vas ne serait-ce qu’une fois de trop, un passant un peu suspicieux suffirait à ameuter la police et mettre Seth dans de beaux draps. »

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Spoiler:

-pietra & ivory-

Yesterday's a million miles away

Pietra ne pouvait pas savoir à quel point Ivory était soulagée autant qu’elle s’en voulait d’éprouver ce soulagement. Avoir appris par Seth que son père était un chasseur accroc aux médocs était une chose, lui avoir fait face en était une autre. Aucun doute que c’était ce face à face qui avait achevé l’infime lien qu’il restait et elle était presque ravie de l’avoir eu. Elle savait qu’elle aurait dû éprouver du chagrin, mais ça n’était pas le cas.
Depuis un certain temps, Ivo était presque en paix avec tout ça, ayant fini par accepter de laisser au passé tout ce que les Weston et les Yates avaient pu lui faire vivre au nom d’une foi déformée et d’un idéal fanatique. Bien sûr qu’elle n’avait eu aucune adolescence digne de ce nom, poursuivie par un malaise persistant qu’elle était quelque chose de honteux. Evidemment qu’ils l’avaient traumatisée de telle sorte à ce qu’elle soit incapable de poser les yeux sur un gamin sans que d’autres souvenirs plus persistants et vicieux ne la poursuivent, bien au-delà d’un problème d’erreur de jeunesse et d’une éducation mal faite. Oui, tout ça continuerait de la poursuivre, mais quelque part, Seth venait de colmater une brèche et ça faisait un bien fou. Elle n’aurait plus à faire attention à lui. Des chasseurs, il y en avait des tas d’autres, mais celui-là, le pire de tous puisqu’elle avait partagé ses gênes et son sang, était mort.

Mais Pietra ne la trouvait pas affreuse d’être soulagée par la mort d’un membre de sa famille, elle semblait même comprendre. Elle ne la jugeait pas et c’était tout ce dont elle avait besoin pour le moment. Avec une facilité déconcertante, elle se laissa entraîner dans cette étreinte, décidemment, les gens étaient prompt à lui en donner en ce moment. Bob, maintenant Pietra… Bob restait le plus étonnant cela dit. Elle ne s’en remettait pas.
En attendant, tout ce qui comptait, c’était que Seth soit tranquille. Qu’il ne subisse pas les conséquences de cet acte. Aussi, savoir qu’il ne risquait rien, que personne n’avait rien vu, que rien ne pouvait l’incriminer, c’était inespéré. Ivo ne se rendrait certainement pas sur la tombe improvisée de son père, c’était une certitude. Shaun reposait loin de la ville, loin de la curiosité des hunters. Il avait une tombe, c’était déjà presque trop quand on savait que nombre de hunters n’avaient même pas ce geste pour les transmutants qu’ils abattaient.

- « Je ne compte pas y aller. C’est très bien comme ça. Autant qu’on pense qu’il a mis les voiles… Je passerais chez lui pour être certaine qu’il n’a rien laissé derrière lui. Ce ne serait même pas étonnant qu’il m’ait fait surveillé, ou même Seth. Je brûlerai ce que je trouverai. Comme ça, Seth ne risquera vraiment rien et personne ne se doutera qu’il est mort. »

Et puis si par la même occasion, elle pouvait détruire des choses concernant d’autres mutants, elle n’allait pas se gêner. Ivo n’était peut-être pas engagée, mais brûler des documents, ça ne coûtait pas grand-chose. Il ne manquerait plus que ses affaires terminent dans les mains d’autres chasseurs et ce serait la totale. Non, ça, c’était hors de question. Au moins, elle serait utile, un peu, pour couvrir son meilleur ami.

- « Si j’retrouve des armes, j’te les passerai. Au moins, ce sera utile à quelqu’un. »

Ivory en savait peu finalement, sur ce que faisait Pietra, mais elle savait une chose, elle aimait les armes. Et bien au moins, ça servirait à quelqu’un en qui elle avait confiance. Elle, il était hors de question qu’elle y touche. De toute façon, elle ne savait pas s’en servir et ne le voulait pas. Un bon coup de poing bien solide façon Ivo, quand on était presque pare-balle suivant la matière, c’était bien assez. Ces machins-là, c’était quasiment radioactif pour elle. S’il y en avait beaucoup, elle en refilerait à… peut-être pas à Seth. Il lui avait quand même tiré dessus et même si la confiance restait là parce qu’elle était consciente qu’il n’avait pas toute sa tête. Elle n’allait pas non plus l’armer elle-même. Pietra n’aurait qu’à faire ce qu’elle voulait de tout ça. Ivo était quasiment sûre qu’elle n’aurait aucun problème à leur trouver une utilité.