Le bar est quasiment désert en ce mercredi soir, et Adam ne peut que se réjouir de ce manque d’affluence. Non pas qu’il préfère rester derrière le comptoir à se tourner les pouces, loin de là, mais entre sa blessure à l’abdomen qui n’a pas encore eu le temps de cicatriser et les effets de la perte de sang, Adam est bien content de pouvoir prendre de plus nombreuses pauses durant la soirée.

Le bar est tout ce qu’il y a de plus classique, un endroit comme il en existe des milliers d’autres aux Etats-Unis. Mais le patron accepte de payer les quelques heures de travail du jeune homme en espèce, sans jamais poser de questions – un bon plan pour Adam qui se veut invisible dans la petite ville de Radcliff. Le gars a sans doute l’habitude de payer les mutants au noir (Adam est certain qu’il ne l’a pas cru lorsqu’il a assuré ne pas en être un), chose explicable avec la haine anti-mutante qui se fait de plus en plus présente avec chaque jour qui passe. Se faire de l’argent facile dans l’anonymat le plus total, le plan parfait pour le jeune Manning.

S’il continue comme cela pour une semaine ou deux, il aura assez d’argent pour deux billets d’avion et bye bye les States.

Bon débarras, surtout.

Mais en attendant, il doit toujours servir les verres pour les nettoyer ensuite. Une tâche assez simple en somme, tant que vous ne souffrez pas le martyr à chaque fois que vous respirez et que vous n’avez pas l’impression que vous allez tomber dans les vapes dans les secondes qui viennent. Surtout quand une Hunter vous surveille du coin de l’œil toute la soirée, et que la moindre trace de faiblesse peut donc être remarquée.

Il n’a pas fallu plus de trois secondes à Adam pour sauter aux conclusions nécessaires lorsque le patron a fait les présentations avec les autres serveurs. Callahan est un nom assez connu dans le milieu, après tout, l’une de ces familles de Hunters fanatiques existant depuis les premières preuves d’existence des mutants. Et avec le lavage de cerveau obligatoire par lequel tous les gosses passent dans ce genre d’environnement, Adam n’a aucun doute que la brunette, aussi charmante et souriante soit-elle avec les clients, est capable de tuer un mec trois fois plus gros qu’elle uniquement avec son petit doigt.

Mieux vaut rester sur ses gardes, donc.

Surtout qu’Adam n’a toujours aucune idée de ce qui se dit sur lui en ce moment – a-t-il déjà été catalogué comme traitre ? Veut-on déjà sa mort ? Est-il toujours traqué à l’heure actuelle ? « Brun, grand, peau mate » est assez vague comme définition, mais les putains de tâches de rousseur qu’il se tape sur tout le visage sont plus qu’assez comme marque distinctive. Un traitre et une mutante pour le prix d’un, la chasse du siècle.

Alors il ne peut s’empêcher de surveiller la fille – Salomé, si sa mémoire ne lui fait pas défaut – toute la soirée, restant sur ses gardes alors qu’il sert whiskeys et autres verres de bière. Un accident est si vite arrivé, et n’importe quel objet peut être transformé en arme blanche de ce côté du comptoir. Il préfèrerait ne pas avoir à expliquer à Tris pourquoi il s’est fait poignardé pour la seconde fois en quelques jours, après tout.

Heureusement pour lui, les quelques heures se passent dans un calme assez relatif, les deux serveurs s’adressant à peine la parole alors qu’ils s’occupent chacun de leur coin du bar. Les clients ne se font pas prier lorsque vient l’heure de fermer, et c’est avec un soupir qu’Adam ferme la porte d’entrée à clé et retourne la pancarte annonçant « ouvert ».  Ses yeux ne quittent pas Salomé une seule seconde alors qu’il retourne derrière le bar, se baissant pour attraper deux verres et une bouteille au hasard – vodka, apparemment.

« Un dernier verre avant de rentrer chez soi ? » il lui demande, sourire en coin de rigueur. « On l’a bien mérité, je trouve. »

L’alcool a toujours délié les langues, et il réussira sans nul doute à soutirer des informations de la jeune Hunter sous l’excuse d’une curiosité morbide et excessive. Il n’a pas besoin de tous les détails et rumeurs de la ville, simplement de savoir si Tris est en danger à cause de lui – l’ironie serait de taille.

A la voir tournoyer entre les tables avec une aisance irréprochable, un sourire charmant collé aux lèvres et une lueur malicieuse dans le regard qui incitait les clients à reprendre un verre, personne n’aurait été capable de dire ce qui se tramait réellement derrière ses yeux verts.  Entre deux commandes et deux allers retours au comptoir, son regard se fermait un quart de seconde, se posant sur le nouveau serveur qui était sorti de nulle part. Avant de repartir servir les alcooliques notoires qui demeuraient fidèles au poste après une certaine heure. Le jeune homme dégageait quelque chose d’étrange. Salomé avait d’ailleurs capté du coin de l’œil son regard posé sur elle, et avait commencé à réfléchir, tout en griffonnant distraitement les commandes sur son carnet.

Lorsqu’elle était arrivée, quelques heures plus tôt, les lieux étaient pratiquement déserts. C’est à l’arrière du bar qu’elle avait trouvé le patron en compagnie d’un homme qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Une tête inconnue au bataillon de la population de Radcliff. En y aillant passé toute sa vie, les visages devenaient familiers, les inconnus devenaient des connaissances. Tâche assez aisée que de reconnaître un étranger lorsque l’on en croisait un. Perplexe, Salomé avait attendu que le patron lui explique de qui il s’agissait, et pourquoi il se trouvait là. Le brun état donc le nouveau serveur, engagé pour cause de baisse d’effectif, et les formalités habituelles avaient été échangées. Au premier abord, la jeune femme ne lui avait pas réellement prêté attention, et s’était contentée d’une vague présentation avant de filer se préparer. Kylan n’était pas de service ce soir, et la soirée s’annonçait des plus monotones.  Elle s’était déjà rendue au boulot en traînant les pieds, et n’attendait qu’une chose : rentrer chez elle le plus rapidement possible. Et puis, au fur et à mesure qu’elle croisait le dénommé Adam, un détail avait attiré son attention. Peut-être parce que d’emblée, elle avait perçu un certain malaise entre eux. Sans réellement savoir si elle se faisait des idées, et que le manque de sommeil la faisait sérieusement divaguer. Il avait une manière de se tenir et de se déplacer qui ne laissa pas de doute à Salomé, une fois qu’elle eut pris le temps de l’observer un peu plus en détail.  Il semblait comme entravé dans ses mouvements, à se déplacer avec la raideur d’un manche à balai. Blessé, sans aucun doute. Salomé s’était à quelques reprises retrouvée dans sa situation, suite à de mauvaises chutes ou de coups vicieux portés par son frère lors de ses entraînements. Condamnée à souffrir en silence sur son lieu de travail, mais se révélant plus lente que d’ordinaire. C’était sûrement cet élément qui avait enfin mit la puce à l’oreille de Salomé.

Son père l’avait contactée, quelques jours auparavant, et Matthias en avait fait de même à quelques heures d’intervalle. Une histoire de hunters, qu’elle n’avait écouté que d’une oreille inattentive, tout en marmonnant des « oui » et des « bien sûr » dans le combiné du téléphone.  Ils lui avaient demandé de garder l’œil ouvert au bar, de prêter attention à quiconque passerait la porte battante pour la première fois. Qu’elle les prévienne si elle remarquait un inconnu parmi les clients, quelqu’un d’assez jeune, peut-être un peu plus vieux qu’elle. Elle avait plus ou moins décroché lorsque son aîné avait entrepris de lui dresser une description physique de l’intrus, et s’en mordait désormais les doigts. C’était toujours le même refrain, lorsque la rumeur d’un traître dans leurs rangs commençait à les gonfler de colère et de méfiance. Parce qu’ils étaient tous trop impliqués, et n’avaient pas tous les méthodes fines que son père. Certains risquaient très gros si leurs pratiques se voyaient démasquées. Il fallait donc éliminer toute menace de se voir exposé. Évidemment, ceci ne serait peut-être plus un problème très longtemps à Radcliff, le maire semblant de plus en plus dévoiler au grand jour son véritable jeu de pro-hunter. N’empêche qu’un traître restait un traître, et une simple rumeur avait le don de mettre tout le monde en ébullition. Peut-être la brune aurait-elle mené une enquête sans relâche, si elle n’avait pas pris le recul nécessaire à sa propre protection, par rapport à sa famille. D’un autre côté, détourner leur attention sur une cible telle qu’Adam aurait pu éloigner leurs regards d’elle, et la maintenir libre et en dehors de leur ligne de mire.


Lorsque le dernier client passa la porte du bar, Salomé ne savait toujours pas sur quelle voie se diriger. Alors, lorsqu’elle aperçut Adam s’emparer de deux verres, elle ne put réprimer un sourire. Il lui simplifiait la tâche. S’il buvait assez, peut-être pourrait-elle le questionner à sa guise tandis qu’il baisserait sa garde, à mesure que l’alcool emplirait son sang. « Je vois que l’on prend vite ses aises. » Plutôt une simple constatation qu’un reproche, même si son ton se révélait taquin. Son plus joli sourire peint sur ses lèvres pleines, Salomé vint prendre place sur l’un des hauts tabourets qui se tenaient de l’autre côté du comptoir, prenant place exactement en face d’Adam. Délicatement, elle s’empara du verre qu’il venait de lui servir, tout en surveillant qu’il remplissait le sien avec autant de générosité. « Et bien, à la tienne Adam, et à ton premier jour dans ce merveilleux bar. » D’un geste cérémonieux malgré son ton ironique, Salomé leva son verre à l’attention d’Adam, sans quitter son regard une seule seconde, un sourire fermement installé au coin de ses lèvres, tandis qu’elle buvait une première gorgée cul sec. Elle ne savait pas ce qu’il attendait d’elle, et se révélait extrêmement vigilante, derrière ses airs détachés. Si elle n’était pas entièrement persuadée qu’il s’agissait du traître en question, elle ne savait de toute manière pas qui il était, et ce dont il était capable. Et si elle se laissait aller à boire d’une traite le verre qu’il venait de lui servir, c’était qu’elle était bien consciente de sa capacité à tenir l’alcool. Les nombreuses beuveries après leurs services avaient largement diminué l’impact que cela pouvait avoir sur elle au départ. Et puis, Salomé espérait bien lui donner l’illusion d’une insouciance totale. La brune reposa son verre à moitié vide sur le comptoir, jaugeant le jeune homme du regard. « Je ne t’ai jamais vu auparavant, tu es nouveau en ville ? » Elle lui épargna l'habituel "Si je t'avais déjà croisé, je m'en rappellerais" à deux balles, ne comptant pas s'abaisser à ce genre de technique. Elle le manipulerait en douceur, d'après elle. Elle inclina légèrement la tête sur le côté, tout en venant discipliner une mèche brune derrière son oreille, attendant sa réponse.

La chasse, Adam apprit avec le temps, n’est pas si différente de l’art de la séduction. Si la mise en pratique est différente, les bases quant à elles restent les mêmes : connaître sa proie pour apprendre ses faiblesses, et attaquer le point faible au moment où elle est le plus vulnérable et où elle s’y attend le moins. Cela marchait déjà avec les fleurs et chocolats lorsqu’il avait dix-sept ans, et cela n’a pas tant changé que cela avec le temps, même si la chasse se faisait moins enjouée et plus mortelle.

Comparer chasser des mutants à mettre une fille dans son lit. Et on se demande encore pourquoi Adam est célibataire.

N’empêche que cela lui est bien pratique maintenant qu’il doit allier instinct de survie et séduction. Il n’a jamais mis en doute ses qualités de séducteur – sa mère disait toujours qu’il est ce que l’on appelle une belle gueule, et son père riait des cœurs qu’il pouvait briser en un seul sourire lorsqu’il était adolescent. Mais Adam sait qu’il va lui falloir bien plus que son sourire parfait et ses lignes toutes trouvées pour venir à bout de la jolie brune en face de lui. Qu’elle finisse dans son lit n’est qu’un détail, que la cerise sur le gâteau. C’est les informations qu’elle a dont Adam a besoin, et c’est à grand renforts de subtilité qu’il va devoir les obtenir. Un défi, certes, mais le jeune homme n’a jamais aimé la simplicité.

(Et savoir Tris en danger est toute la motivation qu’il lui faut pour mener à bien cette opération. Il ne peut se permettre de la mettre en danger par sa simple présence en ville, et ferait n’importe quoi pour assurer sa sécurité. Même flirter avec la fille du parrain de la mafia anti-mutante, apparemment.)

Adam se contente donc d’un large haussement d’épaules et d’un sourire amusé alors que Salomé lui reproche de se croire un peu trop chez lui. Le patron a beau lui avoir interdit de boire pendant son service, pour ne pas finir avec un barman complètement bourré, cela va de soi, il n’a rien dit quant à ce qu’ils sont autorisés ou non de faire une fois le bar fermé. Tant qu’ils ne vident pas cinq bouteilles, cela ne peut pas vraiment faire de mal, après tout. Alors il leur sert deux verres bien généreux, large sourire aux lèvres gardant tout de même un œil sur la belle au passage.

Adam ne peut s’empêcher de remarquer la démarche féline de Salomé, fruit d’années d’entrainement au sein d’une bande de hunters. Ce fut ce qui l’impressionna en premier lorsqu’il rejoint leurs rangs deux années plus tôt : la souplesse et fluidité des mouvements, l’habilité de se rendre invisible et silencieux en toutes circonstances. Bien sur, il y a toujours les durs à cuir et les tas de muscles, qui se fichent bien qu’on les remarque ou non tant qu’ils arrivent à faire leur boulot. Mais certains, et surtout les femmes, ont des qualités de ninjas impressionnantes qui le laisseraient presque envieux jusqu’à ce qu’il se souvienne qu’ils utilisent cela pour tuer des mutants innocents et effrayés. Tout de suite moins cool.

Le sourire qu’elle lui retourne, alors qu’elle lève son verre, semble parfaitement calculé et délibéré, et Adam se demande l’espace d’un instant si elle sait qui il est. Non, sans doute pas, ou il serait déjà mort à l’heure qu’il est. Mais elle doit au moins se poser quelques questions, ce qui ne peut que le mettre sur ses gardes. Il ne peut donc pas se permettre d’imaginer qu’elle agit en toute innocence, et se doit de faire attention à ses moindres faits et gestes. S’ils se lancent dans un jeu où le premier faisant cracher le morceau à l’autre est le gagnant, alors la soirée s’annonce des plus intéressantes – des plus dangereuses, également.

« Merci pour cette pointe de sarcasme, » ne peut-il s’empêcher de répondre avec un rire dans la voix alors qu’il trinque son verre contre celui de Salomé avant d’en avaler une gorgé. Le liquide lui brûle délicieusement la gorge. S’il y a bien une chose que ses quelques années en tant que pompier lui ont apprit, outre l’instinct de survie exacerbé, c’est de tenir parfaitement son alcool. Trop de soirées de beuverie avec les collègues de la caserne lui ont donné un foie indestructible, ce qui va sans doute se montrer pratique ce soir. La brune semble avoir un caractère bien trempé et sait tenir l’alcool également, vu la façon dont elle a d’avaler sa boisson sans une once d’hésitation. Adam ne peut s’empêcher de sourire.

Elle est d’ailleurs la première à attaquer, sautant pour la jugulaire sans retenue, et Adam prend le temps de boire une autre gorgée, pesant ses mots avec soin, avant de répondre. « De passage seulement. Je devrais être reparti d’ici une à deux semaines, tout au plus. » Pas même un mensonge, vu qu’il a bien l’attention de foutre le camp d’ici aussi vite que possible. Rester dans une ville bourrée de hunters de l’intéresse pas outre mesure, surtout pas avec le maire que Radcliff se tape. 2014 et l’on arrive à élire un mec ouvertement anti-mutants, de la folie à l’état pur.

Mais il se doute bien que c’est l’effet petite ville avant tout. Les villages paumés ont toujours été connus pour être les plus racistes et discriminatoires après tout, alors cette attitude anti-mutante n’a rien de si surprenant que cela. « Radcliff est le genre d’endroit où les étrangers sont très vite remarqués et pointés du doigt, je me trompe ? » La banlieue chic dans laquelle il a grandi n’était pas franchement mieux, avec toutes les femmes au foyer se regardant en chien de Fayence par dessus leurs buissons bien taillés, murmurant les rumeurs du jour autour d’un thé et détruisant des réputations durant les soirées du club de lecture. Il ne peut qu’imaginer le même genre d’ambiance dans une petite ville où l’on né et où l’on meurt, où l’on va à l’école avec les mêmes personnes de la maternelle au lycée. Cette Salomé a sans nul doute été élevée avec son petit clan de hunters, éduquée pour continuer dans la lignée de ses parents, tout comme le feront ses enfants après elle. Effrayant, si Adam est honnête avec lui-même, même pour des meutriers.

D'ordinaire, Salomé avait toujours été observatrice, ne pouvant s'empêcher d'analyser ses interlocuteurs à travers leur langage corporel, et essentiellement grâce au regard qu'ils lui renvoyaient. Adam n'était pas du genre à détourner les yeux, visiblement. Une qualité qu'elle reconnaissait à sa juste valeur, ayant en horreur quiconque parlait sans lui adresser un regard droit. Peut être parce qu'elle associait ce genre de comportement à une attitude faible, ou lâche. Ne disait-on pas que les yeux étaient le miroir de l'âme ? En conclusion, Salomé avait pris la fâcheuse habitude de coller immédiatement l'étiquette "menteur" sur le front de ces gens là. Alors oui, Adam la regardait. Mais cela ne suffisait pas à ce qu'elle baisse sa garde pour autant. En revanche, cette attitude lui permettrait peut être de discerner une incohérence entre les paroles qu'il prononcerait, et ce que ses prunelles claires lui renverraient. Curieux, pour une télépathe, de continuer à chercher les non-dits dans le comportement physique d'autrui, là où elle aurait pu se glisser sans remords aucun dans son esprit, y dénichant une réponse en l'espace d'une seconde. Mais jamais, au grand jamais, Salomé n'utiliserait cette abomination volontairement, sans quoi aurait-elle dû admettre qu'elle n'était plus simplement humaine, mais bel et bien une de ces dégénérés que sa famille lui avait appris à chasser. Une ordure de la même espèce que le responsable de l'accident de son frère. Vaudrait-elle mieux que lui alors ? Ne mériterait-elle pas également que quelqu'un s'occupe de son cas comme elle s'était occupé du sien ? Loin de la rendre plus tolérante, se découvrir mutante l'avait conduite à se haïr, à ne plus se sentir maîtresse d'elle même. D'où les nombreux cadavres de bouteille entassées dans son appartement. Là n'était pourtant pas la solution, mais ça aidait tout du moins. Salomé avait beau pertinemment savoir que les phrases étrangères qui se baladaient dans sa tête appartenaient à d'autres personnes, elle n'était pas prête à l'accepter pour autant. Une manière pour elle d'enfermer ce problème loin d'elle, et de cesser de trembler dès qu'elle recevait un coup de téléphone de son père.

La brune écouta Adam lui répondre qu'il n'était que de passage, ce qui déclencha un signal d'alarme dans son esprit. De passage, et ayant pourtant assez besoin d'argent pour décrocher un poste de barman dans le bar le mieux payé de la ville. Salomé maintint son expression neutre, mais son cœur s'agita dans sa cage thoracique. Elle ne pouvait réprimer les instincts de chasseur, et se lancer sur une piste mettait tous ses sens en éveil. L'adrénaline commençait à se répandre dans son système nerveux, tandis que mentalement se jouait un puzzle dont les deux premières pièces venaient de s'assembler.  « Et bien, on a du mal à garder un barman convenable plus de quelques semaines, on dirait. » Salomé lui adressa un sourire, avant de porter son verre à sa bouche, prenant son temps elle aussi pour lui répondre. Depuis le départ de l'ancien barman, Braam et de Catherine, serveuse et bonne amie, l'effectif des anciens avait largement chuté, et les employés ne semblaient plus que de passage. Ce n'était pas le genre d'événement qui donnait envie de venir travailler. Après cette première réponse détachée, la brune reposa son verre tout en observant le niveau de celui d'Adam qui descendait rapidement aussi. « Tu voyages beaucoup ? » La question se glissa naturellement dans la conversation, et c'était sans nul doute celle que Salomé aurait ensuite posé distraitement à n'importe qui. Seulement là, elle prêterait une oreille plus attentive à sa réponse.

La question que posa Adam par la suite fit sourire Salomé, bien qu'elle ne sut dire exactement s'il s'agissait d'une reproche direct ou d'une généralité. C'était même exactement le type de question qui la conduisait à se braquer en temps normal, mais ce n'était clairement pas le moment de se montrer froide. D'un geste habile, la brune s'empara de la bouteille, remplissant à nouveau leurs deux verres à quantité égale. « Remarqués, ça va s'en dire. Tout le monde se connaît, par ici. Une chose est sûre, les nouveaux arrivants ne passent pas inaperçus très longtemps. » Son ton était léger, mais si Adam se cachait véritablement à Radcliff, elle ne doutait pas de l'effet que pourrait lui faire sa dernière remarque. Le but de Salomé n'était pourtant pas de le mettre mal à l'aise ou de lui faire peur. Simplement de le déstabiliser un peu pour s'en faire son opinion. « Pour ma part, lorsque l'on passe la majeure partie de son temps à faire le service ici, un nouveau barman est tout de suite plus intéressant qu'une pile de verres sales. » Justifiant de cette manière le probable intérêt qu'elle lui porterait derrière les questions à venir, Salomé but une nouvelle gorgée de vodka. Sans doute aurait-elle pu se contenter de lui faire la conversation d'une manière des plus banales, mais elle en était incapable. Chaque phrase était calculée, et aussi charmant soit-il, discuter avec lui de manière anodine était une perte de temps. Elle avait des soupçons, et seule leur vérification pourrait la contenter. C'était un jeu qui finissait par lui plaire, bien plus intriguant qu'une chasse pure et dure. Il fallait également avouer qu'Adam dégageait quelque chose, quelque chose de magnétique qui aurait sans doute capté l'attention de Salomé dans tous les cas. La jeune femme ne se laissait pas aller à partager un verre avec n'importe quel serveur fraîchement débarqué, non, sa compagnie se méritait. Elle avait toujours cultivé ses airs inaccessibles, puisque c'était bien ce qu'elle était. Lorsque l'on venait d'une famille de hunter de cette envergure, l'on ne se mélangeait pas à n'importe qui. Et puis, Matthias surveillait bien trop ses fréquentations pour qu'elle n'ait pas gardé le contrôle de chacune de ses relations.

Chassant ces pensées, la brune cherchait sa prochaine question. Elle brûlait d'impatience de savoir, de comprendre. « C'est toujours étrange de voir des gens faire escale à Radcliff. Il n'y a pourtant rien d'exceptionnel dans le coin. » Simple remarque en apparence. La brune porta à nouveau le verre à ses lèvres, et laissa filer l'alcool dans sa bouche, curieuse d'étudier les réactions qu'Adam pourrait avoir.