i. êtes-vous originaire de radcliff ?
Comme j'ai déjà pu vous le dire, je ne suis pas originaire de Radcliff. Je suis née en Russie dans un petit village connu sous le nom de  Гжель (qui se lit Gzhel). J'y suis née et y ai vécu jusqu'à mes quatorze ans. Ma vie en Russie n'était pas très luxueuse mais j'étais plutôt heureuse dans le fond; je ne mangeais pas à ma faim mais j'étais entourée par mes amis et ma mère, cela suffisait amplement à mon bonheur. Je suis arrivée à Boston, où j'ai vécu deux ans avec mon frère qui m'a recueilli après la mort de ma mère, avant de venir habiter à Radcliff. Cela va donc faire environ sept ans que j'habite dans ce coin-là.

 ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
Durant ma courte existence, j'ai déjà en effet été confrontée à un Hunter. Il s'agissait de la compagne de mon frère ... Lorsqu'il m'a recueillie, je ne savais pas encore que j'étais dôtée d'un pouvoir, que j'étais différente des autres. Et lui non plus. Il ne savait pas non plus que sa compagne était une Hunter ... Les choses se sont donc compliquées lorsque mon pouvoir s'est éveillé et a attiré l'attention de cette Hunter. Les choses se sont mal terminées. Dans un élan de panique, je me suis mise à hurler dans l'appartement alors qu'elle pointait son arme sur moi et les vitres ont volé en éclats. Un éclat de verre est venu se loger dans sa gorge. Je n'ai jamais voulu que cela se termine ainsi, je vous l'assure.

 iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
 Je fais de mon mieux pour, justement,ne pas utiliser mon don. Suite à l'incident que j'ai pu citer précédemment, je ne me fais pas confiance pour l'utiliser correctement. Toutefois il m'est parfois difficile - voire même impossible - de ne pas l'utiliser lorsque je suis victime d'émotions trop intenses. C'est rare, mais ça m'arrive.

 iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
 Je ne sais pas trop quoi en penser ... Pour les humains cela doit avoir l'air rassurant, sécurisant. Mais moi, je ne suis pas certaine que ce soit la bonne méthode à adopter. J'ai l'impression d'être réprimée, punie pour ce que je suis alors que je n'ai rien demandé à personne. Je n'ai pas demandé à naître ainsi. Cependant je ne fais rien pour m'opposer à ces démarches ou me rebeller contre ce qui me semble être une terrible injustice. Je respecte le couvre-feu mais n'appellerai pas pour autant le numéro vert mis à la disposition de la population. De plus, les patrouilles de force spéciale me stressent; il y a quelque chose qui cloche chez eux, mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur quoi. Toutefois je ne vais pas aller leur chercher des poux dans la tête; je préfère profil bas, au vu de la situation actuelle.

Assise sur le bord du trottoir, j’attendais. La sonnerie strident de l’école primaire avait retentis il y avait de longues minutes – voire même des heures, je ne savais plus – de cela et Mama n’était toujours pas venue me chercher. Ce n’était pas dans ses habitudes pourtant. Mama était toujours là, à m’attendre non loin du portail de l’école, alors que je sortais de ma classe pour la rejoindre. Alors lorsque j’ai vu qu’elle n’était pas là aujourd’hui, je m’étais assise sur le trottoir pour l’attendre, le cœur emplit d’inquiétude. Lui était-il arrivé quelque chose de tragique ? M’avait-elle oublié ? Qu’allais-je bien pouvoir faire si elle ne venait pas me chercher ? Du haut de mes sept petites années, je ne survivrais pas bien longtemps avec le climat relativement hostile de la Russie. Je sentais la panique monter en moi sans pouvoir faire quoique ce soit pour garder le contrôle de moi-même. Un hoquet me secoua brusquement alors que les larmes se mirent à couler abondamment sur mes joues rosies par le froid. Bientôt, je fus réduite à une petite masse sanglotant sur les pavés. Je ne sus pas combien de temps je restai ainsi, à noyer ma peur d’être abandonnée sous un torrent de larmes salées, mais je m’en rendis presque malade ; j’avais la nausée à force d’avoir trop pleuré et sangloté. Mais fort heureusement, ce fut ce moment-là que Mama choisit pour apparaître ; elle était tout essoufflée, les joues rouges et son bonnet bien chaud semblait vouloir s’envoler de sa tête. Je crus bien que mon cœur allait exploser tellement je fus soulagée de sentir ses bras se nouer autour de ma frêle silhouette. Je m’empressai alors de l’enlacer, mes bras passant par-dessus ses épaules puis derrière sa nuque, alors qu’elle me soulevait du sol. « Je suis là … avait-elle murmuré au creux de mon oreille, Je suis désolée, Knopka, je suis là … » Le cœur battant encore sous le coup de l’émotion, je laissai Mama me porter sur quelques mètres avant de gigoter nerveusement pour lui faire comprendre que je voulais marcher. Elle me déposa doucement sur le sol glissant de la neige qui était tombée la veille et m’attrapa la main tendrement. Je réajustais mon sac d’école sur mon dos avant de me mettre en marche, suivant la direction qu’elle m’imposait. Je fronçai les sourcils, perplexe, en constatant que nous ne nous dirigions pas vers le petit appartement miteux que nous occupions depuis ma naissance. Je levai les yeux vers elle, inquiète. « Mama … Où est-ce qu’on va ? » Elle baissa alors les yeux vers moi et m’offrit un sourire qui se voulait rassurant. Mais moi je voyais bien qu’elle me cachait quelque chose, même si je ne savais pas quoi. Cette constatation eu le don de renforcer mes inquiétudes. Je sentis sa main effectuer une tendre pression sur la mienne, alors que nous approchions d’un petit quartier de Ghzel que je ne connaissais pas. Oh, le village n’était pas très grand cependant je préférais passer mon temps libre dans les pattes de Mama, ne la quittant que lorsque la situation l’exigeait. « C’est une surprise, Kseniya … Te souviens-tu de la date d’aujourd’hui ? » Je la regardai longuement tout en réfléchissant intensément. Nous étions le 28 novembre 1998 … J’allais lui répondre que je ne voyais pas le rapport entre le lieu où nous allions et la date d’aujourd’hui lorsque je réalisai soudainement ; c’était mon anniversaire, j’avais huit ans aujourd’hui. Un large sourire fendit alors mon visage et je me mis à sautiller à côté d’elle, impatiente de savoir ce qu’elle m’avait préparé. « Oh Mama ! Dis-moi s’il te plaît ! S’il te plaît Mama ! Où est-ce qu’on va ? »  Elle éclata d’un rire sonore alors que je continuais de m’exciter à ses côtés, contente de la réaction qu’elle obtenait de moi. Elle secoua la tête, faisant voler ses mèches blondes autour de son visage et s’approcha de la porte d’un restaurant. Je la regardai, étonnée ; nous n’avions jamais les moyens d’aller au restaurant, même si Mama enchaînait les petits boulots … Ils ne payaient pas grand-chose à part les factures, le loyer et le stricte nécessaire nos besoins en nourriture. Alors un restaurant … Inquiète, je n’osai pas rentrer tout de suite. Mama n’allait pas nous ruiner juste pour mon anniversaire, n’est-ce pas ? Elle m’encouragea en me poussant doucement à l’intérieur. Je rentrai dans le petit établissement, me dépêchant ensuite de me cacher derrière elle alors qu’un des serveurs venait nous accueillir. Nous ne tardâmes pas à nous installer à une petite table pour deux. Le serveur partit, Mama s’adressa à moi d’une voix douce. « Ne t’inquiète pas, Kseniya, je me suis arrangée pour faire des heures supplémentaires pour pouvoir t’offrir une belle soirée d’anniversaire. Alors profites-en, Knopka.» Ah … Ceci expliquait donc son retard de ce soir. Peu rancunière, je lui offris un sourire radieux avant de commander avec elle mon repas. Ce fut là une des meilleures soirées que j’avais passé en sa compagnie ; ce n’était pas un restaurant très luxueux, je n’eus pas de cadeaux ce soir-là mais je n’en étais pas le moins du monde déçue. Je savais que Mama travaillait beaucoup pour subvenir à tous mes besoins et que ce n’était pas facile tous les jours, je savais que Mama n’avait pas les moyens pour m’offrir le jouet de mes rêves – une superbe poupée blonde que je lorgnais dans la boutique non loin de l’école – et sa simple compagnie et cette petite sortie au restaurant me suffisaient amplement pour fêter mon huitième anniversaire.


Mama a toujours beaucoup travaillé pour subvenir à tous mes besoins. Et ma volonté de lui rendre la vie plus facile n’a jamais vraiment été suffisante ; la nourriture et les factures ne se sont jamais payées avec les meilleures intentions du monde, c’était bien connu. Néanmoins j’avais toujours mis un point d’honneur à ne jamais trop lui en demander, à me satisfaire de ce qu’elle pouvait me donner. Je n’en étais pas pour autant une enfant facile ; comme la majorité des enfants âgés de neuf/dix ans, l’école était pour moi une véritable corvée, même si Mama me répétait que si je voulais réussir dans la vie je me devais d’aller à l’école. D’autant plus que l’école dans laquelle je me rendais n’avait rien à voir avec l’établissement chaleureux et divertissant que je pouvais voir à travers les quelques séries diffusées sur notre petite télévision. Oh, certes j’y avais de nombreux copains et copines. J’avais une petite bande bien à moi et nous faisions les quatre cent coups tous ensemble. Cette petite bande était constituée de quatre garçons et de deux filles ; Nikolaï, Boris, Alexeï, Pietrov, Iéléna et moi. Nous étions les empêcheurs de tourner en rond de l’école. Et même du village. Nous étions tous nés ici, nos parents se connaissaient depuis des années et quand bien même ils nous infligeaient souvent des punitions et réprimandes groupées – tous les enfants et parents réunis – nous n’en avions que faire. Je voyais en le père de Boris – mon meilleur ami, même si je m’entendais bien avec tous les autres de la bande, et probablement mon premier amour, je n’en sais trop rien – une figure paternelle qui m’avait toujours manquée, mon géniteur ayant mis les voiles après avoir appris que Mama était enceinte. Il avait donc abandonné le droit de se faire appeler Papa à cet instant précis. Pour en revenir au père de Boris, il s’appelait Vladimir, mais insistait que nous l’appelions Vlad’. Il était le genre de père que tout le monde rêvait d’avoir ; attentionné, protecteur mais pas moins sévère, il savait quand imposer des limites à son fils et par extension ses camarades. Il ne faisait pas la différence entre Boris et moi, lorsque nous n’étions que tous les deux pour comploter nos prochaines farces, si lui ou moi faisait une bêtise sous le nez de Vlad’, nous nous devions d’en assumer les conséquences. C’est-à-dire soit être de corvée de vaisselle pour la soirée – Mama travaillant souvent tard le soir, il n’était pas rare que je squatte chez mon meilleur ami pour la nuit – soit être privé du moment de détente devant la télévision le soir, après le dîner. Mais Vlad’ était loin d’être idiot, aussi était-il quelque peu difficile de faire nos mauvais coups sous son toit. Boris et moi privilégions l’extérieur pour mettre en place nos plans bancals.
L’école était notre lieu favori pour cela. Avec toute ma petite bande, nous avons plus d’une fois défiée l’autorité de nos instituteurs, récoltant par la suite le résultat de leur colère. Mais je n’ai jamais regretté ce que nous avons pu leur faire subir. Nous n’étions que des enfants et n’avions jamais franchis la limite de l’irrespect ou de la méchanceté ; même si cela ne plaisait guère à nos professeurs, nous ne faisions que nous amuser. Mama n’était pas ravie par mon comportement, bien évidemment. Mais je ne pouvais trouver la force ou l’envie de m’en soucier ; nous avions une vie dure et j’avais besoin de quelque chose pour évacuer la pression quotidienne. C’était la seule méthode non-dangereuse et gratuite que j’avais trouvé. Puis ce n’était pas comme si elle avait vraiment la force de faire quoique ce soit d’autre que de me lancer un regard réprobateur lorsqu’elle rentrait tard le soir, après avoir appris mon dernier exploit en date ; Mama travaillait beaucoup trop, elle accumulait les petits boulots dans l’espoir de pouvoir économiser afin de me payer mes études futures. Loin d’être idiote, je savais qu’elle n’aurait jamais les moyens de m’envoyer à l’Université ou autre. De plus, je n’étais même pas certaine de vouloir faire de longues études … En même temps, lorsqu’on était âgé de dix ans, il était difficile de se projeter plus loin que le lendemain au petit-déjeuner. Un jour, je lui ai lancé une mauvaise plaisanterie. Je m’en veux encore aux jours d’aujourd’hui parce qu’à l’époque je ne savais pas à quel point elle pouvait être vraie. « Un jour, tu vas finir par te tuer au travail. » C’était ce que je lui avais dit, riant faiblement alors que je la voyais s’effondrer sur le matelas posé à même le sol qui lui faisait office de lit. Elle avait ris faiblement, abattue par la fatigue de sa longue journée de travail. J’avais alors douze ans. J’étais toujours aussi active avec ma petite bande, je n’étais pas mauvaise élève mais je n’étais pas première de la classe. Mama me réprimandait toujours autant lorsque je me faisais surprendre en train de faire une farce, mais cela faisait partie intégrante de notre routine. Dans mon esprit encore naïf et innocent, les choses n’allaient pas changer de sitôt. Tous ces petits ‘’trucs’’ étaient bien trop ancrés dans notre routine pour qu’on puisse la briser facilement.

Seulement, il suffisait qu’un élément de cette routine disparaisse pour que tout le reste se casse la gueule.


Mama est morte alors que je n’avais que quatorze ans. Elle était malade depuis un moment, avais-je appris plus tard, et avait refusé de me le dire pour ne pas m’inquiéter. Leucémie foudroyante, elle avait été dépistée trop tard et avait refusé le moindre traitement, préférant se concentrer sur le présent. Elle avait été jusqu’à demander à ses collègues de travail de ne pas me mettre au courant des nombreux malaises qu’elle avait fait. Elle était donc morte d’une leucémie. Elle m’avait laissé seule dans notre appartement miteux. Vlad’, qui était un très bon ami de ma mère – il la connaissait bien avant ma naissance – , avait pris la décision de m’héberger le temps que l’on trouve une solution plus stable pour moi. J’habitais donc avec Vlad’ et Boris depuis la mort de Mama. Et si cela m’enchantait de ne pas être seule, je n’étais pas non plus très communicative. Je m’étais renfermée sur moi-même et évitais d’entrer en contact avec mon meilleur ami et son père. Je ne parlais quasiment plus et prenais mes repas seule, préférant me cloîtrer dans le silence plutôt que d’avoir à subir leurs regards emplis de pitié. Mais ce que je ne savais pas, c’était que Vlad’ faisait des recherches dans mon dos. Quel genre de recherches ? Des recherches sur ma fille, que j’étais sensée ne plus avoir puisque Mama était fille unique et qu’elle avait perdu ses parents il y a des années de cela. Je n’étais donc plus sensée avoir de famille … Sauf que Mama ne m’avait pas tout dit ; onze ans avant ma naissance, elle avait eu un fils. Fils dont elle ne m’avait jamais parlé. Je me sentis brièvement déboussolée par cette nouvelle avant de décider que je n’en avais rien à faire au final ; ce n’était pas comme s’il allait se soucier de moi, il ne me connaissait même pas ! Sauf que j’avais totalement tort … Le jeune homme, de onze ans mon aîné, se pointa un beau jour alors que j’étais encore enfermée dans la chambre qui m’avait été attribuée. Vlad’ m’appela pour nous présenter. Sauf qu’il y avait un léger problème ; il était américain et parlait donc anglais. Je ne parlais que le russe. Je réussis tout de fois à comprendre son prénom ; Kristof. Vlad’ m’avait présenté au brun sous mon nom complet et ce dernier avait tenté de m’appeler Kseniya. Son accent américain massacrait tout bonnement mon premier prénom et personne ne m’avait appelée ainsi depuis le décès de Mama. Agacée, je le remis rapidement à sa place à l’aide de nombreuses insultes en russe.
Il avait ensuite décidé que ma garde lui serait remise ; j’allais devoir partir vivre avec lui aux Etats-Unis … Je ne me prononçai pas sur le sujet, préférant garder mes réticences pour moi ; Vlad’ n’avait pas les moyens de s’occuper de deux adolescents et je ne voulais pas m’imposer. Je fis donc rapidement mes valises et mes adieux avant de suivre Kristof. Nous n’échangeâmes pas un mot durant tout le voyage, la barrière de la langue n’était vraiment pas facile à rompre. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il me disait en anglais et l’inverse était vrai aussi. Ce ne fut que lorsque nous arrivâmes chez lui, à Boston, qu’il se mit en tête de m’apprendre l’anglais afin que nous puissions nous comprendre. Avec lui vivait une jeune femme aux allures gracieuses et élégantes, très sympathique, qui l’aida dans son engagement, m’apprenant à les comprendre. Je mis environ six mois à manier les bases à la perfection et à pouvoir exprimer mes envies et mes besoins. Kristof et moi ne parlions jamais de Mama. Jamais. Je ne savais pas ce qu’il avait vécu avec elle et je n’osais pas le lui demander. S’il voulait en parler, il viendrait me voir de son plein gré je supposais. Puis il était très occupé avec sa petite amie, je n’allais donc pas le déranger avec mes souvenirs de Mama.

U.C

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