i. êtes-vous originaire de radcliff ?
     Négatif. Ma mère vivait dans un petit village du Maine, en Nouvelle-Angleterre, et c'est là que j'ai été élevé. Ville qui ressemblait beaucoup à Radcliff maintenant que j'y pense. Pas grand chose à y voir, pour être honnête : une réserve d'Amérindiens pas loin, un port industriel qui empestait tous les environs, une immense forêt de sapins... Une grosse dizaine de milliers d'habitants, au plus. J'ai grandi là-bas pour finalement déménager à Washington D.C, la capitale fédérale, juste après avoir terminé le lycée où j'ai commencé à travailler pour le parti Démocrate. J'officiais au sein du bureau central ou j'étais affecté aux affaires environnementales et aux questions animales. Jusqu'au jour maudit où il a fallu que je retourne dans ma ville natale pour faire plaisir à mes chefs qui voulaient que j'y fasse campagne pour reprendre un siège de député à la droite. Fini par accepter ; déménagé avec mon petit-ami et notre fille. On y est resté quelques années. Quand j'ai tenu tête, pour la première fois de ma vie, à une grande compagnie polluante qui voulit installer deux usines en pleine forêt, quand ils ont butté celui qui était depuis devenu mon mari, quand ils ont menacé mon mari, tout a basculé. Depuis, je fuis, et ne me suis installé à Raleigh que depuis quelques mois.

     ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
    Tous les jours, oui. La seule différence entre mes rencontres avec des Hunters et celle des autres transmutants, c'est qu'en général, je n'ai pas affaire avec eux en tant que victime mais en tant que chasseur. L'organisation dont je fais partie, la Pirate Alliance, s'est entre autres donné pour mission de protéger les transmutants, persécutés simplement à cause de l'un de leurs gênes, légèrement différent de celui du reste de l'Humanité. Or les Hunters ne sont pour nous qu'une preuve supplémentaire que la race humaine est pourrie jusqu'à la moëlle, et avec les grosses entreprises qui polluent allègrement la planète et les chasseurs qui détruisent l'habitat naturel de milliers d'espèces animales, les Hunters sont devenus une proie évidente et privilégiées pour nous. Etant moi-même atteint d'une anormalie génétique, je ne peux qu'applaudir une telle vision de choses, et je me laisse joyeusement aller lorsque je suis en contact avec un Hunter.

     iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
     Dans ma "profession", la maitrise des illusions est une véritable aubaine et me permet de disparaitre selon mon bon vouloir sans que les personnes se trouvant autour de moi soient capables de détecter ma présence. Je me sers très souvent de mes capacités, que ce soit pour disparaitre ou pour mener à bien les missions qui peuvent m'être confiées par ma hiérarchie. Il est en effet très utile de créer des illusions quand on essaie de distraire l'attention de policiers ou de gardiens... Je me refuse quand même à l'utiliser sur les gens qui me sont proches, ne voulant pas affecter mes relations avec eux.

     iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisantes ?
     Évidemment que non. Le gouvernement se fiche complètement des transmutants, de leur sort, ou des conflits qui peuvent émerger entre eux et des franges radicales de la population. Tout ce qui peut détourner l'attention de la population des véritables problèmes (catastrophes climatiques, utilisation douteuse des technologies, crise économique provoqué par un système inuste) est une très bonne chose, que ce soit pour les gouvernements, ou pour les médias. Notre gouvernement ne fera jamais rien qui permette réellement de protéger les transmutants et les mettre à l'abri des attaques d'extrêmistes pour la seule et bonne raison qu'il n'ont aucun intérêt à prendre des mesures plus avancées.

« Nous sommes désormais en mesure d'annoncer avec certitude que Robert Lynch, le terroriste responsable de l'attentat à la bombe ayant fait exploser la raffinerie de St James, causant la mort de quatre personnes, est mort la nuit dernière dans un affrontement avec la police de Seattle. » J'appuie sur la télécommande et le téléviseur s'éteint. C'est moi Robbie Lynch, et je suis tout sauf mort. Un large sourire étire mes lèvres et je m'enfonce dans le canapé douillet du salon du petit appartement dans lequel j'ai trouvé refuge. Il aura suffi d'une petite illusion de rien du tout, de mon corps inanimé sur le sol de ce centre commercial, pour que les autorités croient avoir en avoir terminé avec moi. Je me suis acheté quelques mois de répit, deux ou trois années tout au plus, pendant lesquelles je vais pouvoir aller et venir sans craindre l'intervention des forces de l'ordre. Bien sûr, ils auront trouvé étrange que mon cadavre aient disparu sitôt l'illusion évanouie, mais il leur aurait largement suffi de me voir, le corps transpercé de balles, tomber à la renverse, m'écrouler par terre, un trou dans le cerveau, noyé dans une flaque de mon propre sang. C'était tout ce dont ils avaient besoin. Et j'étais redevenu libre de mouvements.
Mais la liberté que je m'étais achetée était venue à un prix ; je ne pouvais plus rendre visite, ne serait-ce que clandestinement, à mes filles que j'avais laissées entre les mains de mon beau-frère. Je ne pouvais désormais qu'espérer qu'elles grandiraient heureuses, qu'elles auraient une vie confortable et clémente, qu'elles n'auraient pas à vivre ce que leurs deux pères avaient vécu. Et j'étais maintenant condamnée à la clandestinité, à une vie dans le secret, disparu et oublié. J'allais prendre un nouveau nom, créé de toutes pièces, et l'imprimer sur mes faux-papiers, sur mon permis de conduire, mon passeport, sur ma carte de crédit... C'était ce à quoi j'avais consenti en rejoingnant la Pirate Alliance, et je n'avais à présent plus le choix. Mon identité avait été exposée, et j'avais mis en danger toute ma famille, toute ma belle-famille, mais aussi toute l'organisation dont j'étais membre, et il n'existait que deux remèdes à cela : la mort ou l'oubli. Je n'étais pas encore prêt à mourir, je n'avais pas encore fait assez pour le monde, pour ceux qui ne pouvaient se défendre contre les géants monstrueux de l'industrie et du capitalisme, et je ne pouvais pas abandonner cette vie sans m'être battu un peu plus, sans avoir donné toutes mes forces, tous mes souffles, toutes mes illusions afin d'aider la révolution à décoller, à tout détruire sur son passage.