i. comment êtes-vous entré parmi les hunters?
   Je connaissais l’existence de ce groupe terroriste visant à éliminer les transmutants. Toutefois, ça ne m’intéressait pas. Mon avis par rapport à ces êtres restait neutre. Un soir de mai, j’ai rencontré une jeune femme au beau milieu de l’après-midi. Nous attendions tous les deux avant de traverser la rue. Sa beauté m’avait frappé, comme un choc électrique en plein visage. J’ai osé faire le premier pas en me présentant, elle m’a tendu la main en me faisant cadeau de son prénom. Diana. Plus aucune voiture ne barrait notre route, pourtant, nous nous fixions comme deux enfants découvrant qu’ils n’étaient pas seuls sur cette vaste Terre. Après de longues secondes de contemplation, mon regard bleuté s’était posé à ses lèvres. Elle n’a pas bronché, elle m’a laissé approcher, probablement aussi impatiente que moi de goûter le parfum des lèvres. Au premier contact, j’ai reçu une immense décharge électrique qui m’a plaqué au sol. Je ne me souviens que de mon réveil quelques jours plus tard, sous les draps blancs de l’hôpital. Ma vue était complètement déraillée. J’ai compris quelques minutes plus tard que mon œil droit était absent. Une bille de verre l’avait remplacé. Aussitôt, ma haine pour les transmutants se généra. Je devais venger ma perte, collant l’étiquette des Hunters sur mon front.      

   ii. avez-vous déjà effectué votre devoir de chasseur ?
   Oui, le sang a déjà coulé par ma faute. Quatre cervelles mutantes ont été transpercées par les balles de mon flingue. Je suis le genre de chasseur qui attend patiemment que la proie vienne à lui. Connaissant ma maladresse, je préfère tendre des pièges et patienter jusqu’à ce qu’un être immonde s’y emprisonne. Je ressens une certaine fierté lorsqu’un cœur cesse de battre entre mes doigts mais loin de moi est l’idée de m’en vanter. Un épicier ne crie pas sa gloire à chacun des fruits qu’il vend.  

   iii. les mesures du traité de protection des mutants vous font-elles peur ?
   Les mutants sont ceux qui devraient être effrayés. Je perçois ce Traité comme un livre qu’on lit aux enfants pour les aider à fermer les yeux. On fait croire à ces êtres immondes qu’ils ont leur place parmi l’espèce humaine, on leur affirme que tout va bien, qu’ils seront choyés et aimés. Mais à la fin de chaque histoire, comme si la vérité se cachait tristement derrière les mots et les phrases, le grand méchant loup ouvre la gueule et croque les enfants. Ce genre de conte ne m’effraie pas. Il hérisse mes poils tellement l’impatience me ronge. La fin est un commencement.    

   iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
   Sincèrement, je ne sais pas quoi en penser. Cet homme semble basculer de notre côté de la clôture, du côté des Hunters. Je ne pense toutefois pas qu’il nous sera utile. Le travail des chasseurs est de se débarrasser des mutants une bonne fois pour toute en leur dérobant la vie. Ce n’est pas en enchaînant quelques jolis mots que le boulot sera exécuté. Mon avis quant à ce personnage reste neutre, je croise néanmoins les doigts pour qu’il nous soit d’une certaine utilité, minuscule soit-elle.  

On disait de lui qu’il était l’enfant aux plus beaux yeux bleus. On définissait ses mains comme de petites pinces douces et habiles. Son rire était porteur de joie. Ses pleures étaient porteurs de peine. Doucement posé dans son berceau, agitant les doigts comme s’il tentait d’attraper l’air pour le serrer contre lui, Rafael, à peine âgé de quelques mois, scrutait les deux grandes têtes devant lui. Papa et maman. On ne cessait de dire ces deux mots pour que l’enfant les répète. Il répondait à la demande en serrant une mèche blonde de sa mère au creux de ses paumes, rieur. Ils riaient à leur tour en se consolant ; certains bambins prenaient leur temps avant de prononcer un premier mot.

Détroit, 1989. Télé. Tel fut le premier mot du petit garçon haut comme trois pommes qui avait pris l’habitude de marcher à quatre pattes, usant ses genoux. Il n’eut jamais de petit frère ni de petite sœur. Tout l’amour de ses parents lui était donné. À lui et à lui seul. Installé sur le canapé devant la télévision qui diffusait son émission préférée, ses grands yeux bleus littéralement hypnotisés par ces pixels mobiles, il tendit l’oreille vers la cuisine. Sa maman préparait ses biscuits préférés. Un sourire enfantin se traça sur ses minces lèvres rosées, Rafael s’agita et bondit vers la cuisine en n’utilisant que ses pieds. Son père le rattrapa au passage lorsqu’il trébucha sur la carpette. Un rire strident transperça ses cordes vocales alors qu’il se rendait compte des premiers pas qu’il venait de faire.

1998. Rafael et son ami dégustaient leur collation dans le coin de la cours de récréation. La plupart des enfants couraient, se pourchassant, laissant leur imagination leur créer un monde de jeux. Eux préféraient observer les alentours, curieux. Ils étaient assez discrets et timides, leur amitié s’était créée grâce à leur personnalité semblable. En croquant dans une carotte, son ami soupira avant de marmonner :

- Raf, j’ai un truc à te dire. Tu vois les autres qui s’inventent des personnages et qui se jouent les héros ? (Rafael détourna le regard vers ses camarades de classe. L’un d’eux faisait mine de propulser des flammes sur son ami qui s’effondrait en gémissant faussement.) J’aimerais bien me joindre à eux, mais j’ai peur de leur faire du mal. Je suis content que tu sois là pour m’accompagner.

Le jeune garçon au regard océan fronça les sourcils en portant la paille de son verre à sa bouche. Il ne comprenait pas vraiment où il voulait en venir. Sans plus attendre, son ami tendit la main en sa direction, l’air concentré. À peine quelques secondes plus tard, quelques gouttes du jus de Rafael se mirent à grimper le long du verre avant de sortir comme de petites bulles. Il éloigna sa boisson de sa bouche, écarquilla les yeux en observant l’étrange phénomène qui se produisait devant lui.

- Comment tu…

Le liquide rosâtre retomba dans le verre et Rafael le posa sur la table. Il porta ses ongles à sa bouche pour les mordiller, inquiet.

- Je ne peux pas vraiment blesser les autres avec ça mais… Je préfère prévenir. Ce n’est probablement pas normal. Mais j’ai entendu dire que je n’étais pas le seul. Peut-être que toi aussi tu arrives à faire des trucs incroyables.

Il hocha la tête avant de terminer sa carotte puis il l’interrogea du regard :

- Tu ne dis rien, non ? Si je te l’ai dit c’est parce que tu es mon meilleur ami. Et que c’est cool.  

En retournant chez lui, le soir, il emprunta un chemin plus long, plongé dans ses pensées. Il observa ses main mais, mis part une petite coupure qu’il s’était affligé en tournant une page de son manuel de mathématiques, en classe, elles étaient complètement normales. Il fit la moue avant de serrer les poings en observant autour de lui. Rien ne se passa. Pas même un corbeau s’envola. Plus tard dans la journée, à l’heure du dîner, il questionna ses parents, toujours très concentré sur l’environnement autour de lui.

- Maman ? Tu penses que je serai un super-héros, plus tard ?

Il gratta doucement l’assiette avec la pointe de sa fourchette, sans grand appétit. Sa joue reposait contre sa paume, son coude sur la table.

- Tu sais Rafael, tout le monde peut être un héros. N’importe qui peut faire le bien. Par contre, n’essaies pas de te faire mordre par une araignée, ça ne fonctionne pas comme ça !
 
Elle lui sourit en touchant le bout de son nez. L’enfant ne se découragea pas pour autant. Il redressa son dos en reposant sa fourchette près de son plat pas encore entamé. Il savait que ses premiers pas, il les avait faits assez tard. Son premier mot, lui aussi, avait fait objet de patience auprès de ses parents. Ses pouvoirs allaient tarder, eux aussi.

- Dans quelques années, j’aurai un super pouvoir. Je pourrai… Je pourrai… voler ! Comme superman. Je serai exactement comme lui, et je sauverai le monde.

Son père porta un regard sévère sur sa mère et la discussion fut close. Le petit garçon ne toucha plus à son assiette, bien trop rêveur. Il devait commencer son entraînement dès maintenant.

2003. Adossé contre le mur de sa chambre, Rafael observait ses pieds chaussés, les jambes alors tendues vers l’avant. Il se hissa avec difficulté, ses muscles commençaient à le trahir. D’un simple coup d’œil, il observa la minceur de ses côtes. Son ventre était creusé et son torse osseux. Il n’était pas comme les autres garçons de 16 ans. De son pouce et de son annulaire, il arrivait à entourer son maigre poignet. De ses simples doigts, il pouvait saisir l’entièreté de son mollet. Diagnostiqué anorexique depuis trois années, il n’arrivait pas à se sortir de cette impasse. Les rêves avaient pris le dessus sur la réalité. Il s’était mis à l’idée que jamais il ne serait un mutant. Pas la moindre trace d’aile ne s’était sculptée dans son dos. Ses omoplates, qui pouvaient être considérées comme des ailes tellement il avait la peau sur les os, craquaient presque lorsqu’il soulevait ses bras. Il se releva et rejoint la salle de bain afin de fixer son reflet dépouillé dans le miroir. La seule chose qui n’avait pas changée était son regard. Ses pupilles avaient maintenues cette même couleur bleutée qui attendrissait les cœurs. Non, il n’avait pas l’aspect ni l’âme d’un transmutant. Son ADN était celui d’un humain plus qu’ordinaire.  

2010. La maladie avait pris son envole. Il fallait tourner la page. Rafael termina ses études à 23 ans. Il entra sans difficulté dans le journalisme, toutefois très peu intéressé par cet emploi. Néanmoins, ce métier lui permis de connaître les environs et de se familiariser avec la ville et la population. Détroit était assez vaste. Tandis qu’il reposait ses jambes, assis sur un banc de parc entouré de pigeons, son attention se tourna vers un journal délaissé sur la place à côté. Le grand titre l’interpella, il se saisit de l’amas de papiers avant d’en lire quelques mots. « Deux hommes assassinés dans leur appartement. Ces cas de meurtre sont de plus en plus présents. » En se mordillant la lèvre, le jeune homme ne pu retenir un gloussement. Il n'était certain de rien mais il connaissait cette guerre que certains groupes terroristes se prêtaient. Il avait réussi à récolter quelques informations du côté de son ami télékinésiste avec qui il avait gardé contact. Les Hunters, ils s'appelaient ainsi. Ils étaient ceux qui nettoyaient le monde de ces bêtes transmutantes dotées de pouvoirs inhumains.  Il ne pu  s’empêcher de penser à la naïveté dont il avait fait preuve dans ses plus jeunes années. Peut-être aurait-il été à la place de ces victimes si des ailes lui avaient poussé dans le dos. Il laissa tomber le journal au sol, effrayant la dizaine de pigeons qui roucoulaient quelques secondes plus tôt. Son avis resta néanmoins assez neutre. Peut-être que ces mutants l’avaient mérité, ce coup de poignard. Ils n’étaient qu’une bande de chanceux qui avaient hérité d’un grand pouvoir. Peut-être ne seraient-ils pas morts s’ils en avaient usé adéquatement. Un tintement aigu le sorti de ses pensées. Sa montre indiquait qu’il était temps de retourner travailler.  

2011. Le moteur des voitures grognait devant eux. Une jeune femme, assez jolie, s’était placée à ses côtés pour attendre le feu vert. Sous les aisselles de Rafael étaient coincée une pile de dossiers. L’attente s’éternisa encore plusieurs minutes. Décidemment, les citoyens de cette ville n’avaient pas en tête les priorités piétonnes.

- Déjà deux minutes que nous nous côtoyons dans le plus grand des ennuis.

Il pivota la tête vers la jeune femme qui se sentit immédiatement interpellée. Elle lui offrit un sourire en retour avant de confirmer ses paroles. Elle se présenta en tendant sa main, main qu’il serra immédiatement en lui offrant son prénom en retour.

- Certains automobilistes feraient tout pour ne pas perdre quelques secondes.

Elle rit, dévoilant une palette de dents complètement blanches. Il ne pu résister à son rire féminin, ne se rendant pas compte qu’il s’était mis à la fixer comme un vautour. Rafael s’approcha de quelques pas, hypnotisé par l’idée même qu’elle ne reculait point malgré l’étrangeté de la situation. Sous l’instinct, il approcha ses lèvres des siennes, ayant l’espoir de pouvoir goûter son parfum. Diana ne refusa pas son approche. Oui, Diana, c’est le prénom qu’elle portait. Ils eurent un premier contact après de longues secondes qui paraissaient interminables. Ce ne fut pas la douceur de ses lèvres qu’il perçut, mais la vibrance d’un violent choc électrique qui traversa l’entièreté de son crâne. Chacun de ses neurones se mit à chauffer, il s’écroula lamentablement sur le sol, la vision complètement floue. Il ne se réveilla que plus tard, hospitalisé, son œil droit alors manquant.

2013. La balle transperça sa sclérotique à l’instant même où Rafael appuya sur la gâchette. Une coulée de sang roulant le long de son orbite mit fin au spectacle. Un cerveau de moins, un mutant de moins. Voilà où mourut sa quatrième victime ; dans le sous-sol de sa propre maison. Par contre, ce corps inerte n’était pas celui de Diana, celle qu’il recherchait pour venger son handicap. Le jeune homme nettoya son flingue avec un simple mouchoir avant de s’éclipser sans un mot. Maintenant citoyen de Radcliff, ayant laissé ses parents et son emploi de journalisme à Détroit, Rafael rangea son arme à sa ceinture en prêtant serment à sa nouvelle famille. Les Hunters.