Quand avait-il reçu la lettre de Mary ? A vrai dire, Phil était tellement nerveux qu'il se souvenait à peine des mots précis que sa vieille amie avait employés. Il n'avait pas eu de nouvelles depuis quelques années pourtant. Il avait cependant compris qu'elle abritait quelques transmutants. Ceux dont les familles ne voulaient plus, qui avaient fugué ou qui fuyaient simplement les hunters. Elle avait semblait-il récupéré une gamine qui appartenait à une vieille famille de hunters. Et comme ces derniers devaient sans doute rechercher activement leur progéniture, l'adolescente n'était pas en sécurité. Malheureusement quand les hunters cherchaient quelqu'un, ils finissaient toujours par le débusquer.

Le plan était simple. Emmy allait emménager avec l’aristocrate en se faisant pour sa nièce fraîchement débarquée. Philip commençait de toute façon à trouver sa maison un peu vide. Elle venait tout droit de Californie, elle allait sans doute trouver le Kentuchy un peu... différent. Le vieil anglais avait préparé l'une des chambres d'ami. Il n'avait pas trouver la force de déplacer les affaires de Davis, même après plus d'un an de deuil.

La porte sonna. Phil était toujours aussi nerveux, mais il se précipita pour ouvrir l'entrée. La jeune fille était blonde, elle semblait frêle mais il y avait quelque chose dans son attitude qui présageait du contraire, quelque chose dans son regard qui trahissait une volonté de fer. Elle avait sans doute été élevée comme un chasseur, entraînée à être forte, sûre d'elle et implacable. Il se demandait quelle sensation était de passer du jour au lendemain de ce statut à celui de proie.

La surprise passée, il parvint à dessiner un sourire aimable et à reprendre ses manières toutes britanniques qui lui accordaient un certain succès dans ce trou perdu des Etats-Unis.

- Bonjour Emmy Vance. Sois la bienvenue chez moi. Je t'en prie, entre.

La demeure de Phil était relativement impressionnante et semblait, à travers l’œil du nouveau venu, servir de réserve à tous les bibelots artistiques que le directeur n'avait pas placés dans sa galerie. Il s'effaça pour laisser passer l’adolescente. Il n'avait aucune envie de la brusquer après que son existence fut changée aussi radicalement.

- Tu dois surement savoir que je m'appelle Philip Cavendish. Il va sans doute falloir m'appeler oncle histoire que notre histoire, bien que peu crédible, ait un peu de sens. Est-ce que tu as fait bon voyage ? Tu as sans doute faim...

Pour le moment, Philip guettait sa nouvelle colocataire comme un chat en observe un autre sur son territoire. Avec un mélange de curiosité, de méfiance et de bienveillance face au chaton perdu.

Philip pensa pou un temps qu'Emmy était un peu intimidée, voire mal-à-l'aise. C'était compréhensible. Le voyage, le changement, la nouveauté, la séparation avec sa famille étaient surement des évènements qui avaient un peu troublé la jeune fille. Le vieil aristocrate se demandait comment il pouvait faire en sorte qu'elle se sente un peu en sécurité.

Avait-elle seulement des raisons de penser qu'elle serait en sécurité ? Il y avait un certain nombre de hunters en ville, des hunters parfois issus de familles anciennes, des chasseurs déterminés et impitoyables qui savaient repérer des mutants parfois aisément. David était mort il y a un an à peine. Emmy irait au lycée de la ville, devrait sortir, s'exposer. Il avait cru comprendre que son pouvoir n'était pas remarquable au premier coup d’œil, qu'il pouvait passer pour une certaine aptitude naturelle. Les capacités de David aussi, mais cela n'avait pas empêchè son agression et son décès.

Elle voulait manger. Comment nourrissait-on les adolescents déjà ? Il avait beau avoir élevé un enfant, David n'avait jamais vraiment été adolescent. Il avait toujours été un petit adulte. Surtout après la mort de sa mère. Il n'était pas certain d'avoir quoi que ce soit... A moins que la crème glacée Ben&Jerry's rescapée de son enfermement forcé lorsque les hunters s'étaient un peu agité dernièrement fasse l'affaire. Les enfants aimaient les glaces normalement, non ? Tout en s'affairant, il tenta de continuer à alimenter la conversation devant Emmy qui restait plutôt laconique.

- Mary n'a pas été très claire à ce sujet. En quoi consistent tes pouvoirs exactement ? Elle m'a simplement écrit que ce n'était pas aussi explosif qu'un pyrokinésiste ou aussi banal qu'un télépathe...

Il posa le pot de glace sur la table de la cuisine, non loin de la jeune fille, scrutant son visage avec intérêt pour y déceler ses premières impressions.

-J'espère que cela te convient, fil-il avec une tentative d'afficher un visage bienveillant. J'imagine qu'ensuite tu voudras que je te montre ta nouvelle chambre ?

Philip se demanda fugitivement si la décoration allait lui plaire, mais il commençait sérieusement à penser qu'il s'inquiétait un peu trop pour des broutilles.

Emmy elle-même avait un peu de mal à expliquer en quoi consistaient ses capacités. Elles étaient sans doute récentes. Certains prenaient conscience de leurs dons à l’adolescence. Ou bien il n’y avait de nom particulier pour ce qu’elle savait faire. Il devenait alors extrêmement complexe de visualiser exactement sa mutation.

-Je ne pense pas avoir déjà croisé qui que soit avec un tel pouvoir. Au moins ce n’est pas trop spectaculaire et plutôt facile à cacher, du moins quand l’on n’en fait pas, trop n’est-ce-pas ?

Être la meilleure en cours de sport était une chose, mais il était toujours possible d’attirer l’attention des curieux, surtout depuis qu’une partie de la ville était tombée dans la paranoïa et cherchait à trouver des mutants un peu partout.

Elle semblait trouver la glace à son goût, ce qui satisfit Philip. Il avait au moins marqué un bon point. Emmy avait l’air sage, pour le moment. Mais il se disait que ce n’était que des apparences. Il n’avait pas été en contact avec ces créatures étranges qu’étaient les adolescents, mais il avait des vagues souvenirs des sautes d’humeur de David, ou plus lointain d’avoir eu à supporter ses frères et sœurs. Mais il aurait le temps de penser à veiller à la sécurité de sa jeune protégée le temps venu.

- Il doit sembler étrange d’avoir une si grande maison alors qu’il était seul, admit-il. Il y a déjà longtemps j’y vivais avec ma femme et mon fils, mais ils sont morts.

Voilà qui devait sonner de manière bien tragique, mais il avait fait le deuil de sa femme depuis longtemps et les blessures de la mort de David commençaient doucement à cicatriser. Il avait des projets qu’il était prêt à accomplir et n’avait plus le temps de s’enfoncer dans les réminiscences.

- Dis-toi qu’au moins tu auras de la place. Il y a de nombreuses chambres. Tu auras l’une de celles qui sert habituellement de chambre d’amis, bien que je n’aie pas beaucoup d’amis à y mettre. Tu pourras bien sûr la décorer comme tu le désires… Veux-tu savoir autre chose ?