À sa réponse, tu autorises un mince sourire à adoucir les traits de ton visage ; il est plutôt drôle, tu dois au moins lui accorder ça. Vous continuez votre petite ballade à travers le parc ravagé par les coups de feu multiples, toi, avec ton épaule sur le point de déclarer forfait et lui, qui se vide littéralement de son sang. Il est horriblement pâle et ton estomac se resserre un peu plus à cette constatation. C'est peut-être un mutant, mais il a l'air d'être un gentil mutant. Oui, cette vision du monde est très manichéenne et tu es assez bien placée pour savoir que tout n'est pas entièrement blanc ou noir dans la vie, mais en ce moment, ça te semble juste : les gentils d'un côté, les méchants chasseurs de l'autre. Et ton instinct de survie préfère rester du côté de ceux qui n'ont pas d'énormes fusils braqués à deux centimètres de ton visage.
Ton sourire s'efface lorsque vous passez devant un corps jonché sur le sol. Une jeune femme, probablement une mutante. La vingtaine. Une petite erreur, une fraction de seconde de plus restée plantée là sans bouger lorsque que la carnage a commencé et ça aurait aisément pu être toi. Tu frisonnes rien qu'à l'idée et ferme les yeux quelques secondes, comme pour chasser cette image désormais gravée dans ton esprit. La voix saccadée d'Henryk te ramène à l'amère réalité. Tu l'écoutes aussi attentivement qu'il est humainement possible pendant qu'il t'explique son don. Non pas que tu sois particulièrement fascinée par ce qu'il raconte - même si tu dois admettre que la simple existence des mutants t'intrigue au plus au point - mais tu donnerais tout pour effacer l'image de cette jeune femme aux yeux exorbités de terreur.
« Ouais, j'imagine que de filer la gonorrhée à une fille à votre troisième rendez-vous n'est pas forcément la meilleure chose au monde. »
Tu ris, plus de ta propre bêtise qu'autre chose. Bizarrement, c'est la première maladie qui t'es venue à l'esprit.
« Rester figée face au danger et agir comme une pitoyable demoiselle en détresse, je suppose ? »
Les minutes s'égrènent à une lenteur abominable mais vous êtes enfin arrivés à la sortie du parc.
« Je crois que l'hôpital est environ à 20 minutes de marche. Vous tiendrez le coup jusque là ? »

L’humour était visiblement de mise pour détendre l’atmosphère et certainement pour lui faire oublier son état précaire … en temps de guerre, sa blessure serait devenue une terrible gangrène. Mal terriblement sexy et qui avait un effet particulier sur les jeunes demoiselles. Enfin il aurait pu dans une autre vie contracter cette déviance du corps or actuellement son don le préservait si tant soit peu d’une mort certaine en lui évitant toutes les maladies existantes. Il n’eut pas la force de répondre à la demoiselle et se contenta d’un simple sourire. Sourire traduisant le peu de vitalité demeurant dans son corps.
Après quelques instants et de nombreux efforts, ils réussirent à atteindre les limites du parc. Selon les propres mots de Olivia, l’hôpital n’était pas bien loin. Cependant … qui accepterait dans cette ville en plein état de siège de soigner un ennemi de la « Nation » ? « Je … » fut le seul mot qui put sortir de sa bouche et soudain sa vue se brouilla pour ne laisser place qu’à la sombre étreinte des ténèbres. Céder n’était pas dans ses habitudes mais cette douce étreinte avait quelque chose de réconfortant. Il n’y avait plus de place pour la peur, ni pour la souffrance, ni pour l’espoir. Le bien et le mal n’existaient plus dans cet étrange endroit, un endroit parfait pour enfin être en paix. Pour autant, cette neutralité fut rapidement brisée par une tempête, une violente tempête dévastant ce lieu. Des ombres, des démons prirent forment devant lui ! Des démons aux visages familiers. Les chasseurs, les êtres humains le méprisant et plus particulièrement son beau-père pour qui il nourrissait une rancoeur sans égale. Les foudres de son courroux ne tardèrent pas à frapper sur ce dernier et enfin le calme revint.

Un nouveau paysage vint peu à peu à se dessiner dans son champ de vision. Sa vision encore obscurcie par les derniers évènements ne lui détaillèrent que quelques bribes. Il pouvait distinguer des murs blancs, une petite poubelle non loin et une silhouette près de lui. « Hum … » grogna-t-il en tentant de se lever encore abasourdi par la douleur de son épaule maintenant recouverte par un large pansement, encore hagard, il se mit une main sur le visage pour se masser les yeux et tenter de retrouver un semblant de vision convenable, en vain « Qu’est ce que je fais-là ? ».
De nombreuses choses avaient dû se passer durement son « absence » et son regard pour la première fois inquiété se posa dans les opales de la demoiselle. Elle semblait être en forme … enfin vu la situation, le terme n’était peut être pas le mieux choisit.
L’esprit encore embrumé par les sédatifs qu’on lui avait à coup sûr donné, il éprouva quelques difficultés à penser convenablement. Sa première pensée concerna d’ailleurs le fait que la demoiselle avait dû le voir à moitié nu et que la situation avait eu pour effet d’enlever tout élément attractif à cette scène qui en temps normal aurait provoqué d’autres réactions. Assujetti à sa propre bêtise, il se mit à rire sans pouvoir s’arrêter, un mélange de joie et d’effets secondaires médicamenteux. Il prit quelques secondes à se reprendre et avec un petit sourire il questionna la demoiselle « J’ai dû louper des choses … »

Spoiler:

Les hôpitaux te font flipper ; ils t'ont toujours fait flipper. Tu n'as jamais aimé cette ambiance aseptisée qui y règne en maître, cette odeur particulière qui s'infiltre dans tes narines à la seconde où tu passes le hall, cette aura qui enveloppe l'établissement tout entier. Ça te flanque la frousse, tout ça. Et ça a le don de te déclencher une cascade de frissons le long de ton échine. Ça fait des années que tu n'as pas mis les pieds dans un hôpital ; c'est idiot, mais tu t'efforces de faire tout ton possible pour n'y aller qu'en dernier recours. Jusque là, ça marchait plutôt bien.
Gamine, tu te souviens que tu passais des journées, parfois des nuits entières ici. À chacune des crises de maman. Dès qu'elles devenaient incontrôlables, papa se résignait à la traîner jusque ici dans l'espoir que les médecins aient quelque chose qui puisse l'apaiser l'espace de quelques heures. Inutile de dire que tu gardes un souvenir assez amer de cet endroit. Tu as l'impression que cela fait des siècles que tu n'as pas vu une blouse blanche, mais tu te souviens parfaitement de t'être assise dans cette salle d'attente une dizaine d'années plus tôt, tes jambes se balançant dans le vide, ton cahier à coloriage comme unique compagnon parce que Ric était trop fatigué ou trop triste pour jouer et papa, trop occupé à se disputer avec un médecin pour une raison ou pour une autre.
Vous faites irruption dans le hall de l'hôpital. Un Henryk à moitié conscient et une Liv totalement paniquée. Une armada de blouses blanches se dirigent vers vous et la suite n'est qu'un joyeux chaos général. Il y a beaucoup de cris, principalement ceux d'Henryk, qui semble se battre contre une force invisible qui lui vrille ardemment le crâne. Il y a ceux des médecins, aussi, qui font leur possible pour le calmer. Tu dois avouer que c'est une scène assez impressionnante et un peu terrifiante à la fois. Il faut littéralement trois hommes pour immobiliser Henryk, en proie à ce qui semble être des visions, et un autre médecin se charge finalement de lui injecter quelque chose dans la nuque, ce qui a pour effet de l’assommer directement. Ils demandent si tu es de sa famille et tu secoues vivement la tête en guise de réponse. Ils demandent si tu vas bien alors, cette fois-ci, tu hoches la tête et ils t'abandonnent presque aussitôt, recentrant toute leur attention sur un Henryk dans les vapes que l'on conduit en salle d'opération.
Tu ne sais pas exactement combien de temps s'est écoulé. Tout ce que tu sais, c'est que l'infirmière t'as prévenue dès qu'ils sont sortis de l'opération et qu'ils t'ont laissé attendre dans la chambre. Tu t'es pelotonné dans l'une de ces chaises incroyablement inconfortables puis endormie et réveillée à intervalles réguliers. C'est le son de ses mélodieux grognements qui te réveillent pour de bon.
« Eh bien, on dirait qu'ils ont eu la main lourde sur les sédatifs. » que tu lances, en t'éjectant de la chaise.
Tu esquisses un sourire ; c'est plutôt drôle de le voir dans cet état. Au moins, il a l'air d'aller mieux.
« Ils ont demandé si vous aviez de la famille et j'ai dit que je ne savais pas alors ils ont dit que ce serait peut-être mieux si je restais ici, le temps que vous vous remettiez. Vous voulez de l'eau ou quoi que ce soit ? »

Spoiler:

Cet état convalescent n’était pas à son goût, se sentir faible face à autrui ne lui plaisait guère. N’importe qui pouvait l’égorger dans son sommeil et il n’aurait pas été surprenant qu’on l’empoisonne lors de son opération ou tout simplement qu’on le charcute. De telles pensées vinrent à obscurcir brièvement son regard. Lui qui se disait prédateur se trouvait maintenant en bas de l’échelle alimentaire et social … il ne valait pas mieux qu’un badaud errant sans but dans les rues. Le pouvoir était son seul réconfort et sa seule sécurité face aux chasseurs, ce qui s’apparentait parfois à une malédiction venait de se transformer en une formidable arme face à ses assaillants. D’un autre point de vue, Olivia n’avait pas certainement pas dû être ravie de voir agoniser ses semblables. En parlant d’elle, il se demandait si le destin n’avait pas fait en sorte qu’ils ne marchent dans la même direction. Etait-ce un signe ? Elle représentait à ses yeux ce qu’il y avait de meilleur en chacun, l’idéaliser était vraiment ridicule or cette idée l’aidait à ne pas haïr l’humanité entière pour ce qu’elle faisait subir aux transmutants. « Vous n’auriez pas dû rester … si ils étaient revenus pour venger leurs camarades … vous … » cette pensée vint à lui tordre légèrement l’estomac, chose peu commune et déplaisante, malgré le peu de temps qu’ils avaient passé ensemble, il se souciait d’elle … et craignait des représailles à son égard. Contrairement à Esmeralda, elle ne lui inspirait non pas le péché originel, bien au contraire. Qui voudrait lui jeter la pierre pour avoir sauvé un mutant d’une mort certaine ? De nombreuses personnes. Bien trop. Elle ne serait plus jamais en sécurité ou tout du moins il y aurait un risque qu’on la questionne et si elle venait à révéler son acte infâme, le châtiment serait à la hauteur de cette « trahison ».

Lorsqu’elle lui demanda si il voulait boire, il acquiesça avec son sourire habituel, un véritable masque que personne n’avait réussi à percer jusqu’à présent. Par la suite, vint sur le devant de la scène un sujet plus critique, sa famille. Cette chère famille qui n’avait souhaité de lui. Cette famille qu’il n’avait pas hésité à renier et à punir en tuant à petit feu son bourreau, sa peur et son créateur. Par chance, il n’y avait aucun moyen de contacter ses anciens tortionnaires à moins de faire certaines recherches sur son passé et bien entendu les médecins n’avaient que faire de telles informations. Quelle chance !
« Vous faites ça avec tous les hommes que vous rencontrez ? Je veux dire vous êtes aussi attentionnée en permanence ? » la taquina-t-il malgré ses faibles ressources, il valait mieux passer le temps qu’il avait à passer dans cette « prison » en faisant plus amples connaissances avec la demoiselle avant d’avoir la force de la ramener chez elle et prendre les dispositions nécessaires pour qu’elle ne subisse pas son acte de bravoure « Laissez moi deviner … votre genre d’homme est grand … brun … plutôt barbu, avec des yeux … bleus ? Et un petit accent du nord ? ».

Spoiler:

Ça te semble surréel tout ça, comme dans un rêve. Depuis l’explosion, tu as l’impression que tout ce que tu vois n’est qu’une copie d’une copie, que tu as été propulsée dans une sorte de dimension parallèle dont tu ne demandes qu’à t’échapper. C’est peut-être pour cela que tu n’as pas vraiment réagi au moment de l’explosion ; il a fallu qu’un bon samaritain vienne te tirer du champ de bataille. Tu n’étais pas non plus autant paniquée que tu l’attendais quand ce chasseur a pointé ce flingue en ta direction. Enfin, évidemment, tu l’étais – qui ne le serait pas ? – mais juste pas autant que tu le pensais.  T’as presque envie de te pincer le bras, pour t’assurer que t’es bien endormie. Mais ce n’est pas le cas. C’est la réalité, et la voix d’Henryk t’extirpes de tes songes et t’y ancres brutalement.
C'est peut-être aussi parce que ton corps te semble autant détaché de la réalité que tu n'as pas pensé aux représailles possibles.
« J'en doute. Je crois qu'ils sont probablement trop occupés à exterminer les-- gens comme vous en ce moment pour m'accorder de l'importance. »
C'est plus fort que toi : encore une fois, tu as failli dire 'dégénéré'. C'est un automatisme.
« Seulement ceux qui me sauvent la vie. »
Tu dis ça sur un ton plaisantin, avec un léger sourire qui étire tes lèvres, mais t'es carrément sérieuse. Tu marques un temps de pause en y repensant. Il t’a sauvé la vie. Sans lui, tu ne serais probablement qu’une mort de plus et ça te flanque des frissons de penser que ton destin s’est joué en une fraction de seconde. Pendant un court instant, ton esprit rejoue la scène et ta gorge se resserre en revoyant cette pauvre dame dont le seul crime était de ne pas correspondre à la norme se faire descendre.
« Je ne suis pas sûre de vous avoir remercié, d’ailleurs. Donc… merci. »
Ce n’est qu’un mot, mais tu prends le temps de bien l’articuler parce que c’est le seul moyen que tu as trouvé pour accentuer ta reconnaissance. Et, à défaut de pouvoir lui rendre la pareille, tu lui offres un sourire. Un vrai sourire, pas un de ceux qui tu t’entraînes à faire devant le miroir jusqu’à ce qu’ils aient l’air sincères.
C’est ce moment que choisi une infirmière pour débarquer afin de vérifier les signes vitaux d’Henryk et tu prends ça comme un signal pour t’en aller. Il est probablement aussi épuisé que toi. Tellement qu'il en flirterait presque avec toi, tu crois. À sa dernière phrase, tu ne peux t'empêcher de laisser échapper un petit rire amusé.
« Eh bien, les sédatifs étaient définitivement corsés. Je crois qu'il est temps pour moi de rentrer. Vous avez l’air d’aller mieux mais vous devez très certainement vous reposer, alors je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps. »
Sur ces mots, tu te retournes vers la chaise où tu as abandonné ton sac.

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