i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
C'est réellement terrible. Je ne sais pas s'ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils font, ou s'ils s'en rendent justement trop compte. Attaquer comme ça, tuant tout le monde et même des enfants, c'est vraiment... affreux. Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi refusent-ils de croire que les transmutants sont des êtres comme tout le monde, qui n'ont pas cherché cette situation ? Ils n'ont vraiment aucune conscience.

ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Pas du tout. Je trouve même incroyable cette apparition ! Comprenez, je ne suis pas généticien, ou très calé en sciences et en évolution, mais mes lectures m'ont vraiment informé sur le sujet, ainsi que les études récentes. Peut-être qu'en vérité, toute la population aurait un gène mutant en dormance. Et peut-être qu'un jour, tout le monde aura une mutation. C'est l'évolution, le futur. On peut en avoir peur parce qu'on ne comprend pas, mais ce ne sont pas des personnes plus dangereuses que d'autres... Mettez un fusil dans les mains de n'importe qui et il sera tout aussi dangereux.

iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
Pas que je sache. Personne de mon entourage n'est un transmutant, ou si oui, ils n'ont pas jugé bon de m'en faire part. Alors que je suis loin d'être la personne la plus opposée à leur existence... enfin bon, je ne vais pas non plus les forcer. Déjà que tout le monde a été forcé à se faire tester, comme des animaux. J'ai moi-même été dépisté, ainsi qu'Ambroyse, mais rien du tout. Difficile de faire plus normal que nous, ça a été la conclusion.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
Je ne vois pas cela d'un bon oeil. Il est peut-être un homme respecté et intelligent, mais c'est bien le problème. Son élection montre bien que la majorité de la population craint les transmutants, souvent sans les connaître, et elle signifie des mesures beaucoup plus autoritaires et radicales à venir. Une chose est sûre, je ne serai jamais loin de lui : tout ce qui sera dit, tout ce qui se fera, vous le lirez dans les journaux. Je vous le promets.

« Bonsoir à tous. Mon nom est Ronnie, voici mon frère Max, et nous allons faire la musique pour la soirée. » Un tonnerre d'applaudissements accueillirent les mots de Veronica, qui faisait office de chanteuse dans le duo qu'elle formait avec son petit frère. Petit d'à peine un an, plus grand d'une vingtaine de centimètres déjà. Les deux Lynch échangèrent un sourire avant de commencer à jouer. Lui à la guitare, elle à la voix et au piano. Juste de quoi payer leurs à-côtés, leurs dépenses, pas de quoi vivre. Simon, leur père, leur avait appris la musique avec plaisir et s'ils n'avaient pas développé de passion au point de vouloir en vivre, ils pratiquaient tout de même avec plaisir.

Ses yeux verts glissèrent dans la salle du café où ils jouaient. Ils étaient mineurs (seize et dix-sept ans) et ne pouvaient consommer d'alcool, mais l'influence paternelle avait joué. Ils étaient des enfants de Radcliff, fiables, pourquoi leur refuser ? Puis, un café, ce n'est pas un bar. Les prunelles de Max se fixèrent sur une fille de sa classe, Sarah Jean. Il voyait bien son visage mince dans la pénombre, ses cheveux blonds, et il lui adressa un sourire timide avant de revenir à sa guitare.
Il aimait bien SJ, comme il l'appelait.
Elle était marrante. Elle acceptait de traîner à la bibliothèque avec lui, après les cours, ou à la librairie. Ils avaient déjà été prendre un café glacé ensemble. Mais aucun premier pas. Qu'est-ce qu'une fille aussi cool pourrait bien lui vouloir ?


« La garde complète d'Ambroyse Frederica Lynch est confiée à Maxwell Romeo Lynch. » Le reste de la décision se perd dans les pensées du jeune père, qui peut enfin reprendre son souffle. Il savait que c'était déjà gagné. Son avocat l'avait dit, ses parents également, mais il avait eu tellement peur tout de même. Son avocat lui fila une chaleureuse accolade, avant qu'il parte rejoindre ses parents pour les serrer dans ses bras. C'était Veronica, sa sœur, qui gardait Amber pour l'après-midi. Le temps du procès. Le temps que le procès pour la garde complète de la fille, opposant Max et son ex-épouse, Sarah Jean Fairmount, soit terminé.

Il croisa le regard de ladite ex-épouse. Un regard perdu. Des yeux bordés de larmes. Il y avait déjà deux ans qu'ils étaient séparés et que leur fille était en garde partagée, elle la semaine et lui la fin de semaine. Mais quand il avait été la chercher, un après-midi, et qu'il avait trouvé Sarah Jean complètement défoncée et Amber pleurant seule dans le bain, Max avait pris la décision que c'était assez. Il prenait la petite avec lui définitivement. La silhouette maigre de son ex s'avança vers lui, vacillant sur ses talons, et personne n'eut le temps d'intervenir avant qu'elle vienne marteler son torse de ses poings osseux. « Tu as gâché ma vie ! Elle pleurait. Doucement, Max attrapa un de ses poignets. Il avait peur de la casser. Elle avait beaucoup maigri, avec la drogue. SJ, calme-toi. Qu'est-ce que je vais faire sans elle ? Qu'est-ce que je vais faire sans ma fille ? » Une crise de sanglots, alors qu'elle s'épuisait. Un signe au gardien de sécurité, pour lui dire de ne pas intervenir.

Maxwell referma ses bras pour le corps frêle de Sarah Jean, qui pleura pendant encore de longues minutes, l'abreuvant d'insultes entre deux respirations. Jusqu'à ce qu'il prenne son visage entre ses mains et qu'il réussisse à capter son regard flou : « Tu vas aller en désintoxication. C'est pour Ambroyse, qu'on fait ça, pour notre fille. Pour toi et pour elle. » Pour qu'un jour, elle puisse peut-être revoir sa fille. Ne plus être un danger pour personne, que ce soit elle ou Amber. Surtout Amber. Il y avait deux ans qu'ils ne s'aimaient plus, mais leur fille, ils ne cesseraient jamais.


« Vous pouvez garder Amber pour ce soir ? Dana se pencha pour prendre la gamine dans ses bras et hocha la tête. Bien sûr, ça nous fait toujours plaisir de garder notre petite-fille préférée. Le travail ? »

Max cligna des yeux. Une fois. Avant de répondre, sur un ton lent et circonspect qui ne lui ressemblait pas : « Oui. Le boulot. » Sa langue humecta ses lèvres, dans un geste qu'il ne contrôlait pas, tandis que ses iris verts ne cillaient plus et ne bougeaient plus de ceux de sa mère. Celle-ci laissa un sourire malicieux étirer ses lèvres et se détourna sans rien ajouter. La tension s'abaissa d'un cran chez l'homme. Il n'aimait pas mentir à ses parents, même pour un si petit mensonge, mais il voulait les tenir un peu à l'écart de sa vie privée. Déjà qu'ils se voyaient à tous les jours... Et il ne voulait pas qu'Ambroyse répande partout son opinion sur le sujet. Elle était bien bavarde, pour une petite de quatre ans. Il emboîta le pas à sa mère et la suivit à la cuisine, continuant de parler de tout et de rien en chipant des biscuits fraîchement faits et entreposés dans la jarre à biscuits. C'est sur son départ de la maison de ses parents, départ pour aller se préparer pour la soirée, que sa mère glissa nonchalamment son commentaire, tout en lui plaquant un baiser sur la joue : « Brune ou blonde, ce travail ? » Un instant d'arrêt. Sa mère avait deviné. Pas très compliqué. Ses joues prirent une remarquable teinte pivoine. « Rousse. »


« T'es sur quoi, Max ? L'élection de Lancaster. » Un silence compréhensif. Son collègue se releva de par-dessus son épaule, laissant le journaliste ordonner son texte en paix. En paix et avec sa cinquième cigarette de l'heure. Ils n'avaient pas le droit de fumer dans les locaux du journal, et il s'en accommodait bien le reste du temps, mais là... Tout le monde était sur les nerfs. Tout le monde comprenait.
Il n'avait pas dormi de la nuit, trop abasourdi et occupé à regarder les nouvelles.
Thaddeus Lancaster. Élu.
Ses deux mains vinrent frotter ses yeux. Il avait un café de prévu en soirée avec Timéa, mais il allait devoir annuler, il le sentait. Il irait porter Amber chez ses parents et reviendrait sans doute ici pour travailler toute la nuit. Pour pouvoir préparer les prochains jours, qui allaient être complètement fous.

Parler de Lancaster. De la course aux élections. Des statistiques. De ses promesses électorales. Des résultats. Des manifestations. Des terroristes. Du futur. Des pronostics. Des chasseurs. Des transmutants. Des humains, des simples humains, qui voyaient tout cela aller et qui ne savaient pas quoi faire. De ceux qui avaient trop de questions et jamais assez de réponses.

Lui n'avait jamais craint les mutants. Sa curiosité était tout simplement très grande, face à eux. Même le mot 'mutant', il ne l'aimait pas : c'était péjoratif. Ils étaient des gens comme tout le monde, ou presque. Max fit tomber les cendres de sa cigarette, la replaça au coin de ses lèvres et reprit son écriture, fronçant les sourcils à chaque mot jeté sur le brouillon. Tapant son crayon contre sa cuisse, mordant ses lèvres, le filtre de sa cigarette. Oui, des prochains jours fous. Surtout si, pris dans l'amour de son travail et dans son besoin de tout savoir, il fouillait un peu plus. Un peu trop. Un peu là où il ne devait pas être.