Colt & Judicaël

 

Il était 23h00 quand Jude arriva à Versailles, petite ville du Kentucky où il devait récupérer un mutant, il devait le transporter jusqu'à une planque à Radcliff, pour quelques jours, le temps de lui trouver une nouvelle identité et un endroit où il serait en sécurité sur le long terme. C'était la routine, il rencontra la jeune fille au pouvoir apparemment pas si violent que cela. C'était déprimant de voir qu'une simple différence absolument fabuleuse pouvait coûter la vie à cette jeune fille. Révoltant aussi. Surtout de voir la peur dans le regard d'un innocent, de sentir la crainte alors que l'on est là pour l'aider. Parfois, Judicaël avait l'impression d'approcher des animaux sauvages. Cette fois, il ne mit pas longtemps à la rassurer, et à obtenir un sourire de sa part. C'était face à ce genre de sourire qu'il comprenait pourquoi il leurs avait tout sacrifié. Pourquoi il leurs sacrifierait encore tout et plus encore.

Il leur fallut un peu plus d'une heure pour arriver aux abords de Radcliff. Sa moto et leurs vêtements sombrent se dissimulaient dans la nuit. Ils n'étaient que des ombres. Pourtant, le regard suspicieux du médecin aperçut bientôt une lueur dans son rétroviseur. Une lueur qui ne lui disait rien de bon. Vraiment rien de bon. Il accéléra ostensiblement, atteignant une vitesse loin d'être autorisé  sur cette route. Mais ce n'était pas important, ce qu'il fallait, c'était mettre une distance entre leur poursuivant et eux. Il le savait. Il n'avait pas eu à faire cela souvent, mais il savait quoi faire. Il s'était habitué à ce genre d'imprévus. Il s'engagea rapidement feux éteints sur un chemin de terre, ralentissant pour calmer les cris du moteur. Il sentait les mains de la jeune mutante sur son torse, le serrant apeuré. Elle avait compris sans qu'il ait à lui dire. Maintenant, il fallait juguler sa peur.  Il arrêta sa moto à la lisière de la forêt. Il entendait vaguement leur poursuivant au loin. Il ne lui faudrait pas longtemps pour les trouver. Il en était certains. Ces salopards avaient l'odorat aussi développé que des limiers quand il s'agissait de trouver un mutant. Jude retira son casque et celui de la gamine, les jetant au pied de sa moto.

« Calme-toi, je suis là, tout ira bien, ils ne t'auront pas. Mais fais tout ce que je te dis. »lui dit-il en saisissant sa main.

Il rabattit sur sa tête sa capuche, relevant son foulard tout aussi noir que le reste de sa tenue sur le bas de son visage. Il commença à courir, entraînant la gamine dans son sillage. Il fallait qu'il la mette en sûreté, c'était tout ce qui comptait, lui pouvait bien crever, il n'en avait rien à faire. Personne ne l'attendait plus chez lui...

« Maria, écoute moi, tu vas courir. Aussi vite que tu peux. Dès que tu atteindras des habitations, tu appelles Saül, il viendra t'aider. Promets moi de ne jamais te retourner quoi que tu entendes, d'accord ? »lui dit-il en lui mettant dans les mains son téléphone.  

La gamine acquiesça les larmes aux yeux. Jude savait qu'il ne pouvait que lui faire gagner du temps. Rien de plus. Il arrêta de courir. Il se mit à couvert derrière un arbre. Ses mains allèrent chercher son compagnon Berretta à la ceinture. Pas besoin de silencieux cette fois-ci. Il ôta le cran de sécurité, prêt à sortir dès que le chasseur pointerait le bout de son nez.

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Colt & Judicaël

Le son des bottes sur le sol. C'était sans doute cela qu'avait entendu les Résistants français face à l'occupant allemand. La situation actuelle avait beaucoup de points communs avec la seconde guerre mondiale. La question était de savoir si l'on se trouvait ou non du bon côté de l'Histoire. Jude était persuadé que son choix était le bon, mais ce chasseur sur leurs traces devait aussi en être sûr. Deux personnes pleines de convictions, désespérément opposées. Rien de bon ne pouvait sortir d'une telle confrontation. Il le savait, il le sentait. Pourtant, il ne pouvait pas l'éviter. C'était comme écrit dans une lugubre destinée. Il écouta. Attentivement. Il essayait de jaugeait à l'ouïe l'agresseur qu'il n'avait pas encore vraiment aperçu. Son pas était maîtrisé, mais il devait être imposant. Puis il eut le claquement. Un colt ? Un peu désuet comme armement. Sans doute un psychopathe en faveur du bon vieux temps des cowboy. Un pauvre con sans aucun doute. Il entendit aussi son murmure. Pas besoin de parler fort quand l'autre est à l'écoute, sur le qui vive, prêt à presser la détente. Seulement, il ne répondit pas à sa provocation. Cela aurait été trop simple. Il ne suffisait pas de le siffler comme un chien pour qu'il s'agenouille. Et encore, ses chiens n'avaient pas cette docilité débilitante.

En revanche, le coup de feu, le cri, cela mit tous ses muscles en alerte. Maria ! Il se leva d'un bond, et se retint de justesse de partir en courant. Les fils de pute étaient en bande. Il s'était fait avoir. Comme un amateur. Il aurait dû rester avec elle. Il aurait dû la défendre. Il n'avait pas réussi à tenir sa promesse. Il aurait voulu hurler de rage. Crier toute la haine qu'il avait pour ces lâches qui venaient d'abattre une femme presque encore enfant. Ce n'était pas humain de faire cela. Des humains ne devaient pas faire cela. Des humains ne pouvaient pas faire cela.

Puis une nouvelle provocation. Une qu'il ne put laisser passer. Comment pouvait-il ? C'était un monstre, c'était cet homme le monstre, pas une gamine qui projette des dards empoisonnés. Jude sortie de sa cachette, sans même chercher à se dissimuler, parce qu'il savait qu'en de telles circonstances, il serait le premier à tirer. Il y avait trente-deux balles dans son chargeur. Il allait en faire bon usage. Son doigt appuya sur la détente alors qu'il avançait. Pas besoin de viser, c'était juste de la dissuasion. Trente et un. Quatre mètre. Trente. Vingt-neuf. Vingt-huit. Vingt-sept. Trois mètres. Vingt-six. Vingt-cinq. Vingt-quatre. Deux mètres. Il aperçoit enfin son adversaire. Son doigt sur la détente a une hésitation. Malgré la pénombre, il reconnaît cet homme. Lui ? Non. Ce n'était pas possible. Il détourne légèrement son flingue, et tire pour avoir son épaule. Impossible de viser sa tête. Pas en le connaissant, même de façon très distante. C'était la première fois qu'il connaissait un de ces salopards. Il se remet à couvert, les mains tremblantes.

« J'espère que tes hommes seront mort sous ses empoisonnements. Vous ne méritez même pas une mort si douce. Pourquoi vous faites ça ? Ce n'était qu'une gamine, bordel ! »lâcha-t-il avec hargne.

Ses dents s'entrechoquaient, grinçant de rage, de haine, d'impuissance. Il n'avait rien pu faire. Cela lui faisait le même effet que perdre un patient, pire encore. Et si cette gamine avait été sa fille ? Si cela avait été Samuel l'anormal ?

« Prie pour que tes collègues arrivent vite, sinon, je te garantis que tu vas crever comme un chien. Tu ne mérites pas mieux. »murmura-t-il.

Pas besoin de parler fort quand l'autre est à l'écoute.

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Colt & Judicaël

Une impasse, voilà ce dans quoi est Jude. Il le sent, il le sait. Cela ne sert à rien de rester à couvert. Il n'est pas face à un vulgaire amateur. C'est lui la proie. C'est lui qui a merdé. C'est lui qui est en position d'infériorité malgré tout. Une infériorité mentale. Parce que même s'il voudrait pouvoir presser la gâchette en ayant l'homme en joue, il ne pourra pas. Parce qu'il a cette foutue hésitation. Parce que son job, c'est de maintenir en vie, de soigner, et que tuer, c'est à l'opposé de sa nature profonde. Même s'il sait cela nécessaire, cela ne lui procure pas de joie, pas de satisfaction, juste une putain d'amertume qui colle à la langue. C'est sans doute pour cela que ses mains sont légèrement moites, qu'elles tremblent un peu. Il sait qui est cet homme, et il s'en veut de l'avoir soigné auparavant. Il faut trouver le courage de le tuer. Mettre de côté sa conscience et ne croire qu'en ses idéaux. Mais ne serait-ce pas devenir comme eux ? Cette question revenait à son esprit à chaque confrontation musclée.

« Les seuls monstres ici, c'est nous. Toi qui tuent des innocents, et moi qui essaie de les venger. Nous sommes pareil, mais les transmutants valent mieux que toi. Que moi. »murmura-t-il en retrouvant un peu de contrôle.

Sa seule chance de survie, c'était de retrouver son calme. De réfléchir. Colt Anderson voulait seulement le voir craquer. La provocation fonctionnait trop bien. Il ne pouvait pas se livrer sur un plateau. Pas après la mort de Maria. Elle voudrait être vengée. Elle voudrait sans doute aussi qu'il puisse aider d'autres mutants. Il avait des choses à accomplir. Il devait se ressaisir. Tout n'est pas perdu.

« Ce n'est pas contre-nature de fantasmer sur le cul d'un monstre ? Tu es pathétique. Je n'ai rien raté. Le sang, ce n'est pas sur mes mains qu'il est. Je ne devrai pas avoir à me battre contre toi. C'est votre connerie qui nous tuera tous, toi, moi, les mutants. »

La folie humaine. La stupidité. La violence. Le trio magique de l'intolérance. Judicaël passa l'une de ses mains sur son jean noir, essuyant le sueur, pour mieux saisir l'arme de son crime futur. Il savait qu'il fallait prendre une décision. Tuer ou être tué. Colt Andersen ou Judicaël Gaiman. Son choix fut vite fait. Mais pas assez rapidement apparemment. Il sortit au même moment que l'homme. Son épaule fut touchée. Un grognement de douleur passa ses lèvres, mais plutôt que de se remettre à couvert, il baisse son pistolet, et tire vers sa cuisse. Sans doute pas très loin de son artère fémorale. Il se remit contre l'arbre.

« Un partout. »lâcha-t-il avec une grimace.

Il eut un regard pour son épaule. La balle n'était pas ressortie. Mais il n'avait sans doute pas d'artère de touchée. En revanche, visé, serait beaucoup plus difficile.

« Alors Colt Andersen, tu es sûr de t'en sortir cette fois ? »demanda-t-il doucement. « C'est plus difficile que de tuer une gamine de quinze ans, non ? »

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